Nous accueillons cet après-midi trois universitaires pour qu'ils nous aident à avancer dans nos réflexions sur la démocratie participative : Mme Mathilde Heitzmann-Patin, professeur de droit public à l'Université du Mans, M. Jean-Pierre Gaudin, professeur émérite de sciences politiques et M. Loïc Blondiaux, professeur de sciences politiques à l'université Paris I, qui assiste à cette audition à distance et nous rejoindra dans quelques instants.
Je précise à l'attention de nos invités que notre mission d'information s'est mise en place dans le cadre du droit de tirage des groupes, sur l'initiative du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen (RDSE). Conformément aux usages, notre collègue Henri Cabanel, membre de ce groupe, en est le rapporteur.
J'indique également que notre mission est composée de 21 sénateurs issus de tous les groupes politiques et que notre rapport, assorti de recommandations, devrait être rendu public au début du mois de juin 2022.
Je rappelle enfin que cette audition donnera lieu à un compte rendu écrit qui sera annexé à notre rapport.
La création de cette mission d'information a été inspirée par la vive préoccupation suscitée par les taux d'abstention record atteints lors des élections de 2021, plus particulièrement chez les jeunes, et de manière générale par la crise de confiance qui éloigne des institutions nombre de nos concitoyens.
Dans ce contexte, nous nous intéressons naturellement aux outils de démocratie participative qui se sont développés au fil du temps, essentiellement au niveau local ; nous nous interrogeons sur la capacité de ces outils à renouveler la vie démocratique et à donner envie de voter à nos concitoyens, plus particulièrement aux plus jeunes électeurs, qui sont au coeur de nos préoccupations. Sur ces sujets, nous avons besoin de votre regard d'universitaires.
Je laisse la parole à Henri Cabanel, rapporteur, qui va vous poser quelques questions pour situer les attentes de notre mission d'information.
Merci d'avoir répondu à notre invitation. Selon vous, comment définir la démocratie participative ? Comment ce concept s'articule-t-il avec ceux de démocratie directe et de démocratie représentative ? Quels sont selon vous les enjeux de la démocratie participative ? À quelles défaillances des pratiques démocratiques actuelles les mécanismes de démocratie participative peuvent-ils apporter une réponse ? Quelles solutions concrètes peuvent-ils introduire ? Selon vous, les procédures d'enquêtes publiques ou les consultations ad hoc prévues par certaines procédures administratives relèvent-elles de la démocratie participative ?
La nouvelle procédure de référendum introduite à l'article 11 de la Constitution par la révision constitutionnelle de 2008 pourrait-elle réellement permettre aux citoyens d'être à l'initiative de la loi ?
Les mécanismes relevant de la démocratie participative doivent-ils se limiter à éclairer les décisions des institutions procédant de la démocratie représentative, ou doivent-ils s'imposer aux élus ? À l'inverse, comment articuler la délibération du citoyen avec celle de ses représentants ?
Le rapport du Conseil d'État de 2018 sur la citoyenneté proposait « d'encourager, par des initiatives de l'État et des collectivités territoriales, le développement de produits innovants de participation numérique des citoyens à l'action publique («civic techs») ». Partagez-vous cet avis ? Si oui, quels sont, le cas échéant, les exemples étrangers à suivre en la matière ? La démocratie participative peut-elle aujourd'hui exister indépendamment des outils de la démocratie numérique ? Ou peut-on penser que l'on se camoufle derrière les solutions techniques pour éviter les sujets qui fâchent certains d'entre nous ? Je pense par exemple à l'obligation pour les candidats d'avoir un casier vierge, au vote blanc, à la co-construction des projets, etc.
Les élus et le législateur abordent généralement la démocratie participative au travers du seul prisme des outils. Pourtant, pour trouver la confiance des citoyens, on pourra déployer tous les outils, s'il n'y a pas de diversité dans la démarche, celle-ci sera simplement de la communication, de l'image : à l'instar du greenwashing, on tend à montrer qu'on fait de la démocratie participative avec des illusions de concertation : quels sont, selon vous, les indicateurs qui témoignent d'une démarche sincère en ce sens ?
En 2017, j'ai présidé une mission sur la démocratie représentative, participative et paritaire. M. Blondiaux, qui nous rejoindra tout à l'heure, avait alors été auditionné. Nous avions rendu un rapport proposant des pistes d'action. Cinq ans plus tard, aucune de ces pistes n'a été suivie. D'après vous, qu'est-ce qui bloque ?
Jo Spiegel, ancien maire de Kingersheim, dit que la démocratie participative, c'est agir « par et pour », et qu'il faut cesser d'infantiliser les citoyens. Pensez-vous que les élus infantilisent les citoyens ? Si oui, comment ?
Avec des taux de participation très faibles, certains maires de grandes villes ont été élus avec 17 ou 18 % des suffrages. Peut-on parler d'un seuil de non-représentativité, ou de légitimité ? Faudrait-il selon vous réorganiser les élections avec d'autres candidats en cas de taux aussi faibles ?
Merci pour votre invitation. Je suis très heureuse de pouvoir discuter avec vous de ces questions.
Je commencerai par la définition de la démocratie participative, directe et représentative. La démocratie directe, j'en parle moins comme d'un régime de type athénien que comme des processus permettant la prise de décision directement par le corps électoral. L'exemple classique en est le référendum. La démocratie représentative, c'est la prise de décision par les élus du peuple, les représentants : la prise de décision populaire est donc indirecte. Au fond, ces deux définitions peuvent entrer dans le champ de la démocratie participative : décider directement, c'est participer, et décider indirectement en élisant ses représentants, c'est aussi participer.
Participer, c'est jouer un rôle. Encore faut-il définir quel est ce rôle et qui l'exerce. Qui participe ? Le corps électoral. Nous parlons donc de citoyens, d'électeurs, et l'expression « démocratie participative » implique probablement un rôle plus investi et plus régulier du citoyen dans le processus de prise de décision politique. Ce rôle, en revanche, ne va pas forcément jusqu'à la prise de décision définitive.
Dans le rôle que le citoyen exerce, on peut distinguer plusieurs étapes. La première est l'initiative : la possibilité de proposer une mesure nouvelle, un changement de mesures, plus précisément la capacité d'être à l'origine d'une action. La deuxième étape est l'élaboration, au sens de la délibération, de la rédaction d'un texte, et de la discussion autour de la mesure considérée. La dernière étape est l'adoption, donc la prise de décision définitive. On parlera de démocratie directe si cette dernière étape requiert directement la participation du citoyen.
