Bonjour à chacun et chacune, et à nos deux invités avec lesquels nous poursuivons nos travaux de cet après-midi sur la précarisation. Nous procèderons donc à l'audition de la Direction de la sécurité sociale et de plusieurs organismes de sécurité sociale sur l'accès aux droits, soins et prestations.
Nous avons le plaisir d'accueillir M. Denis Le Bayon, sous-directeur de l'accès aux soins, des prestations familiales et des accidents du travail à la direction de la sécurité sociale du ministère des solidarités et de la santé et Mme Fanny Richard, directrice de l'intervention sociale et de l'accès aux soins de la Caisse nationale d'assurance maladie (CNAM). Malheureusement, deux invités n'ont pu se joindre à nous cet après-midi : la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF) et la Caisse centrale de la mutualité agricole (CCMSA). Nous organiserons donc avec chacun de ces deux organismes et notre rapporteur Frédérique Puissat, de nouveaux échanges ultérieurement, la CNAF versant un grand nombre de minima sociaux et la CCMSA étant à la pointe sur la question de l'accès aux droits dans le monde rural.
Je vous propose de démarrer cette audition par un propos liminaire de dix à quinze minutes chacun. Vous pourriez notamment nous préciser en quels termes se pose, pour votre administration ou votre organisme, la question de l'accès aux droits, et les actions concrètes que vous conduisez afin de minimiser le non-accès. Nous ouvrirons ensuite une phase d'échanges, en commençant par les questions de notre rapporteur, Mme Frédérique Puissat, et en continuant avec les questions des sénateurs et sénatrices membres de notre mission d'information.
Je rappelle que cette audition fera l'objet d'une captation vidéo, qui sera retransmise en direct sur le site internet du Sénat et sera consultable à la demande.
Indépendamment de l'« effet crise », depuis 2016 la CNAM engage des travaux d'accompagnement et d'« aller vers » des publics fragiles. Nous avons totalement abandonné la logique originelle de guichet depuis la naissance de la sécurité sociale, au profit d'une logique d'accompagnement des publics jusqu'à la réalisation du soin. Ce dispositif est totalement intégré depuis la fin 2018 (après une phase d'expérimentation sur quelques caisses de 2016 à 2018), sur la base de travaux de diagnostics territoriaux que nous avions menés avec l'Observatoire des non-recours aux droits et services (Odenore), travaillant lui-même en lien avec l'Inserm. Ces diagnostics qualitatifs, issus de questionnaires couvrant les territoires, ont permis de déterminer les profils de populations concernées et l'état des inégalités sociales et territoriales sur un territoire donné.
Sur cette base, nous avons mis en place les missions accompagnement santé dans chacune des caisses primaires, étant précisé toutefois que ce service n'est pas encore totalement installé en outre-mer. Cette installation est en cours. Des missions accompagnement santé sont déployées depuis le 1er janvier 2021 en Martinique, Guadeloupe et à La Réunion. En Guyane et à Mayotte, nous y procèderons plutôt dans un deuxième temps, dans la mesure où le contexte très particulier de ces territoires nécessite une adaptation du processus.
Ce dispositif nous permet de tisser des relations partenariales étroites avec des associations au niveau local et les autres branches, en particulier la branche famille, ce qui favorise la détection de situations fragiles en matière de non-recours à des droits ou de difficultés d'accès, de renoncement aux soins, voire d'écart aux soins. Pour ce faire, nous avons une relation à la fois nationale et locale avec ces partenaires. Tous les trimestres, nous rencontrons environ soixante-dix associations de la solidarité et l'ensemble des coordonnateurs régionaux des permanences d'accès aux soins des hôpitaux. Grâce à ces rencontres, nous sommes en mesure d'échanger sur les problématiques, d'identifier les situations de blocage et surtout d'aménager nos processus en fonction des retours de nos partenaires. Puis, au niveau local, les conventionnements se mettent en place et facilitent les signalements vers les missions accompagnement santé.
Nous travaillons également beaucoup avec nos données et avec des requêtes que nous internalisons. Nous construisons un observatoire des fragilités, qui permettra de disposer de faisceaux d'indices suffisamment fins pour procéder de façon plus large à des opérations de « aller vers » en direction des publics « invisibles ».
