Je me faisais le porte-parole du comité de pharmacovigilance, qui avait analysé le dossier de Marseille ; je ne portais pas un jugement personnel. Vous considérez que j'ai pu imaginer qu'il n'y avait pas de lien entre le Mediator et la valvulopathie ; or ce lien, je l'ai démontré, tout en étant pourtant experte mandatée par Servier ! J'aurais pu dans mon étude ne parler que des fuites de grade 2, qui n'induisent pas de symptomatologie. Je pense avoir fait preuve d'une probité totale dans ma recherche et dans ma présentation des résultats. Je me suis livrée à une relecture indépendante de toutes les échographies, sans savoir à quel groupe appartenaient les patients.
Je regrette que les éléments à charge soient ressassés, tandis que l'on balaye un travail de fond, dont la rigueur n'a jamais été contestée, au motif qu'il n'aurait eu aucun impact sur la décision de retrait du Mediator, ou qu'il serait arrivé trop tard, et serait inutile. Cela me paraît injuste !
L'alerte date de 2003. Sans vouloir botter en touche, je rappelle que le Mediator n'était pas un produit de cardiologie. Il était essentiellement prescrit par des médecins traitants, voire des endocrinologues, souvent hors AMM.
En 2008, la Société française de cardiologie a tenu une session dédiée aux valvulopathies induites par les médicaments. Dès le retrait du Mediator, le site de la Société française de cardiologie relayait l'information. Étonnamment, malgré cette publication, malgré l'étude de suivi lancée dès 2009, l'information des cardiologues, notamment libéraux, n'a pas été patente, et n'a pas constitué l'alerte. C'est fort dommageable. Le président du Syndicat des cardiologues, qui a également relayé l'information auprès de la communauté cardiologique, a fait le même constat.
Parlant avec Mme Irène Frachon avant le retrait du médicament, en mars 2009, je m'étais étonnée de la sévérité des cas qu'elle rapportait. Je suis des valvulopathies au quotidien : le premier travail de l'échographiste est d'identifier une valvulopathie, d'en apprécier la sévérité et l'étiologie. En quinze ans d'exercice, je n'ai pas eu de signal de valvulopathie induite par ce traitement. J'ai indiqué à Mme Frachon que nous étions en train d'achever une étude de suivi ; par un hasard du calendrier, nous nous sommes retrouvées en 2009 dans la même session du Comité national de pharmacovigilance.
J'avais dit à Mme Frachon qu'il serait intéressant de reconduire son observation brestoise à l'échelle nationale, et je l'avais mise en contact avec le professeur Christophe Tribouilloy, président de la filiale d'échographie cardiaque de la Société française de cardiologie, pour aider à la diffusion de cette étude et au recensement de ces observations. Les résultats de l'étude ont colligé une quarantaine de cas, rapportés récemment. L'étude de suivi, lancée à la demande de l'Afssaps sur l'ensemble du territoire, donnera des informations factuelles sur un nombre beaucoup plus important de patients exposés au Mediator.
Vous m'interrogez sur des divergences entre experts sur la mortalité induite par le traitement par Mediator. Personne ne conteste qu'il y a eu des valvulopathies induites : sur ce point, aucune voix discordante. Mais l'appréciation de la mortalité induite peut être divergente, car une logique d'épidémiologiste se heurte à une méthodologie de clinicien. J'ai dit, après les déclarations de Servier, qu'il me paraissait indécent de restreindre la mortalité à trois décès. Un seul décès est déjà un de trop ! Il n'y a pas de bagarre, mais une discussion entre experts sur les méthodes de calcul, car on ne saura jamais combien de décès sont liées à cette molécule.
Il faudrait revenir sur la cohorte de patients rassemblés par la Cnam, permettre à des experts cardiologues de revoir les dossiers des soixante-quatre patients décédés et d'adjudiquer la mortalité sur une cause cardiovasculaire ou non ; de retrouver les données précises des échographies cardiaques, des chirurgies, voire des anatomopathologies. L'étude de suivi va apporter des informations importantes. Elle va éclairer la sévérité de cette pathologie, pour les patients et pour la justice. La logique épidémiologique, dont je ne nie pas la valeur, repose sur un nombre de patients potentiellement biaisé par des erreurs d'allocation ; cela mérite qu'on y revienne.