Le professeur Denis Baranger définit la démocratie participative comme une forme de discussion politique entre citoyens et gouvernants. Je la définirais comme un ensemble de mécanismes permettant aux citoyens d'intervenir, dans le cadre de la démocratie représentative, par une discussion avec le pouvoir politique. Il s'agit d'opérer une rénovation conceptuelle par la multiplication des mécanismes de participation et par une dilution, plus ou moins forte, des mécanismes classiques de représentation.
En droit français, il existe plusieurs niveaux de mécanismes de participation, dans différents cadres et à une certaine échelle : procédures d'enquête publique, consultations en droit de l'urbanisme, en droit de l'environnement...
On pense souvent au Conseil économique, social et environnemental (CESE) comme à une institution de participation citoyenne. Il est vrai que cette institution recueille des pétitions et peut organiser des conventions citoyennes. Son rôle a été renforcé par la loi organique de janvier 2021. Toutefois, si l'on entend la démocratie participative comme une discussion entre citoyens et gouvernants à travers différents mécanismes, l'on doit nuancer ce constat, car le CESE ne peut pas être qualifié de gouvernant. Il n'est qu'un relais avec les gouvernants, et la participation n'y est donc qu'indirecte. Au niveau national, on peut penser également aux pétitions auprès des assemblées. Mais ces dernières ne se contraignent pas à cet égard. Faudrait-il fixer une sorte de seuil de prise en compte ? En deçà de ce seuil, on considérerait qu'il n'y a pas une participation suffisante.
À quel niveau de décision ces mécanismes sont-ils les plus adaptés ? En général, on pense que c'est au niveau local. La sociologie montre en effet que la délibération est plus simple en plus petit nombre.
Mais le problème n'est pas tant l'échelle que la « culture citoyenne », pour reprendre le nom de votre mission d'information. Pour que ces mécanismes fonctionnent et soient légitimes, il est nécessaire que la participation soit grande, donc que la publicité qui leur est faite soit adéquate.
Vous nous interrogez aussi sur ces mécanismes comme réponse à des défaillances des pratiques actuelles. Vous avez rappelé, Monsieur le Président, la crise de la représentation, la défiance des électeurs, l'abstention. Il est vrai que ces mécanismes peuvent donner une nouvelle forme de légitimité aux décisions politiques en renforçant le dialogue entre les citoyens et le pouvoir politique.
Mais l'une des difficultés est que l'on a fait croire aux citoyens que l'on pouvait se passer de la représentation. Or la démocratie participative, à mon avis, ne s'oppose pas à la démocratie représentative, et les mécanismes de démocratie participative laissent toujours une place à la représentation - voire créent une nouvelle forme de représentation. Pour le référendum classique, par exemple, l'initiative vient des représentants élus.
Si l'on imagine une initiative populaire, on crée une nouvelle forme de représentation, puisque la portion du peuple qui serait à l'initiative de ce référendum constituerait une sorte de représentation : tous les citoyens ne seront pas à l'initiative de ce référendum. Autre exemple, les citoyens tirés au sort deviennent de nouveaux représentants, en quelque sorte, qui pourtant ne disposent pas de la légitimité de l'élection. Il faut donc prendre garde à ne pas donner un pouvoir sans limites à des instances qui ne sont pas élues, qu'il s'agisse des assemblées citoyennes ou du CESE.
Les mécanismes de démocratie participative sont donc inclus dans la démocratie représentative. Ils ont pour but d'éclairer les décisions, de donner un aperçu de ce qui se passe concrètement, de prendre le pouls du citoyen et, finalement, d'améliorer la circulation d'informations entre les représentants, les élus, le pouvoir politique et les citoyens. Vouloir faire décider directement et uniquement le citoyen risque d'aboutir à créer des représentants nouveaux dépourvus de réelle légitimité.
Vous nous interrogez sur les conséquences du développement de ces procédures sur la place et le rôle des élus. On imagine spontanément que les élus seront en recul, et que leur place sera moins importante. C'est une erreur, selon moi. Tout d'abord, les mécanismes de démocratie participative ne doivent pas avoir pour dessein de changer la nature du régime, qui est un régime représentatif. Ensuite, si l'on reprend l'idée de discussions entre les citoyens et le pouvoir politique, les élus ont toute leur place dans ces mécanismes, pour les accompagner, pour participer eux-mêmes, pour apporter des éclairages spécifiques, voire pour prendre des initiatives.
Vous nous interrogez, enfin, sur la procédure du référendum d'initiative partagée, qui a été créée en 2008 au sein de l'article 11 de la Constitution. Non, cette procédure ne permet pas aux citoyens d'être à l'initiative de la loi. C'est à tort qu'on l'a appelée « référendum d'initiative populaire », puisque l'initiative est avant tout parlementaire - avec le soutien de citoyens dans un deuxième temps. La nouvelle version qui est proposée par le projet de réforme constitutionnelle n° 2203 ne change pas cette logique : même si les seuils ont été abaissés à un dixième des parlementaires et un million d'électeurs, l'initiative reste aux parlementaires. En passant, je déplore que cette procédure ait été inscrite à l'article 11 de la Constitution, dans le titre relatif au Président de la République, alors que ce n'est pas ce dernier qui en est à l'initiative...
Vous demandez aussi si la démocratie participative peut exister indépendamment des outils de la démocratie numérique. Oui, elle le peut, elle l'a déjà fait. Mais il me semble que l'existence d'outils numériques, s'ils sont bien encadrés et ne sont pas que des outils de communication, peut constituer une aide à l'établissement de ces mécanismes.
Merci pour cette invitation à réfléchir collectivement sur la participation. J'aurais tendance à considérer la participation comme un espace intermédiaire de pratique entre le rôle des parlements, ou des assemblées élues au suffrage universel, qui renvoie plutôt à la démocratie représentative, et des formes de délibération citoyenne sans délégation, qui renvoient plutôt à des formes de démocratie directe. Dans cet espace intermédiaire existent aussi des modalités mixtes ou hybrides.
Depuis le XXe siècle, on a observé des modes d'associations des citoyens selon des formules multiples, de la concertation expérimentée dans les années 1960 sur les décisions locales, principalement d'urbanisme, jusqu'aux formes organisées de participation politique, avec un sens de plus en plus englobant du terme, sous l'influence anglo-saxonne. Mais participation à quoi ? Jusqu'à quel stade ? Et surtout, liant, ou non, la représentation élue ?
La crise actuelle de la représentation a été maintes fois soulignée. Pour autant, tout n'est pas écrit, et je souhaite vous soumettre quelques éléments de comparaison internationale sur les articulations entre la délibération des citoyens et la délibération des élus, en me focalisant notamment sur des démarches que l'on pourrait qualifier d'« hybrides », de « semi-représentatives » ou de « semi-directes ». Je me concentrerai sur la situation en Suisse et peut-être au Brésil, systèmes que j'ai choisis de préférence à celui de la Californie, dont le modèle est relativement proche du modèle helvétique.
