L'Ifsttar travaille beaucoup sur les questions de transport et de report modal. Personnellement, je me suis penché il y a quelques années sur les questions de tarification sociale et de mobilité pour les personnes en difficulté et, pour une autre partie de mes activités de recherche, sur les questions de report modal.
La question qui nous anime est un peu à la frontière des deux problématiques : la gratuité constitue une mesure découlant essentiellement de la tarification sociale, et ce sont des raisons environnementales qui soulèvent la question de leur efficacité. Ces deux notions sont assez indissociables.
On l'a dit, un trop grand recours aux transports en commun gratuits entraîne une dégradation du service ou un sous-investissement. On ne peut traiter la question de la gratuité uniquement sous l'angle de l'environnement sans la dissocier de l'aspect social.
À la fin des années 2000, selon une étude que nous avions réalisée, ce qui manquait le plus, c'étaient des abonnements gratuits ou à tarif réduit permettant de répondre aux besoins de la population en difficulté financière.
Les équipes qui avaient travaillé sur la question avaient identifié un besoin d'abonnement soit gratuit, soit à tarif réduit, permettant à la fois de faire les courses, de transporter les enfants, de chercher de l'emploi.
En fait, la gratuité pouvait être interprétée comme la première étape d'un ensemble de mesures tarifaires progressives allant jusqu'au plein tarif en fonction des revenus, du statut, etc.
L'application de ce type de tarification peut poser des problèmes et suppose d'agir en lien avec les services sociaux. Cela fonctionne dans un certain nombre de villes.
Le besoin de gratuité correspond à une vraie attente d'une partie de la population qui n'a pas les moyens d'accéder aux transports. La gratuité permet donc, à un moment donné, de revenir dans la vie sociale et d'accéder à l'emploi.
S'agissant du report modal, on s'appuie généralement sur un concept qui plaît beaucoup aux économistes, celui de coût généralisé qui représente, pour un déplacement, la somme du coût monétaire auquel on ajoute le temps passé, multiplié par une valeur du temps.
Cela revient à prendre en compte à la fois le coût du transport, mais aussi le temps, dont on sait bien qu'il constitue un élément sensible.
Le terme le plus important et le plus sensible pour orienter le choix du transport n'est pas le coût monétaire - qui ne représente qu'une petite partie du coût généralisé de transport -, mais le temps et sa valorisation, même s'il existe beaucoup de limites à cette analyse, dans laquelle, par exemple, on ne tient pas compte du confort.
La plupart des grandes villes - dont Paris - s'appuient sur cette analyse. Même si on annule le coût monétaire, cela ne va pas révolutionner les arbitrages de la plupart des usagers, qui choisiront leur mode de transport en fonction de la rapidité ou de motifs particuliers.
La question du motif est extrêmement importante. Certains travaux réalisés il y a quelques années ont montré que même si un transport collectif est pertinent et performant en termes de temps, le fait d'avoir des enfants à emmener à l'école, de faire de l'accompagnement ou de s'arrêter pour faire des courses amène un certain nombre de personnes à continuer à recourir à la voiture.
Quels sont les arguments qui pourraient contribuer à défendre la gratuité pour des raisons environnementales ? Le premier est de considérer que beaucoup de personnes vont choisir les transports collectifs. Je suis assez dubitatif quant à ce type de changement de comportement. À l'inverse, pour les personnes ayant le moyen de payer leur ticket, qu'est-ce qui justifie de ne pas le faire ?
Je suis convaincu de l'intérêt de la gratuité, pour des raisons sociales, comme première étape d'un dispositif de tarification sociale, mais pourquoi donnerait-on gratuitement accès aux transports collectifs à quelqu'un qui est prêt à utiliser spontanément sa voiture ? Ceci apparaît un peu contradictoire.
Selon moi, l'un des risques de la gratuité est de supprimer une partie des recettes. Certains réseaux sont déjà au taux maximum du versement transport et, même si la part des recettes issue de la tarification est assez faible, elle génère un bénéfice de quelques dizaines voire centaines de millions d'euros qui permet de développer le réseau de transports collectifs.
Le risque est que la gratuité se fasse « au détriment » d'une politique de développement du réseau. Je n'ai toutefois pas d'éléments d'évaluation sur cette question.
La gratuité pour tous va donc, selon moi, à l'encontre d'une véritable politique volontariste de développement des transports publics et d'une tarification sociale la plus redistributive possible.