Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, face à la crise économique qui s’approfondit et dont les caractères sont chaque jour de plus en plus marqués, que faut-il faire ? À notre sens, c’est en répondant à cette question, simple et complexe à la fois, que le présent collectif budgétaire aurait dû être conçu.
Comme cela a été rappelé lors de la discussion générale, ce projet de loi est pratiquement un texte de circonstance, une forme d’exercice obligé. Il est en effet « coincé » entre le collectif d’octobre, qui comprenait le dispositif à 360 milliards d’euros de sauvetage de la rentabilité de nos établissements bancaires, et le collectif de janvier, qui comportera, nous dit-on, une part importante du « plan de relance » annoncé par le Président de la République.
Nous serions donc en face d’une simple décision modificative, soldant les comptes de l’exercice 2008 tels que la situation économique les a modifiés au regard de ce qui était prévu. Mais alors, pourquoi ce texte quasi ordinaire, appartenant au rituel parlementaire de fin d’année civile, est-il passé de 64 articles initialement à 117 ?
Que contient donc ce projet de loi de finances rectificative qui montre que l’ordre des priorités en période de crise ne doit pas être le même pour tout le monde ?
On pourrait commencer par l’article 7, qui nous ramène au débat de la loi TEPA puisqu’il enregistre l’échec relatif du recours aux heures supplémentaires défiscalisées que l’article 1er de cette loi visait à encourager.
Donc, il y aurait 1 milliard d’euros de ressources disponibles, au seul motif que le nombre d’heures supplémentaires déclarées par les entreprises serait inférieur aux prévisions d’au moins 20 % !
Il est vrai que, ces temps-ci, on parle plutôt de chômage partiel que d’heures supplémentaires dans les grandes entreprises. En tout cas, il est sûr que les effets de la loi TEPA sont réduits d’autant pour ce qui concerne les salariés. Pourtant, que ne nous avait-on pas dit sur la réhabilitation du travail et sur la nécessité d’accroître la durée de travail des salariés de ce pays !
La vérité, comme nous l’avons vu dans le collectif de 2007 et depuis, c’est que les seules dispositions de la loi TEPA qui ont trouvé pleinement à s’appliquer sont celles qui sont relatives à la réforme des donations et celles qui permettent aux contribuables de l’ISF de payer moins d’impôt !
Dans ce climat général, vous reconnaissez avec l’article 7 que c’est non pas le travail qui a le plus bénéficié de la loi TEPA, mais bien plutôt la rente et le capital.
Comme la discussion à l’Assemblée nationale l’a montré, le Gouvernement a modifié le contenu du projet de loi en y intégrant quelques-unes des dispositions du plan de relance, en tout cas celles qui présentent a priori un caractère fiscal assez marqué.
En particulier, l’article 18 quater, quivise à mettre en œuvre une forme de « super Robien », conduit à l’ouverture d’une réduction d’impôt sur le revenu de 75 000 euros à répartir sur neuf ans, avec 15 000 euros la première année et 7 500 euros les huit suivantes. À qui s’adresse donc ce dispositif, dont le coût estimé pour 2009 se situerait aux alentours de 675 millions d’euros, c’est-à-dire juste 70 millions de plus que ce que le budget de la mission « Ville et logement » va consacrer à la construction de logements locatifs sociaux ?
Rien n’assure que les locataires des logements construits sous ce régime seront nécessairement les personnes les plus en difficulté en matière de logement. Il semble bien, en effet, que ce sont les mêmes locataires que ceux qui sont logés dans les logements « Robien » qui sont visés.
En clair, alors que le « Robien » comme le « Borloo », sont d’ores et déjà saturés, on met en place un dispositif de même nature et d’un coût particulièrement élevé pour les finances publiques.
Ce ne sont donc pas les sans-abri qui seront logés dans ces logements !
En revanche, il est évident que le produit fiscal ainsi proposé s’adresse de manière prioritaire aux ménages les plus aisés, pour certains touchés par les pertes boursières enregistrées récemment.
Qui, en effet, paie 15 000 euros d’impôt sur le revenu ? Tout simplement des contribuables déclarant un revenu imposable proche de 67 650 euros annuels, c’est-à-dire de plus de 6 200 euros mensuels de revenu net. Nous nous sommes reportés aux statistiques de la Direction générale des finances publiques : cette situation de revenus concerne environ 2 % des contribuables de l’impôt sur le revenu.
Par conséquent, ce n’est pas une solution au problème du logement qui se détermine avec cet élément du « plan de relance » ; c’est une solution immédiate au problème du rendement de l’épargne des ménages les plus favorisés que l’on conçoit ainsi.
De fait, le dispositif mis en place à l’article 18 quater vise, ni plus ni moins, qu’à continuer de développer l’optimisation fiscale en lieu et place du soutien direct à l’activité économique, d’autant que, comme le souligne le rapport général, nombreux seront les spécialistes du placement à conseiller utilement les « épargnants » dans l’utilisation de leurs disponibilités.
On va donc donner un coup de pouce supplémentaire aux spécialistes de la dépense fiscale, aux experts en montages financiers et immobiliers à fort rendement, et la mesure aura d’autant plus de portée et de pertinence que le contribuable « investisseur » pourra engager jusqu’au plafond de 300 000 euros.
