Mission commune d'information sur le Mediator

Réunion du 24 mars 2011 : 1ère réunion

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • benfluorex
  • experts
  • généraliste
  • laboratoire
  • mediator
  • médecin
  • médicament
  • pharmacovigilance
  • servier

La réunion

Source

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Nous accueillons M. Philippe Bas, président de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses). ministre de la santé et des solidarités en 2007, il avait dirigé le cabinet du ministre du travail et des affaires sociales de 1995 à 1997.

Publique et ouverte à la presse, cette audition fait l'objet d'un enregistrement audiovisuel.

En application de l'article L. 4113-13 du code de la santé publique, je dois vous demander si vous avez des liens avec l'industrie pharmaceutique ou des cabinets de conseil dans le domaine de la santé.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Je n'ai aucun lien avec aucune entreprise, a fortiori avec une entreprise du monde de la santé.

Vous avez rappelé certaines des fonctions que j'ai exercées. J'ai été impliqué dans la gestion de la santé publique depuis que j'ai été directeur adjoint du cabinet de Simone Veil, ministre des affaires sociales de 1993 à 1995, puis directeur de cabinet de Jacques Barrot, ministre du travail et des affaires sociales de 1995 à 1997. J'ai été en charge de la santé pendant deux ans et ministre de la santé et des solidarités en 2007. Je n'ai néanmoins jamais participé en quoi que ce soit au dossier du Mediator.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Vous n'êtes pas le seul : ce médicament a évolué dans la solitude.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Voilà peut-être l'une des raisons de ce grave accident sanitaire.

Il faut toutefois se garder de jeter le bébé avec l'eau du bain. J'ai connu la direction du médicament avant la création de l'Agence du médicament en 1993, je me souviens de ce qui existait avant l'Agence française du sang, et je vois avec le recul que le système que nous avons mis en place n'a cessé d'être conforté et que, malgré le drame du Mediator, il représente un progrès très important dans le système de sécurité sanitaire. Je mets donc en garde contre sa destruction au motif qu'il a révélé des éléments de faiblesse. Nos agences ont en Europe une très forte réputation et servent de référence sur bien des points. Certes, l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) a une part de responsabilité, mais l'on aurait tort de tout lui imputer.

Le travail d'évaluation doit faire l'objet d'améliorations, surtout pour les autorisations de mise sur le marché anciennes. Ce médicament est passé entre les mailles du filet malgré des alertes nombreuses. Il y a là une défaillance. Il faut la corriger sans esprit de système car, à ne faire peser la responsabilité que sur l'expertise, l'on passerait à côté de beaucoup de choses. Autant sont utiles les déclarations d'intérêts, secrètes puis publiques, l'appel à candidatures pour éviter les cooptations...

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Autant il faut affirmer les règles de déontologie, autant il n'est pas possible, selon moi, de devenir expert sans une expérience du travail avec l'industrie pharmaceutique. Il sera plus fécond, après avoir renforcé les règles éthiques, de faire en sorte que l'évaluation soit contradictoire et transparente plutôt que, par excès de puritanisme, de refuser un lien avec l'industrie que l'on recherche dès l'université.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Sur le Mediator, il y a aussi une défaillance du politique. Les experts de la commission de la transparence ont fait leur travail entre 1999 et 2006 ; l'on n'a pas tenu compte de leurs avis. M. Mattei a bien expliqué qu'une fois qu'un médicament a été mis sur le marché, il était politiquement difficile de le retirer en cas de service médical rendu insuffisant. Mieux vaut donc agir en amont. Au-delà de l'indépendance de l'expert, il y va de la capacité ou de l'incapacité du politique à prendre la bonne décision.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

