Intervention de Jacques Poirier

Mission commune d'information sur le Mediator — Réunion du 1er juin 2011 : 1ère réunion
Audition de jacques poirier lanceur d'alerte ancien responsable de sanofi-aventis chargé des approvisionnements biologiques du lovenox et de M. Emmanuel Poirier assureur

Jacques Poirier, ancien responsable de Sanofi-Aventis chargé des approvisionnements biologiques du Lovenox :

Je propose de faire une exposition liminaire du contexte pour montrer cette évolution à travers un certain nombre d'irrégularités observées pendant vingt ans. Rien n'a pu se faire sans la mansuétude de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps). En répondant à vos questions, je prouverai que mes affirmations sont basées sur des faits.

Le Lovenox s'appelle l'enoxaparine en dénomination commune internationale. C'est une héparine, c'est-à-dire une substance anticoagulante obtenue de façon biologique, à partir de tubes digestifs de porc. Il faut un tube digestif de porc pour fabriquer une dose de produit, ce qui représente la mise à disposition d'environ 600 millions de porcs annuellement pour 600 millions de doses, soit un chiffre d'affaires supérieur à 3,2 milliards d'euros aujourd'hui - le quasi-équivalent du chiffre d'affaires annuel de la société Servier.

En 1991, la haute direction de Rhône-Poulenc me demande urgemment de mettre en oeuvre un système destiné à sécuriser les approvisionnements en enoxaparine qui à l'époque représente un chiffre d'affaires de 2 milliards de francs. J'indique à mes supérieurs et mes collègues commerciaux qu'il faut être extrêmement vigilant au regard des tubes digestifs de porcs importés de Chine. En effet, en avril 1991, la Commission européenne venait de produire un document qui a toujours force de loi concernant les risques de transmission de maladie de la vache folle, variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob. Ce n'est que cinq ans plus tard que des morts seront observées en Grande-Bretagne. Ces mesures de précaution de l'administration européenne étaient d'autant plus pertinentes que cinq ans plus tard, à partir d'une cohorte de dix jeunes adultes, nous avons pu démontrer que la variante de cette maladie était transmise de l'animal à l'homme simplement par voie orale, via la consommation de viande bovine.

Le Lovenox est administré par voie parentérale et non orale. La production de plusieurs dizaines de médicaments d'origine bovine, ovine ou caprine, c'est-à-dire provenant de ruminants, a été arrêtée. Mon rôle était de coordonner un certain nombre de réflexions et d'actions sur l'ensemble de la chaîne de production de l'enoxaparine. Dès cette époque, j'avais alerté qu'il fallait assurer la traçabilité d'origine animale et géographique. Il fallait être vigilant à l'égard des approvisionnements en provenance de la Chine, qui représentait alors plus de 25 % des approvisionnements, cette part étant aujourd'hui supérieure à 50 %. J'ai aussi souligné qu'il faudrait mettre au point des méthodes analytiques susceptibles de déceler la présence de matières interdites dans les lots de fabrication. Des essais, non concluants, sont conduits en interne. En mars 1996, alors qu'éclate la crise de la vache folle, j'ai enfin été autorisé à prendre contact avec la recherche publique (l'Inra), en la personne du docteur vétérinaire Didier Levieux. En quelques semaines, ce dernier met alors au point une première méthode pour déceler les fraudes dans les lots de fabrication.

Le docteur Levieux s'aperçoit que la société refuse de mettre en oeuvre ces méthodes. Progressivement - parce qu'elle est acculée - elle les applique en France dans les abattoirs de porcs. Or, dans les abattoirs français de porcs, ne peuvent être abattus que des porcs. Par conséquent ces méthodes n'ont été mises en oeuvre que dans des endroits où l'on savait parfaitement que l'on allait obtenir de bons résultats. Parallèlement, il s'avère que l'enoxaparine était - et est toujours - largement exportée aux Etats-Unis. La Food and drug Administration (FDA) a exigé qu'aucun produit obtenu à partir de matières premières en provenance de Chine ne soit autorisé à pénétrer sur le territoire américain. Elle a également exigé que la première méthode établie par Didier Levieux et l'Inra, financée par Sanofi-Aventis, soit systématiquement mise en oeuvre. C'était une deuxième protection pour s'assurer que les tubes digestifs soient bien « pur porc ».

On pourrait se demander pour quelle raison la précaution de la FDA n'était absolument pas prise par les autorités françaises. Didier Levieux a adressé des courriers de plus en plus fermes, dans lesquels il s'indignait de la manière avec laquelle Sanofi-Aventis, qui avait financé ces études, ne les mettait pas en oeuvre alors que le concurrent de l'époque, Sanofi-Synthélabo, avait décidé d'interdire les importations de matières premières en provenance de Chine sur un produit voisin de l'enoxaparine, la Fraxiparine. J'essayais d'alerter la direction de ma société en interne.

En 2003, je suis vraiment à bout. Je prends acte de la rupture de mon contrat de travail avec la société Sanofi-Aventis et me trouve d'une certaine façon « libéré » de cette obligation de réserve. C'est à cette époque que les écarts se sont élargis entre le règlement, ce qu'affichait l'Afssaps et ce que faisait la société. Je vous remettrai des publications diverses de la presse médicale, comme La Recherche, ce sujet faisant aussi l'objet d'un chapitre complet de l'ouvrage Alerte santé d'André Cicolella.

En 2008, des morts en série surviennent aux Etats-Unis suite à l'administration d'héparine à des patients dialysés. L'enquête montre qu'il s'agit de produits commercialisés par le laboratoire américain Baxter, sur quelques lots tous d'origine chinoise. Cela ne pouvait pas être un produit de chez Sanofi-Aventis puisque les Américains avaient pris la précaution de commander de l'enoxaparine uniquement à partir de porcs français. Nous nous sommes aperçus quelques jours plus tard qu'un produit avait été ajouté frauduleusement : la chondroïtine sulfate, pour reproduire en quelque sorte les effets anticoagulants de l'héparine. Selon les dires de l'Afssaps, il n'y aurait pas - ce qui est faux - suffisamment de porcs à la surface du globe pour répondre à la demande en héparine. La tentation est donc grande de faire appel à des procédés prohibés. Il y a eu plus de quatre-vingts morts aux Etats-Unis suite à l'administration de ces produits frelatés et environ huit cents chocs qui auraient pu se terminer de façon aussi dramatique. En Allemagne, au moins cinq morts ont été homologuées.

L'Afssaps a recherché la présence de ce produit ajouté frauduleusement sur des lots d'enoxaparine provenant de Chine. Onze lots étaient contaminés. Ces produits ont été consignés. Je vous exposerai le devenir de ces lots si vous me posez la question.

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