Intervention de Catherine Deroche

Mission commune d'information Répression infractions sexuelles sur mineurs — Réunion du 6 février 2019 à 16h30
Audition conjointe de mmes isabelle de gaulmyn rédactrice en chef au journal la croix catherine bonnet ancien membre de la commission vaticane chargée de lutter contre la pédophilie dans l'église soeur véronique margron théologienne présidente de la conférence des religieuses et religieux en france corref père stéphane joulain père blanc psychothérapeute spécialisé dans le traitement des abus sexuels père pierre vignon prêtre du diocèse de valence

Photo de Catherine DerocheCatherine Deroche, présidente :

Un autre sujet a été abordé lors de l'audition d'Olivier Savignac et de ses avocats, celui du secret de la confession. Soeur Véronique, pouvez-vous en dire quelques mots rapidement ?

Soeur Véronique Margron. - Les prêtres étant seuls dépositaires de la confession, je ne veux pas me substituer à eux, mais je peux en dire un mot en tant que théologienne, d'un point de vue éthique. Le droit canon est une chose - et cela vaut pour la question plus large du signalement -, le droit français en est une autre. Je pense qu'il est légitime que, dans des situations criminelles, le droit français s'impose aux confesseurs comme à quiconque. Je ne sais comment ceci peut être régi conjointement par ces deux droits, mais nous sommes avant tout des citoyens français. Tout au plus sommes-nous des « citoyens du ciel », pour reprendre les termes chrétiens.

Je ne sais s'il faut que le secret de la confession soit plus fort que le secret professionnel, qui connaît des exceptions. Je ne suis pas capable d'aller plus loin sur cette question, mais je pense qu'il y a là un vrai souci éthique. Ceci concerne une toute petite minorité de situations. L'immense majorité de celles dont ont connaissance des évêques, des prêtres, des religieux, des supérieurs, ne relèvent pas du secret de la confession. Quoi qu'il en soit du droit canonique, le droit du pays où nous vivons s'impose. La loi française nous impose une obligation de signalement. À vrai dire, cela me suffit, car je n'imagine pas une seconde que je pourrais mettre les deux en concurrence.

Les jugements spécifiques à l'Église sont cependant très importants eu égard à la place de l'état clérical. Un pédocriminel peut-il encore se revendiquer de Dieu et de l'Église catholique ? C'est à l'institution catholique de répondre à ces questions, mais c'est d'abord le droit du pays où nous vivons qui s'impose.

Tout le problème est de savoir comment cette institution, que j'aime par ailleurs évidemment, compte instaurer des contre-pouvoirs. Je ne voudrais pas faire preuve d'un optimisme béat, mais je veux croire que la commission Sauvé peut y contribuer. C'est un peu comme si nous avions décidé de faire la lumière et d'établir des préconisations. Tout ceci doit être constitué de façon indépendante, avec des moyens adéquats. Cette commission n'a ni pouvoir d'enquête ni pouvoir de police, et nous sommes obligés de nous fier à la bonne volonté des uns et des autres ainsi qu'à l'implication de tous. J'y crois personnellement, étant donné les décisions des deux conférences, qui ont été extrêmement larges, pour ne pas dire unanimes. Quoi qu'il en coûte, il faut aller le plus loin possible, pour autant que ce soit possible.

C'est d'ailleurs ce que demandait le pape François, ainsi que le pape précédent. Il en va aussi de l'avenir de l'Église.

Soeur Véronique Margron. - Absolument, mais il en va avant tout de l'avenir des victimes et de leur dignité !

Père Pierre Vignon. - S'agissant du secret de la confession, le pédocriminel est selon moi un pervers, insensible à la souffrance de l'autre. En 39 ans de sacerdoce, je n'ai jamais entendu quelqu'un se confesser en me disant qu'il avait « tripoté des petits garçons ».