La démarche est d'aborder ces sujets en fonction de typologies et de profils d'assurés, car nous n'accompagnerons pas de la même façon une personne jeune, une personne âgée isolée et dépendante, une personne en situation de handicap, voire un travailleur indépendant. Nous sommes en effet amenés à intégrer cette nouvelle culture propre aux publics indépendants, qui tendent à ne pas se soigner ou à le faire trop tard, car ils cherchent d'abord à sauver leur entreprise.
Nos premiers bilans réalisés sur le dispositif de mission accompagnement santé nous permettent de constater l'existence de segments populationnels, notamment un grand nombre de familles monoparentales composées de mères seules avec de jeunes enfants, placées dans une situation de grande difficulté et pour lesquelles les soins ne sont pas perçus comme une priorité. Nous avons également affaire à de nombreux demandeurs d'emploi. À ce titre, nous avons signé une convention-cadre avec Pôle emploi pour engager une collaboration étroite au niveau local, afin que les demandeurs d'emploi puissent accéder plus facilement à leurs droits et à leurs soins. En effet, nous partageons le constat selon lequel les demandeurs d'emploi qui ne se soignaient pas, ne parvenaient pas accéder à un emploi.
L'ensemble de ces démarches nous a permis de disposer d'une ingénierie déjà en place au moment où la crise a frappé, et donc de détecter et d'accompagner des publics d'autant plus fragilisés par la celle-ci, mais aussi d'expérimenter un certain nombre de requêtes, notamment en sortie de confinement. Il ressort d'une étude menée avec l'Odenore que 60 % des personnes, pendant cette période, n'avaient pas réalisé leurs soins, en particulier des personnes en arrêt maladie pour affection de longue durée (ALD) nécessitant des soins continus. Par conséquent, il a été nécessaire de mettre en place des requêtes sortantes pour appeler ces personnes et faire un point sur leur situation, et ce indépendamment des mesures de consultations en sortie de confinement que nous avons mises en place.
Pour faire le lien avec le dispositif relatif à la précarité, il s'avère que ces publics que nous accompagnons, se situent juste au-dessus des seuils de la complémentaire santé solidaire (CSS). Mais un accident de la vie peut les mettre face à de grandes difficultés financières, de sorte que plus de 60 % des dossiers sont liés à un obstacle financier. Les 40 % restants relèvent de problématiques de lisibilité du parcours de santé, qui n'est pas toujours simple. Il existe des difficultés d'orientation, des difficultés pour trouver rapidement un médecin traitant ou un médecin spécialiste, en particulier dans les zones en sous-densité de population. Dans ces cas, nous nous appuyons beaucoup sur les centres de santé quand ils existent, mais également sur des dispositifs tels que les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) en cours de déploiement, et les assistants médicaux qui aident les médecins généralistes dans leur quotidien.
Nous constatons également qu'un tiers de ces personnes n'ont pas de complémentaire santé. In fine lorsqu'elles ont été accompagnées, il s'avère que 60 % d'entre elles étaient éligibles à la complémentaire santé solidaire. Nous sommes en train de former nos agents pour aider au choix de la complémentaire santé, c'est-à-dire aider les personnes à lire un contrat de complémentaire santé pour leur permettre de faire un choix adapté en à leurs besoins et ressources.
En ce qui concerne l'action sanitaire et sociale, le bilan 2020 nous a permis de constater que de nouveaux profils étaient demandeurs. 71 % de nos organismes ont constaté l'existence de ces nouveaux profils, sachant que pour l'action sanitaire et sociale nous avons un barème de ressources qui ne correspond pas totalement au seuil de pauvreté. Par conséquent, nous avons intégré la notion de « reste à vivre » à ce barème.
Parmi ces nouveaux profils, les plus cités sont les travailleurs indépendants - puisqu'ils sont nos assurés depuis février 2020 - mais également des personnes fragilisées par la crise sanitaire et des personnes en situation de détresse psychologique, un grand nombre d'étudiants (intégrés depuis la rentrée 2019 au régime général) et de familles monoparentales (plus de 15 % des cas remontés).
