J'évoquerai dans mon propos liminaire trois axes.
Le premier axe concerne les enseignements à tirer de la crise actuelle, évidemment très partiels au vu du manque de recul. La direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) du ministère de la santé a documenté en juillet dernier que la crise avait été un révélateur des inégalités sociales face à la santé. En effet, 23 % des bénéficiaires de la CMU-C entre 45 et 65 ans avaient été pris en charge pour une pathologie considérée comme aggravante de la covid-19 en 2017, contre 16 % pour les non-bénéficiaires de la CMU-C du même âge. Par conséquent, il existe des facteurs aggravants à l'occasion de la crise sanitaire actuelle, liés à la fragilité des ressources financières. De même, la prévalence de l'obésité est deux fois supérieure parmi les 20 % de foyers les plus modestes à ce qui est observé au sein des 20 % de foyers les plus aisés.
Par ailleurs durant la crise sanitaire, nous avons mis en oeuvre une multiplicité de dispositifs dérogatoires aux conditions habituelles de prise en charge par l'assurance maladie, pour faire face aux situations nouvelles occasionnées par la crise. De ce fait, la modification du périmètre de l'assurance maladie a été manifeste. En premier lieu, la prise en charge des arrêts de travail dits « dérogatoires » a eu lieu dès le début de l'année 2020, y compris pour des motifs ne relevant pas d'arrêts maladie, tels que la garde d'enfant en cas de fermeture de l'école pour limitation de la propagation de la pandémie. Les dispositifs associés à ces cas dérogatoires ont été mis en oeuvre à la fois par la sécurité sociale et par le complément employeur.
La réactivité a en outre été forte pendant la crise, pour protéger les personnes vulnérables ne pouvant pas travailler pendant la crise de la covid-19. De ce fait, les dispositifs d'arrêts dérogatoires ont été déployés pour élargir le périmètre couvert habituellement par la sécurité sociale. De même, le complément versé par l'employeur a été accessible sans tenir compte de l'habituelle condition d'ancienneté d'un an, de sorte que l'ensemble des salariés ont été pris en charge par les dispositifs dérogatoires, y compris les salariés considérés comme « cas contact ».
En outre, la prise en charge à 100 % a été étendue à certains dispositifs : téléconsultation, tests, vaccination, certaines consultations de prévention, notamment à la suite du premier confinement, pour les personnes considérées comme « à risque ».
Finalement en cette période de crise sanitaire, une très forte réactivité a été de mise ainsi qu'un fort élargissement du périmètre de la sécurité sociale, dans l'optique de restreindre les freins à l'accès aux soins essentiels.
Le deuxième axe porte sur l'état de nos travaux relatifs au non-recours. Je développerai quelques éléments sur l'action du réseau des caisses d'allocations familiales (CAF), ainsi que sur les actions de l'Assurance maladie à la suite de la réforme majeure que constitue la complémentaire santé solidaire (CSS). Nous n'avons pas encore suffisamment de recul sur le rythme de la montée en charge de ce dispositif, mais savons d'ores et déjà qu'il est source de grande simplification des démarches pour les personnes qui bénéficiaient précédemment de l'aide à l'acquisition d'une complémentaire santé. Avant la réforme, ces personnes devaient choisir entre trois niveaux de couverture et de primes à acquitter. Désormais, la CSS facilite le choix d'une complémentaire santé.
Par ailleurs, le nouveau dispositif de la complémentaire santé solidaire a pour objectif de faciliter les démarches des demandeurs. En particulier partir de la mi-2021 et à compter de 2022 de façon totale, les démarches de déclarations de ressources annuelles seront grandement simplifiées. Aujourd'hui, les personnes se voient demander de déclarer leurs revenus salariaux ou leurs ressources tirées des prestations sociales. Or il s'agit de ressources dont nous pouvons avoir connaissance par ailleurs, puisque les déclarations de salaires des employeurs ainsi que les versements des organismes sociaux sont connus. C'est pourquoi le nombre d'informations que les demandeurs de la CSS auront à renseigner sera drastiquement réduit.