La Suisse est plus près de nous que le Brésil, mais son histoire, tant politique qu'institutionnelle, est assez éloignée de la nôtre. On peut difficilement dire que la Suisse soit une démocratie directe, en tout cas pure. Les Landsgemeinden ont disparu, et la consultation systématique préalable aux dépenses budgétaires est marginale. Nous sommes plutôt en présence d'une formule mixte, sous fort encadrement du pouvoir législatif.
Je laisse de côté le référendum suisse, déjà plusieurs fois commenté, et me concentrerai sur un autre mécanisme, le droit d'initiative populaire, qui combine délibération des représentants et des citoyens et qui existe également au plan local et au plan national. Ce mécanisme est au coeur de l'actualité récente : à la fin de 2021, une initiative ratifiée par vote national a été adoptée, pour des « soins infirmiers forts », c'est-à-dire revalorisés.
Un comité d'initiative doit d'abord être constitué et comporter au moins sept citoyens. En fait, un tel comité est souvent appuyé sur des groupes d'intérêt. En l'espèce, pour les soins infirmiers, la proposition d'initiative a été construite autour d'un syndicat, l'Association suisse des infirmiers. Cette initiative est assez remarquable, parce qu'elle a été approuvée, exceptionnellement, par 61 % des suffrages, avec 65 % de participation. Or si la Suisse vote souvent, elle vote souvent très peu, c'est-à-dire que le taux de participation atteint difficilement, en moyenne, les 50 % - souvent, dans les scrutins locaux, il culmine à 25 %. Cela n'empêche pas la démocratie suisse d'être citée en exemple...
Le succès de cette votation est lié à une crise de recrutement révélée par le covid, comme en France : 30 % des infirmiers en Suisse sont étrangers, et 65 000 postes manqueront en 2030. Il y a donc eu une mobilisation collective. J'insiste sur la crédibilité de cette démarche, liée au fait qu'une mise en oeuvre des décisions soutenues par l'initiative et adoptées par le Parlement est déjà prévue : on sait où l'on va, ce qui est décisif.
Deux volets ont déjà été prévus : un volet rapide, portant sur le plan de formation des infirmières, se fondant sur un projet de loi déjà préparé par le Gouvernement - je rappelle que ce dernier est élu au suffrage universel direct - et un second projet de loi, ultérieur, devant être adopté dans un délai maximum de dix-huit mois, sur les salaires et le financement des soins. En Suisse, ces questions font l'objet d'une compétence partagée entre les cantons, c'est-à-dire les États fédérés, et la Confédération.
Le droit d'initiative en Suisse se révèle comme une démarche à dynamique citoyenne, contrairement au référendum d'initiative populaire français. Il s'agit d'abord d'une initiative des citoyens, ratifiée ensuite par le Parlement, et non l'inverse : c'est une dynamique de type bottom-up.
Le droit d'initiative peut ainsi créer une articulation étroite entre la délibération citoyenne et la délibération parlementaire, mais avec un encadrement parlementaire significatif, puisqu'en dernière instance c'est le Parlement qui, par un vote positif, accepte le vote populaire de l'initiative. Ce n'est pas décourageant : plus de 200 initiatives nationales et encore plus d'initiatives locales ont été recensées en Suisse ; tout cela est institutionnalisé.
On rétorquera que cela n'est possible qu'à petite échelle. Au Brésil, pourtant, la participation aux budgets participatifs a été pratiquée, y compris à des échelons mégarégionaux - on est là plus proche d'un pays européen que du canton suisse !
L'Union européenne a lancé une expérimentation d'initiative citoyenne à grande échelle sur le thème du droit à l'eau. Elle a recueilli plus de deux millions de signatures, puis un vote favorable du Parlement, puis un rapport attentif sur le suivi des instruments législatifs mis en oeuvre, ce qui a abouti à la révision ou à l'adoption de nouvelles directives par la Commission européenne : une directive sur les concessions et une directive sur l'eau potable.
Des formules hybrides de ce type seraient-elles à généraliser en France, notamment pour les compétences locales ? Cela témoignerait d'un esprit de décentralisation plus poussé, qui irait vers le développement de formes mixtes, semi-représentatives ou semi-directes.
Faudrait-il fixer un seuil minimal de représentativité au regard du faible taux de participation ?
Les dernières élections locales, municipales, départementales et régionales, ont connu des taux d'abstention très importants, notamment chez les jeunes. Comment en est-on arrivé là, alors que les élections locales et présidentielle sont réputées être les préférées des Français ? L'augmentation de l'abstention vient-elle de la défiance croissante vis-à-vis des élus ? Quels outils pour restaurer la confiance ?
Le seuil minimal existe déjà : il faut réunir un certain pourcentage d'inscrits pour pouvoir prétendre à l'élection.
Fixer un seuil de participation en plus du seuil minimal d'inscrits ferait prendre le risque que ceux qui se sont déplacés pour voter voient leur vote annihilé par ceux qui ne l'ont pas fait. On ne peut pas sanctionner ceux qui sont allés voter. Par ailleurs, cela frise la question du vote obligatoire, qui n'est pas du tout dans la culture française. Il ne faut pas négliger le droit à l'abstention.
La solution réside dans la mise en place de mécanismes pour motiver notamment les jeunes.
Enseignant à l'université, je note le manque de culture des étudiants de première année de droit sur le fonctionnement des institutions : ils ne maîtrisent pas du tout les enjeux de la Ve République. Leur apporter une culture sur le fonctionnement des institutions et le rôle des élus serait une façon de les motiver à aller voter. C'est une piste de réflexion intéressante.
On assiste à des tendances très lourdes. À l'évidence, l'engagement citoyen est moins fort.
Il y a d'abord un affaiblissement des partis, pas seulement en termes électoraux : ils sont devenus des transformateurs de revendications sectorielles en programmes globaux, ce qui est très néfaste.
Il y a ensuite une puissance accrue des réseaux sociaux, qui accompagne une montée de l'individualisme et du consumérisme politique : instabilité dans les préférences et instabilité sur la décision même d'aller voter.
Je ne suis pas favorable aux formules couperets, pour les raisons invoquées par ma collègue. Je ne suis pas non plus favorable au vote obligatoire. Cela dépend de la culture de discipline du pays : comme on le voit, c'est assez efficace dans les pays du Nord, moins au Brésil.
Je crois davantage à la pédagogie du vote, par des exercices participatifs plus développés. En Suisse, dans les comités d'initiative, il y a beaucoup de jeunes !
Je donne tout de suite la parole à M. Loïc Blondiaux, qui nous a rejoints.
Je propose de la démocratie participative une définition très robuste et expansive : ce sont tous les mécanismes et démarches qui visent à associer les citoyens ordinaires au processus de décision, de manière directe ou indirecte.
