Nous débattons aujourd'hui des conclusions de la mission d'information sur la réinsertion des mineurs enfermés.
Notre mission a commencé ses auditions en avril dernier ; elle a réalisé vingt-cinq auditions, nous permettant de rencontrer cinquante-six interlocuteurs. Nous avons entendu des chercheurs - sociologues, historiens -, qui nous ont aidés à mettre en perspective notre sujet d'étude, des représentants des administrations concernées - la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) et l'administration pénitentiaire notamment -, pour bénéficier d'un éclairage plus institutionnel, ainsi que les organisations syndicales représentatives de ces administrations. Nous avons également reçu la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté, la présidente de la Commission nationale consultative des droits de l'homme et la Défenseure des enfants, afin qu'elles nous fassent partager leur expertise, et, enfin, de grands témoins - notamment MM. Jean-Marie Delarue et Pierre Joxe.
Nous avons par ailleurs visité les différents lieux d'enfermement des mineurs : les établissements pénitentiaires pour mineurs de Marseille et de Meyzieu, le quartier pour mineurs de la maison d'arrêt de Villepinte, le centre éducatif fermé (CEF) de Savigny-sur-Orge et l'hôpital psychiatrique Le Vinatier, dans l'agglomération lyonnaise. Enfin, le 6 septembre dernier, une délégation s'est rendue à l'École nationale de la protection judiciaire de la jeunesse, à Roubaix, afin de mieux comprendre comment sont formées les futures générations d'éducateurs.
Le 18 juillet dernier, notre rapporteur, Michel Amiel, vous a fait part de ses grandes orientations et le projet de rapport vous a été transmis jeudi dernier.
Notre rapporteur va nous présenter ses conclusions et ses préconisations. Ensuite, vous aurez la parole, mes chers collègues, pour proposer des modifications. À l'issue de nos échanges, je vous demanderai si vous approuvez l'adoption du rapport.
Je veux tout d'abord vous remercier, madame la présidente pour la qualité de nos travaux.
Le point de départ de notre réflexion était les mineurs enfermés et leur réinsertion ; nous avons finalement abouti à un panorama plus vaste sur la justice des mineurs et ses conséquences. Je revendique trois points dans ce travail : conviction, humilité et pragmatisme.
Ma conviction est celle de l'importance de la jeunesse en général, y compris de la jeunesse difficile. Nous avons travaillé avec humilité, car nous n'avons pas la prétention d'apporter des solutions miracles - nous avons d'ailleurs observé lors de nos comparaisons internationales que tout le monde se heurte aux mêmes difficultés. Enfin, nous avons tâché de rester pragmatiques et de formuler des préconisations rappelant les fondamentaux qui président à la justice des mineurs.
Nous avons fait deux constats. Tout d'abord, un enfant n'est pas un adulte miniature, c'est un être humain en devenir. C'est ce principe qui préside à l'ordonnance du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante, et c'est un principe que les médecins connaissent bien, notamment pour ce qui a trait à la dimension psychologique de l'enfant. Ensuite, si un enfant en danger peut être dangereux, un enfant dangereux est presque toujours en danger - c'est ce qui justifie les relations institutionnelles entre l'aide sociale à l'enfance (ASE) et la PJJ.
La clef de voûte de la justice des mineurs est cette fameuse ordonnance de février 1945 ; ce texte, qui consacre la primauté de l'éducatif par rapport au répressif, a conduit à la création de la PJJ et des juridictions spécialisées, dont le maître d'ouvrage est le juge pour enfants, ainsi qu'à la prise en charge de l'enfant dans sa globalité et sur le temps long. Enfin, il prévoit des peines réduites par rapport à celles qui s'appliquent aux majeurs ; c'est ce que l'on a appelé « l'excuse de minorité », même si cette expression me déplaît - la minorité n'est pas une excuse pour commettre des actes de délinquance, il s'agit plutôt de rappeler cette notion d'être humain en devenir.
Cette mission a procédé à des auditions des professionnels qui participent à la prise en charge des mineurs délinquants - administration pénitentiaire, éducation nationale, PJJ, médecins - et d'universitaires, et elle a fait des visites dans des lieux d'hébergement ou d'enfermement des mineurs - CEF, établissements pénitentiaires pour mineurs et quartiers pour mineurs.
