Intervention de Fanny Richard

Mission d'information Lutte contre la précarisation et la paupérisation — Réunion du 6 avril 2021 à 16h20
Accès au droit aux soins et aux prestations — Audition des administrations et organismes de sécurité sociale

Fanny Richard, directrice de l'intervention sociale et de l'accès aux soins de la Caisse nationale d'assurance maladie (CNAM) :

Indépendamment de l'« effet crise », depuis 2016 la CNAM engage des travaux d'accompagnement et d'« aller vers » des publics fragiles. Nous avons totalement abandonné la logique originelle de guichet depuis la naissance de la sécurité sociale, au profit d'une logique d'accompagnement des publics jusqu'à la réalisation du soin. Ce dispositif est totalement intégré depuis la fin 2018 (après une phase d'expérimentation sur quelques caisses de 2016 à 2018), sur la base de travaux de diagnostics territoriaux que nous avions menés avec l'Observatoire des non-recours aux droits et services (Odenore), travaillant lui-même en lien avec l'Inserm. Ces diagnostics qualitatifs, issus de questionnaires couvrant les territoires, ont permis de déterminer les profils de populations concernées et l'état des inégalités sociales et territoriales sur un territoire donné.

Sur cette base, nous avons mis en place les missions accompagnement santé dans chacune des caisses primaires, étant précisé toutefois que ce service n'est pas encore totalement installé en outre-mer. Cette installation est en cours. Des missions accompagnement santé sont déployées depuis le 1er janvier 2021 en Martinique, Guadeloupe et à La Réunion. En Guyane et à Mayotte, nous y procèderons plutôt dans un deuxième temps, dans la mesure où le contexte très particulier de ces territoires nécessite une adaptation du processus.

Ce dispositif nous permet de tisser des relations partenariales étroites avec des associations au niveau local et les autres branches, en particulier la branche famille, ce qui favorise la détection de situations fragiles en matière de non-recours à des droits ou de difficultés d'accès, de renoncement aux soins, voire d'écart aux soins. Pour ce faire, nous avons une relation à la fois nationale et locale avec ces partenaires. Tous les trimestres, nous rencontrons environ soixante-dix associations de la solidarité et l'ensemble des coordonnateurs régionaux des permanences d'accès aux soins des hôpitaux. Grâce à ces rencontres, nous sommes en mesure d'échanger sur les problématiques, d'identifier les situations de blocage et surtout d'aménager nos processus en fonction des retours de nos partenaires. Puis, au niveau local, les conventionnements se mettent en place et facilitent les signalements vers les missions accompagnement santé.

Nous travaillons également beaucoup avec nos données et avec des requêtes que nous internalisons. Nous construisons un observatoire des fragilités, qui permettra de disposer de faisceaux d'indices suffisamment fins pour procéder de façon plus large à des opérations de « aller vers » en direction des publics « invisibles ».

La démarche est d'aborder ces sujets en fonction de typologies et de profils d'assurés, car nous n'accompagnerons pas de la même façon une personne jeune, une personne âgée isolée et dépendante, une personne en situation de handicap, voire un travailleur indépendant. Nous sommes en effet amenés à intégrer cette nouvelle culture propre aux publics indépendants, qui tendent à ne pas se soigner ou à le faire trop tard, car ils cherchent d'abord à sauver leur entreprise.

Nos premiers bilans réalisés sur le dispositif de mission accompagnement santé nous permettent de constater l'existence de segments populationnels, notamment un grand nombre de familles monoparentales composées de mères seules avec de jeunes enfants, placées dans une situation de grande difficulté et pour lesquelles les soins ne sont pas perçus comme une priorité. Nous avons également affaire à de nombreux demandeurs d'emploi. À ce titre, nous avons signé une convention-cadre avec Pôle emploi pour engager une collaboration étroite au niveau local, afin que les demandeurs d'emploi puissent accéder plus facilement à leurs droits et à leurs soins. En effet, nous partageons le constat selon lequel les demandeurs d'emploi qui ne se soignaient pas, ne parvenaient pas accéder à un emploi.

