Intervention de Joël Guerriau

Commission d'enquête Evasion des capitaux — Réunion du 19 juin 2012 : 1ère réunion
Audition de Mm. Yannick Noah joueur de tennis et chanteur et guy forget joueur de tennis

Photo de Joël GuerriauJoël Guerriau :

J'ai eu le plaisir de recevoir Yannick Noah à Saint-Sébastien-sur-Loire, pour un excellent concert.

Je vous remercie tous deux d'avoir accepté de vous soumettre à nos questionnements et réflexions et de relever avec nous l'enjeu consistant à mieux comprendre l'évasion fiscale.

Vous avez été capitaines de l'équipe de France, vous avez remporté des coupes Davis à ce titre, et vous avez donc porté les couleurs de la France au plus haut niveau.

Yannick Noah mène désormais une carrière de chanteur, dont nous sommes fiers, puisque la popularité est au rendez-vous.

Vous êtes donc des icônes de notre nation. Pour des gens moyens ou modestes, qui vivent, en France, dans les quartiers, vous êtes un modèle d'exemplarité.

C'est la raison pour laquelle nous pouvons porter sur vos parcours un double regard : celui d'une nation fière des compétiteurs que vous avez été, fière d'un savoir-faire et savoir-être exemplaires, affirmant également la nécessité, au travers de la fiscalité, de votre présence sur son sol.

Entre 1991 et 1993, Yannick Noah fait le choix de vivre en Suisse. Guy Forget, il l'a dit très correctement à l'instant, a pris la même décision, qui n'est pas forcément comprise par les habitants de notre pays. Même s'il ne s'agit pas d'une fraude, on peut parler d'une évasion fiscale, ce qui relève donc bien de notre commission d'enquête. Parce que vous êtes ces icônes que nous voulons exemplaires, comme le disait mon collègue voilà un instant, une telle attitude ne peut pas être bien ressentie.

Je m'interroge donc : si vous avez fait ce choix, que vous avez justifié, comment peut-on imaginer qu'avec une imposition à 75 % des revenus de plus de 1 million d'euros - c'est votre cas et celui d'autres personnalités - les comportements changeront ? Je ne crois pas qu'une telle mesure incitera quiconque à revenir en arrière. Au contraire, il y aura selon moi une accélération du mouvement. Ainsi, ce que l'on veut gagner d'un côté, on le perdra de l'autre. Évidemment, on pourra toujours dire que reconnaître le drapeau français, rester dans son pays, payer ses impôts et être solidaire, c'est bien, mais, dans la réalité, on retombera très exactement dans ce que vous avez évoqué tout à l'heure : le phénomène d'une carrière courte et la recherche d'une optimisation, que vous avez justifiée avec courage auprès de nous, ce dont je tiens à vous remercier. Cette réalité est en effet la nôtre, et nous nous devons de la prendre en considération.

J'ai envie que nos vedettes, ceux qui portent les couleurs de la France aussi bien que vous avez pu le faire, ceux qui nous font honneur, ceux qui font que les populations vibrent, ceux qui nous donnent du plaisir, restent sur le territoire français. Vous nous avez donné du plaisir, Yannick, en 1983, quand vous avez gagné Roland-Garros, d'autant que cela ne s'est pas reproduit. Devant nos postes de télévision, nous étions fiers et enthousiastes de voir cette réussite et cette belle victoire.

Par conséquent, je pense qu'une imposition à 75 % n'est pas une mesure satisfaisante. Elle ne conduira pas aux bons résultats que j'attends de notre nation.

Je souhaite évoquer également la question de l'échelonnement, liée à la problématique des carrières courtes, qu'il s'agisse des sportifs ou des chanteurs, certains pouvant avoir un succès fou pendant une période très courte, ce qui n'est bien évidemment pas le cas de Yannick Noah. Le succès littéraire, celui d'un auteur de best-sellers, permet de bénéficier, sur une période extrêmement courte, de revenus tout à fait sympathiques. À un moment donné, au cours d'une carrière, on peut recevoir une promotion, source d'importants revenus qui ne durent pas forcément.

Dans une carrière antérieure, j'ai eu à aider un footballeur français très connu, d'origine sénégalaise. Il avait joué en division 1, à Nantes. Il était dans une situation catastrophique, et nous l'avions embauché comme chauffeur. C'est dire à quel point on peut facilement passer d'une vie où l'on gagne énormément d'argent à une situation miséreuse ! Tout à coup, on se retrouve dans une situation difficile, alors qu'on a appris à dépenser beaucoup à un très jeune âge, sans être forcément bien accompagné.

Ainsi le vrai problème est-il à mes yeux la question de l'échelonnement. Finalement, notre fiscalité porte sur les revenus d'une année, alors qu'en réalité on devrait considérer une période beaucoup plus longue. En effet, contrairement à la majorité des personnes, qui bénéficient de hauts revenus en fin de carrière, vous gagnez très bien votre vie en début de carrière, les situations plus difficiles apparaissant plus tard.

Les fiscalistes et les législateurs que nous sommes doivent s'efforcer de niveler un phénomène qui est à considérer à l'échelle non pas d'une année, mais d'une vie.

Je tiens à nos sportifs, je tiens à ce que vous êtes. Je suis très heureux de vous voir autour de cette table, ce qui me permet de vous demander votre avis sur la création d'un taux d'imposition de 75 %. Pensez-vous que la tentation de résider à l'étranger sera plus grande, malgré la bonne volonté de certains, dont vous faites partie ?

Par ailleurs, comment envisager un autre mode de fiscalisation, qui prendrait en considération le cas de figure d'un succès très court ? Au demeurant, vous avez tous deux, mais plus particulièrement Yannick, fait de longues carrières !

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