Intervention de Édouard Geffray

Mission d'information organisation, place et financement de l'Islam en France — Réunion du 17 mai 2016 à 13h30
Audition de M. Jean-Luc Tavernier directeur général de l'insee et de M. édouard Geffray secrétaire général de la cnil

Édouard Geffray, secrétaire général de la Cnil :

D'un côté, la Cnil est chargée de lutter contre les discriminations en refusant le recueil et le traitement de données dites sensibles (appartenance syndicale ou religieuse, orientation sexuelle, etc.) ; de l'autre, ce sont ces mêmes données qui nous servent à mesurer les phénomènes de discriminations. La donnée est à la fois poison et remède. D'où l'importance d'en réguler la collecte et l'usage.

L'article 8 de la loi Informatique et libertés du 6 janvier 1978 pose comme principe l'interdiction de collecter ou de traiter des données sensibles, avec un certain nombre d'exceptions, notamment si la personne interrogée donne son consentement, ou si l'étude statistique effectuée a un caractère obligatoire. Ce cadre juridique est conforme à la directive européenne de 1995 sur la protection des données, directive qui laissera place dans deux ans à un règlement européen : le même principe de restriction s'applique pour la collecte et le traitement des données ethniques et religieuses.

Ce cadre de principe est complété par les limitations de l'article 6 de la loi de 1978 selon lequel toute collecte ou traitement de données doit être loyal et licite. Par conséquent, pour se prononcer, la Cnil tient compte de la finalité du traitement des données, qui doit être déterminée, explicite et légitime. Elle s'assure ensuite que les données traitées sont proportionnées, adéquates et pertinentes.

Enfin, l'article 10 prévoit que le traitement des données ne peut pas générer de décision juridique automatique. Autant on peut collecter des données personnelles, y compris dans des domaines comme celui du travail, autant il est impossible de les utiliser pour justifier des effets juridiques sur les personnes concernées, ni à des fins discriminatoires, ni à des fins de correction. Il est indispensable de faire intervenir une médiation humaine, pour introduire de l'intelligence et du discernement dans le traitement des données et l'usage qui en est fait.

L'action de la Cnil consiste à se prononcer en amont sur les possibilités juridiques de mesurer les discriminations. Nous avons co-rédigé avec le Défenseur des droits un guide méthodologique destiné aux acteurs de l'emploi, intitulé Mesurer pour progresser vers l'égalité des chances. Il s'agissait de recenser ce qu'il était possible ou non de faire pour mesurer les discriminations au travail. Nous avons ainsi pu distinguer deux types de données, en conformité avec la jurisprudence du Conseil constitutionnel : les données objectives (nationalité, pays de naissance, etc.) et celles qui relèvent du ressenti d'appartenance, autrement dit de la manière dont les gens se perçoivent. En effet, s'il est interdit d'interroger une personne sur son origine ethnique, on peut en revanche lui demander si elle considère répondre à telle ou telle caractéristique.

La Cnil délivre également des autorisations de traitement de données personnelles, en traitant au cas par cas la demande de ceux qui souhaitent utiliser des données sensibles. Cela a été le cas pour l'étude TeO, « Trajectoires et origines », réalisée par l'Insee et l'Ined, ou pour l'enquête Remina sur la représentation des populations dites minoritaires et majoritaires en France. Dans d'autres domaines, nous avons autorisé l'enquête « Sans domicile » 2012, sur les personnes en situation de grande précarité, ainsi que l'étude Ipergay sur les pratiques sexuelles à risque. À chaque fois, la Cnil a examiné point par point la finalité, la proportionnalité et la nature des données, intervenant parfois pour reformuler les questions. Elle a étudié les modalités de conservation mises en oeuvre. Elle s'est assurée que l'utilisation des données aboutissait à des informations agrégées et pas nominatives, pour éviter toute reconstitution de référentiels ethniques déguisés. Ainsi, dans notre guide Mesurer pour progresser vers l'égalité des chances, nous mentionnons qu'il est tout à fait possible qu'un employeur soucieux de lutter contre la discrimination en matière salariale fasse réaliser une étude sur la base des patronymes de ses employés, dès lors qu'elle débouche sur des conclusions globales et qu'elle ne sert pas à produire des référentiels ethniques juridiquement invalides. Ces demandes d'autorisations sont systématiquement examinées en séance plénière de notre commission et font toujours l'objet d'un débat.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion