Monsieur le Commissaire européen, merci d'avoir accepté notre sollicitation pour cet échange par visioconférence, auquel MM. Vincent Éblé et Albéric de Montgolfier, respectivement président et rapporteur général de la commission des finances, ont également annoncé leur participation. Nous vous entendons quelques jours après la réunion du Conseil européen consacrée à la réponse économique de l'Union européenne à la pandémie de Covid-19, qui fait de nombreuses victimes dans notre pays comme dans le vôtre. L'Union subit un choc économique brutal et profond en raison du confinement qui paralyse l'activité. La Banque centrale européenne (BCE) annonce un recul à deux chiffres du produit intérieur brut (PIB) européen cette année. Ce choc symétrique appelle une réponse inédite et commune pour assurer la pérennité du marché intérieur. Son élaboration pose la question du degré de solidarité que les États européens sont prêts à déployer pour sauver la construction européenne.
D'ores et déjà, les mesures convenues par l'Eurogroupe, le 9 avril dernier, ont été approuvées au Conseil européen. Elles reposent sur trois volets : la mobilisation de la Banque européenne d'investissement (BEI) et du Mécanisme européen de stabilité (MES), et la création d'un dispositif de financement du chômage partiel, le programme SURE - « Support to mitigate unemployment risks in emergency ». Ce mécanisme implique un emprunt de la Commission européenne, mais semble aussi supposer un appel à la contribution financière des États membres : pouvez-vous le confirmer et nous en expliquer les raisons ?
En tout état de cause, cela ne suffira pas. Pour préparer la reprise économique, nous devons compléter cet arsenal par un quatrième instrument. Un accord de principe s'est dégagé au Conseil européen sur ce point, mais le débat reste vif sur le contour de l'instrument : doit-il s'agir d'un instrument ad hoc ou faut-il l'articuler avec le budget de l'Union ? Doit-il être financé par des emprunts de la Commission ou des États membres, ou par de nouvelles ressources propres ? Doit-il donner accès à des prêts ou aussi à des subventions, avec ou sans conditionnalités ? Doit-il permettre de financer des projets communs identifiés ou, plus largement, la réponse économique à la crise du Covid-19 ? En ce cas, doit-il être ciblé sur les secteurs ou régions les plus affectés ?
Et quelle doit être sa taille ? Votre collègue Thierry Breton, que nous avons entendu la semaine dernière, plaide pour un fonds de 1 500 milliards d'euros, car la réponse européenne doit être de taille comparable à celle des États-Unis et de la Chine, afin d'éviter des distorsions de concurrence : partagez-vous cette opinion ?
Enfin, comment imaginez-vous la sortie de cette période exceptionnelle : un retour aux règles du pacte de stabilité et de croissance vous semble-t-il envisageable ?
Merci d'avoir répondu à notre invitation dans ces conditions un peu particulières, mais celles-ci ne doivent pas nous empêcher d'échanger !
Fin mars, vous déclariez : « Le projet européen risque de sombrer. Il est clair que si les divergences économiques entre pays européens augmentent et si la crise accroît les différences entre divers pays européens au lieu de les diminuer, il sera très difficile de maintenir en l'état le projet européen. » Depuis lors, des décisions ont été prises, mais le projet européen est loin d'être sauvé...
Jeudi dernier, après l'accord de l'Eurogroupe, le Conseil européen s'est en effet accordé sur trois volets, comme vient de le rappeler mon collègue Jean Bizet : la mobilisation d'une ligne de crédit de 240 milliards d'euros via le MES ; 100 milliards d'euros pour le refinancement des mécanismes de chômage partiel ; et enfin des prêts de la BEI à hauteur de 200 milliards d'euros pour l'investissement des entreprises. L'ensemble des mesures s'élève à 540 milliards d'euros, pour une mise en oeuvre au 1er juin 2020.
Toutefois, comme vous l'avez-vous-même souligné, il faudrait faire beaucoup plus pour lancer un véritable « plan de relance » européen et les États membres ne sont parvenus à aucun accord sur ce point, le Président du Conseil européen concluant seulement à la nécessité de « travailler à la mise en place d'un fonds pour la relance ». Les États membres s'en remettent d'ailleurs à la Commission européenne pour « analyser les besoins exacts » et « présenter d'urgence une proposition ».