Plus globalement sur l'ensemble de ces mesures et dispositifs d'accompagnements, l'objectif est de mettre en place un maillage pour orienter - et non pas seulement détecter - un assuré au terme de son accompagnement pour réaliser son soin, vers nos partenaires pour ne pas le laisser seul face à ses difficultés. Dans le cadre de notre service social, nous avons en 2020 pu accompagner plus de 540 000 assurés, ce qui a conduit à plus d'un million d'entretiens sociaux. Dorénavant, les personnes passent par la mission accompagnement santé. En cas de situation sociale complexe dépassant la problématique de santé, les personnes sont orientées en niveau 2 vers nos assistantes sociales, dont le nombre dépasse 1 600 dans notre réseau, pour permettre un accompagnement de plus longue durée. Il faut préciser que nos assistantes travaillent elles-mêmes en réseau avec d'autres assistantes sociales, des collectivités territoriales et des hôpitaux.
J'évoquerai dans mon propos liminaire trois axes.
Le premier axe concerne les enseignements à tirer de la crise actuelle, évidemment très partiels au vu du manque de recul. La direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) du ministère de la santé a documenté en juillet dernier que la crise avait été un révélateur des inégalités sociales face à la santé. En effet, 23 % des bénéficiaires de la CMU-C entre 45 et 65 ans avaient été pris en charge pour une pathologie considérée comme aggravante de la covid-19 en 2017, contre 16 % pour les non-bénéficiaires de la CMU-C du même âge. Par conséquent, il existe des facteurs aggravants à l'occasion de la crise sanitaire actuelle, liés à la fragilité des ressources financières. De même, la prévalence de l'obésité est deux fois supérieure parmi les 20 % de foyers les plus modestes à ce qui est observé au sein des 20 % de foyers les plus aisés.
Par ailleurs durant la crise sanitaire, nous avons mis en oeuvre une multiplicité de dispositifs dérogatoires aux conditions habituelles de prise en charge par l'assurance maladie, pour faire face aux situations nouvelles occasionnées par la crise. De ce fait, la modification du périmètre de l'assurance maladie a été manifeste. En premier lieu, la prise en charge des arrêts de travail dits « dérogatoires » a eu lieu dès le début de l'année 2020, y compris pour des motifs ne relevant pas d'arrêts maladie, tels que la garde d'enfant en cas de fermeture de l'école pour limitation de la propagation de la pandémie. Les dispositifs associés à ces cas dérogatoires ont été mis en oeuvre à la fois par la sécurité sociale et par le complément employeur.
La réactivité a en outre été forte pendant la crise, pour protéger les personnes vulnérables ne pouvant pas travailler pendant la crise de la covid-19. De ce fait, les dispositifs d'arrêts dérogatoires ont été déployés pour élargir le périmètre couvert habituellement par la sécurité sociale. De même, le complément versé par l'employeur a été accessible sans tenir compte de l'habituelle condition d'ancienneté d'un an, de sorte que l'ensemble des salariés ont été pris en charge par les dispositifs dérogatoires, y compris les salariés considérés comme « cas contact ».
En outre, la prise en charge à 100 % a été étendue à certains dispositifs : téléconsultation, tests, vaccination, certaines consultations de prévention, notamment à la suite du premier confinement, pour les personnes considérées comme « à risque ».
Finalement en cette période de crise sanitaire, une très forte réactivité a été de mise ainsi qu'un fort élargissement du périmètre de la sécurité sociale, dans l'optique de restreindre les freins à l'accès aux soins essentiels.
Le deuxième axe porte sur l'état de nos travaux relatifs au non-recours. Je développerai quelques éléments sur l'action du réseau des caisses d'allocations familiales (CAF), ainsi que sur les actions de l'Assurance maladie à la suite de la réforme majeure que constitue la complémentaire santé solidaire (CSS). Nous n'avons pas encore suffisamment de recul sur le rythme de la montée en charge de ce dispositif, mais savons d'ores et déjà qu'il est source de grande simplification des démarches pour les personnes qui bénéficiaient précédemment de l'aide à l'acquisition d'une complémentaire santé. Avant la réforme, ces personnes devaient choisir entre trois niveaux de couverture et de primes à acquitter. Désormais, la CSS facilite le choix d'une complémentaire santé.