J'y venais. J'essayais de dire qu'on ne peut faire porter tout le poids de la responsabilité sur le processus de décision au moment de l'autorisation de mise sur le marché : il y a ensuite de nombreux carrefours avec des signalements. Ce n'est pas seulement le politique qui est défaillant.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Vous avez cité la commission de la transparence, qui n'a pas dit que ce médicament était un « poison », mais que le service médical rendu ne justifiait pas sa prise en charge par la sécurité sociale, ce qui n'est pas le signalement d'un danger. Ici, la décision n'est pas de sécurité sanitaire, mais relève de la gestion de la sécurité sociale, afin que chaque euro dépensé soit un euro utile.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Je mettrai ce bémol : la commission de la transparence prend en compte les effets indésirables d'un médicament. Le Canard enchaîné a publié la communication faite aux membres de la commission de la transparence sur la toxicité de ce médicament ; celle-ci a ensuite estimé inacceptables les effets indésirables de ce médicament.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Il s'agit d'un rapport entre le bénéfice et le risque. Tout médicament a des effets indésirables, ce qui n'est pas synonyme de toxicité.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Toute pharmacopée a des effets indésirables.

Il faut améliorer la qualité du processus d'autorisation de mise sur le marché afin que les mailles du filet soient aussi serrées que possible, mais ce n'est qu'une partie du travail, car le danger tient à la faiblesse de notre organisation de vigilance. Le signalement, le recueil et de celui-ci de son exploitation, voilà où a résidé surtout la défaillance, voilà ce à quoi il faut remédier sans déstabiliser l'Agence, mais, au contraire, en la confortant.

Le rôle de l'assurance maladie en matière de surveillance est insuffisant. Depuis 1993 et la convention sur le codage des pathologies, on n'a toujours pas d'exploitation au niveau national du lien entre le diagnostic et la prescription. Un médicament, qui est mis sur le marché dans le cadre des indications de son autorisation, peut être prescrit en dehors de celles-ci. Le Mediator avait une indication erronée, mais un produit peut être pertinent dans le cadre de son autorisation de mise sur le marché...

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

et non dans d'autres cas.

Lorsqu'un médicament reçoit son autorisation de mise sur le marché, on estime son prix en fonction des indications et des quantités prévues : si les ventes étaient estimées à 100 000 et qu'on vend 400 000 boîtes, il convient de se demander pourquoi. On verra alors qu'il est prescrit pour d'autres pathologies et l'on se dira qu'il y a là une dérive dangereuse. On aurait évité beaucoup de victimes si l'on avait su faire cela. L'assurance maladie n'y parviendra jamais sans une forte implication du corps médical. Mais cela signifie, pour un médecin, que ses prescriptions, ses diagnostics soient vérifiés par des confrères. Or le corps médical, dont c'est le coeur du métier, ne l'a jamais accepté.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

En effet. Nous avons achoppé sur les négociations conventionnelles.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Message transmis au directeur général de la Cnam, M. Van Roekeghem ! De nouvelles négociations vont commencer.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Il faut le dire, il y a eu dans l'affaire du Mediator des médecins qui ont développé leur clientèle en se spécialisant dans la prescription de ce coupe-faim. J'ai reçu le témoignage de jeunes médecins qui avaient dû, à l'occasion de remplacements, mettre fin à ces pratiques.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Thérèse Hermange

Vous avez rappelé que vous n'avez pas vu passer le dossier du Mediator quand vous étiez aux responsabilités et, comme nous ne sommes pas des juges, je me concentrerai davantage sur les questions relatives à l'évaluation et au contrôle des médicaments. Compte tenu de votre fonction de président de l'Anses depuis janvier comme de votre expérience passée, quels enseignements tirez-vous du fonctionnement d'une agence sanitaire comme l'Afssaps ? Une agence a plus de moyens qu'une direction de l'administration, mais ne peut-on envisager un regroupement de ces moyens au sein d'une administration centrale ?

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Ce n'est pas la question primordiale. Je suis pragmatique, et je peux tout envisager. Cependant, il importe surtout de s'assurer de la compétence et l'indépendance des experts pour que la décision soit prise sur des fondements scientifiques, dans la collégialité et la transparence, et que les Agences régionales de santé, les médecins et l'assurance maladie convergent dans la vigilance. Cela dit, pour répondre à votre question, je préfère les agences parce que, dans l'organisation de notre Etat, chaque fois qu'on en a établi une, elle a reçu indépendance et moyens. Rien ne s'oppose en principe à ce qu'une administration reçoive ces moyens, cependant l'expérience est là.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Thérèse Hermange

Qu'est-ce qui a fondamentalement changé depuis l'époque de la Direction du médicament et de la pharmacie ? A-t-on, en prônant la création d'agences, simplement adopté un mode de pensée anglo-saxon ? Quelles réformes institutionnelles préconisez-vous ?