Sans dévoiler, à ce stade, ce que proposera la Commission, pouvez-vous nous indiquer votre appréciation actuelle des capacités de rebond de l'économie européenne ? Quelle serait, selon vous, la dimension souhaitable d'un fonds de relance européen ? Sur quels pays et catégories de dépenses devrait-il être ciblé ? Selon quelles modalités son financement pourrait-il être assuré : une contribution des États membres, l'affectation d'une ressource commune, l'émission de titres garantis par les États ?
La crise actuelle a d'ores et déjà un impact majeur sur nos finances publiques et, même si le pacte de stabilité et de croissance permet la mise en oeuvre d'une clause dérogatoire pour récession économique sévère, les niveaux de déficit et de dette publics explosent dans l'Union européenne. Quelle est votre analyse sur ce point ? Comment articuler notre relance budgétaire avec la politique de la BCE afin de la rendre soutenable ?
Je vous remercie pour votre invitation.
Il est certain que la pandémie aura, et a déjà, un impact sur l'économie européenne et mondiale. La Commission publiera, le 7 mai, ses spring forecasts, prévisions de printemps, mais le FMI anticipe déjà une contraction de 3 % du PIB de la planète en 2020 et de 7,5 % dans l'Union européenne. Une centaine de pays ont déjà demandé son aide. La crise est donc globale. Une réponse européenne est indispensable : aucun État ne pourra s'en sortir seul. Nous devons aussi préserver notre marché unique, l'un des acquis les plus importants de la construction européenne.
La priorité a d'abord été de sauver des vies dans les pays atteints par la pandémie. La Commission s'est efforcée de coordonner les actions des différents États membres et de lever les tensions qui risquaient de restreindre la circulation des équipements médicaux et des produits fondamentaux.
Des décisions importantes ont été prises. La BCE a ainsi adopté son Pandemic emergency purchase program, plan de rachat d'urgence de dettes. La Commission a décidé de réorienter les fonds structurels disponibles vers des opérations visant à faire face à la crise. L'Union européenne a aussi exploité toute la flexibilité de son cadre réglementaire en adoptant un cadre temporaire qui autorise les aides d'État ou en activant la clause dérogatoire générale du pacte de stabilité et de croissance.
Ces assouplissements sans précédent ont permis aux États de soutenir leur économie, en plus d'assurer la liquidité. Mais il fallait aussi prendre des mesures à l'échelle européenne : c'est le sens des dispositions adoptées par les ministres des finances, au terme d'une réunion de dix-sept heures, et qui furent approuvées par le Conseil européen jeudi dernier. Il s'agit, vous l'avez évoqué, des prêts garantis par la BEI, du concours du MES pour financer des dépenses dans le domaine de la santé - chaque pays pouvant emprunter auprès du MES dans la limite de 2 % de son PIB - et du programme SURE qui est doté de 100 milliards d'euros et vise à financer les mesures de maintien dans l'emploi ou de chômage partiel - Kurzarbeit en Allemagne, cassa integrazione en Italie - par exemple. Concrètement, la Commission pourra emprunter sur le marché grâce à des garanties des États membres à hauteur de 25 milliards d'euros. Ces garanties constituent une marque de solidarité, dont l'impact sur la dette et le déficit des États membres sera nul : la Commission est notée AAA par les agences de notations ; et l'on peut raisonnablement penser que ces garanties ne seront pas appelées. Simplement, la Commission n'avait pas les marges suffisantes, en fin de cycle de l'actuel budget pluriannuel, pour lancer ces actions sans la garantie des États.
Les discussions se poursuivent au niveau du Conseil pour préciser les détails du mécanisme, les dépenses éligibles et l'horizon temporel. Il s'agit aussi de s'assurer que les sommes engagées seront bien dépensées en faveur du but recherché. Ce programme sera temporaire et extraordinaire, à la différence des mécanismes de réassurance chômage permanents entre États - qui figurent dans le programme de Mme Ursula von der Leyen - nous en reparlerons l'an prochain. Ces instruments doivent être opérationnels dès le 1er juin. Les discussions avancent et je pense qu'elles auront trouvé une issue positive d'ici-là.