Ce n'est pas la démocratie sociale, laquelle s'adresse à des corps constitués, ou la démocratie directe. Elle est une forme de développement et de complément de la démocratie représentative, une nouvelle pratique politique et une forme d'innovation démocratique. L'enjeu, qui est presque existentiel et que n'ont pas perçu les acteurs de la démocratie représentative, c'est de sauver la démocratie représentative, qui menace de s'effondrer, tant elle est de moins en moins capable d'assurer la légitimité de ses décisions.
Aujourd'hui, il s'agit de choisir entre recourir à des formes politiques de plus en plus autoritaires ou répressives pour s'assurer du consentement des citoyens ou, tout à l'inverse, s'efforcer de mettre en place des formules plus inclusives, plus délibératives, pour obtenir le consentement des citoyens et assurer la légitimité de la décision.
On est à ce tournant de nos démocraties représentatives : tel qu'elles fonctionnent aujourd'hui, elles assurent assez mal les fonctions de gouvernement.
Je ne ferai pas l'inventaire de tous les dispositifs prévus par le droit français. L'histoire de la démocratie participative s'étale sur une cinquantaine d'années.
Dans les années 1960 et 1970, même si on ne parle pas de démocratie participative, des revendications de participation émergent : je pense aux groupes d'action municipale, à l'autogestion - la démocratie en entreprise est alors une question centrale. Dans la seconde moitié des années 1990, cette thématique fait son retour. La consécration suprême a lieu en 2005 : est introduit dans la Constitution, avec la Charte de l'environnement, le principe du droit des citoyens à participer à l'élaboration des décisions ayant un impact sur l'environnement.
Depuis les derniers quinquennats, on constate une stagnation, voire une régression. On assiste ainsi à une régression du droit de participation, notamment en matière environnementale : la loi d'accélération et de simplification de l'action publique, dite « loi ASAP », a réduit le champ de compétences de la Commission nationale du débat public en élevant le seuil déclenchant sa saisine obligatoire, ainsi que le champ de l'enquête publique. Il ne faut pas ignorer ce phénomène, qui s'est produit au nom de la simplification et de l'accélération. Le rapport de Patrick Bernasconi, ancien président du Conseil économique social et environnemental (CESE), le souligne.
Il y a eu en revanche au cours de ce quinquennat beaucoup de communication et deux innovations : d'une part, le grand débat national, qui a donné lieu à une très forte mobilisation, de l'ordre de deux millions de personnes, mais qui s'est traduit par une indifférence du Gouvernement et une non-prise en compte de ses résultats, ce qui a engendré beaucoup de frustrations ; d'autre part, la convention citoyenne pour le climat - j'ai été membre de son comité de gouvernance -, qui a permis d'acculturer la société française à ce type de démarche, mais qui, faute d'ancrage institutionnel, n'a pas eu de suite politique convaincante.
L'enjeu aujourd'hui, c'est bien l'ancrage institutionnel de la démocratie délibérative à l'échelle nationale. Il faut inscrire ces mécanismes dans le droit constitutionnel, sans que cela exige de changements constitutionnels majeurs : la loi organique du 15 janvier 2021 relative au Conseil économique, social et environnemental aurait pu être le bon vecteur, mais elle n'est pas suffisamment ambitieuse pour assurer une véritable articulation entre la démocratie parlementaire et la démocratie délibérative.
Pourtant, ouvrir la possibilité que, en amont de la procédure législative, soient organisées des conventions citoyennes ou des débats publics serait au bénéfice de la démocratie parlementaire et ne pourrait que renforcer la légitimité des assemblées.
Évidemment, ces dispositifs ne doivent pas se substituer à la représentation nationale. Le dernier mot doit toujours revenir au Parlement, ou au peuple en cas de référendum. Articuler la démocratie délibérative et participative à l'échelle nationale et le référendum est une option.
Il faut absolument revoir le dispositif du référendum d'initiative partagée, inscrit à l'article 11 de la Constitution, d'une part parce que les seuils fixés sont quasi inatteignables, d'autre part parce qu'il ne s'agit pas d'une initiative partagée, elle est parlementaire et non citoyenne. Pour introduire un véritable référendum d'initiative citoyenne, il faut des modalités et des seuils différents. J'y suis pour ma part absolument favorable - j'ai d'ailleurs produit avec quelques collègues une note à ce sujet, incluant un moment de délibération citoyenne, tout en prévoyant des garde-fous importants.
Il y a une dizaine d'années, le Conseil d'État a émis un rapport intitulé Consulter autrement, participer effectivement, qui appelait à la mise en place d'une procédure délibérative dans l'action publique, en amont du pouvoir réglementaire.
Il y a quelques semaines, j'ai participé à une initiative de la Cour des comptes qui a mis en place une plateforme permettant aux citoyens d'orienter dans une certaine mesure le choix des évaluations qu'elle pourrait mener.
La culture de la participation commence à gagner jusqu'au coeur de l'État. Cependant, les moyens financiers et humains dont dispose l'administration pour mettre en place des dispositifs ne sont absolument pas à la hauteur. La direction interministérielle de la transformation publique (DITP) a ainsi mis en place une cellule de la participation citoyenne, mais n'y consacre que deux emplois, ce qui est ridicule.
Vous venez d'évoquer deux innovations de ce quinquennat, le grand débat national et la convention citoyenne sur le climat ; pourtant, on n'a jamais vu un gouvernement autant gouverner par ordonnances et mettre de côté le Parlement et le débat parlementaire ! Pour autant, certains ministères ont eu la volonté de mettre en place des États généraux - alimentation et justice. Est-ce une expression de démocratie participative ?
Tout à fait. Cela me paraît prometteur, même si, pour les États généraux de la justice, il me semble que des frottements en matière d'organisation peuvent laisser insatisfait. Le Conseil national de l'alimentation est en train d'expérimenter le recours systématique à la participation en amont de ses travaux.
La formule des États généraux, à condition qu'elle soit clairement positionnée dans le processus d'élaboration des normes et des lois, me paraît essentielle.
En matière d'ingénierie de la démocratie participative, nous savons maintenant comment faire, quel que soit le public ou la question posée. Ce qui manque, ce sont les accroches avec les autres institutions. Le rapport de Patrick Bernasconi envisage la création d'une délégation parlementaire à la participation citoyenne.
On pourrait prévoir, en amont de la procédure législative de certaines lois - des lois de programmation ou d'importance majeure -, un moment délibératif ou participatif, qui prendrait la forme d'États généraux, de conventions citoyennes ou de débats publics. Cela n'allongerait pas les délais. L'argument du temps est à mon sens utilisé de manière abusive, notamment par l'exécutif, pour bousculer l'institution parlementaire. Au contraire, cela renforcerait le poids politique du débat parlementaire.