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Je préconise surtout de ne pas faire une réforme institutionnelle qui revienne sur le progrès important que représente la création de l'Afssaps reconnue partout en Europe comme une institution indépendante.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Pourtant, selon le rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas), l'Agence est « structurellement et culturellement en conflit d'intérêts avec l'industrie pharmaceutique ». Peut-être faut-il mieux assurer son indépendance...

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Thérèse Hermange

Faut-il réformer le fonctionnement interne de l'agence : par exemple, en ce qui concerne la publicité des travaux, le vote des décisions à la majorité ou par consensus ou les suites données aux opinions divergentes ?

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Je suis d'accord avec ces propositions, mais pas avec un changement institutionnel comme la suppression de l'agence. Le rapport de l'Igas ne se réduit pas à cette appréciation d'ordre politique et qui dépasse de beaucoup son mandat. Attention aux conflits d'intérêts, mais préservons l'expertise...

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Un expert peut-il siéger dans une commission chargée d'émettre un avis sur le médicament d'un laboratoire avec lequel il a des liens d'intérêts ?

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Sans lien avec l'industrie pharmaceutique, il n'y a pas d'expertise possible, seulement des pharmacologues en chambre. Il est absolument nécessaire de connaître le travail de l'industrie car un travail de chercheur solitaire n'assure pas la sécurité sanitaire requise.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

On peut imaginer qu'il y ait un temps entre le travail avec l'industrie et l'expertise. Le professeur Maraninchi, nouveau directeur général de l'Afssaps, ne sera-t-il pas plus indépendant dans la mesure où il n'a plus de liens avec l'industrie depuis cinq ans ?

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Il n'y a pas de doute là-dessus. Cependant, je ne veux pas que les experts soient en décalage par rapport à l'état de la recherche, que leur savoir ne soit pas le plus récent. C'est pourquoi je préfère des règles plus strictes afin de ne pas nous priver des meilleurs experts au prétexte qu'ils ont travaillé avec l'industrie. En outre, personne ne peut émettre un avis seul : j'insiste sur la collégialité, le dialogue entre experts sans lesquels une décision ne saurait être fondée scientifiquement. Ne nous laissons pas porter par un excès de puritanisme !

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Le directeur de l'Afssaps n'a plus de lien avec l'industrie depuis cinq ans, celui de l'Haute Autorité de santé depuis deux mois et demi. Le premier aura plus de recul que le second.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

C'est le bon sens. Il faut faire attention à la collégialité, à la transparence et à la procédure contradictoire qui permettent le meilleur avis pour prendre la meilleure décision. Je suis d'accord pour l'expression des avis divergents mais je ne souhaite pas qu'on tarisse l'expertise : l'on peut relativiser sans disqualifier.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Thérèse Hermange

Quel avis portez-vous sur les propositions du rapport Debré-Even ?

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Thérèse Hermange

La constitution d'un groupe réduit d'experts de haut niveau, bien rémunérés, protégés par un statut, en lieu et place du recours actuel à une multitude d'experts internes et externes souvent en conflit d'intérêts ?

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

C'est une vision simpliste des choses. Nous devons avoir des experts de très haut niveau : c'est le premier impératif. Il est moins important qu'ils aient travaillé ou non en lien avec l'industrie. Le primat, c'est l'excellence de l'expertise ! Sinon on laissera passer des produits dangereux. La question des conflits d'intérêts est essentielle mais demeure seconde.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

J'essaie de combiner ces impératifs sans exclure de bons experts et il y a pour cela des conditions éthiques.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Thérèse Hermange

Une commission indépendante des contrôles et de la méthodologie d'évaluation des essais cliniques est...

Debut de section - PermalienPhoto de Virginie Klès

A quel niveau situez-vous le contradictoire dans la chaîne d'analyse et d'expertise ? Membre de la commission des lois, j'entends bien cela, pour la justice, en amont, mais au final le juge doit décider en toute indépendance. De plus, où placez-vous la barrière du conflit d'intérêts ?

