Intervention de Paolo Gentiloni

Commission des affaires européennes — Réunion du 27 avril 2020 à 14h00
Économie finances et fiscalité — Audition de M. Paolo Gentiloni commissaire européen à l'économie par téléconférence

Paolo Gentiloni, Commissaire européen à l'économie :

Je vous remercie pour votre invitation.

Il est certain que la pandémie aura, et a déjà, un impact sur l'économie européenne et mondiale. La Commission publiera, le 7 mai, ses spring forecasts, prévisions de printemps, mais le FMI anticipe déjà une contraction de 3 % du PIB de la planète en 2020 et de 7,5 % dans l'Union européenne. Une centaine de pays ont déjà demandé son aide. La crise est donc globale. Une réponse européenne est indispensable : aucun État ne pourra s'en sortir seul. Nous devons aussi préserver notre marché unique, l'un des acquis les plus importants de la construction européenne.

La priorité a d'abord été de sauver des vies dans les pays atteints par la pandémie. La Commission s'est efforcée de coordonner les actions des différents États membres et de lever les tensions qui risquaient de restreindre la circulation des équipements médicaux et des produits fondamentaux.

Des décisions importantes ont été prises. La BCE a ainsi adopté son Pandemic emergency purchase program, plan de rachat d'urgence de dettes. La Commission a décidé de réorienter les fonds structurels disponibles vers des opérations visant à faire face à la crise. L'Union européenne a aussi exploité toute la flexibilité de son cadre réglementaire en adoptant un cadre temporaire qui autorise les aides d'État ou en activant la clause dérogatoire générale du pacte de stabilité et de croissance.

Ces assouplissements sans précédent ont permis aux États de soutenir leur économie, en plus d'assurer la liquidité. Mais il fallait aussi prendre des mesures à l'échelle européenne : c'est le sens des dispositions adoptées par les ministres des finances, au terme d'une réunion de dix-sept heures, et qui furent approuvées par le Conseil européen jeudi dernier. Il s'agit, vous l'avez évoqué, des prêts garantis par la BEI, du concours du MES pour financer des dépenses dans le domaine de la santé - chaque pays pouvant emprunter auprès du MES dans la limite de 2 % de son PIB - et du programme SURE qui est doté de 100 milliards d'euros et vise à financer les mesures de maintien dans l'emploi ou de chômage partiel - Kurzarbeit en Allemagne, cassa integrazione en Italie - par exemple. Concrètement, la Commission pourra emprunter sur le marché grâce à des garanties des États membres à hauteur de 25 milliards d'euros. Ces garanties constituent une marque de solidarité, dont l'impact sur la dette et le déficit des États membres sera nul : la Commission est notée AAA par les agences de notations ; et l'on peut raisonnablement penser que ces garanties ne seront pas appelées. Simplement, la Commission n'avait pas les marges suffisantes, en fin de cycle de l'actuel budget pluriannuel, pour lancer ces actions sans la garantie des États.

Les discussions se poursuivent au niveau du Conseil pour préciser les détails du mécanisme, les dépenses éligibles et l'horizon temporel. Il s'agit aussi de s'assurer que les sommes engagées seront bien dépensées en faveur du but recherché. Ce programme sera temporaire et extraordinaire, à la différence des mécanismes de réassurance chômage permanents entre États - qui figurent dans le programme de Mme Ursula von der Leyen - nous en reparlerons l'an prochain. Ces instruments doivent être opérationnels dès le 1er juin. Les discussions avancent et je pense qu'elles auront trouvé une issue positive d'ici-là.

Ce paquet de trois filets de sécurité, pour un montant cumulé de 540 milliards d'euros, ne constitue, toutefois, qu'un point de départ. Comme l'a dit la présidente de la Commission, il faudra aller plus loin si l'on veut relancer nos économies et réduire les divergences entre les États. Avec mon collègue Thierry Breton, nous avons signé une tribune dans la presse : nous plaidons pour un plan de relance européen de 1 500 milliards d'euros. Nous sommes pour l'heure à un tiers de ce montant, qui peut apparaître ambitieux, mais correspond à l'ampleur des besoins. J'ai d'ailleurs constaté depuis trois semaines des évolutions positives au sein de toutes les instances européennes. Le Conseil européen du 23 avril a ainsi entériné les décisions de l'Eurogroupe et a chargé la Commission de faire des propositions concernant un fonds de relance européen qui serait lié au budget de l'Union. Placer le fonds sous l'égide de la Commission est une excellente idée, même si, naturellement, nous devons définir avec les États une perspective commune afin qu'il soit suffisamment doté pour être efficace.

Le but de ce fonds est de contribuer à la relance de l'économie européenne, mission qui repose avant tout sur les États. Il s'ajoutera aux programmes d'aides que ces derniers ont déjà mis en place, tout en visant, et c'est crucial, à limiter les divergences entre les pays, entre ceux qui sont en situation d'aider leurs entreprises et ceux qui ont plus de mal à réagir, car ils sont déjà très endettés. On perçoit clairement, à cet égard, les différences de puissance de feu entre les États à travers les demandes de liquidités ou d'autorisations d'aides d'État que nous recevons. Le fonds commun doit non seulement servir à financer la relance, mais aussi à préserver la cohérence du marché unique, qui est un bien commun de l'Union, la base de la prospérité des 27 États membres, non d'un ou deux pays. Il serait ainsi un instrument de convergence car les partenaires ont été trop habitués, au-delà du marché unique et de la politique monétaire, à mener chacun sa politique économique en solitaire. Cette crise sanitaire, qui est une crise commune, doit être l'occasion de renforcer la coordination en matière économique. C'est ce que demandent les présidents successifs de la BCE depuis plusieurs années.

Trois points restent en discussion à Bruxelles. Le calendrier, tout d'abord. On a comparé le fonds de relance à un plan Marshall, qui fut lancé en 1947, soit deux ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale. Mais l'Europe ne peut attendre deux ans, même si les États membres et la Commission ont agi très rapidement.

Il convient aussi de déterminer son montant. J'ai évoqué 1 500 milliards d'euros, car tel est l'ordre de grandeur des besoins. Pour l'instant, nous n'en sommes qu'à 540 milliards...

Enfin, il faut décider quelle part de ce fonds servira à des prêts, quelle autre à des subventions. Les prêts sont utiles car la Commission peut emprunter à des taux très bas à longue durée. Mais, en même temps, comme l'a dit Mme Ursula von der Leyen, on a aussi besoin de grants, de subventions : les prêts, aussi avantageux soient-ils, accroissent la dette, or certains pays sont déjà très endettés. On ne peut donc pas envisager un fonds de relance uniquement dédié à des prêts.

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