Par ailleurs, le nouveau dispositif de la complémentaire santé solidaire a pour objectif de faciliter les démarches des demandeurs. En particulier partir de la mi-2021 et à compter de 2022 de façon totale, les démarches de déclarations de ressources annuelles seront grandement simplifiées. Aujourd'hui, les personnes se voient demander de déclarer leurs revenus salariaux ou leurs ressources tirées des prestations sociales. Or il s'agit de ressources dont nous pouvons avoir connaissance par ailleurs, puisque les déclarations de salaires des employeurs ainsi que les versements des organismes sociaux sont connus. C'est pourquoi le nombre d'informations que les demandeurs de la CSS auront à renseigner sera drastiquement réduit.
S'agissant de la branche famille, j'évoquerai deux dispositifs. Le premier est le « Rendez-vous des droits », qui concerne chaque année 300 000 allocataires des CAF. Mis en place en 2014, il a lieu soit à la demande de l'allocataire, soit dans le cadre d'un dossier individuel présenté par les partenaires des CAF, soit encore dans le cadre d'une demande de revenu de solidarité active (RSA). Il peut également s'agir de rendez-vous pris dans le cadre de parcours spécifiques, par exemple dans l'hypothèse d'une séparation ou d'un décès. L'idée est de procéder, lors d'un rendez-vous d'une vingtaine de minutes à une demi-heure, à une revue de la situation administrative de la personne, pour l'orienter vers des droits auxquels elle n'aurait pas eu accès jusqu'à présent alors même qu'elle était éligible. Les enquêtes réalisées auprès des personnes ayant bénéficié de ces rendez-vous, révèlent un réel impact sur la situation des personnes. En effet pour 50 % d'entre elles, les rendez-vous des droits ont permis d'ouvrir des droits nouveaux, soit 1,5 prestation en moyenne (RSA, allocations logement, CSS...). Il y a donc aussi des éléments de convergence entre les différents réseaux de sécurité sociale.
Le second dispositif est lié aux possibilités ouvertes et expérimentées prochainement, en vertu d'une disposition issue de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2021. Ce texte réaffirme le principe de lutte contre le non-recours, pour toutes les caisses de sécurité sociale au-delà de leur mission traditionnelle de versement des prestations. Par ailleurs, le texte donne la possibilité, aux CAF notamment, d'exploiter des données d'autres organismes pour faire du data mining et cibler des situations de non-recours. Cette logique de data mining existe déjà au sein des CAF, mais seulement à partir des données qu'elles connaissent. L'objectif est désormais, dans le respect des dispositions du Règlement général sur la protection des données (RGPD), d'enrichir les données disponibles pour cibler les personnes non allocataires des CAF mais qui pourraient avoir droit à certaines prestations.
Le non-recours est bien documenté, en particulier par l'Odenore, adossé à l'université de Grenoble, qui a déjà été évoqué. Dans la mesure où un grand nombre de travaux ont déjà été menés pour expliquer le non-recours à l'ex-CMU-C ainsi que les grandes raisons d'un tel non-recours. Ces raisons tiennent notamment à l'absence de connaissance des dispositifs, à la priorisation d'autres besoins pour des raisons financières, et parfois au rejet des institutions. En outre, les travaux sont disponibles par dispositif. Par exemple sur l'aide médicale d'État (AME), un taux de 50 % de non-recours est constaté auprès des personnes potentiellement éligibles. Sur la CSS, les données ne sont pas encore parues, mais l'ex-CMU-C et l'ex-Aide à l'acquisition d'une complémentaire santé faisaient l'objet d'un non-recours important. Par conséquent, il est vraisemblable que la réforme de la CSS, en simplifiant les démarches, ait un effet sur le non-recours. Nous devrons ultérieurement mesurer ces éléments.
Le dernier axe que j'évoquerai brièvement est celui de la réforme du 100 % santé, qui part de constats préoccupants en termes de renoncement aux soins. Sur les trois secteurs concernés par la réforme, un taux de 17 % de renoncement aux soins dentaires (et de 20 % de foyers les plus modestes) était observé, de même qu'un taux de 10 % pour l'optique (17 % pour les 20 % de foyers les plus modestes) et un taux de non-équipement de deux tiers pour les audioprothèses, ce qui est très élevé. Depuis le 1er janvier 2020, le 100 % santé garantit de manière effective un reste à charge zéro sur des paniers de soins de qualité dans les trois secteurs précités, avec deux nouveautés au 1er janvier 2021. Désormais, le reste à charge zéro est obtenu sur les audioprothèses avec une complémentaire santé responsable, ce qui constituait la dernière étape de l'abaissement du prix limite de vente de ces équipements. De plus, le panier de soins dentaires s'est encore élargi au 1er janvier 2021, avec les prothèses amovibles.
