Intervention de Jean-Pierre Gaudin

Mission d'information Culture citoyenne — Réunion du 29 mars 2022 : 1ère réunion
Audition sur la démocratie participative

Jean-Pierre Gaudin, professeur émérite de sciences politiques :

Merci pour cette invitation à réfléchir collectivement sur la participation. J'aurais tendance à considérer la participation comme un espace intermédiaire de pratique entre le rôle des parlements, ou des assemblées élues au suffrage universel, qui renvoie plutôt à la démocratie représentative, et des formes de délibération citoyenne sans délégation, qui renvoient plutôt à des formes de démocratie directe. Dans cet espace intermédiaire existent aussi des modalités mixtes ou hybrides.

Depuis le XXe siècle, on a observé des modes d'associations des citoyens selon des formules multiples, de la concertation expérimentée dans les années 1960 sur les décisions locales, principalement d'urbanisme, jusqu'aux formes organisées de participation politique, avec un sens de plus en plus englobant du terme, sous l'influence anglo-saxonne. Mais participation à quoi ? Jusqu'à quel stade ? Et surtout, liant, ou non, la représentation élue ?

La crise actuelle de la représentation a été maintes fois soulignée. Pour autant, tout n'est pas écrit, et je souhaite vous soumettre quelques éléments de comparaison internationale sur les articulations entre la délibération des citoyens et la délibération des élus, en me focalisant notamment sur des démarches que l'on pourrait qualifier d'« hybrides », de « semi-représentatives » ou de « semi-directes ». Je me concentrerai sur la situation en Suisse et peut-être au Brésil, systèmes que j'ai choisis de préférence à celui de la Californie, dont le modèle est relativement proche du modèle helvétique.

La Suisse est plus près de nous que le Brésil, mais son histoire, tant politique qu'institutionnelle, est assez éloignée de la nôtre. On peut difficilement dire que la Suisse soit une démocratie directe, en tout cas pure. Les Landsgemeinden ont disparu, et la consultation systématique préalable aux dépenses budgétaires est marginale. Nous sommes plutôt en présence d'une formule mixte, sous fort encadrement du pouvoir législatif.

Je laisse de côté le référendum suisse, déjà plusieurs fois commenté, et me concentrerai sur un autre mécanisme, le droit d'initiative populaire, qui combine délibération des représentants et des citoyens et qui existe également au plan local et au plan national. Ce mécanisme est au coeur de l'actualité récente : à la fin de 2021, une initiative ratifiée par vote national a été adoptée, pour des « soins infirmiers forts », c'est-à-dire revalorisés.

Un comité d'initiative doit d'abord être constitué et comporter au moins sept citoyens. En fait, un tel comité est souvent appuyé sur des groupes d'intérêt. En l'espèce, pour les soins infirmiers, la proposition d'initiative a été construite autour d'un syndicat, l'Association suisse des infirmiers. Cette initiative est assez remarquable, parce qu'elle a été approuvée, exceptionnellement, par 61 % des suffrages, avec 65 % de participation. Or si la Suisse vote souvent, elle vote souvent très peu, c'est-à-dire que le taux de participation atteint difficilement, en moyenne, les 50 % - souvent, dans les scrutins locaux, il culmine à 25 %. Cela n'empêche pas la démocratie suisse d'être citée en exemple...

Le succès de cette votation est lié à une crise de recrutement révélée par le covid, comme en France : 30 % des infirmiers en Suisse sont étrangers, et 65 000 postes manqueront en 2030. Il y a donc eu une mobilisation collective. J'insiste sur la crédibilité de cette démarche, liée au fait qu'une mise en oeuvre des décisions soutenues par l'initiative et adoptées par le Parlement est déjà prévue : on sait où l'on va, ce qui est décisif.

Deux volets ont déjà été prévus : un volet rapide, portant sur le plan de formation des infirmières, se fondant sur un projet de loi déjà préparé par le Gouvernement - je rappelle que ce dernier est élu au suffrage universel direct - et un second projet de loi, ultérieur, devant être adopté dans un délai maximum de dix-huit mois, sur les salaires et le financement des soins. En Suisse, ces questions font l'objet d'une compétence partagée entre les cantons, c'est-à-dire les États fédérés, et la Confédération.

Le droit d'initiative en Suisse se révèle comme une démarche à dynamique citoyenne, contrairement au référendum d'initiative populaire français. Il s'agit d'abord d'une initiative des citoyens, ratifiée ensuite par le Parlement, et non l'inverse : c'est une dynamique de type bottom-up.

Le droit d'initiative peut ainsi créer une articulation étroite entre la délibération citoyenne et la délibération parlementaire, mais avec un encadrement parlementaire significatif, puisqu'en dernière instance c'est le Parlement qui, par un vote positif, accepte le vote populaire de l'initiative. Ce n'est pas décourageant : plus de 200 initiatives nationales et encore plus d'initiatives locales ont été recensées en Suisse ; tout cela est institutionnalisé.

On rétorquera que cela n'est possible qu'à petite échelle. Au Brésil, pourtant, la participation aux budgets participatifs a été pratiquée, y compris à des échelons mégarégionaux - on est là plus proche d'un pays européen que du canton suisse !

L'Union européenne a lancé une expérimentation d'initiative citoyenne à grande échelle sur le thème du droit à l'eau. Elle a recueilli plus de deux millions de signatures, puis un vote favorable du Parlement, puis un rapport attentif sur le suivi des instruments législatifs mis en oeuvre, ce qui a abouti à la révision ou à l'adoption de nouvelles directives par la Commission européenne : une directive sur les concessions et une directive sur l'eau potable.

Des formules hybrides de ce type seraient-elles à généraliser en France, notamment pour les compétences locales ? Cela témoignerait d'un esprit de décentralisation plus poussé, qui irait vers le développement de formes mixtes, semi-représentatives ou semi-directes.

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