La loi ne peut plus être fabriquée à huis clos par l'exécutif et, dans une certaine mesure, par les parlementaires et les groupes d'intérêts : elle doit pouvoir se construire en prévoyant un moment où les citoyens peuvent s'exprimer et contribuer. Ce n'est pas utopique. De plus en plus d'assemblées dans le monde s'intéressent à ces questions ; c'est le cas du Parlement francophone de Bruxelles, qui a mis en place des commissions délibératives mixtes.
J'ai souhaité appeler cette mission d'information Comment redynamiser la culture citoyenne ? Ne pensez-vous pas que cela passe, pour les plus jeunes, par une initiation à la culture citoyenne dès le plus jeune âge, notamment au travers des cours d'enseignement moral et civique, et, pour acculturer la population à la démocratie participative, qui est un complément de la démocratie représentative, par une expérimentation à l'échelon local, notamment par le biais de référendums locaux ?
Oui, c'est la vieille idée de Tocqueville. D'ailleurs, des initiatives sont déjà prises à l'échelon local, mais elles n'ont pas l'ampleur suffisante pour produire cet effet d'éducation que vous souhaitez.
Cependant, on ne peut pas nier l'état de déliquescence dans lequel se trouvent les structures d'éducation populaire, alors qu'elles jouaient autrefois un rôle majeur. Par ailleurs, il ne faut pas oublier que les pédagogies qui dominent à l'école ne sont absolument pas favorables à l'apprentissage des valeurs de la démocratie : elles prônent plutôt la concurrence, et l'on y apprend davantage à obéir qu'à imaginer et à coopérer. Il y aurait beaucoup à dire sur l'éducation scolaire à la démocratie.
Étant enseignant et connaissant le milieu scolaire, je nuancerai quelque peu vos propos...
La démocratie participative, c'est associer les citoyens ordinaires aux décisions, même si celles-ci reviennent in fine à la représentation nationale. C'est le principe même de la démocratie représentative, d'autant que l'on sait depuis Victor Hugo que « souvent la foule trahit le peuple ». Quelle légitimité donner à une décision prise par des citoyens tirés au sort ?
Finalement, nous parlons de lobbying citoyen, et ce qui manque dans l'exercice de la démocratie participative, c'est l'exercice du référendum.
La légitimité revient à la démocratie représentative, puisque tout le monde a la capacité d'aller voter, quand bien même certains font le choix de ne pas exercer ce droit. De ce point de vue, le tirage au sort pose problème. C'est une négation du Parlement que de laisser croire que toutes les dispositions retenues dans le cadre d'une convention citoyenne seraient reprises sans filtre : cela préjuge du vote de la représentation nationale.
Je serai plus optimiste : je ne crois pas que la démocratie représentative menace de s'effondrer, même si elle est en crise.
La démocratie participative peut-elle s'exercer plus facilement à l'échelon local ? Avec la décentralisation, il me paraît compliqué que l'État puisse imposer un tel mécanisme. Finalement, on en revient toujours à la question de la volonté politique.
Le référendum ne me paraît pas la solution. Il est tellement tombé en désuétude que le réactiver aujourd'hui serait prendre le risque d'une dérive plébiscitaire inversée : le non exprimerait une forme de défiance à l'égard du politique et ne serait pas la réponse à la question posée.
En revanche, je suis favorable à une institutionnalisation de la délibération en amont du débat parlementaire. Ce peut être un outil très intéressant, qui permet de ne pas passer outre le Parlement.
Certes, une révision constitutionnelle est envisageable, sous réserve de trouver une majorité pour la voter, mais je rappelle que la Constitution prévoit déjà que la loi est votée par l'Assemblée nationale et le Sénat... On pourrait modifier l'article 48 pour contraindre par exemple le Parlement à inscrire à l'ordre du jour de ses travaux l'examen d'une proposition issue d'une assemblée citoyenne au sein du CESE, mais on ne pourrait en aucun cas aller plus loin.
Les échelons locaux sont une bonne manière d'avancer dans la dynamique représentative. Historiquement, c'est le cas : les concertations des années 1960 et 1970 ont d'abord été locales, avec des enjeux d'urbanisme et d'équipement.
De manière générale, cela permet de motiver les citoyens sur des problèmes sectoriels, mais concrets. Au fond, c'est l'usager qui parle autant que le citoyen, et il faut peut-être réfléchir à la légitimité de l'usager. Reste à définir ce qu'est l'intérêt local. Les Suisses ont pour leur part listé les types d'équipements concernés.
Le Brésil est le contrepoint de la Suisse : il n'y a pas d'obligation à faire des budgets participatifs et il y a eu des centaines d'expérimentations - contrairement à ce que l'on croit, le modèle de Porto Alegre n'existe pas.
J'en reviens aux caractéristiques de la démarche, en France et en Europe.
Premièrement, il n'y a pas de panel plus ou moins représentatif des citoyens : c'est une formule de participation « portes ouvertes », où vient qui veut. Certes, les associations et les porteurs de cause jouent un rôle important, mais cela provoque toujours des mobilisations populaires larges, notamment des jeunes.
Deuxièmement, on prend le temps d'organiser de nombreuses étapes de négociation, pour surmonter les défiances à l'encontre des élites et le mépris des « sachants » à l'égard des habitants. Il faut donc prévoir des allers et retours nombreux, qui aboutissent à des apprentissages collectifs.
Troisièmement, il faut un temps long - six mois, voire un an - pour préparer le budget d'équipement de l'année d'après. On travaille toujours pour l'année n+1.
Ces trois caractéristiques figuraient dans les démarches des commissions particulières du débat public.
Nous rencontrons ce soir de jeunes compatriotes ultramarins qui se sont rendus disponibles pour échanger avec nous, en visioconférence, sur leur expérience des conseils de jeunes.
Je remercie Marie-Pierre Pernette, déléguée générale de l'Association nationale des conseils d'enfants et de jeunes (Anacej) de nous avoir aidés à organiser cette rencontre. Nous avons entendu Mme Pernette le 26 janvier et la semaine dernière nous avons, grâce à l'Anacej, eu un échange particulièrement riche avec des jeunes qui, comme vous, participent à des conseils de jeunes en métropole. Je suis certain que la rencontre de ce soir va être tout aussi stimulante.
Je suis très heureux qu'un échange ait pu se tenir aujourd'hui avec de jeunes Ultramarins engagés dans leurs territoires.