S'il paraît encore prématuré de dresser un bilan de la montée en charge de la réforme du 100 % santé - d'autant que l'année 2020 a été perturbée - on constate déjà des taux d'équipements très élevés dans le secteur dentaire puisque 52 % des équipements dentaires en 2020 relevaient de l'offre 100 % santé. En matière d'audiologie et d'optique, les taux étaient supérieurs à 10 %, sachant que dans le secteur de l'audiologie, un effet d'attente s'est certainement produit à la fin 2020, jusqu'à la mise en place du vrai reste à charge zéro sur les audioprothèses.
Tels sont les éléments d'étape sur le 100 % santé, qui seront suivis avec une grande attention en 2021.
Merci pour ces propos liminaires. Madame Richard, vous avez évoqué votre action, déclinée de différentes façons avec notamment un observatoire sur le recours aux droits et les enjeux d'« aller vers ». Je parle peut-être à titre personnel, mais j'avoue qu'au niveau départemental je ne vois pas cette démarche d'« aller vers ». Pardonnez-moi d'être provocatrice, mais je constate plutôt des fermetures de centres, jusqu'alors décentralisés et désormais recentralisés au niveau des préfectures. L'action de l'« aller vers », qui paraît très intéressante quand vous l'énoncez, ne me semble pas suffisamment visible sur le terrain. Par conséquent, pouvez-vous préciser comment sont menées concrètement ces actions ? J'ai bien noté l'existence d'une porte d'entrée associative et d'un accès par les urgences, ainsi que d'une analyse sur les données en 2016. Avez-vous davantage de précisions à nous apporter sur ce sujet ?
J'aurai une autre question qui vous concerne tous les deux, mais plus généralement aussi les grandes administrations de l'État. Ne pensez-vous pas qu'une optimisation devrait être menée concernant les échanges de données entre organismes ? Nous avons tous connaissance de personnes en âge de la retraite, qui attendent parfois un an avant de percevoir leurs prestations. Ce retard incompréhensible les plonge parfois dans une situation de précarité et les empêche de se faire soigner. Ces personnes ont un sentiment d'injustice alors qu'elles ont cotisé toute leur vie, et qu'elles n'ont pas toujours d'argent de côté pour se permettre d'attendre le versement de leurs prestations. J'ai en tête de nombreuses situations qui plongent les gens dans la détresse, et pour lesquelles il n'y a pas d'autre explication que le manque de coordination entre services, aussi bien ceux de l'État que des collectivités territoriales et administrations de sécurité sociale.
Enfin sur les enjeux liés à la crise sanitaire, vous avez évoqué, Madame Richard, un certain nombre de publics nouveaux alors même que dans notre pays, nous pouvons considérer avoir déployé des dispositifs très importants pour trouver solution à chaque situation. Par conséquent, comment expliquez-vous qu'en ce qui concerne la santé - à l'exception des indépendants qui n'avaient pas tous de complémentaire santé - de nombreuses personnes aient basculé dans la précarité du fait de la crise sanitaire ?
Sur le premier point concernant la visibilité du dispositif - qui est encore jeune puisqu'en 2016 il s'agissait encore d'une expérimentation - le déploiement total a eu lieu à la fin 2018, avec une année pleine en France hexagonale à partir de 2019. En 2016, nous avons privilégié, dans un premier temps, les détections à l'accueil. Puis, à partir du déploiement, la stratégie partenariale a été renforcée. Au niveau associatif, il existe désormais une bonne connaissance (y compris au niveau local) de ce dispositif d'accompagnement attentionné. Nous sommes actuellement en cours d'amélioration de sa connaissance auprès des professionnels de santé, en particulier les médecins généralistes. Bien entendu, 2020 n'a pas été l'année parfaite pour cette promotion, même si les médecins généralistes sont très demandeurs de ce type de service pour orienter les patients « perdus ». Nous avions organisé un colloque en 2019, où beaucoup d'entre eux avaient pris la parole. Comme ces médecins l'expliquent, les patients viennent se soigner, repartent avec une prescription mais se retrouvent un an plus tard au même point, avec des actes non réalisés. Dans cette situation, l'état de santé se dégrade, ce qui occasionne une perte de chance.