Ce paquet de trois filets de sécurité, pour un montant cumulé de 540 milliards d'euros, ne constitue, toutefois, qu'un point de départ. Comme l'a dit la présidente de la Commission, il faudra aller plus loin si l'on veut relancer nos économies et réduire les divergences entre les États. Avec mon collègue Thierry Breton, nous avons signé une tribune dans la presse : nous plaidons pour un plan de relance européen de 1 500 milliards d'euros. Nous sommes pour l'heure à un tiers de ce montant, qui peut apparaître ambitieux, mais correspond à l'ampleur des besoins. J'ai d'ailleurs constaté depuis trois semaines des évolutions positives au sein de toutes les instances européennes. Le Conseil européen du 23 avril a ainsi entériné les décisions de l'Eurogroupe et a chargé la Commission de faire des propositions concernant un fonds de relance européen qui serait lié au budget de l'Union. Placer le fonds sous l'égide de la Commission est une excellente idée, même si, naturellement, nous devons définir avec les États une perspective commune afin qu'il soit suffisamment doté pour être efficace.
Le but de ce fonds est de contribuer à la relance de l'économie européenne, mission qui repose avant tout sur les États. Il s'ajoutera aux programmes d'aides que ces derniers ont déjà mis en place, tout en visant, et c'est crucial, à limiter les divergences entre les pays, entre ceux qui sont en situation d'aider leurs entreprises et ceux qui ont plus de mal à réagir, car ils sont déjà très endettés. On perçoit clairement, à cet égard, les différences de puissance de feu entre les États à travers les demandes de liquidités ou d'autorisations d'aides d'État que nous recevons. Le fonds commun doit non seulement servir à financer la relance, mais aussi à préserver la cohérence du marché unique, qui est un bien commun de l'Union, la base de la prospérité des 27 États membres, non d'un ou deux pays. Il serait ainsi un instrument de convergence car les partenaires ont été trop habitués, au-delà du marché unique et de la politique monétaire, à mener chacun sa politique économique en solitaire. Cette crise sanitaire, qui est une crise commune, doit être l'occasion de renforcer la coordination en matière économique. C'est ce que demandent les présidents successifs de la BCE depuis plusieurs années.
Trois points restent en discussion à Bruxelles. Le calendrier, tout d'abord. On a comparé le fonds de relance à un plan Marshall, qui fut lancé en 1947, soit deux ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale. Mais l'Europe ne peut attendre deux ans, même si les États membres et la Commission ont agi très rapidement.
Il convient aussi de déterminer son montant. J'ai évoqué 1 500 milliards d'euros, car tel est l'ordre de grandeur des besoins. Pour l'instant, nous n'en sommes qu'à 540 milliards...
Enfin, il faut décider quelle part de ce fonds servira à des prêts, quelle autre à des subventions. Les prêts sont utiles car la Commission peut emprunter à des taux très bas à longue durée. Mais, en même temps, comme l'a dit Mme Ursula von der Leyen, on a aussi besoin de grants, de subventions : les prêts, aussi avantageux soient-ils, accroissent la dette, or certains pays sont déjà très endettés. On ne peut donc pas envisager un fonds de relance uniquement dédié à des prêts.
L'orateur adresse d'abord quelques mots en italien au Commissaire européen.) Je vous remercie, Monsieur le Commissaire, pour la clarté de votre exposé. J'avais eu l'occasion de vous rencontrer à plusieurs reprises lorsque vous étiez président du Conseil italien.
Il avait été décidé, l'an dernier, de lancer un débat sur l'avenir de l'Europe et de l'Union européenne. Le Parlement européen avait commencé à y réfléchir. Ce débat a été repoussé en septembre à cause de la crise, mais celle-ci en montre clairement la nécessité !
L'Union européenne ne pourra exister face aux États-continents que sont les États-Unis et la Chine, ni financer les investissements industriels ou technologiques dont elle a besoin, sans un budget d'au moins 3 % de son revenu national brut (RNB) à l'horizon 2050. À travers les discours de Mme Ursula von der Leyen, ou le vôtre, on semble s'acheminer, d'une manière ou d'une autre, même s'il s'agit d'une situation de crise, vers un futur cadre financier pluriannuel (CFP) mobilisant environ 2 % du RNB.
