Je veux tout d'abord vous remercier, madame la présidente pour la qualité de nos travaux.
Le point de départ de notre réflexion était les mineurs enfermés et leur réinsertion ; nous avons finalement abouti à un panorama plus vaste sur la justice des mineurs et ses conséquences. Je revendique trois points dans ce travail : conviction, humilité et pragmatisme.
Ma conviction est celle de l'importance de la jeunesse en général, y compris de la jeunesse difficile. Nous avons travaillé avec humilité, car nous n'avons pas la prétention d'apporter des solutions miracles - nous avons d'ailleurs observé lors de nos comparaisons internationales que tout le monde se heurte aux mêmes difficultés. Enfin, nous avons tâché de rester pragmatiques et de formuler des préconisations rappelant les fondamentaux qui président à la justice des mineurs.
Nous avons fait deux constats. Tout d'abord, un enfant n'est pas un adulte miniature, c'est un être humain en devenir. C'est ce principe qui préside à l'ordonnance du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante, et c'est un principe que les médecins connaissent bien, notamment pour ce qui a trait à la dimension psychologique de l'enfant. Ensuite, si un enfant en danger peut être dangereux, un enfant dangereux est presque toujours en danger - c'est ce qui justifie les relations institutionnelles entre l'aide sociale à l'enfance (ASE) et la PJJ.
La clef de voûte de la justice des mineurs est cette fameuse ordonnance de février 1945 ; ce texte, qui consacre la primauté de l'éducatif par rapport au répressif, a conduit à la création de la PJJ et des juridictions spécialisées, dont le maître d'ouvrage est le juge pour enfants, ainsi qu'à la prise en charge de l'enfant dans sa globalité et sur le temps long. Enfin, il prévoit des peines réduites par rapport à celles qui s'appliquent aux majeurs ; c'est ce que l'on a appelé « l'excuse de minorité », même si cette expression me déplaît - la minorité n'est pas une excuse pour commettre des actes de délinquance, il s'agit plutôt de rappeler cette notion d'être humain en devenir.
Cette mission a procédé à des auditions des professionnels qui participent à la prise en charge des mineurs délinquants - administration pénitentiaire, éducation nationale, PJJ, médecins - et d'universitaires, et elle a fait des visites dans des lieux d'hébergement ou d'enfermement des mineurs - CEF, établissements pénitentiaires pour mineurs et quartiers pour mineurs.
Nos constats peuvent être résumés en six points.
En premier lieu, nous soulignons la primauté de la prévention et de l'éducation, dans le cadre d'un retour aux fondamentaux de l'ordonnance de 1945, retouchée une quarantaine de fois.
En second lieu, nous rappelons le caractère exceptionnel de l'incarcération. La prison est un milieu criminogène ; des enfants un peu en marge peuvent y devenir de véritables délinquants.
En troisième lieu, nous soulignons la nécessité du fil rouge, dans le parcours délinquantiel, que constitue le suivi assuré par l'éducateur en milieu ouvert. Il faut toujours qu'un mineur, même s'il est enfermé pendant un moment, soit suivi par un éducateur en amont pendant l'enfermement puis en aval - pour éviter les sorties « sèches ».
En quatrième lieu, nous avons souhaité faire une analyse spécifique sur les CEF, issus de la loi du 9 septembre 2002, dite « Perben I ». Ces centres ont été très critiqués par les éducateurs de la PJJ, qui estimaient que c'était une remise en cause de la primauté de l'éducatif sur le répressif. Le projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme de la justice, que la garde des sceaux présentera prochainement, prévoit de créer vingt CEF et de développer en parallèle toute la palette des solutions, du milieu ouvert à l'incarcération.
Ces CEF peuvent accueillir les adolescents pendant une période pouvant aller jusqu'à six mois renouvelables une fois ; mais en moyenne, les jeunes y restent seulement quatre mois. Le coût de la journée, qui s'élève à environ 700 euros, est élevé en raison de l'importance du dispositif de prise en charge, mais on peut se demander s'il est possible de mener un travail éducatif de fond en seulement quatre mois.
Nous avons aussi visité des établissements pénitentiaires et des quartiers pour mineurs. On y a observé que 70 % des mineurs incarcérés sont en détention provisoire ; ils ne sont donc pas encore jugés.
En cinquième lieu, nous avons aussi souhaité étudier le cas des jeunes majeurs. En effet, la majorité est fixée à dix-huit ans mais on sait que, du point de vue du développement cérébral, jusqu'à l'âge de vingt et un ans, les jeunes doivent faire l'objet d'une attention particulière. Ainsi, comme pour les mineurs, il faut à tout prix éviter les sorties « sèches » pour les jeunes majeurs.
Enfin, en sixième lieu, on peut trouver dommage que les missions de la PJJ aient été recentrées strictement sur la dimension pénale, car cela nuit à la qualité du suivi. On sait que, en pratique, il y a des allers et retours entre l'ASE et la PJJ. Les enfants suivis par l'ASE passent souvent la ligne jaune, ils sont alors suivis par la PJJ puis sont repris en charge par l'ASE. D'ailleurs, il peut arriver que ces allers et retours relèvent d'une stratégie visant à se débarrasser du problème, parce qu'on ne sait pas trop que faire de certains enfants.
Pour finir, je veux faire deux remarques. Tout d'abord, l'adolescence est la période de quête du sens de la vie. L'adolescent ne croit plus aux parents, ne croit plus en Dieu ni au progrès ; en outre, il est en recherche de bien-être et vit un conflit entre le désir d'une chose et de son contraire. Par ailleurs, l'adolescence pose aussi la question de la confiance en l'autre, dont la perte entraîne un repli sur soi, et celle de l'estime de soi. Dans ce cadre, le rôle de l'éducateur est de stimuler le potentiel de l'enfant, en évitant deux poisons : l'humiliation et la violence.
Ensuite, je veux rappeler le point de départ philosophique de la mission d'information : les recherches de Michel Foucault et Gilles Deleuze et les notions de biopouvoir et de société de contrôle. La probation et le contrôle judiciaire ne doivent pas remplacer les mesures éducatives.
Bref, entre l'angélisme et le tout sécuritaire, ce rapport préconise une voie médiane.