Intervention de Mathilde Heitzmann-Patin

Mission d'information Culture citoyenne — Réunion du 29 mars 2022 : 1ère réunion
Audition sur la démocratie participative

Mathilde Heitzmann-Patin, professeur de droit public à l'université du Mans :

Merci pour votre invitation. Je suis très heureuse de pouvoir discuter avec vous de ces questions.

Je commencerai par la définition de la démocratie participative, directe et représentative. La démocratie directe, j'en parle moins comme d'un régime de type athénien que comme des processus permettant la prise de décision directement par le corps électoral. L'exemple classique en est le référendum. La démocratie représentative, c'est la prise de décision par les élus du peuple, les représentants : la prise de décision populaire est donc indirecte. Au fond, ces deux définitions peuvent entrer dans le champ de la démocratie participative : décider directement, c'est participer, et décider indirectement en élisant ses représentants, c'est aussi participer.

Participer, c'est jouer un rôle. Encore faut-il définir quel est ce rôle et qui l'exerce. Qui participe ? Le corps électoral. Nous parlons donc de citoyens, d'électeurs, et l'expression « démocratie participative » implique probablement un rôle plus investi et plus régulier du citoyen dans le processus de prise de décision politique. Ce rôle, en revanche, ne va pas forcément jusqu'à la prise de décision définitive.

Dans le rôle que le citoyen exerce, on peut distinguer plusieurs étapes. La première est l'initiative : la possibilité de proposer une mesure nouvelle, un changement de mesures, plus précisément la capacité d'être à l'origine d'une action. La deuxième étape est l'élaboration, au sens de la délibération, de la rédaction d'un texte, et de la discussion autour de la mesure considérée. La dernière étape est l'adoption, donc la prise de décision définitive. On parlera de démocratie directe si cette dernière étape requiert directement la participation du citoyen.

Le professeur Denis Baranger définit la démocratie participative comme une forme de discussion politique entre citoyens et gouvernants. Je la définirais comme un ensemble de mécanismes permettant aux citoyens d'intervenir, dans le cadre de la démocratie représentative, par une discussion avec le pouvoir politique. Il s'agit d'opérer une rénovation conceptuelle par la multiplication des mécanismes de participation et par une dilution, plus ou moins forte, des mécanismes classiques de représentation.

En droit français, il existe plusieurs niveaux de mécanismes de participation, dans différents cadres et à une certaine échelle : procédures d'enquête publique, consultations en droit de l'urbanisme, en droit de l'environnement...

On pense souvent au Conseil économique, social et environnemental (CESE) comme à une institution de participation citoyenne. Il est vrai que cette institution recueille des pétitions et peut organiser des conventions citoyennes. Son rôle a été renforcé par la loi organique de janvier 2021. Toutefois, si l'on entend la démocratie participative comme une discussion entre citoyens et gouvernants à travers différents mécanismes, l'on doit nuancer ce constat, car le CESE ne peut pas être qualifié de gouvernant. Il n'est qu'un relais avec les gouvernants, et la participation n'y est donc qu'indirecte. Au niveau national, on peut penser également aux pétitions auprès des assemblées. Mais ces dernières ne se contraignent pas à cet égard. Faudrait-il fixer une sorte de seuil de prise en compte ? En deçà de ce seuil, on considérerait qu'il n'y a pas une participation suffisante.

À quel niveau de décision ces mécanismes sont-ils les plus adaptés ? En général, on pense que c'est au niveau local. La sociologie montre en effet que la délibération est plus simple en plus petit nombre.

Mais le problème n'est pas tant l'échelle que la « culture citoyenne », pour reprendre le nom de votre mission d'information. Pour que ces mécanismes fonctionnent et soient légitimes, il est nécessaire que la participation soit grande, donc que la publicité qui leur est faite soit adéquate.

Vous nous interrogez aussi sur ces mécanismes comme réponse à des défaillances des pratiques actuelles. Vous avez rappelé, Monsieur le Président, la crise de la représentation, la défiance des électeurs, l'abstention. Il est vrai que ces mécanismes peuvent donner une nouvelle forme de légitimité aux décisions politiques en renforçant le dialogue entre les citoyens et le pouvoir politique.

Mais l'une des difficultés est que l'on a fait croire aux citoyens que l'on pouvait se passer de la représentation. Or la démocratie participative, à mon avis, ne s'oppose pas à la démocratie représentative, et les mécanismes de démocratie participative laissent toujours une place à la représentation - voire créent une nouvelle forme de représentation. Pour le référendum classique, par exemple, l'initiative vient des représentants élus.

Si l'on imagine une initiative populaire, on crée une nouvelle forme de représentation, puisque la portion du peuple qui serait à l'initiative de ce référendum constituerait une sorte de représentation : tous les citoyens ne seront pas à l'initiative de ce référendum. Autre exemple, les citoyens tirés au sort deviennent de nouveaux représentants, en quelque sorte, qui pourtant ne disposent pas de la légitimité de l'élection. Il faut donc prendre garde à ne pas donner un pouvoir sans limites à des instances qui ne sont pas élues, qu'il s'agisse des assemblées citoyennes ou du CESE.

Les mécanismes de démocratie participative sont donc inclus dans la démocratie représentative. Ils ont pour but d'éclairer les décisions, de donner un aperçu de ce qui se passe concrètement, de prendre le pouls du citoyen et, finalement, d'améliorer la circulation d'informations entre les représentants, les élus, le pouvoir politique et les citoyens. Vouloir faire décider directement et uniquement le citoyen risque d'aboutir à créer des représentants nouveaux dépourvus de réelle légitimité.

Vous nous interrogez sur les conséquences du développement de ces procédures sur la place et le rôle des élus. On imagine spontanément que les élus seront en recul, et que leur place sera moins importante. C'est une erreur, selon moi. Tout d'abord, les mécanismes de démocratie participative ne doivent pas avoir pour dessein de changer la nature du régime, qui est un régime représentatif. Ensuite, si l'on reprend l'idée de discussions entre les citoyens et le pouvoir politique, les élus ont toute leur place dans ces mécanismes, pour les accompagner, pour participer eux-mêmes, pour apporter des éclairages spécifiques, voire pour prendre des initiatives.

Vous nous interrogez, enfin, sur la procédure du référendum d'initiative partagée, qui a été créée en 2008 au sein de l'article 11 de la Constitution. Non, cette procédure ne permet pas aux citoyens d'être à l'initiative de la loi. C'est à tort qu'on l'a appelée « référendum d'initiative populaire », puisque l'initiative est avant tout parlementaire - avec le soutien de citoyens dans un deuxième temps. La nouvelle version qui est proposée par le projet de réforme constitutionnelle n° 2203 ne change pas cette logique : même si les seuils ont été abaissés à un dixième des parlementaires et un million d'électeurs, l'initiative reste aux parlementaires. En passant, je déplore que cette procédure ait été inscrite à l'article 11 de la Constitution, dans le titre relatif au Président de la République, alors que ce n'est pas ce dernier qui en est à l'initiative...

Vous demandez aussi si la démocratie participative peut exister indépendamment des outils de la démocratie numérique. Oui, elle le peut, elle l'a déjà fait. Mais il me semble que l'existence d'outils numériques, s'ils sont bien encadrés et ne sont pas que des outils de communication, peut constituer une aide à l'établissement de ces mécanismes.

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