Il était vraiment important pour nous d'ouvrir notre réflexion aux thématiques ultramarines, auxquelles le Sénat est particulièrement attaché. Je me réjouis donc que cette séquence de nos travaux soit ouverte à nos collègues de la délégation sénatoriale aux outre-mer, que je salue, et qui nous accompagnent ce soir en visioconférence, depuis leurs territoires. Je précise que nous bénéficions, grâce à la délégation aux outre-mer, d'un dossier documentaire et d'une revue de presse très éclairants sur les conseils de jeunes dans les collectivités ultramarines.
Pour l'information de nos invités, je précise que notre mission s'est mise en place à l'initiative du groupe du Rassemblement démocratique et social européen, auquel appartient notre collègue Henri Cabanel, qui en est donc, conformément aux usages, le rapporteur.
J'indique également que notre mission est composée de sénateurs issus de tous les groupes politiques, et que notre rapport, assorti de recommandations, devrait être rendu public au début du mois de juin 2022.
Je rappelle aussi que cette audition donnera lieu à un compte rendu écrit qui sera annexé à notre rapport.
La création de cette mission d'information a été inspirée par la vive préoccupation suscitée par les taux d'abstention atteints lors des élections de 2021, plus particulièrement de la part des jeunes, et de manière générale par la crise de confiance qui éloigne des institutions nombre de nos concitoyens.
Notre réflexion s'intéresse donc particulièrement à l'éducation des futurs citoyens, notamment dans le cadre scolaire, et plus généralement à toutes les initiatives qui peuvent susciter l'intérêt des jeunes à la vie démocratique.
Les conseils de jeunes ont vite attiré notre attention, car ils peuvent constituer une bonne initiation à l'exercice concret de la citoyenneté. Ils peuvent aussi permettre à des jeunes de s'initier au fonctionnement des institutions et leur donner envie de s'engager - en politique ou dans des associations.
Je souhaite donc la bienvenue au Sénat à nos jeunes compatriotes ultramarins connectés à distance : Mme Zion Dupin de Majoubert, maire Junior de Fort-de-France du 16 mai 2018 au 2 février 2022, ancienne membre du Conseil municipal des jeunes Foyalais (Martinique) ; M. Ayad Ben Mbaraka, ancien membre du Conseil municipal des jeunes de Mamoudzou (Mayotte) ; Mme Solène Luron, ancienne membre du Conseil communal des jeunes du Lamentin (Martinique) ; M. Anthony Tortillard, membre du Conseil des Jeunes Dionysiens (Saint-Denis de La Réunion) ; et Mme Aurélie Médéa, élue déléguée à la jeunesse à Saint-Denis de La Réunion, vice-présidente de l'Association nationale des conseils d'enfants et de jeunes (Anacej).
Enfin, aux côtés de Marie-Pierre Pernette, déléguée générale de l'Association nationale des conseils d'enfants et de jeunes (Anacej), je salue Marion Moutafis, responsable de projet à l'Anacej.
Je donne la parole sans plus tarder à notre collègue Stéphane Artano, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer, puis Henri Cabanel, rapporteur, vous posera des questions afin d'introduire vos témoignages.
Je vous remercie pour cette invitation et vous félicite d'avoir inscrit ce thème à votre ordre du jour.
La participation des jeunes Ultramarins à la vie publique est un sujet de premier ordre. Les difficultés qu'ont les jeunes en métropole à participer à la vie publique sont souvent amplifiées sur nos territoires qui connaissent des différences historiques, institutionnelles et démographiques considérables. Nous devons, comme responsables politiques, relever ce défi consistant à mieux prendre en compte les jeunes, car nos territoires ne pourront se développer sans inclure toutes leurs composantes, aussi bien dans les départements et régions d'outre-mer que dans les collectivités qui jouissent d'un statut de plus large autonomie.
Les conseils de jeunes sont un outil très utile aux jeunes pour se familiariser à la vie publique, mais aussi pour collecter et débattre des idées neuves et de la vision qu'ont les jeunes de la société. Nous sommes donc très intéressés par le retour d'expérience des intervenants que vous avez réunis, qui viennent de différents territoires et contribuent à bâtir la France de demain. J'ai moi-même présidé le conseil des jeunes de Saint-Pierre-et-Miquelon et je sais combien cette expérience a été déterminante pour la suite de ma formation. Je remercie l'Anacej, avec qui j'ai déjà eu l'occasion de travailler. Nous sommes intéressés par le retour d'expérience des différents territoires. Le dossier réalisé de notre délégation est à l'entière disposition de votre mission.
Je suis convaincu que les instances du Sénat ont tout intérêt à travailler en synergie et à coopérer, c'est quelque chose de très positif. Vous pourrez compter sur l'entier soutien de la délégation aux outre-mer que je préside pour relayer vos travaux.
Je m'associe aux remerciements de notre président et je tiens à vous dire tout le plaisir que j'ai à vous rencontrer. Je me félicite également que les outils de visioconférence, auxquels nous nous sommes habitués pendant la crise sanitaire, nous permettent de rencontrer ce soir nos jeunes compatriotes ultramarins malgré les kilomètres qui nous séparent !
Notre travail étant centré sur la formation des futurs citoyens, il est très important d'entendre des témoignages tels que les vôtres.
De plus, nous avons souhaité que les problématiques des outre-mer soient valorisées dans notre rapport : merci de nous y aider.
Voici donc mes questions : quel regard portez-vous sur votre expérience d'un conseil de jeunes ? Conseilleriez-vous à d'autres jeunes de participer à de telles structures ? Quelles seraient vos suggestions pour améliorer ce dispositif ? Votre participation à un conseil de jeunes vous a-t-elle donné envie de vous engager ? Si oui, dans quel cadre : associatif ? Politique ? Pour quelle cause ? Quelles sont les thématiques qui vous tiennent le plus à coeur et que vous auriez envie de porter dans le cadre de vos engagements respectifs ? Pensez-vous que ces thématiques sont suffisamment présentes dans le débat public ? Enfin, que pensez-vous de l'enseignement moral et civique dispensé dans le cadre scolaire ?
Merci pour cette initiative qui est très importante pour les jeunes Ultramarins, car nous demandons à être écoutés et considérés.
J'ai été membre du Conseil municipal des jeunes Foyalais à la Martinique et maire junior entre 2018 et début 2022 ; j'avais donc 14 ans en commençant et j'étais élève de 4e. Cette expérience a été très positive, valorisante, elle m'a fait travailler avec de nombreuses associations, sur des sujets très divers. Nous avons monté des projets avec des associations qui aident les personnes atteintes d'un handicap mental par exemple. Avec des sans-abri, nous avons pu rendre service, être utiles, et c'est la raison pour laquelle j'avais eu envie de m'engager.
En tant que maire junior, j'ai appris à mettre en place des projets, par exemple un spectacle, ce qui demande en fait beaucoup de travail et exige de coopérer avec beaucoup de gens, ce dont je ne me rendais pas compte auparavant ; j'ai eu des expériences concrètes qui m'ont aussi appris des choses sur les institutions de la République et sur leur fonctionnement.