Nos constats peuvent être résumés en six points.
En premier lieu, nous soulignons la primauté de la prévention et de l'éducation, dans le cadre d'un retour aux fondamentaux de l'ordonnance de 1945, retouchée une quarantaine de fois.
En second lieu, nous rappelons le caractère exceptionnel de l'incarcération. La prison est un milieu criminogène ; des enfants un peu en marge peuvent y devenir de véritables délinquants.
En troisième lieu, nous soulignons la nécessité du fil rouge, dans le parcours délinquantiel, que constitue le suivi assuré par l'éducateur en milieu ouvert. Il faut toujours qu'un mineur, même s'il est enfermé pendant un moment, soit suivi par un éducateur en amont pendant l'enfermement puis en aval - pour éviter les sorties « sèches ».
En quatrième lieu, nous avons souhaité faire une analyse spécifique sur les CEF, issus de la loi du 9 septembre 2002, dite « Perben I ». Ces centres ont été très critiqués par les éducateurs de la PJJ, qui estimaient que c'était une remise en cause de la primauté de l'éducatif sur le répressif. Le projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme de la justice, que la garde des sceaux présentera prochainement, prévoit de créer vingt CEF et de développer en parallèle toute la palette des solutions, du milieu ouvert à l'incarcération.
Ces CEF peuvent accueillir les adolescents pendant une période pouvant aller jusqu'à six mois renouvelables une fois ; mais en moyenne, les jeunes y restent seulement quatre mois. Le coût de la journée, qui s'élève à environ 700 euros, est élevé en raison de l'importance du dispositif de prise en charge, mais on peut se demander s'il est possible de mener un travail éducatif de fond en seulement quatre mois.
Nous avons aussi visité des établissements pénitentiaires et des quartiers pour mineurs. On y a observé que 70 % des mineurs incarcérés sont en détention provisoire ; ils ne sont donc pas encore jugés.
En cinquième lieu, nous avons aussi souhaité étudier le cas des jeunes majeurs. En effet, la majorité est fixée à dix-huit ans mais on sait que, du point de vue du développement cérébral, jusqu'à l'âge de vingt et un ans, les jeunes doivent faire l'objet d'une attention particulière. Ainsi, comme pour les mineurs, il faut à tout prix éviter les sorties « sèches » pour les jeunes majeurs.
Enfin, en sixième lieu, on peut trouver dommage que les missions de la PJJ aient été recentrées strictement sur la dimension pénale, car cela nuit à la qualité du suivi. On sait que, en pratique, il y a des allers et retours entre l'ASE et la PJJ. Les enfants suivis par l'ASE passent souvent la ligne jaune, ils sont alors suivis par la PJJ puis sont repris en charge par l'ASE. D'ailleurs, il peut arriver que ces allers et retours relèvent d'une stratégie visant à se débarrasser du problème, parce qu'on ne sait pas trop que faire de certains enfants.
Pour finir, je veux faire deux remarques. Tout d'abord, l'adolescence est la période de quête du sens de la vie. L'adolescent ne croit plus aux parents, ne croit plus en Dieu ni au progrès ; en outre, il est en recherche de bien-être et vit un conflit entre le désir d'une chose et de son contraire. Par ailleurs, l'adolescence pose aussi la question de la confiance en l'autre, dont la perte entraîne un repli sur soi, et celle de l'estime de soi. Dans ce cadre, le rôle de l'éducateur est de stimuler le potentiel de l'enfant, en évitant deux poisons : l'humiliation et la violence.
Ensuite, je veux rappeler le point de départ philosophique de la mission d'information : les recherches de Michel Foucault et Gilles Deleuze et les notions de biopouvoir et de société de contrôle. La probation et le contrôle judiciaire ne doivent pas remplacer les mesures éducatives.
Bref, entre l'angélisme et le tout sécuritaire, ce rapport préconise une voie médiane.
