Intervention de Jean-Claude Luche

Commission spéciale Etat pour une société de confiance — Réunion du 11 juillet 2018 à 14h00
Projet de loi pour un état au service d'une société de confiance nouvelle lecture — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Jean-Claude LucheJean-Claude Luche, rapporteur :

Ce texte, je l'ai déjà dit, ne bouleversera pas la relation entre les usagers et l'administration. Il comporte certaines avancées, mais tient plus du slogan et de l'effet d'annonce que de la révolution copernicienne promise par le Gouvernement.

En première lecture, nous avons cherché à atténuer son côté « fourre-tout », à l'ancrer davantage dans la réalité et à le délester d'articles à la portée uniquement déclaratoire ou de demandes de rapports parfaitement inutiles. Nous avons aussi cherché à faire valoir les prérogatives du Parlement par un contrôle rigoureux de la durée et du champ des très nombreuses habilitations à légiférer par ordonnance qu'il comportait.

J'avais déploré que le Gouvernement ne dise rien des moyens humains et matériels ou des actions de formation supplémentaires appelés par certaines des procédures proposées. C'est un des angles morts du texte.

Malgré tout, nous avons joué le jeu. Mais, en dépit de notre volonté d'aboutir et du caractère très consensuel du projet de loi, les députés ont choisi de faire échouer la commission mixte paritaire, en se fondant sur deux éléments : l'un - le droit à l'erreur pour les collectivités - figurait dans le texte ; l'autre - les éoliennes en mer - n'y figurait même pas !

Nous aurions pu choisir, en réponse, d'opposer la même fin de non-recevoir aux députés, en présentant une question préalable. Nous avons préféré vous proposer de réintroduire les points les plus saillants du texte du Sénat, à la fois pour marquer notre incompréhension face à l'impossibilité de trouver un compromis sur un tel texte et parce que nous ne désespérons pas que les députés finissent par nous entendre... L'espoir fait vivre !

À l'article 10, relatif au rescrit, l'Assemblée nationale a souhaité améliorer les procédures sectorielles introduites au Sénat, en y joignant certains garde-fous procéduraux. Cela va dans le bon sens. En revanche, de nombreuses procédures inédites de rescrits ont été ajoutées, ce qui interroge quant au respect de la règle de l'« entonnoir ». Cet ajout, à un stade avancé de la procédure législative, ne nous permet pas de contrôler le bien-fondé et la qualité de ces dispositions. Nous proposerons donc leur suppression.

À l'article 31, concernant le rescrit en matière juridictionnelle, je proposerai de conserver le dispositif du Gouvernement, rétabli par l'Assemblée nationale, tout en précisant son champ d'application. Le bénéfice de l'expérimentation serait réservé aux décisions administratives non règlementaires relatives aux déclarations d'utilité publique et aux déclarations d'insalubrité, ce qui permettrait de répondre aux griefs selon lesquels la procédure risquerait d'encourager les saisines systématiques et d'accroître la charge des juridictions administratives.

Les députés ont rétabli l'intégralité de leur texte sur le certificat d'information, à l'article 12, supprimant tant l'extension à tout usager exerçant ou souhaitant exercer une activité, que l'obligation pour l'administration de l'orienter, si besoin, vers d'autres interlocuteurs dans le mois suivant sa demande, ainsi quele plafonnement du délai de réponse à trois mois. Je vous proposerai, au moins, de rétablir ce dernier point. Le plus souvent, l'administration disposera du document « sur étagère », sans nécessité d'interpréter le droit. Le délai de trois mois me paraît donc suffisant.

L'Assemblée nationale a souhaité rétablir sa version du texte s'agissant de l'opposabilité des circulaires. Le Sénat avait supprimé le recours à une périphrase pour définir les circulaires applicables et aligné le régime des notes administratives interprétant le droit sur celui des circulaires. Je ne souhaite pas revenir sur les modifications introduites en nouvelle lecture, même si je les regrette ; espérons que le justiciable aura le goût des périphrases et que le juge administratif aura la présence d'esprit d'éliminer les « fausses notes » de l'administration, en les requalifiant en circulaires.

Les députés ont également rétabli leur texte à l'article 15 bis, relatif à la désignation de référents uniques dotés d'un pouvoir de décision dans les maisons de services au public, alors même que nous leur avions fait part de réelles difficultés de mise en oeuvre sur le terrain. Je proposerai à nouveau une rédaction de compromis, permettant qu'aucun participant à une telle structure ne soit contraint par le nouveau dispositif du référent unique, tout en préservant l'apport de l'Assemblée nationale.

