Intervention de Loïc Blondiaux

Mission d'information Culture citoyenne — Réunion du 29 mars 2022 : 1ère réunion
Audition sur la démocratie participative

Loïc Blondiaux, professeur de sciences politiques à l'université Paris I :

Je propose de la démocratie participative une définition très robuste et expansive : ce sont tous les mécanismes et démarches qui visent à associer les citoyens ordinaires au processus de décision, de manière directe ou indirecte.

Ce n'est pas la démocratie sociale, laquelle s'adresse à des corps constitués, ou la démocratie directe. Elle est une forme de développement et de complément de la démocratie représentative, une nouvelle pratique politique et une forme d'innovation démocratique. L'enjeu, qui est presque existentiel et que n'ont pas perçu les acteurs de la démocratie représentative, c'est de sauver la démocratie représentative, qui menace de s'effondrer, tant elle est de moins en moins capable d'assurer la légitimité de ses décisions.

Aujourd'hui, il s'agit de choisir entre recourir à des formes politiques de plus en plus autoritaires ou répressives pour s'assurer du consentement des citoyens ou, tout à l'inverse, s'efforcer de mettre en place des formules plus inclusives, plus délibératives, pour obtenir le consentement des citoyens et assurer la légitimité de la décision.

On est à ce tournant de nos démocraties représentatives : tel qu'elles fonctionnent aujourd'hui, elles assurent assez mal les fonctions de gouvernement.

Je ne ferai pas l'inventaire de tous les dispositifs prévus par le droit français. L'histoire de la démocratie participative s'étale sur une cinquantaine d'années.

Dans les années 1960 et 1970, même si on ne parle pas de démocratie participative, des revendications de participation émergent : je pense aux groupes d'action municipale, à l'autogestion - la démocratie en entreprise est alors une question centrale. Dans la seconde moitié des années 1990, cette thématique fait son retour. La consécration suprême a lieu en 2005 : est introduit dans la Constitution, avec la Charte de l'environnement, le principe du droit des citoyens à participer à l'élaboration des décisions ayant un impact sur l'environnement.

Depuis les derniers quinquennats, on constate une stagnation, voire une régression. On assiste ainsi à une régression du droit de participation, notamment en matière environnementale : la loi d'accélération et de simplification de l'action publique, dite « loi ASAP », a réduit le champ de compétences de la Commission nationale du débat public en élevant le seuil déclenchant sa saisine obligatoire, ainsi que le champ de l'enquête publique. Il ne faut pas ignorer ce phénomène, qui s'est produit au nom de la simplification et de l'accélération. Le rapport de Patrick Bernasconi, ancien président du Conseil économique social et environnemental (CESE), le souligne.

Il y a eu en revanche au cours de ce quinquennat beaucoup de communication et deux innovations : d'une part, le grand débat national, qui a donné lieu à une très forte mobilisation, de l'ordre de deux millions de personnes, mais qui s'est traduit par une indifférence du Gouvernement et une non-prise en compte de ses résultats, ce qui a engendré beaucoup de frustrations ; d'autre part, la convention citoyenne pour le climat - j'ai été membre de son comité de gouvernance -, qui a permis d'acculturer la société française à ce type de démarche, mais qui, faute d'ancrage institutionnel, n'a pas eu de suite politique convaincante.

L'enjeu aujourd'hui, c'est bien l'ancrage institutionnel de la démocratie délibérative à l'échelle nationale. Il faut inscrire ces mécanismes dans le droit constitutionnel, sans que cela exige de changements constitutionnels majeurs : la loi organique du 15 janvier 2021 relative au Conseil économique, social et environnemental aurait pu être le bon vecteur, mais elle n'est pas suffisamment ambitieuse pour assurer une véritable articulation entre la démocratie parlementaire et la démocratie délibérative.

Pourtant, ouvrir la possibilité que, en amont de la procédure législative, soient organisées des conventions citoyennes ou des débats publics serait au bénéfice de la démocratie parlementaire et ne pourrait que renforcer la légitimité des assemblées.

Évidemment, ces dispositifs ne doivent pas se substituer à la représentation nationale. Le dernier mot doit toujours revenir au Parlement, ou au peuple en cas de référendum. Articuler la démocratie délibérative et participative à l'échelle nationale et le référendum est une option.

Il faut absolument revoir le dispositif du référendum d'initiative partagée, inscrit à l'article 11 de la Constitution, d'une part parce que les seuils fixés sont quasi inatteignables, d'autre part parce qu'il ne s'agit pas d'une initiative partagée, elle est parlementaire et non citoyenne. Pour introduire un véritable référendum d'initiative citoyenne, il faut des modalités et des seuils différents. J'y suis pour ma part absolument favorable - j'ai d'ailleurs produit avec quelques collègues une note à ce sujet, incluant un moment de délibération citoyenne, tout en prévoyant des garde-fous importants.

Il y a une dizaine d'années, le Conseil d'État a émis un rapport intitulé Consulter autrement, participer effectivement, qui appelait à la mise en place d'une procédure délibérative dans l'action publique, en amont du pouvoir réglementaire.

Il y a quelques semaines, j'ai participé à une initiative de la Cour des comptes qui a mis en place une plateforme permettant aux citoyens d'orienter dans une certaine mesure le choix des évaluations qu'elle pourrait mener.

La culture de la participation commence à gagner jusqu'au coeur de l'État. Cependant, les moyens financiers et humains dont dispose l'administration pour mettre en place des dispositifs ne sont absolument pas à la hauteur. La direction interministérielle de la transformation publique (DITP) a ainsi mis en place une cellule de la participation citoyenne, mais n'y consacre que deux emplois, ce qui est ridicule.

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