Ce qui m'a semblé insuffisant, en revanche, c'est l'implication des élus : leur présence, leur accompagnement n'ont pas été à la hauteur de ce qu'ils semblent être en métropole d'après les témoignages que j'ai entendus - ce n'est pas suffisant de lancer un conseil de jeunes, de faire une photo le jour de l'installation avant de repartir ! J'ai trouvé que l'accompagnement dans l'action n'était pas assez poussé.
Il faut donc davantage impliquer les élus auprès des conseils de jeunes et les inciter à faire confiance aux jeunes.
Mon engagement, enfin, ne se limite pas au conseil des jeunes. Je suis engagée aussi dans le monde associatif. Je suis très sensible aux questions liées à la cohésion sociale, j'agis là où je peux pour rendre service à collectivité, sur les plans local et régional. Je crois d'ailleurs que l'engagement prend des formes très diverses, qu'il faudrait mieux reconnaître. Diverses formes d'action sont complémentaires à l'école, dans le quartier, des formes d'entraide en particulier, qui sont très concrètes. Il n'y a pas que la représentation dans le cadre d'un conseil, ni le fait de monter des projets et de rédiger des rapports, il faudrait mieux reconnaître aussi les formes diverses d'engagement civique pour les valoriser, parce qu'elles sont complémentaires.
Merci pour cette initiative.
J'ai été membre du Conseil communal des jeunes du Lamentin, à la Martinique, de 2018 à 2021, j'avais donc 15 ans au début et j'étais alors élève de 3e. J'ai été présidente de la commission « Culture et éducation » et j'ai, à ce titre, présidé des débats sur des sujets très divers et eu à décider de l'action que nous allions mener. Dans le conseil, nous avons travaillé sur des thématiques très diverses, sur les loisirs, la prévention, l'action sociale. Dans la commission « Culture et éducation », nous avons par exemple élaboré un jeu pour valoriser le patrimoine culturel, inspiré du Pokemon Go : nous avons mis en place des parcours où chacun pouvait s'informer sur le patrimoine, des événements, des personnalités et recevoir l'information directement sur son smartphone en se déplaçant sur divers lieux du territoire.
Nous avons aussi réfléchi à un lieu où les jeunes pourraient se rencontrer. Nous avons pensé à un espace sportif, un skate park, qui serait fréquenté par les familles.
Dans le cadre de la commission « Prévention », nous avons préparé un événement, pendant un week end, pour permettre aux adolescents et aux parents de se renseigner sur la sexualité, sur ses risques, sur les grossesses précoces, mais aussi sur les problèmes de scolarité, les difficultés liées à la dyslexie, en fait sur tous les problèmes qui peuvent se poser aux jeunes. D'une manière générale, le conseil des jeunes prend en compte le point de vue des jeunes, nous voulons nous tourner vers les jeunes et améliorer les politiques publiques du point de vue des jeunes.
J'ai un regard très positif sur mon expérience. J'ai beaucoup appris sur moi-même et sur les autres, j'ai appris à développer des projets, à travailler en équipe, à constituer un réseau pour agir ; j'ai développé un esprit critique, j'ai aussi rencontré des élus et parlé avec eux, je me suis exprimée librement sur les politiques en direction de la jeunesse et j'ai eu l'impression d'être écoutée. J'ai mûri et grandi grâce à ce conseil. Je n'ai pas de recommandations particulières pour améliorer le dispositif mais j'aurais aimé que les élus soient plus présents dans nos travaux, plus visibles dans nos réunions ; nous aurions voulu plus d'échanges.
Ma participation au conseil des jeunes a renforcé mon envie de m'engager - je l'étais déjà dès l'école primaire - (j'ai notamment été déléguée de classe, d'établissement), et j'ai continué à l'être jusqu'à aujourd'hui. Je crois que l'enseignement moral et civique devrait permettre une connaissance plus soutenue des jeunes des institutions et les informer plus précisément sur les dispositifs et services qui sont mis à leur disposition, en particulier sur les conseils de jeunes et leurs travaux : on y apprend beaucoup et c'est utile pour la suite. Je pense que l'aspect « citoyen » de l'enseignement moral et civique devrait être davantage développé.
Mon expérience au sein du Conseil municipal des jeunes, commencée à l'âge de 12 ans, a été très enrichissante et diverse. Au cours de ce mandat, rallongé d'un an du fait de la crise sanitaire, j'ai appris des choses sur ma commune, sur les institutions, sur mon environnement, mais aussi sur moi-même. J'ai participé à un voyage à La Réunion pour échanger avec les membres du conseil des jeunes Dionysiens. Pour améliorer le fonctionnement du dispositif, je crois qu'il faudrait rapprocher davantage les membres du conseil car certains se connaissaient avant d'y entrer et ne se mêlent pas suffisamment aux autres. Il faudrait peut-être plus d'intégration du groupe. Il faudrait aussi que le conseil puisse choisir lui-même ses sujets, alors que ceux sur lesquels nous avons travaillé nous ont été imposés par la municipalité.
J'ai continué mon engagement au-delà de cette expérience. Tout d'abord, comme ancien membre du conseil municipal des jeunes (mon mandat a pris fin en mars), j'accompagne les actuels conseillers. Je suis également délégué de ma classe. Les sujets qui me tiennent à coeur sont nombreux, plus particulièrement la lutte contre les inégalités entre hommes et femmes, la lutte pour plus de justice à l'égard des personnes en situation de handicap et de manière générale, l'aide aux plus démunis et le combat contre les injustices. Je crois que le débat est intéressant et toujours enrichissant, d'où l'utilité des instances comme le conseil municipal des jeunes.
J'ai 23 ans et je suis membre fondateur du Conseil des jeunes de Saint-Denis de La Réunion, que nous avons créé en 2012. J'avais donc 13 ans lorsque j'ai participé à cette expérience. Nous avons tout mis sur pied et choisi les modalités concrètes de fonctionnement de ce conseil, avec en particulier un mandat de deux ans, renouvelable une fois, et nous avons rédigé une charte. Nous avons mis en place des événements pour la jeunesse, des ateliers. Nous avons participé à des projets du territoire, par exemple l'aménagement des entrées de ville. Nous avons aussi participé au Plan vélo et, l'an passé, au développement de la nouvelle politique publique Ambition jeunesse, mise en place depuis septembre 2021 par la ville de Saint-Denis de La Réunion pour organiser et structurer une politique de jeunesse ambitieuse, qui vise l'émancipation et l'épanouissement des 65 225 jeunes âgés moins de 30 ans résidant sur le territoire communal.