À l'article 16, concernant l'expérimentation d'un plafonnement de la durée cumulée des contrôles administratifs sur les PME, les députés ont supprimé la modulation de durée que nous avions introduite au bénéfice des TPE, invoquant la complexité de sa mise en oeuvre. Cet argument n'est pas recevable. Je proposerai donc le rétablissement du plafond de six mois pour les TPE.

À l'article 19, les députés sont revenus à la rédaction qu'ils avaient adoptée : l'accord des chambres régionales pour se lancer dans l'expérimentation de transferts de compétences et de personnels des chambres d'agriculture départementales. Je proposerai de rétablir la rédaction du Sénat, car je crois en la capacité des acteurs territoriaux à s'organiser de la meilleure façon possible. Ceux qui souhaitent se lancer dans l'expérimentation relative aux transferts de compétence et de personnel le pourront. Là où les chambres départementales seront en désaccord, l'expérimentation ne pourra avoir lieu. C'est du bon sens ! Et c'est une démarche davantage conforme à l'idée d'expérimentation. Je proposerai également de revenir à notre rédaction pour l'expérimentation confiant une nouvelle mission d'information aux chambres d'agriculture, car il convient que l'ordonnance décrive les conditions de financement de cette expérimentation.

Au même article, les députés ont inséré un paragraphe érigeant au niveau législatif des dispositions d'ordre réglementaire annulées par le Conseil d'État, portant sur l'exercice, par les chambres régionales, de certaines compétences « au bénéfice des chambres départementales ». Dans un esprit d'ouverture, je ne proposerai pas de revenir sur ce point.

En matière de construction, les députés ont rétabli, à l'article 26, le délai de 18 mois pour rédiger l'ordonnance relative au « permis de faire ». Le Gouvernement a confirmé sans ambigüité qu'il mènerait une large concertation. Le degré de technicité et la sensibilité du sujet me paraissent, en définitive, justifier un tel délai.

Je ne proposerai pas de rétablir l'expérimentation, supprimée par les députés, d'un référent unique pour les maîtres d'ouvrage lors de l'instruction par plusieurs services d'un projet d'activité, d'installation, d'ouvrage ou de travaux, considérant que la demande était déjà très largement satisfaite par l'autorisation environnementale unique..

S'agissant de l'enseignement supérieur, à l'article 28, les députés ont confirmé le délai d'habilitation fixé à six mois par le Sénat. Ils ont sécurisé les modalités de sortie de l'expérimentation des regroupements en vue de répondre aux inquiétudes des établissements qui avaient motivé l'adoption, au Sénat, de l'article 28 bis. L'équilibre trouvé est satisfaisant.

Concernant la consultation du public sur les projets ayant une incidence sur l'environnement, les députés ont rétabli, à l'initiative du Gouvernement, l'expérimentation visant à substituer à l'enquête publique une consultation par voie électronique pour les projets ayant donné lieu à une concertation préalable sous l'égide d'un garant. Toutefois, au lieu de revenir au texte initial, qui limitait cette expérimentation aux seuls projets nécessaires à l'exercice d'une activité agricole, ils l'ont élargie à l'ensemble des projets soumis à autorisation environnementale. Nous sommes nombreux, au Sénat, à nous être opposés, en première lecture, au remplacement de l'enquête publique par une simple consultation par voie électronique. L'enquête publique est nécessaire pour permettre l'acceptabilité des projets. Je proposerai donc, à nouveau, la suppression de cette expérimentation.

Par ailleurs, l'Assemblée nationale a adopté un amendement du Gouvernement visant à ratifier l'ordonnance du 26 janvier 2017 relative à l'autorisation environnementale. Ce procédé porte atteinte aux droits du Parlement, qui ne dispose pas du temps nécessaire pour effectuer l'examen du texte et y apporter, si besoin, des modifications. Je proposerai, en conséquence, un amendement de suppression.

Je proposerai, enfin, le rétablissement de l'article 35 ter, qui vise à lutter contre les recours abusifs formés par les associations à l'encontre des décisions relatives aux projets soumis à autorisation environnementale. Les recours abusifs peuvent poser de véritables problèmes aux maîtres d'ouvrage. Le dispositif proposé par cet article est proportionné ; il s'inspire directement des dispositions prévues par le code de l'urbanisme s'agissant des permis de construire.