S'agissant de la branche famille, j'évoquerai deux dispositifs. Le premier est le « Rendez-vous des droits », qui concerne chaque année 300 000 allocataires des CAF. Mis en place en 2014, il a lieu soit à la demande de l'allocataire, soit dans le cadre d'un dossier individuel présenté par les partenaires des CAF, soit encore dans le cadre d'une demande de revenu de solidarité active (RSA). Il peut également s'agir de rendez-vous pris dans le cadre de parcours spécifiques, par exemple dans l'hypothèse d'une séparation ou d'un décès. L'idée est de procéder, lors d'un rendez-vous d'une vingtaine de minutes à une demi-heure, à une revue de la situation administrative de la personne, pour l'orienter vers des droits auxquels elle n'aurait pas eu accès jusqu'à présent alors même qu'elle était éligible. Les enquêtes réalisées auprès des personnes ayant bénéficié de ces rendez-vous, révèlent un réel impact sur la situation des personnes. En effet pour 50 % d'entre elles, les rendez-vous des droits ont permis d'ouvrir des droits nouveaux, soit 1,5 prestation en moyenne (RSA, allocations logement, CSS...). Il y a donc aussi des éléments de convergence entre les différents réseaux de sécurité sociale.
Le second dispositif est lié aux possibilités ouvertes et expérimentées prochainement, en vertu d'une disposition issue de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2021. Ce texte réaffirme le principe de lutte contre le non-recours, pour toutes les caisses de sécurité sociale au-delà de leur mission traditionnelle de versement des prestations. Par ailleurs, le texte donne la possibilité, aux CAF notamment, d'exploiter des données d'autres organismes pour faire du data mining et cibler des situations de non-recours. Cette logique de data mining existe déjà au sein des CAF, mais seulement à partir des données qu'elles connaissent. L'objectif est désormais, dans le respect des dispositions du Règlement général sur la protection des données (RGPD), d'enrichir les données disponibles pour cibler les personnes non allocataires des CAF mais qui pourraient avoir droit à certaines prestations.
Le non-recours est bien documenté, en particulier par l'Odenore, adossé à l'université de Grenoble, qui a déjà été évoqué. Dans la mesure où un grand nombre de travaux ont déjà été menés pour expliquer le non-recours à l'ex-CMU-C ainsi que les grandes raisons d'un tel non-recours. Ces raisons tiennent notamment à l'absence de connaissance des dispositifs, à la priorisation d'autres besoins pour des raisons financières, et parfois au rejet des institutions. En outre, les travaux sont disponibles par dispositif. Par exemple sur l'aide médicale d'État (AME), un taux de 50 % de non-recours est constaté auprès des personnes potentiellement éligibles. Sur la CSS, les données ne sont pas encore parues, mais l'ex-CMU-C et l'ex-Aide à l'acquisition d'une complémentaire santé faisaient l'objet d'un non-recours important. Par conséquent, il est vraisemblable que la réforme de la CSS, en simplifiant les démarches, ait un effet sur le non-recours. Nous devrons ultérieurement mesurer ces éléments.
Le dernier axe que j'évoquerai brièvement est celui de la réforme du 100 % santé, qui part de constats préoccupants en termes de renoncement aux soins. Sur les trois secteurs concernés par la réforme, un taux de 17 % de renoncement aux soins dentaires (et de 20 % de foyers les plus modestes) était observé, de même qu'un taux de 10 % pour l'optique (17 % pour les 20 % de foyers les plus modestes) et un taux de non-équipement de deux tiers pour les audioprothèses, ce qui est très élevé. Depuis le 1er janvier 2020, le 100 % santé garantit de manière effective un reste à charge zéro sur des paniers de soins de qualité dans les trois secteurs précités, avec deux nouveautés au 1er janvier 2021. Désormais, le reste à charge zéro est obtenu sur les audioprothèses avec une complémentaire santé responsable, ce qui constituait la dernière étape de l'abaissement du prix limite de vente de ces équipements. De plus, le panier de soins dentaires s'est encore élargi au 1er janvier 2021, avec les prothèses amovibles.
S'il paraît encore prématuré de dresser un bilan de la montée en charge de la réforme du 100 % santé - d'autant que l'année 2020 a été perturbée - on constate déjà des taux d'équipements très élevés dans le secteur dentaire puisque 52 % des équipements dentaires en 2020 relevaient de l'offre 100 % santé. En matière d'audiologie et d'optique, les taux étaient supérieurs à 10 %, sachant que dans le secteur de l'audiologie, un effet d'attente s'est certainement produit à la fin 2020, jusqu'à la mise en place du vrai reste à charge zéro sur les audioprothèses.
Tels sont les éléments d'étape sur le 100 % santé, qui seront suivis avec une grande attention en 2021.