Néanmoins, la promotion auprès des médecins généralistes reste encore limitée aujourd'hui.
Concernant les collectivités territoriales et les autres branches, nous collaborons de plus en plus avec les CAF. Nous travaillons actuellement à l'acquisition des connaissances des prestations et des droits des uns et des autres, y compris des offres, pour détecter les sujets et éviter de balloter les personnes d'une caisse à une autre. Nous tentons donc de nous coordonner et d'être cohérents, ce qui correspond aussi au « Dites-le-nous une fois ». Depuis quelques années, nous avons conclu une convention avec les conseils départementaux dans le cadre de la politique d'aide sociale à l'enfance. Ce dispositif a été conforté dans le cadre de la stratégie de lutte contre la pauvreté. Pour les jeunes « en sortie sèche » qui s'apprêtent à avoir dix-huit ans, nous prolongeons leurs droits automatiquement jusqu'à leur dix-neuvième année, tandis que le conseil départemental nous éclaire sur la situation de ces jeunes. Par conséquent, nous faisons en sorte de les accompagner à leur dix-neuvième année, en lien avec la CAF, pour les aider dans la poursuite de leurs demandes de droits, dans l'apprentissage du système de santé et dans la connaissance des différentes aides de la branche famille. Nous abordons ces dispositifs par segments populationnels, statuts et problématiques car les démarches sont différentes en fonction des publics.
Je n'ai pas non plus évoqué l'action engagée sous l'impulsion de Marine Jeantet, depuis le 10 juillet 2020. Il s'agissait d'une action commune sur le terrain entre la CAF et la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) en équipes mobiles, auprès de l'ensemble des centres d'hébergement d'urgence et hôtels ayant hébergé des personnes sans domicile fixe pendant l'état d'urgence. Dans ce cadre, nous avons pu pratiquer l'« aller vers » présentiel dans une sorte d'opération « coup de poing », pendant trois semaines. L'Assurance maladie a ainsi pu ouvrir 6 000 actions d'ouvertures de droits ou de réalisations de soins. La CAF, pour sa part, a ouvert près de 3 000 dossiers de RSA.
Finalement dans une situation conjoncturelle donnée, nous sommes en capacité de co-construire, grâce à nos services qui sont désormais rodés et intégrés, un certain nombre d'actions. Nous avons de plus en plus de liens avec les collectivités territoriales sur ce sujet. Certes, vous avez plutôt le sentiment de fermetures, sur les territoires, de lieux d'accueil de proximité. Nous nous coordonnons beaucoup avec les structures France services. Celles-ci assurent l'accueil de proximité de niveau 1, tandis que nous gérons le niveau 2 d'ouverture de droits. Le dispositif a ainsi été conçu, pour permettre de retrouver un maillage de proximité et une réponse pour l'ensemble de nos concitoyens.
Concernant l'optimisation des échanges de données entre organismes, nous y travaillons actuellement dans le cadre de l'article 83 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2021. Nous attendons la publication d'un décret en Conseil d'État listant un certain nombre de données croisées, à des fins d'ouvertures de droits. Nous préparons actuellement un travail interbranches - que nous soumettrons à la tutelle - avec la Caisse nationale d'assurance vieillesse (CNAV), la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF), l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS), voire Pôle emploi afin de cartographier de façon large les différentes possibilités d'échanges de données susceptibles d'être intégrées dans le décret d'application.
Enfin sur les enjeux liés à la crise sanitaire, en dépit du dispositif de protection et des aides allouées par l'État, nous nous sommes trouvés face à des situations de santé compliquées. Un certain nombre de personnes âgées bénéficiant de l'ALD et de l'exonération du ticket modérateur, n'ont pas de complémentaire santé et se trouvent au-dessus du seuil pour bénéficier de la CSS. Nous avons notamment constaté que des hospitalisations pour cause de covid-19 occasionnaient néanmoins des factures très onéreuses en réanimation, dans la mesure où ces hospitalisations étaient sans lien avec la maladie pour laquelle ils sont indemnisés au titre de l'ALD. Ces situations peuvent donner lieu à des compensations financières dans le cadre de l'action sanitaire et sociale de l'Assurance maladie.