D'après ce que j'ai pu lire dans les témoignages des victimes, le pédocriminel n'a pas conscience qu'il fait le mal. Pour lui, c'est un acte d'amour. La société dit qu'il fait le mal, mais il n'y croit pas. Ces gens-là sont par définition dans le déni.

Le père Preynat « s'offrait un petit garçon », et célébrait ensuite la messe. Cela ne lui posait aucun problème. Il n'allait pas se confesser. Il en va de même pour tous les autres - du moins est-ce ce que j'ai cru comprendre.

Père Stéphane Joulain. - Sur ce point, je ne suis pas d'accord avec Pierre, d'un point de vue de clinicien, mais aussi en tant que prêtre, car j'ai reçu plusieurs confessions de délinquants sexuels.

C'est une des choses qui m'a mis en route : je me suis trouvé « coincé », sans savoir quoi faire. Je me souviens, tout jeune prêtre, avoir donné l'absolution à un père qui venait de m'annoncer qu'il avait abusé de sa fille. C'est pourquoi je me suis orienté vers la psychologie, afin de trouver d'autres solutions, puisqu'en tant que psychologue et psychothérapeute, je suis obligé par la loi - du moins dans les pays où j'exerçais - de signaler aux autorités des problématiques de cet ordre.

Le délinquant sexuel sait que ce qu'il fait n'est pas correct. Les dénégateurs sont très rares, d'où la présence des distorsions cognitives. Il n'y a distorsion cognitive que parce qu'ils savent que ce qu'ils ont fait est incorrect, et ils cherchent à s'en justifier. D'ailleurs, le déni est aussi une forme de distorsion cognitive.

Paul Ricoeur disait : « Il faut aller au lieu du conflit éthique chez la personne quand on fait le soin ». Quand on travaille avec des délinquants sexuels, on remonte les choix qu'ils ont faits et on leur demande quand ils ont cessé de regarder leur fille comme leur fille, et ce qui se passait avant. On remonte ainsi dans le temps, puis on redescend avec eux pour voir à quel moment ils ont opéré les mauvais choix et ce qu'ils auraient pu prendre comme autre direction.

Ils savent que ce qu'ils ont fait n'est pas correct. On se fait souvent « balader », et c'est pour cela que ni les prêtres ni les psychologues qui ne sont pas formés ne sont pas efficaces en la matière. Un pédocriminel - je n'utilise pas le mot de « pervers », parce qu'il vient de la psychanalyse - sait que son acte est mauvais pour l'enfant, mais il a dû éteindre en lui ce sentiment et le neutraliser.

Il y a quatre étapes dans l'abus sexuel d'un enfant. La première est la motivation. Ce peut être la pédophilie, mais cela peut être aussi un comportement antisocial, un désir incestueux, ou un tas d'autres choses.

En second lieu, il faut que la personne qui va commettre l'abus se convainque elle-même que ce qu'elle va faire est acceptable. Si elle n'y parvient pas, elle va ajouter un peu d'alcool ou de drogue pour lever les inhibitions encore davantage.

Il faut ensuite supprimer les inhibitions externes et arriver à dépasser la protection qui existe autour de l'enfant, neutraliser les parents, le système, etc.

Enfin, il faut neutraliser la résistance de l'enfant. On peut voir alors des hommes se dissocier pour pouvoir passer à l'acte.

On connaît les dissociations traumatiques. Il en existe aussi une forme de dissociation chez l'auteur d'abus sexuels sur un enfant, qui va jusqu'à neutraliser l'empathie qui est en lui. Le manque d'empathie existe, mais il n'est pas totalement éteint, puisqu'on le retravaille en thérapie. Pour cela, ils se racontent des histoires : ce n'était que des caresses, je ne lui ai pas fait de mal, je l'ai juste masturbé... Celui qui commet un abus sexuel sur un enfant sait que ce qu'il a fait n'est pas correct et réprimé par la société, même s'il affirme que c'était possible au temps des Grecs... C'est une distorsion cognitive, mais il faut être formé à la reconnaître et à la travailler.

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