L'article 34, relatif aux énergies marines renouvelables, aura fait couler beaucoup d'encre et contribué à faire couler, aussi, la CMP... Le Gouvernement avait tenté, au Sénat, d'introduire dans cet article initialement consensuel une disposition permettant de renégocier, sous la menace d'une annulation, le prix des six parcs d'éoliennes en mer déjà attribués en 2012 et 2014. Fort logiquement, le Sénat avait rejeté cet amendement déposé tardivement et suscitant de vives inquiétudes.

Le 20 juin dernier, le Président de la République a annoncé l'aboutissement des négociations avec les lauréats, que nous avions appelées de nos voeux : le développement des six parcs a été confirmé, avec un engagement des industriels à réduire de 30 % les tarifs de mise en service, permettant, selon le Gouvernement, de faire baisser le coût du soutien public de 40 %, soit environ 15 milliards d'euros sur les vingt ans des contrats d'achat.

Si l'on peut se réjouir d'un tel résultat, qui est à vrai dire une moindre dépense plutôt qu'une économie et dont je rappelle que chacun d'entre nous, en tant que consommateur d'énergie, la paie sur sa facture, la gestion du dossier par le Gouvernement interpelle. Sur la forme, un amendement tombe du ciel, le dispositif est sans cesse retouché, ce qui engendre une très grande incertitude pour la filière et les territoires concernés, puis la mesure est réintroduite à la faveur d'une nouvelle lecture dont il appartiendra au Conseil constitutionnel, le cas échéant, de dire si elle est conforme à la procédure, l'histoire n'est peut-être pas finie ... Sur le fond, pourquoi le Gouvernement et l'Assemblée nationale ont-ils maintenu la disposition dans le texte alors que les négociations avaient abouti ? En droit, il sera donc toujours possible à l'État d'annuler les décisions d'attribution jusqu'à la signature du contrat d'achat.

La plus grande opacité demeure sur les conditions de cette négociation. Si la confidentialité de certaines données peut s'entendre, nous ne savons rien sur la façon dont l'accord avec les consortiums a été finalisé, et donc de son irréversibilité : un engagement écrit et opposable à chacune des parties a-t-il été signé ? Nous ne savons rien non plus de ses conséquences éventuelles sur l'emploi et sur la filière industrielle, ou encore de la façon dont les économies annoncées ont été calculées.

Ces économies seront peut-être substantielles, mais il s'agit, au moins en partie, d'un trompe-l'oeil puisque le coût du raccordement, auparavant intégré dans le tarif d'achat car financé par les producteurs, sera désormais couvert par le tarif d'utilisation des réseaux, représentant un tiers de la facture des consommateurs d'électricité. De même, l'utilisation ou l'occupation du domaine public à titre gratuit pour ces projets - une nouveauté - occasionnera une perte de recettes publiques non évaluée. Enfin, la possibilité de revenir sur des accords déjà conclus est contradictoire avec la volonté affichée par le Gouvernement d'établir un climat de confiance et de sécurité juridique, et susceptible de faire fuir les investisseurs. Il est à craindre, en particulier, que certains candidats potentiels à l'appel d'offres au large de Dunkerque soient échaudés par de telles pratiques et ne présentent finalement pas d'offre. La pression concurrentielle en serait réduite d'autant et le prix de sortie pourrait être plus élevé qu'espéré, les économies générées d'un côté pouvant alors être partiellement perdues de l'autre...

Nombre des objections exprimées en première lecture restent donc valables : dans un État de droit, le Gouvernement ne devrait pas pouvoir revenir sur la parole de l'État ; de même, l'incertitude sur ces six parcs et sur la constitution d'une filière industrielle française n'est pas définitivement levée.

Pour autant, je ne proposerai pas de revenir sur la rédaction de l'article, pour prendre acte du résultat favorable de la négociation et considérant que le débat a déjà eu lieu, sur le fond, en première lecture.

À l'article 34 quinquies, l'Assemblée nationale a conservé notre dispositif sur la procédure d'extrême urgence en matière d'expropriation pour les réseaux publics d'électricité, sans retenir son extension au gaz. Nous avions souhaité anticiper des difficultés qui pourraient se présenter à l'avenir. Nous pourrons toujours y revenir, au besoin, en temps utile.

Enfin, j'ai exprimé mon rejet profond de toutes les demandes de rapports. La plupart du temps, ces rapports sont oubliés par le Gouvernement et, quand l'un d'eux finit par nous être remis, il s'échoue dans une armoire ! Sans surprise, la plupart des demandes ont été rétablies. Dans un souci de consensus, je proposerai d'en conserver certaines, mais d'écarter les demandes les plus inutiles ou problématiques.

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