Intervention de Élodie Trauchessec

Mission d'information Gratuité des transports collectifs — Réunion du 21 mai 2019 à 13h30
Audition commune autour de Mme Elodie Trauchessec chargée des mobilités émergentes au service transports et mobilité ademe et de M. Dominique Mignot directeur du département transport santé et sécurité ifsttar

Élodie Trauchessec, chargée des mobilités émergentes au service £ Transports et Mobilité (Ademe) :

Ainsi que cela a été dit, je suis animatrice des mobilités émergentes. Mes thématiques concernent les mobilités actives récemment définies dans la loi d'orientation des mobilités - vélo, marche, etc. - et les mobilités partagées. On me faisait récemment remarquer à ce propos que les transports en commun constituent une mobilité partagée.

Une trentaine de villes en France ont actuellement mis en place la gratuité totale des transports. On ne peut donc plus parler d'effets de niche. Ceci représente 176 réseaux de transport et une trentaine de collectivités. S'agit-il d'une révolution culturelle ? Faut-il l'encourager ou veiller à ne pas faire fausse route ?

Je participais, à Dunkerque, le 4 septembre dernier, aux premières rencontres des villes ayant mis en place le transport gratuit, événement annuel lancé l'année dernière pour la première fois, et qui doit être reconduit tous les ans.

J'ai eu l'occasion d'y prendre le bus, la gratuité datant du 1er septembre. C'est une expérience assez agréable : vous arrivez dans une ville que vous ne connaissez pas, vous n'avez pas à vous préoccuper d'acheter des tickets, de les conserver, de faire l'appoint ou de savoir si la carte bleue est acceptée ou non.

Cela étant, cette expérience de mobilité continue sera possible demain avec le MaAS (Mobility as A Service). On pourra avoir, en payant, la même expérience sans se préoccuper du ticket, de son achat, etc.

On présente souvent la gratuité comme une mesure sociale et environnementale. Ce n'est pas systématique, loin de là ! D'ailleurs, les pionniers en la matière, comme Châteauroux, n'avaient pas du tout pensé cette mesure comme environnementale ou sociale.

Le maire actuel de Châteauroux aime à raconter que le maire qui a mis en place la gratuité était de droite et concessionnaire automobile. Son objectif n'était pas de réduire la circulation automobile, mais d'optimiser le rapport coût-efficacité de son service de transport. L'offre était auparavant très pauvre, peu utilisée et ne remplissait pas la vocation sociale qu'elle peut avoir dans une ville de cette taille.

En parallèle de cette expérience de gratuité qui remonte à 2001, Châteauroux avait également rendu gratuit le stationnement automobile et fluidifié la circulation en ville. On n'était pas dans un objectif de décongestion ou de réduction de la voiture en ville, mais dans une politique de dynamisation économique du centre-ville.

La gratuité des transports peut cependant présenter un impact environnemental intéressant si elle permet un report modal de la voiture individuelle et éventuellement des deux-roues motorisés vers les transports en commun. On aura alors un apport sur toutes les externalités négatives que l'on a autour des voitures - bruit, émissions de gaz à effet de serre, émissions polluantes, accidentalité, congestion, etc.

Or la métrique utilisée aujourd'hui est toujours basée sur le degré de remplissage des bus. Un bus rempli n'a jamais contribué à réduire le nombre des voitures ! Un bus rempli de personnes utilisant la voiture auparavant amène certes la décongestion et le report modal, mais il prend surtout des parts modales à la marche et au vélo. En outre, les personnes qui utilisent leur véhicule continueront à y recourir.

Dans certaines villes, on a constaté que la plupart des nouveaux usagers utilisaient des lignes de bus pour des distances très courtes et les saturaient, alors qu'elles sont utiles pour des distances plus longues. On entre également dans des thématiques de lutte contre la sédentarité, etc. Pour information, un urbaniste rappelait récemment que, selon des études sur le sujet, marche et vélo peuvent assurer à eux seuls les deux tiers des déplacements dans les grandes agglomérations.

Le potentiel des mobilités actives est extrêmement important, mais mettre des personnes dans les bus n'a pas de sens si ces personnes peuvent se déplacer différemment, avec un moindre impact environnemental et un effet sanitaire intéressant.

Première conclusion : sans dire qu'il faut se prononcer contre la gratuité totale des transports publics, une politique qui ne traite que de la gratuité constitue un non-sens. Il faut donc adopter une approche systémique, globale, décourager l'usage de la voiture, établir un report modal vers les transports en commun et mettre en place une politique suffisamment ambitieuse en matière de modes actifs pour que ceux-ci demeurent attractifs - cheminements, infrastructures, stationnements, services, etc.

À titre d'exemple, la politique du vélo coûte aujourd'hui 30 fois moins cher qu'une politique de transports en commun. C'est donc aussi une question d'efficience de la dépense publique.

On a également parlé de la gratuité totale comme d'une mesure sociale. Or la plupart des réseaux disposent déjà d'une tarification sociale. Il faut toutefois la demander, et tout le monde ne sait pas qu'elle existe. Elle a donc des limites, sur lesquelles on peut sûrement travailler. Selon les retours qu'on en a, la part des usagers captifs des transports en commun gratuits n'évolue pas : les gens qui prenaient le bus auparavant continuent à l'utiliser, mais la qualité de service s'est dégradée.

Il peut donc y avoir un effet pervers : en voulant faire monter plus de personnes dans le bus, on sature certaines lignes et on dégrade la qualité de service de personnes qui n'ont pas d'autres choix que de recourir aux bus : femmes avec enfant et poussette, seniors, personnes à mobilité réduite, etc. C'est une erreur qu'ont commise beaucoup de collectivités.

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