Avant de vous passer la parole, mes chers collègues, je veux vous rappeler les propos tenus devant notre mission par Mme Anne Berard, adjointe au directeur de l'administration pénitentiaire qui avait déclaré que : « les mineurs [enfermés] sont des poly-fracturés de la vie. »
Je suis très satisfait du travail que nous avons fait. Nous avions des niveaux très différents de connaissance sur ce sujet, et la discussion nous a enrichis. On a bien pris la température des acteurs de ce milieu. J'ai apprécié, pour ma part, les contacts que nous avons eus à l'hôpital psychiatrique Le Vinatier. Les médecins demandent à être considérés comme des médecins et non comme ceux qui doivent régler les problèmes de la société ; on ne peut pas continuer d'interner des personnes en hôpital psychiatrique sous prétexte qu'on ne sait pas où les mettre.
On a aussi mis en évidence le problème des mentalités vis-à-vis de la justice pénale. Ce qui compte, c'est l'efficacité de la sanction pénale et non l'assouvissement d'un besoin de vengeance. C'est aux potentielles victimes du délinquant qu'il faut penser pour le réinsérer.
Pour un mineur, qui a besoin de bouger, la peine d'enfermement est beaucoup plus difficile ; c'est pour cela que sa peine doit être courte.
En outre, il est difficile de faire de l'éducatif, il ne faut pas penser qu'un mineur enfermé pourra sortir avec un CAP. La peine est trop courte pour cela ; ce qui importe, c'est de le préparer à suivre une formation qui pourrait intervenir par la suite.
Les EPM et les CEF ont rencontré une même difficulté : on a mis dans un même lieu des professionnels qui ne savaient pas travailler ensemble. D'où l'importance de conserver une part de liberté dans les projets d'établissement.
Notre travail met en évidence l'ensemble des difficultés et nos propositions demeurent génériques, pour laisser aux professionnels, dont c'est le métier, le soin de les adapter. Notre rapport fournit une bonne photographie du mal dont souffre la société. Les solutions sont multiples ; plutôt que de couvrir notre pays d'établissements pénitentiaires, il vaut mieux travailler au plus tôt avec les enfants, pour leur éviter de dériver vers la délinquance. L'enfermement est nécessaire, mais ce n'est pas la seule solution.
La psychiatrie est une spécialité médicale particulière. On se situe parfois à la limite du normal et du pathologique, pour faire référence à l'ouvrage majeur de Georges Canguilhem. Il est parfois difficile pour les professionnels de faire la distinction entre la pathologie mentale - la psychose -, les « simples » troubles du comportement et la souffrance psychologique.
Nous faisons deux propositions au sujet de l'enfermement psychiatrique, les propositions n° 11 et 12 : réserver les soins psychiatriques au traitement des troubles mentaux avérés, et bâtir, à partir de dispositions éparses, un droit spécifique du patient mineur admis en soins psychiatriques.
Concernant le choc que peuvent ressentir des professions qui n'ont pas la même culture, nous faisons deux propositions, les propositions n° 2 et 5. La première consiste à développer une culture partagée entre les différents intervenants auprès des mineurs - PJJ, administration pénitentiaire, éducation nationale, personnel de santé -, ce qui suppose une volonté partagée au plus haut niveau et l'organisation de formations communes obligatoires ; il ne s'agit pas de mélanger les rôles mais de savoir ce que fait l'autre. La seconde, qui m'est chère mais qui ne recueille pas l'unanimité chez les professionnels, vise à profiler les postes d'éducateurs en CEF, à améliorer la formation spécifique à la prise de poste et à revaloriser leur régime indemnitaire. Beaucoup d'éducateurs de la PJJ ne veulent pas aller en CEF, et ceux qui y travaillent s'y retrouvent parfois par défaut. Un éducateur de la PJJ en milieu ouvert n'a pas du tout les mêmes contraintes ni le même métier qu'en CEF. Certains centres sont de véritables cocotte-minute. Le profilage des postes me paraît donc important.
Je suis tout à fait d'accord avec cette proposition. Le profilage est d'ailleurs utilisé par l'éducation nationale pour les enseignants qui interviennent dans ces structures. Par parallélisme, il ne me paraît pas extraordinaire de faire de même pour les éducateurs ; cela ne fera que contribuer à la présence de personnes investies et expérimentées.