En complément sur la question de l'optimisation des échanges, il convient de signaler plusieurs situations différentes. Dans certains cas, le droit à une prestation rend éligible à une autre prestation : c'est le cas de figure typique du RSA, qui rend éligible à la CSS. Pourtant, 20 % des bénéficiaires du RSA n'ont pas demandé à bénéficier de la CSS pour différentes raisons, qu'ils soient déjà couverts par ailleurs ou qu'ils ne comprennent pas le fonctionnement du système. Certaines personnes pensent que le fait d'être en ALD les couvre automatiquement, alors que la prise en charge du ticket modérateur n'intervient que pour les soins en lien avec l'affection. Par conséquent, il apparaît nécessaire d'améliorer l'information communiquée au demandeur de RSA, pour le conduire à émettre une demande de CSS.
Par ailleurs, il existe des situations où un élément précis peut donner un indice d'éligibilité à certaines prestations. Dans ces cas, les bénéficiaires d'une allocation donnée sont informés qu'ils sont potentiellement éligibles à une autre.
Enfin, je terminerai par toutes les possibilités de simplification des démarches des demandeurs, notamment de minima sociaux, au regard des déclarations de salaires des employeurs et des dispositifs en vigueur dans le cadre du prélèvement à la source. Nous constatons, s'agissant du RSA et de la prime d'activité, pour lesquels il est demandé chaque trimestre à l'allocataire de faire une déclaration de ressources, qu'il existe un nombre considérable d'erreurs dans ces déclarations. Par conséquent dans un cas sur quatre, ces erreurs donnent lieu à des trop-perçus dont la Caisse réclame restitution, mais aussi à une proportion considérable de compléments versés postérieurement (70 % pour les bénéficiaires du RSA et 60 % pour les bénéficiaires de la prime d'activité). C'est pourquoi dans les prochains mois, nous nous appuierons sur les déclarations de salaires des employeurs et les prestations versées par les organismes de protection sociale, pour pré-remplir les déclarations trimestrielles des allocataires du RSA et de la prime d'activité. De ce fait, les démarches seront simplifiées chaque trimestre et l'insécurité financière des bénéficiaires de prestations diminuera fortement.
Voici donc quelques exemples de pistes de travail en ce qui nous concerne.
Sur la crise sanitaire, Fanny Richard a exposé beaucoup de choses sur les apports de l'action sociale des caisses dans certaines situations d'hospitalisation pour covid-19. J'insiste une nouvelle fois sur l'extension très importante du périmètre de la sécurité sociale pendant la crise sanitaire. Nous ne nous serions pas douté, en décembre 2019, que des prestations sociales seraient versées à des personnes non malades, pour des motifs de garde d'enfant. En définitive, les organismes ont joué un rôle inattendu dans des délais extrêmement brefs, puisque des indemnisations ont été versées dès les premiers clusters en janvier 2020.
Je reviens sur les dossiers de retard d'accès aux prestations des personnes retraitées, qui durent parfois un an. Nous avons en effet constaté qu'il s'agissait d'un vrai enjeu pour des personnes d'un certain âge, et d'une source de fragilisation. Je rebondis aussi sur les enjeux de décentralisation et de maisons France services. Nous sommes d'accord pour constater que nous sommes passés du système des maisons des services au public (MSAP) à un système, avec les maisons France services, censé faciliter la tâche aux demandeurs grâce à la mise, en place en face de chaque correspondant France services, d'un interlocuteur dédié au sein des administrations. Force est pourtant de constater que ce système ne fonctionne pas bien dans les situations les plus délicates. Les personnes reçoivent la plupart du temps des réponses leur indiquant que leur dossier est en liste d'attente. Ne pourrions-nous pas, malgré tout, avec des relais locaux, recevoir les publics très fragiles proches de basculer dans la précarité et la pauvreté et leur donner accès aux organismes de façon privilégiée ? Nous ne parvenons pas à faire accélérer les processus dans les maisons France services. Je pense qu'il y a encore des choses à améliorer sur la longueur de l'accès aux droits et sur la capacité des agents sur le terrain à correspondre efficacement avec les interlocuteurs compétents pour résoudre les situations les plus délicates.