Il faut agir avec les jeunes, les placer au coeur de l'action. Ils demandent à prendre la parole, ils veulent construire avec les politiques. Et ce que cette expérience des conseils de jeunes nous montre, c'est la capacité d'innovation qu'ont les jeunes, qui sont l'avenir de notre pays. Comment améliorer les choses ? Je crois que c'est en donnant plus de pouvoir à ces instances : elles sont cantonnées au territoire, or les jeunes veulent avoir une influence sur les lois et règlements qui les touchent directement ; ils souhaitent que leur action ait une portée nationale.
Cette participation au conseil des jeunes m'a donné envie de m'engager en politique. J'y ai vu à quel point il faut donner leur place aux jeunes pour que, demain, les choses changent, qu'elles avancent avec la nouvelle génération. Ces instances de démocratie participative sont très importantes dans le passage à l'âge adulte. Elles donnent une expérience pratique, concrète, de ce que tout est politique.
Le sujet qui me tient le plus à coeur, c'est la question de la vie étudiante. Nous souhaitons développer une mission de conseil sur les problématiques très concrètes de la vie étudiante, donner le point de vue des étudiants sur nos territoires. La crise sanitaire nous a fait prendre conscience de la précarité des étudiants, et je suis convaincu qu'il a manqué une instance de participation des étudiants. Celle-ci aurait aidé l'État à accompagner les étudiants dans la crise sanitaire.
Depuis quelques années, nous veillons à bien impliquer les collectivités ultramarines dans notre réseau et à leur donner leur place, pour qu'elles soient entendues et que leurs actions soient valorisées. Trop souvent, ces territoires ne sont pas pris en compte, en raison de leurs spécificités, alors que nous avons tout intérêt à échanger avec eux et que c'est une richesse pour le réseau métropolitain, car les points de vue sont complémentaires.
Effectivement, nous travaillons depuis deux ans, au sein de l'Anacej, à la reconnaissance et à la valorisation des outre-mer dans l'élaboration des politiques publiques nationales. Nous portons dans ce sens le projet de créer un Parlement des jeunes dédié aux outre-mer, pour que les initiatives de nos territoires soient mieux prises en compte à l'échelle nationale, car les jeunes aspirent effectivement à devenir partie prenante des règles qui les touchent directement.
Je le signale parce que c'est tout à fait d'actualité : il est regrettable que, dans les sondages d'opinion, les intentions de vote des jeunes Ultramarins ne soient pas prises en compte, pour des raisons qui sont liées au caractère spécifique des territoires ultramarins et à leur histoire - c'est regrettable, parce que, finalement, cela donne le sentiment aux jeunes Ultramarins qu'ils ne comptent pas.
Je me réjouis donc de cette initiative et je compte aussi beaucoup sur le travail que nous avons entrepris avec le ministère des outre-mer pour faire mieux prendre en compte les positions des jeunes Ultramarins.
Vous nous avez tous indiqués que votre engagement dans le conseil des jeunes avait été très précoce. Quelles étaient vos motivations pour vous engager si jeunes ? L'éducation que vous avez reçue de vos parents vous y a-t-elle poussés, incités ? Chacun de vous dit aussi avoir trouvé une expérience très intéressante dans ces conseils : est-ce que, pour autant, vous avez convaincu ou même seulement cherché à convaincre d'autres jeunes d'y participer ? Si c'est le cas, est-ce que vos interlocuteurs ont été difficiles à convaincre ?
Je crois que les raisons de mon engagement tiennent d'abord à ma personnalité. J'ai toujours voulu plus d'équité, de justice, et aussi me rendre utile. Mes parents ne m'ont pas particulièrement incitée, mais mon père est engagé dans l'éducation populaire ; je l'ai vu travailler avec des jeunes en difficulté et il y a certainement eu de la transmission de ce côté-là. En fait, beaucoup de jeunes sont engagés, mais ils ne s'en rendent pas compte, dans le tutorat par exemple, l'entraide scolaire. C'est parfois assez informel, mais cela existe bien.
Je me suis engagé d'abord parce que j'en avais envie. Je viens d'un quartier populaire, d'une famille modeste où l'on ne fait pas de politique, où l'on n'a pas de grands diplômes, mais j'ai pris conscience à l'âge de 11 ans de l'importance de la politique, de ses buts - c'est à ce moment-là que j'ai décidé d'acquérir de l'expérience sans attendre.
Je crois que j'ai voulu montrer que l'on peut s'engager en politique parce que l'on a conscience d'être l'avenir, en tant que jeune, et que cela valait la peine de s'engager plutôt que de subir l'image négative qu'ont bien des jeunes dans le quartier d'où je viens, où l'on nous associe bien trop souvent à l'alcool, à la drogue, à la violence et à la délinquance.
Mon engagement a été continu et je milite maintenant sur le plan politique, ce qui m'a conduit à convaincre bien des jeunes autour de moi s'engager, en particulier lors des campagnes électorales. Je pense que dans le fond, je veux faire vivre la démocratie avec les jeunes.
Je crois que je me suis engagée d'abord par curiosité, parce que je voulais connaître le travail d'équipe, mais également parce que cela correspond à ma personnalité. J'aime bien parler de ce qui nous entoure, de ce qui est politique aussi bien que de la culture, du cinéma, et je voulais aider les jeunes de ma commune à se sentir représentés, à être entendus sur les sujets qui les concernent. J'ai pu convaincre autour de moi - par exemple une amie qui, me voyant faire, s'est renseignée dans sa mairie sur le conseil de jeunes et s'est engagée dans une association universitaire.
J'ai connu l'existence du conseil des jeunes par ma soeur, mais c'est l'expérience même qui m'a montré ce que c'était concrètement. L'engagement a des formes bien diverses, au-delà de la participation à un conseil des jeunes. Il me semble important de reconnaître les diverses formes d'engagement.
Je tiens à vous féliciter pour cette initiative et remercier les jeunes qui ont pris la parole. Il faut écouter les jeunes, ils ont des choses à nous apporter, nous l'entendons aujourd'hui encore. Il nous appartient de valoriser cette parole et leurs actions. Vous nous dites que les élus ne viennent pas suffisamment dans les conseils de jeunes, nous devons relayer le message. En tant qu'élue locale, j'ai eu l'occasion de le dire dans les établissements scolaires et interpeller les élus pour leur participation aux instances scolaires, car ce travail de terrain est déterminant.
Nos échanges d'aujourd'hui recoupent ceux que nous avons eus il y a une semaine avec des membres de conseils de jeunes de métropole, en particulier sur la diversité des facteurs d'engagement et sur l'aspect très concret de la participation aux conseils de jeunes : c'est une expérience où chacun voit que la politique consiste en une somme d'actions très concrètes et utiles.
Je vous remercie tous pour vos témoignages.