Il y a une contradiction à se poser la question de vingt CEF supplémentaires et à proposer que le CEF ne devienne pas la solution unique. J'aurais plutôt posé les choses dans l'autre sens : il faut privilégier les solutions en milieu ouvert. En outre, on a appris lors d'une audition que 65 % des mineurs incarcérés retournent en prison et que 60 % des mineurs suivis en milieu ouvert ne récidivent pas.
Enfin, je n'ai rien vu concernant les mineurs non accompagnés (MNA), alors qu'ils représentent, selon des personnes entendues, 50 % de l'effectif des mineurs incarcérés.
Nous avions exclu ce sujet en définissant le périmètre de la mission, car il est particulier.
C'est dommage de ne pas profiter de cette occasion pour indiquer que nos CEF doivent évoluer.
Enfin, je souhaite modifier la proposition page 175, qui vise à stabiliser le financement apporté par l'État aux missions locales en l'inscrivant dans une perspective pluriannuelle - c'est un voeu pieux. Je rajouterais, après « par l'État », la mention « pour les conseillers référents justice », afin que le Gouvernement prenne conscience que les missions locales doivent conserver, au titre des référents justice, un soutien financier.
Le milieu ouvert est transversal à tout le parcours délinquantiel et joue donc un rôle central dans les solutions à privilégier.
Les statistiques que vous avez rappelées sont exactes mais elles présentent un important biais de sélection : ceux qui sont incarcérés sont ceux qui ont déjà commis les actes les plus graves. On se retrouve rarement en prison du jour au lendemain, quand on est mineur. Le CEF représente pour les mineurs un avertissement avant l'incarcération.
Je rappelle la classification, par Denis Salas, de la délinquance en trois catégories : la délinquance initiatique - la transgression -, la délinquance pathologique - la pathologie individuelle ou familiale -, qui est souvent grave, et la délinquance sociale - la misère sociale qui fait le lit de la délinquance. L'audition de Pierre Joxe nous a rappelé que, en milieu pénitentiaire, les patronymes sont souvent d'origine étrangère. Je connais bien les quartiers nord de Marseille, où la majorité de la population est d'origine maghrébine et où la misère sociale est la plus élevée.
En ce qui concerne les mineurs non accompagnés, il ne s'agit pas d'un oubli. Je rappelle à cet égard l'excellent travail d'Isabelle Debré et le rapport réalisé l'an dernier par nos collègues Jean-Pierre Godefroy et Elisabeth Doisneau.
Par ailleurs, on ne parle pas, dans la proposition n° 2, des conseils départementaux.
Les mineurs délinquants ne font pas partie des missions des départements.
Nous avions en tête, pour la rédaction de la proposition n° 2, les auditions avec les professionnels des CEF ou des EPM, au cours desquelles tous évoquaient un problème de différence de cultures professionnelles, ce qui m'a beaucoup gênée. La meilleure façon de se connaître, c'est de prévoir une formation commune obligatoire.
Je salue la qualité de ce travail, tant dans son résultat que dans sa méthode, qui a consisté à chercher des éléments de compréhension au plus près de ceux qui travaillent au quotidien dans ce secteur.
Rien ne me pose problème dans le rapport ; j'adhère à ses propositions. Cela dit, on ne dit pas assez que l'incarcération d'un mineur représente un dramatique échec de la protection de l'enfance, car les mineurs délinquants sont souvent issus de familles fragiles.
Par ailleurs, j'ai cherché des données sur le genre dans le rapport, mais je n'en ai pas trouvé.
Le rapport précise page 26 que 97 % des mineurs incarcérés sont des garçons.
Je maintiens l'expression de ma frustration : les 3 % de filles m'auraient intéressée.
Elles sont très peu nombreuses, il y a peu de statistiques sur les filles ; c'est un regret pour nous.
Je pense qu'il faut souligner cette absence.
Par ailleurs, pour rebondir sur ce que disait notre collègue M. Morisset sur la proposition n° 2, je suggère d'ajouter l'ASE parmi les partenaires censés élaborer une culture partagée, plutôt que les conseils départementaux.
L'ASE n'intervient pas systématiquement auprès des mineurs confrontés à la justice mais bon nombre d'entre eux y ont eu affaire ; elle doit donc participer à ce partage de cultures.
Enfin, si l'on pouvait faire quelque part référence à la loi de 2016 sur la protection de l'enfant et à la nécessité du décloisonnement, j'en serais personnellement très heureuse.