La crise révèle le déficit que nous avons à combler, notamment en matière d'investissements industriels souverains. L'effort que l'Europe s'apprête à faire, à côté de l'action des États membres, repose sur deux modes de financements : un financement fédéral centralisé de l'Union, d'une part, et des contributions des États membres, d'autre part. Cela pose la question du renforcement de l'Union et de la coopération interétatique en son sein. Vous avez été à l'origine du traité du Quirinal, qui avait pour objet de renforcer les relations bilatérales entre la France et l'Italie. La crise sanitaire illustre la nécessité de telles coopérations, ne serait-ce que pour réaliser les relocalisations de productions stratégiques, en matière de santé par exemple. Une planification s'impose pour en définir les modalités, éviter qu'elles ne profitent seulement au pays hôte et que les produits ne soient accaparés par certains en cas de crise, comme on le voit avec les respirateurs artificiels, alors qu'ils ont été produits grâce à une coopération. Nous devrons donc inventer des procédures, assurant une forme de responsabilité, d'accountability, qui seraient intermédiaires entre la souveraineté nationale et la souveraineté européenne.
Comment réaliser les investissements européens dont nous avons besoin en veillant à la coordination avec les plans nationaux ? Comment garantir des éléments de souveraineté européenne dès lors que les productions sont localisées dans les États ?
Le rapporteur général Albéric de Montgolfier n'ayant pu se joindre à notre visioconférence, je relaie les questions qu'il souhaitait vous poser.
La première concerne le plan d'action relatif au régime de TVA, toujours en discussion au sein de l'Union européenne. Certes, des avancées ponctuelles ont été enregistrées au cours des dernières années, notamment en matière de vente à distance, mais, en septembre dernier, la Commission européenne évaluait toujours la perte de TVA dans l'Union européenne à 137 milliards d'euros en 2017, soit plus de 11 % des recettes totales attendues. Traiter la fraude à la TVA constitue donc une piste de financement complémentaire. Quels sont vos projets en la matière ?
Parallèlement au besoin nouveau de financement pour traverser la crise, la baisse des recettes et, plus généralement, des ressources est un enjeu, et elle est à redouter tant au niveau des États membres que de l'Union européenne. Disposez-vous de données sur ce point ?
Le Conseil européen s'est accordé, la semaine dernière, sur la mise en place d'un fonds de relance, sur la base de l'accord de l'Eurogroupe, sans pour autant en définir les contours. Le scenario privilégié serait celui d'une intégration de ce fonds dans le budget pluriannuel de l'Union européenne. Quelles en sont les raisons ? Le dissocier n'aurait-il pas permis une mise en oeuvre plus rapide ?
Au sein du budget pluriannuel, quelle distinction faites-vous entre la mobilisation du futur fonds de relance, celle de l'instrument budgétaire de convergence et de compétitivité, le programme d'appui aux réformes structurelles et le renforcement annoncé de la politique de cohésion ? La multiplication des instruments et la complexité qui en découle ne risquent-elles pas de nuire à l'efficacité de la relance ?
Enfin, la clause dérogatoire générale du pacte de stabilité et de croissance a été activée, offrant aux États membres une réelle flexibilité budgétaire pour répondre à la crise. À quelle échéance, selon vous, serait-il raisonnable de revenir à une application normale du pacte ? Comment parvenir, dans ce cadre, à atténuer les écarts entre les États membres du nord et du sud de l'Europe ?
Je remercie André Gattolin pour sa première question. Elle est si générale que l'on pourrait organiser un séminaire entier sur ce thème ! Je n'apporterai donc qu'une réponse brève : l'Europe ne sera plus la même après la pandémie. Nous aurons besoin d'une aide publique accrue, pesant plus dans nos économies ; la demande de protection, de la part des citoyens, des travailleurs, comme des entreprises, sera également plus forte ; l'Europe devra jouer un rôle géopolitique plus important que celui qui a été le sien jusqu'à présent.