L'ensemble de ces démarches nous a permis de disposer d'une ingénierie déjà en place au moment où la crise a frappé, et donc de détecter et d'accompagner des publics d'autant plus fragilisés par la celle-ci, mais aussi d'expérimenter un certain nombre de requêtes, notamment en sortie de confinement. Il ressort d'une étude menée avec l'Odenore que 60 % des personnes, pendant cette période, n'avaient pas réalisé leurs soins, en particulier des personnes en arrêt maladie pour affection de longue durée (ALD) nécessitant des soins continus. Par conséquent, il a été nécessaire de mettre en place des requêtes sortantes pour appeler ces personnes et faire un point sur leur situation, et ce indépendamment des mesures de consultations en sortie de confinement que nous avons mises en place.

Pour faire le lien avec le dispositif relatif à la précarité, il s'avère que ces publics que nous accompagnons, se situent juste au-dessus des seuils de la complémentaire santé solidaire (CSS). Mais un accident de la vie peut les mettre face à de grandes difficultés financières, de sorte que plus de 60 % des dossiers sont liés à un obstacle financier. Les 40 % restants relèvent de problématiques de lisibilité du parcours de santé, qui n'est pas toujours simple. Il existe des difficultés d'orientation, des difficultés pour trouver rapidement un médecin traitant ou un médecin spécialiste, en particulier dans les zones en sous-densité de population. Dans ces cas, nous nous appuyons beaucoup sur les centres de santé quand ils existent, mais également sur des dispositifs tels que les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) en cours de déploiement, et les assistants médicaux qui aident les médecins généralistes dans leur quotidien.

Nous constatons également qu'un tiers de ces personnes n'ont pas de complémentaire santé. In fine lorsqu'elles ont été accompagnées, il s'avère que 60 % d'entre elles étaient éligibles à la complémentaire santé solidaire. Nous sommes en train de former nos agents pour aider au choix de la complémentaire santé, c'est-à-dire aider les personnes à lire un contrat de complémentaire santé pour leur permettre de faire un choix adapté en à leurs besoins et ressources.

En ce qui concerne l'action sanitaire et sociale, le bilan 2020 nous a permis de constater que de nouveaux profils étaient demandeurs. 71 % de nos organismes ont constaté l'existence de ces nouveaux profils, sachant que pour l'action sanitaire et sociale nous avons un barème de ressources qui ne correspond pas totalement au seuil de pauvreté. Par conséquent, nous avons intégré la notion de « reste à vivre » à ce barème.

Parmi ces nouveaux profils, les plus cités sont les travailleurs indépendants - puisqu'ils sont nos assurés depuis février 2020 - mais également des personnes fragilisées par la crise sanitaire et des personnes en situation de détresse psychologique, un grand nombre d'étudiants (intégrés depuis la rentrée 2019 au régime général) et de familles monoparentales (plus de 15 % des cas remontés).

Plus globalement sur l'ensemble de ces mesures et dispositifs d'accompagnements, l'objectif est de mettre en place un maillage pour orienter - et non pas seulement détecter - un assuré au terme de son accompagnement pour réaliser son soin, vers nos partenaires pour ne pas le laisser seul face à ses difficultés. Dans le cadre de notre service social, nous avons en 2020 pu accompagner plus de 540 000 assurés, ce qui a conduit à plus d'un million d'entretiens sociaux. Dorénavant, les personnes passent par la mission accompagnement santé. En cas de situation sociale complexe dépassant la problématique de santé, les personnes sont orientées en niveau 2 vers nos assistantes sociales, dont le nombre dépasse 1 600 dans notre réseau, pour permettre un accompagnement de plus longue durée. Il faut préciser que nos assistantes travaillent elles-mêmes en réseau avec d'autres assistantes sociales, des collectivités territoriales et des hôpitaux.

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