Les jeunes filles sont très minoritaires parmi les jeunes détenues. Je me suis rendu dans les deux QPM des Bouches-du-Rhône, à Luynes pour les garçons et aux Baumettes pour les filles. Il n'y avait que quatre jeunes filles incarcérées, dont l'une de 15 ans enceinte.
J'en viens à la question des bilans de santé. Je n'ai pas pu avoir la certitude qu'un jeune reçoit une évaluation de santé de qualité. Des expertises psychiatriques sont probablement menées, mais cette approche de la santé est parcellaire. Il faut un bilan de santé global, car nous avons la conviction empirique que beaucoup de mineurs délinquants ont été victimes de violences. Il faudrait donc recommander un bilan de santé global et approfondi.
Le bilan de santé est obligatoire en principe. Mais vous connaissez la misère des services médicaux en milieu pénitentiaire. Je ne peux donc pas vous assurer que le bilan qui est fait soit très approfondi. Un simple examen clinique ou un simple interrogatoire ne permet pas de dépister des sévices sexuels qu'un enfant aurait pu subir par exemple.
J'ai présenté les travaux de notre mission d'information lors d'une mission en Allemagne la semaine dernière. Nos voisins mettent des moyens importants sur l'évaluation de l'enfant qui est pris en charge. Il est vu par un psychologue et un psychiatre. S'il a des problèmes d'addiction ou de schizophrénie, par exemple, ils sont incarcérés dans des unités spéciales. L'évaluation est coûteuse et longue, mais la prise en charge est ensuite ciblée et individualisée.
Les moyens sont dérisoires - nous évoquons cette question dans le rapport. Il faut avoir une vision militante de la médecine pénitentiaire pour exercer ce métier.
Les procédures alternatives sont largement privilégiées par le parquet. Les mineurs sont essentiellement en détention provisoire, ce qui n'existe pas en Allemagne, où ils sont incarcérés pour une durée qui ne peut être inférieure à un an. La démarche est complétement différente.
Ils sont pris en charge en milieu non carcéral.
Dans notre pays, les juges pour enfants, qui constituent une particularité française importante, nous expliquent qu'ils ont besoin de disposer d'une évaluation complète. Néanmoins, celle-ci ne comprend pas de volet médical spécifique. L'évaluation est longue à réaliser et, en attendant, les jeunes sont placés en détention provisoire. Ces jeunes sont incapables de se projeter dans un projet de sortie car tant qu'ils n'ont pas fait l'objet d'une condamnation ferme, ils se disent qu'ils sortiront peut-être le lendemain. Les éducateurs ont alors du mal à les prendre en charge.
Je remercie aussi le rapporteur et la présidente de ce travail.
Sur votre proposition de développement des alternatives à l'emprisonnement, cela me semble souhaitable, même si l'enfermement est parfois nécessaire. Les peines alternatives ne sont souhaitables et envisageables qu'en parallèle d'un accompagnement des mineurs.
Sur la durée de l'enfermement, je soutiens la nécessité d'assurer la continuité de l'enseignement scolaire. Il ne faut pas que l'enfermement soit un temps mort, une période blanche, qui entretient une haine, un sentiment de déconstruction.
S'agissant de la culture partagée, il est banal de dire que notre pays souffre d'une approche en silos, avec ceux qui éduquent, ceux qui punissent, ceux qui font de la prévention... On nous impose de plus trop souvent une culture du silence, qui serait nécessaire pour protéger l'enfant.
Il faut, au contraire, une culture partagée, pour prendre en compte le mineur dans sa globalité. En tant qu'élus locaux, nous sommes souvent confrontés à des refus de transmission d'informations, au prétexte qu'elles seraient confidentielles.
Enfin, la prévention doit mobiliser toute la société. La pluridisciplinarité est nécessaire, car nous avons besoin des compétences de chacun des acteurs.
Le tribunal de grande instance de mon département d'Ille-et-Vilaine a récemment installé le conseil de juridiction, rendu obligatoire par la loi sur la justice du XXIe siècle. Ce conseil réunit le préfet, l'ensemble des acteurs judiciaires, la police, la gendarmerie, les associations de défense des victimes, l'éducation nationale, les collectivités locales et les parlementaires. Nous avons évoqué le sujet des enfants engagés dans un chemin judiciaire.