Nous devrons, en particulier, trouver un équilibre entre la protection de nos systèmes industriels, de leurs chaînes de valeur, et la nécessité pour l'Union européenne de demeurer un champion du commerce et des relations économiques multilatérales internationales. Cela ne répond pas seulement à une vision du monde, il y va de la préservation de nos intérêts. Il y aura des changements à apporter à la suite de cette pandémie, pour plus de résilience, plus de protection, mais il conviendra de trouver le juste équilibre entre ce qu'il faut changer et ce qu'il faut maintenir.
Sur le renforcement du rôle géopolitique de l'Union européenne, nous en parlons depuis longtemps sans aboutir à grand résultat ; une occasion nous est offerte aujourd'hui. La crise va créer des tensions au niveau mondial, en particulier entre les deux grandes puissances économiques actuelles. Nous ne sommes pas neutres dans cette opposition, mais nous avons un intérêt stratégique à ne pas rester de simples spectateurs ou des acteurs de troisième rang : nous devons jouer un rôle en tant qu'Europe !
Nous parviendrons à exercer cette capacité géopolitique seulement si nous sommes capables d'agir, ensemble, sur le plan de la diplomatie, de la défense, du commerce et de la monnaie unique. L'utilisation de ces quatre instruments fera de nous une grande puissance, dans le sens du multilatéralisme, du dialogue et de la paix ; sans cela, ce sera très difficile !
Effectivement, la fraude à la TVA est élevée et cela nous laisse une marge pour récupérer des ressources autonomes pour l'Union européenne. Je travaille actuellement à un plan, associé à une proposition législative, contre l'évasion fiscale et la fraude aux taxes, en particulier à la TVA. J'espère présenter ce plan à la fin du mois de juin.
Pourquoi les chefs d'État ou de Gouvernement n'ont-ils pas retenu l'option du fonds dédié, comme le suggérait la France ? À mon sens, au regard de la structuration de l'Union européenne, de ce que l'on aurait dû discuter durant la Conférence sur l'avenir de l'Europe et qui sera peut-être discuté plus tard dans l'année, ce serait une bonne chose que ce fonds s'inscrive dans un cadre communautaire, et non intergouvernemental. Mais il faut effectivement des clarifications : sur les relations avec d'autres fonds ou instruments, sur le dimensionnement juste pour une bonne articulation entre tous ces instruments, etc...
Quoi qu'il en soit, c'est la préférence du Conseil européen et il n'est pas certain que l'autre proposition aurait donné lieu à une mise en oeuvre plus rapide. Les prochaines semaines nous diront si les conclusions du Conseil européen du 23 avril nous ouvrent bien la voie vers un dispositif aussi robuste et clair que nécessaire.
Par ailleurs, le mécanisme d'activation de la clause dérogatoire - qui repose sur la demande de la Commission européenne, acceptée par le Conseil européen - vaut aussi pour sa suspension. Selon les règles en vigueur, la clause peut être introduite en cas de grave récession affectant l'ensemble de l'économie européenne. Il faudra, pour mettre fin à son application, que la Commission considère que l'économie européenne n'est plus en crise sérieuse. Franchement, même si ce n'est pas envisageable dans les prochains mois, j'espère que nous n'aurons pas à attendre dix ans !
À propos de la diversité des réponses nationales, vous évoquez des puissances de feu différentes, mais on pourrait aussi bien parler de différences dans la conception du soutien à l'économie, aux entreprises et aux personnes en difficulté... Quoi qu'il en soit, ces solutions divergentes sont des facteurs de déconstruction du marché commun, avec des phénomènes de concurrence déloyale, qui engendreront des tensions dans le futur. L'Europe doit être à l'avant-garde de cette crise ; sans cela, elle sortira avec une image aussi abîmée que pendant la crise financière de 2008 et le débat sur son avenir sera clôturé avant même d'avoir débuté. Comment pouvez-vous encadrer l'émergence de solutions convergentes entre pays ?
On a bien compris qu'il n'était pas encore possible de trouver une issue au débat sur les coronabonds, mais avez-vous le sentiment d'un accord sur la nécessité d'augmenter le budget pluriannuel européen ? Avec quelles nouvelles ressources propres ?