Je partage bien évidemment le constat selon lequel l'un des motifs les plus prégnants du non-recours tient à la complexité administrative ressentie ou réelle, et à la longueur des délais de traitement. Il s'agit en effet de l'un des enjeux majeurs d'amélioration. Je ne pourrai pas vous répondre spécifiquement sur les délais d'accès aux prestations de retraite car je ne suis pas en charge de ce dossier. Néanmoins, le travail de récupération à la source des données des allocataires de RSA ou de prime d'activité pour leur éviter des démarches à remplir, participe d'une plus grande réactivité dans la liquidation des prestations. C'est en effet un enjeu majeur d'amélioration pour le service public de la sécurité sociale.
Il est vrai que les travaux que nous menons actuellement en interbranches avec la CNAV sont facilitants pour accompagner des jeunes retraités en difficulté. Nous tentons réellement de collaborer beaucoup plus étroitement entre nous, pour faire en sorte qu'à un moment de vie donné, nous puissions agir de concert. En particulier, nous effectuons des modélisations dans le cadre du parcours, pour nous coordonner. Avec Pôle emploi, nous menons un travail d'interconnexions à partir de cas pré-identifiés, tel que celui du demandeur d'emploi se retrouvant dans une sorte de « no man's land » au terme de son droit aux indemnités journalières.
Il est vrai que les personnes basculent souvent dans ces situations d'entre-deux. Il est ensuite très difficile de redresser ces situations, qui ne sont malheureusement pas isolées. Par conséquent, un travail de coordination doit être mené entre les différents services.
Concernant France services, qui est en pleine montée en charge, les structures ont à ce jour toutes été formées. Les structures agréées ont bénéficié d'une formation ad hoc par chacun des organismes, au-delà de la sécurité sociale. De plus au niveau local, les circuits se mettent en place actuellement. Certains peuvent encore être balbutiants, mais nous décomptons aujourd'hui 1 000 structures agréées. Pour celles qui étaient d'anciennes MSAP, la situation est plus facile car les échanges et la coordination étaient préexistants. Les difficultés de coordination concernent donc davantage les nouveaux sites et les anciens points d'information médiation multiservices (PIMMS) devenus des structures France services. Dans ce cas, un outil est géré en back office par les caisses.
Je souhaite insister à nouveau sur le sujet de l'approche par les parcours, qui est crucial. J'évoquerai à titre d'exemple le parcours « séparation », mis en place par les CAF à compter de juin 2021. Dans ces moments de fragilité personnelle, où la situation administrative est bouleversée, il y a un besoin d'accompagnement. En la matière, les CAF développeront une offre d'information globale à l'intention des personnes en situation de séparation, tant sur leurs éventuels nouveaux droits que sur des actions d'aide à la parentalité ou des actions de versement de la pension alimentaire.
L'approche par les parcours est sans doute l'une des plus fructueuses pour aller au-delà de la complexité des dispositifs et des intervenants. C'est pourquoi nous souhaitons la renforcer.
Ma dernière question porte sur les conséquences du « tout numérique » vers lequel nous nous orientons. L'illectronisme est-il selon vous un facteur de non-recours ?
L'Assurance maladie ne sera jamais en « tout numérique », et ce choix est totalement assumé par le directeur général. Nous n'inciterons donc jamais une personne non autonome sur le plan numérique à ouvrir un compte Ameli. Ces personnes peuvent se déplacer ou prendre des rendez-vous téléphoniques, qui sont très bien vus par les intéressés. Nous préférons vraiment que ces personnes continuent à avoir une relation directe avec nos agents d'accueil et nos canaux de contact. En effet dès qu'un compte Ameli est ouvert, la personne non autonome numériquement n'a plus aucun contact avec nous, en raison de la suppression de tout document papier. En définitive, nous souhaitons vraiment préserver un espace non numérique et concentrer nos dispositifs pour accompagner ces publics.
Par ailleurs, les personnes détectées comme autonomes mais non familiarisées avec les services administratifs en ligne, peuvent bénéficier d'ateliers collectifs communs avec les CAF pour apprendre à utiliser nos téléservices. Ces personnes sont orientées vers les médiateurs du numérique pour recevoir une formation au long cours. Dans ce cadre, les médiateurs du numérique bénéficient de subventions de la part de l'action sanitaire et sociale.
Je vous remercie de ces échanges quelque peu limités par le nombre de personnes. Merci de votre présence et bonne continuation.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 17 h 30.