Les mesures alternatives sont de deux types : les mesures probatoires, qui sont en quelque sorte une extension des mesures répressives, et les mesures éducatives. Il faut privilégier les secondes. Les mesures de contrôle judiciaire, qui se situent entre l'éducatif et l'incarcération, ont considérablement crû ces dernières années.
La délinquance des mineurs n'a pas augmenté, mais sa prise en charge a changé. La réponse judiciaire - de la simple admonestation jusqu'aux mesures les plus sévères - est très importante pour les mineurs, bien davantage que pour les adultes.
Nous sommes partis de l'idée qu'il fallait remettre les enfants sur le chemin de l'école. On parle de décrocheurs scolaires, mais encore eut-il fallu qu'ils s'accrochent à un moment ou à un autre ! On estime que ce décrochage survient au collège, en 4e ou en 3e, alors que certains d'entre eux ont décroché depuis l'école primaire.
Je rappelle que 63 % des mesures demandées par les parquets sont des mesures alternatives aux poursuites. De nombreux jeunes ont du mal à respecter un contrôle judiciaire et finissent en détention provisoire.
Selon leurs enseignants, ces jeunes mineurs de 16 ans ont souvent un niveau scolaire équivalent au CM2 : ils peuvent être attentifs seulement une heure ou deux. C'est la raison pour laquelle il est très important de bien profiler les enseignants.
Je félicite également M. Amiel, dont on sent bien à la lecture du rapport qu'il est médecin !
Je partage les remarques qui ont été faites sur la nécessité d'offrir des réponses diversifiées et approuve l'idée d'ajouter l'ASE à la proposition n° 2, d'autant que la présidente de la Convention nationale des associations de protection de l'enfance (Cnape) nous avait confirmé l'importance de mener un travail de coopération entre les différentes instances.
La proposition n° 1 ne me semble pas correspondre à la tonalité du rapport : elle est trop timorée.
Soit on ne met pas cette proposition en premier, soit on revoit sa formulation.
Je vous invite à aller voir le film Shéhérazade. Tourné à Marseille, il traite de cette jeunesse « en rupture », « polydéchirée ». C'est une véritable leçon de choses !
La proposition n° 1 pourrait ne pas être mise en exergue. C'est un point qui me sépare de la présidente : on ne fermera pas les QPM pour les remplacer par des EPM. Cette solution serait certes préférable, mais je n'en ferai pas un casus belli.
Je vous félicite pour ce travail réalisé avec humilité et pragmatisme. Le rapport constate qu'il est nécessaire de donner la primauté à l'éducation et à la prévention, et de faire de la prison l'exception.
Dans le CEF de ma commune, 50 % des jeunes ont le projet de faire une formation. J'ai remarqué, en tant que médecin, qu'aucun d'entre eux ne faisait de sport en arrivant dans le centre. Les associations ont un rôle important à jouer en matière d'intégration. Un bilan médical sommaire et psychiatrique est fait à l'entrée du CEF. Malheureusement, nous n'avons pas toujours de psychiatre disponible pour les jeunes dont le comportement pose gravement problème.
Les propositions n° 3 et 5 me paraissent très satisfaisantes.
S'agissant de la proposition n° 6, il est important d'accompagner les jeunes à l'issue d'une période d'emprisonnement pour éviter qu'ils n'abandonnent leurs éventuels projets de sortie.
Il n'est pas satisfaisant de constater que de nombreux départements se désengagent de la question de la réinsertion des jeunes quand le mineur atteint 18 ans.
Il existe les contrats jeunes majeurs, mais tous les départements ne les ont pas mis en place, pour des raisons financières.
J'adhère aux propositions qui sont faites dans le rapport qui, toutefois, n'évoque pas suffisamment l'environnement social, familial et culturel de ces jeunes. Nous sommes tous d'accord pour dire que ce sont des victimes. Un partenariat avec l'ASE, avec les assistants sociaux de l'éducation nationale, avec la protection maternelle et infantile (PMI) permettrait peut-être de mieux détecter ces enfants, pour les accompagner plus en amont.