La Bulgarie et la Croatie envisagent d'accélérer leur adhésion à l'euro, dans l'objectif d'obtenir ainsi des budgets supplémentaires. Qu'en pensez-vous ?
En 2008, des personnes affectées par la crise ont pu retrouver des emplois dans d'autres pays de l'Union européenne. La mobilité européenne n'étant plus possible, quelle réponse sociale peut-on apporter ?
Depuis le début de cette audition, il n'est question ni de climat ni d'écologie. Le plan de relance qu'il est prévu de déployer sera-t-il un plan en plus ou se conjuguera-t-il avec les objectifs du Green deal ?
Il semblerait que des investisseurs extérieurs à l'Europe, notamment des fonds saoudiens, tentent de profiter de la crise économique pour acquérir des actifs et des technologies stratégiques. Des entreprises comme Nokia ou Total seraient dans le viseur de fonds souverains. Comment la Commission européenne entend-elle protéger la souveraineté économique de nos entreprises stratégiques ? Quels instruments pourraient être mis en place pour filtrer les investissements étrangers prédateurs ?
Je voulais moi aussi aborder le thème du filtrage des investissements étrangers, sur lequel nous avons travaillé au sein de la commission. Ma question est donc similaire à la précédente : comment pouvons-nous renforcer le dispositif de filtrage, au moment où des pans entiers de notre économie et des entreprises stratégiques doivent être protégés ?
Comment répondre au risque de divergence entre les différentes économies et de déconstruction du marché intérieur ? Comment peut-on avoir une réaction autre que celle que nous avons eue après la crise financière ?
Déjà, nous sommes dans la bonne direction ! En effet, au moment de la crise financière, un État en difficulté pouvait demander de l'aide, mais, pour l'obtenir, il devait répondre à des conditions très strictes. La crise actuelle, elle, affecte tous les pays et a des conséquences sur l'ensemble de l'Europe ; il s'agit d'éviter que ce phénomène, commun à tous, ait des conséquences très différentes entre pays. Comment le faire quand on a une politique monétaire commune, mais pas de politique économique commune ? En introduisant des outils, des projets et des financements communs à cet effet !
La finalité générale du plan de soutien de 540 milliards d'euros de l'Eurogroupe, comme du plan de relance que nous allons mettre en place, est bien de bénéficier à l'ensemble des pays européens, en évitant que, d'une crise commune dont nul n'est responsable, certains puissent sortir vainqueurs et d'autres perdants. Nous avons bien avancé dans cette direction, je l'ai dit, mais il reste encore beaucoup de chemin à faire. Ce ne sera pas facile : il faudra trouver des accords entre des positions qui divergent depuis des dizaines d'années. Pour cela, il me semble nécessaire de regarder, non pas derrière, mais devant !
Quelles ressources nouvelles ? Cette question n'est pas facile. Au-delà de la piste de la fraude à la TVA, que j'ai déjà évoquée, il est difficile pour moi d'y répondre ici en détail...
Effectivement, la Croatie et la Bulgarie cherchent à se rapprocher de la zone euro. Pour cela, elles suivent, accompagnées par la Commission européenne et la BCE, un parcours très strictement défini, comprenant étapes et conditions à remplir. Les efforts de ces deux pays doivent être appréciés, mais le parcours à accomplir reste celui qui a été établi.
Même si l'on a bien vu à quel point le système européen, comparé au système américain, était résilient - nous n'avons pas eu d'explosion soudaine du chômage -, cette crise aura des conséquences sociales très sérieuses, avec des phénomènes de pauvreté. Il faudra donc renforcer nos mécanismes de lutte contre la pauvreté ou de chômage partiel, et le plan global de relance comprend bien un pilier social.
Sur le Green deal, la Commission européenne est très claire : non seulement il ne faut pas oublier ce processus dans le plan de relance, mais l'opportunité de changement qui se présente à nous doit même être utilisée pour apporter des corrections dans le sens de la soutenabilité sociale et écologique de nos systèmes. Il faut être conscient que ce ne sera pas immédiat sur les plans économique et culturel, que des oppositions fortes se manifesteront. Pour autant, ce serait une erreur tragique que de remettre le Green deal à dix ans au motif de la crise.