Quant aux petits épargnants, ils pourront toujours trouver leur bonheur dans la souscription de parts de sociétés civiles de placement immobilier.
Malgré les précautions énoncées dans le rapport général, les vendeurs de logements sur plan ont donc encore de beaux jours devant eux !
Comme si ce très gros coup de pouce à l’investissement immobilier ne suffisait pas, on ajoute une mesure pour les donations et les successions, en l’occurrence sur les transmissions de parts de groupement foncier agricole ou de baux ruraux. Encore une disposition qui n’a été aucunement expertisée, dont le coût n’est pas chiffré et qui ne s’applique qu’à un nombre réduit de contribuables.
De la même manière, l’une des mesures fortes du collectif est la nouvelle mise en cause de la taxe professionnelle par l’instauration d’un dispositif d’exonération des nouveaux investissements. Voici encore un dispositif qui va priver les collectivités locales de ressources fiscales importantes, sans qu’il soit clairement établi que des mesures analogues aient eu le moindre impact sur la situation économique.
Le plafonnement à la valeur ajoutée de la taxe professionnelle ne semble pas, par exemple, empêcher l’annonce de plans sociaux massifs, non plus que la réduction de l’utilisation des capacités de production que l’on observe ces temps derniers.
L’outil de la dépense fiscale, ici encore sollicité, n’est pas un bon outil pour la relance de l’activité économique.
Le coût théorique de la mesure prévue par l’article 18 se situerait aux alentours de 1 200 millions d’euros en année pleine. Une telle somme est de peu de portée au regard du produit intérieur brut marchand et donc sur la situation réelle des entreprises, mais elle est d’un poids important pour les finances publiques puisqu’elle majore de plus de deux points le déficit de l’État. Et pour quel résultat ?
On peut d’autant plus légitimement s’interroger qu’aucune disposition ne nous prémunit contre des investissements qui consisteraient à substituer du capital matériel à des emplois.
Ce dispositif est un moyen de plus de « miner » le débat sur la taxe professionnelle et il pourrait aussi se révéler être un outil de financement des suppressions d’emploi et de cette exténuante recherche de la rentabilité du capital que mènent les grands groupes capitalistes.
Alléger aujourd’hui la taxe professionnelle, c’est conduire encore et toujours les comptes publics dans l’ornière des mesures fiscales coûteuses et inefficaces.
Bien entendu, puisqu’il s’agit d’un collectif budgétaire, le projet de loi comporte également des mesures sur l’affectation des crédits publics et intègre donc de nombreuses annulations des montants votés lors de la loi de finances initiale. C’est ainsi que plusieurs dizaines de millions d’euros sont encore distraits des crédits de la mission « Ville et logement », avec une chute de 130 millions d’euros des crédits pour le programme « Rénovation urbaine » et de 170 millions d’euros pour le programme « Développement et amélioration de l’offre de logement ».
De même, pendant que les suicides se font de plus en plus fréquents dans nos établissements pénitentiaires, plus de 65 millions d’euros de crédits du ministère de la justice sont supprimés au titre de l’annulation de la réserve de précaution, réserve de précaution qui, de manière générale, est d’ailleurs complètement annulée au sein des différentes missions budgétaires. De fait, quand nous votons une loi de finances, nous votons de manière systématique la mise en réserve de crédits qui, dans tous les cas, ne seront pas ordonnancés.
Je ne reviendrai pas sur le contenu des ouvertures de crédits, faisant en général bonne place aux insuffisances manifestes de crédits de paiement en loi de finances initiale.
Pour conclure, au sein des mesures contenues dans ce collectif, fort éloigné des besoins de la population de notre pays, j’évoquerai le système mis en place pour Dexia.
Conformément aux dispositions du collectif budgétaire d’octobre, que notre groupe a eu raison de rejeter, la garantie de l’État est appelée à jouer sur une partie des engagements de la banque franco-belge, confrontée à des difficultés importantes.
Tout laisse à penser que cette garantie aura probablement un coût particulièrement élevé. Il est en effet question d’un engagement proche de 4, 7 milliards d’euros si Dexia enregistre une perte significative sur les actifs qu’elle sera amenée à céder dans le cadre de son plan de redressement.
Une telle mesure montre avec éclat ce que signifie le plan de sauvetage du secteur financier qu’on nous a fait voter à la hâte en début de session parlementaire.
L’État n’aurait pas 300 millions d’euros à affecter au logement social, mais il aurait seize fois plus de ressources à consacrer à la préservation d’une banque dont la privatisation a manifestement constitué un échec coûteux pour les finances publiques.
Il est de plus à craindre que Dexia ne cherche à se refaire une santé sur le dos des collectivités locales, en majorant de manière sensible sa marge financière, tirant en cela parti de la réduction du taux directeur de la BCE.
Dans tous les cas, ce sont les Françaises et les Français, contribuables locaux ou nationaux, qui seront victimes de ces procédures.
Pour l’ensemble de ces motifs, nous ne pouvons évidemment que vous proposer l’adoption de cette motion tendant à opposer la question préalable à l’examen du projet de loi de finances rectificative pour 2008.