Il faut souligner la défaillance de l'éducation nationale dans les lieux de privation de liberté des mineurs, CEF ou QPM.
La sociologie de la délinquance montre que la défaillance sociale, affective et familiale fait le lit de la délinquance. Ce point est cependant en dehors du champ de notre rapport.
Auparavant, les infirmières scolaires assuraient un meilleur suivi des enfants à l'école primaire ; les assistantes sociales, qui étaient plus nombreuses, prenaient le relais. Le signalement pose aujourd'hui problème.
On pourrait peut-être s'inspirer de la plateforme qui a été mise en place pour permettre aux enseignants de signaler les jeunes qui risquent de se radicaliser.
L'histoire de la prévention de la délinquance juvénile montre que, depuis le XIXe siècle, on a essayé de profiler le délinquant, y compris de façon morphotypique. Il faut veiller à ce que la prévention ne tourne pas à un dépistage reposant sur des critères discutables, car il y a un risque de stigmatisation. Nous ne devons pas pointer des enfants vivant dans des milieux socialement défavorisés comme des graines de délinquants...
Je ne veux pas que l'on fiche les enfants, mais que l'on accompagne les familles.
Je vous renvoie au livre Sociologie de la délinquance de Laurent Mucchielli.
Ce qui a disparu aujourd'hui, c'est le contrôle social. Le personnage de Lebrac dans La guerre des boutons serait aujourd'hui en prison ! À l'époque, il se prenait une raclée et à l'école et à la maison... Je ne fais pas l'apologie du châtiment corporel, mais le contrôle social évitait à ces jeunes de se retrouver devant la justice. Aujourd'hui, le contrôle est institutionnel, ce qui a déplacé les radars de la délinquance vers des champs différents.
Je félicite également le rapporteur et la présidente, qui ont mené des auditions au plus près du terrain.
J'adhère totalement aux propositions de ce rapport. Sur la proposition n° 5, il me paraît important d'avoir un projet pédagogique construit, et de ne pas se contenter d'offrir une mosaïque d'activités déconnectées les unes des autres qui ne peuvent structurer un adolescent. Le profilage des personnels intervenant en CEF, éducateurs et enseignants, est important.
Normalement, les CEF doivent avoir un projet d'établissement. La pratique est parfois tout autre...
Je suis partisan de fermer les QPM. Pour des raisons psychologiques, un mineur ne doit jamais être traité comme un majeur.
Un établissement pénitentiaire est très perméable : la nuit, les détenus circulent, on pratique du commerce... Les surveillants laissent passer pour éviter des problèmes plus importants.
Placer certains mineurs déjà engagés dans la délinquance dans un établissement pour adultes constitue, pour eux, une avancée professionnelle ! Des jeunes sont aussi « recrutés » en prison par des adultes.
La proposition n° 1 est une proposition de compromis. On pourrait ajouter qu'il est nécessaire de séparer le monde des adultes et celui des mineurs.
Ce n'est pas possible ! Nous n'avons pas le choix : il faut construire des établissements pour mineurs, même si cela coûte cher, pour éviter la perméabilité avec les adultes.
Je ne veux pas jeter un pavé dans la mare, mais en Allemagne les établissements pénitentiaires comprennent 180 détenus, dont la moitié d'adultes et la moitié de jeunes. Pourtant, ils ont de très bons résultats !
Les CEF ne sont pas fermés : la drogue y entre, même en milieu rural. Nous n'avons aujourd'hui plus le droit de faire doser les urines pour vérifier si un jeune consomme de la drogue.
J'ai été frappée d'entendre Pierre Joxe dire, lors de son audition, qu'il s'occupait de la défense des mineurs parce que personne ne voulait le faire.
Les auditions que nous avons menées, sur la question des violences sexuelles ou sur celle des mineurs en psychiatrie, nous ont permis de nous rendre compte qu'il fallait changer les mentalités. De nombreux professionnels considèrent que les questions relatives aux mineurs sont mineures. Or s'occuper des mineurs, c'est majeur !
Le titre du rapport serait : « Une adolescence entre les murs : l'enfermement dans les limites de l'éducatif, du thérapeutique et du répressif ».
Je mets le rapport aux voix.
Le rapport est adopté.
La réunion est close à 16 h 30.