Nous le savons, le système de filtrage des investissements n'est pas très puissant au niveau européen et se concentre autour des questions de sécurité. Des mesures sont prises au niveau des États membres pour renforcer leur golden power et, à notre tour, nous travaillons à l'échelle de l'Union européenne. Associé au fonds de relance, pourrait ainsi être proposé un fonds paneuropéen destiné à apporter un soutien commun à nos entreprises les plus stratégiques. J'espère que cette proposition pourra voir le jour dans les prochains mois, mais pour l'instant, je l'ai dit, les réactions sont plutôt nationales.
Différentes écoles se sont créées au sujet du fonds de relance - école espagnole, école française, école allemande -, et l'on imagine aussi un accroissement de la contribution des États membres afin de porter le budget européen à 2 % du RNB. Avez-vous le sentiment qu'une de ces écoles pourrait s'imposer dans les jours à venir ?
Vous avez souligné qu'aucun État ne pouvait sortir seul de cette crise. Quel regard portez-vous sur le cas de la Grande-Bretagne qui se retrouve désormais seule du fait du Brexit, notamment pour lutter contre cette pandémie ?
Un commentaire enfin : votre périmètre d'action, tout comme celui de M. Thierry Breton, est bien circonscrit. Mais, comme nous le soulignons depuis longtemps au Sénat, rien ne pourra être mis en place sans une évolution de la politique de concurrence. Or il reste beaucoup à faire en la matière...
Je suis naturellement de l'école bruxelloise pour ce qui concerne le fonds de relance ! Mais celle-ci reste à définir, et c'est le travail que nous menons actuellement. Les contributions ont été nombreuses : nous avons eu l'idée française d'un fonds dédié, l'idée espagnole d'un fonds basé sur des prêts perpétuels et une convergence sur le fait qu'il fallait l'inscrire dans le cadre du budget européen - ce qui, je le répète, est une décision positive dès lors que le fonds construit est le bon en termes de dimension, de timing et de proportion entre prêts et subventions. In fine, la réponse ne pourra être que politique.
Nous prenons actuellement des décisions sur des mécanismes très nouveaux : il faut accepter, pour cela, une logique de compromis et de convergence. Le point-clef est de comprendre que nous discutons, non pas du meilleur moyen d'avoir une architecture européenne, mais du risque que nous courons de mettre en péril l'édifice européen bâti au cours des dernières décennies. Si les divergences sont trop nombreuses sur le plan financier, s'il y a trop de différences au sein du marché intérieur, avec des niveaux de vie qui ne sont plus convergents entre pays européens, alors qu'ils l'ont été pendant des dizaines d'années, il sera complexe de gérer la situation sur un plan politique. Mais, si nous gardons cela en tête, alors nous pouvons converger vers une solution extraordinaire, une solution qui laissera probablement une trace dans l'édifice européen.
Qu'en est-il du Royaume-Uni ? Voilà près de quatre ans que le référendum sur le Brexit a eu lieu ; c'est une histoire très longue et la négociation entre la Commission européenne et Londres se poursuit. Nous avons un très bon négociateur en la personne de Michel Barnier. Il sera difficile de trouver un accord avant la fin de l'année, mais nous développons de bonnes coopérations dans un certain nombre de domaines. Je ne suis donc pas pessimiste. Cela étant, il faut se référer à l'Union européenne telle qu'elle existe aujourd'hui, et avoir conscience que la seule façon de nous en sortir, c'est ensemble !
Enfin, la vice-présidente de la Commission, Margrethe Vestager, a réalisé un excellent travail au cours des dernières semaines. Comme nous l'avons évoqué pour les règles du pacte de stabilité, il faudra, à un certain point, revenir à un cadre plus solide, mais sans perdre de vue les nécessités nouvelles que la pandémie a ouvertes pour nos entreprises et nos chaînes de valeur. Mme Vestager, M. Breton et moi-même y travaillerons ensemble et nous trouverons des solutions ! Je suis optimiste car tout le monde est conscient que le marché intérieur, s'il doit changer ses règles, reste un atout pour l'Union européenne.