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Rendre public tout conflit d'intérêts est un impératif absolu. Un intérêt fort peut conduit à exclure l'expertise, cela n'exclut pas une audition de la personnalité scientifique.

Il faut rendre publiques les opinions divergentes et prendre les décisions de manière indépendante. Ma position n'est ni noire ni blanche, parce que je pense qu'on doit préserver une expertise utile.

Debut de section - PermalienPhoto de Janine Rozier

Comment améliorer le système en impliquant plus les médecins alors que, dans nos régions, nous manquons de généralistes ? Comment eux, qui travaillent 12 heures par jour dans leur cabinet, pourraient-ils en plus renseigner et alerter ?

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Il ne s'agit pas d'une mission facultative. Elle leur incombe déjà en cas d'empoisonnement par un médicament, et ce devoir déontologique passe avant une consultation pour le rhume des foins.

Elu du plus petit canton rural de la Manche, j'entends bien ce que vous dites sur les déserts médicaux. Les médecins sont submergés de tâches bureaucratiques. Il ne s'agit en l'occurrence que de signaler ce qui est grave. Le médecin de Brest...

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

a signalé le rôle du Mediator, mais n'a pas été écoutée, comme si elle était un praticien non compétent. Si le rôle du médecin est essentiel, l'Agence régionale de santé est-elle équipée par ailleurs pour accueillir les signalements, et l'assurance maladie pour évaluer l'adéquation des prescriptions aux diagnostics ? Non !

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Thérèse Hermange

Les pharmaciens pourraient contribuer à cette mobilisation avec le dossier pharmaceutique.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Cette idée est même antérieure. Le dossier médical personnalisé figurait déjà dans la réforme Juppé.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

M. Douste-Blazy nous promettait une économie de 3 milliards d'euros en 2007.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Je suis heureux que vous regrettiez qu'il n'ait pas été mis en place.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Thérèse Hermange

Nous en avons tous reçu un, sous forme papier, et nous l'avons tous classé.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Christine Blandin

L'Agence que vous présidez, l'Anses, est issue de deux organismes de culture radicalement différente, l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa), complaisante et même autiste - je pense au bisphénol -, et l'Agence française de sécurité sanitaire de l'environnement et du travail (Afsset), qui avait une culture d'écoute et comptait dans son conseil d'administration des représentants d'associations qui servaient de relais aux donneurs d'alerte. Je me félicite que ce soit également le cas de la nouvelle Agence. Le Grenelle a prévu une Haute Autorité de l'indépendance de l'expertise et de l'écoute des lanceurs d'alerte dont la forme n'a pas été définie. Le regard extérieur que proposerait un tel organisme vous semble-t-il intéressant ?

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Vous avez évoqué les cultures qui se rejoignent dans l'Anses. L'une des raisons pour lesquelles j'en ai accepté la présidence est la composition de son conseil d'administration. Celui-ci compte en effet cinq collèges : les représentants de l'Etat, qui, s'ils n'y sont pas les plus nombreux, y détiennent la majorité des voix, puisque l'agence fonctionne avec des subventions de l'Etat ; ceux des collectivités territoriales ; ceux des organisations non gouvernementales, agissant dans le champ de la consommation et de l'environnement ; ceux du monde de l'économie - ils ont leur légitimité - ; ceux du personnel enfin.

L'expression « lanceur d'alerte » pose question dans le cadre du conseil d'administration de l'agence. Les membres du conseil d'administration traitent des moyens ou du programme de travail, mais n'ont pas une qualification d'expertise. A tout le moins, un membre du conseil d'administration peut faire part d'une inquiétude et demander une étude. En tant que président du conseil d'administration, en de telles circonstances, je mets alors aux voix la proposition et fait part de la décision à la direction générale. Le programme de travail de l'Anses a été élaboré selon ce mode de fonctionnement après un travail préparatoire réalisé par des commissions où siégeaient les organisations non gouvernementales.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

M. Hirsch, ancien directeur de l'Afssa, a indirectement porté une accusation contre l'Anses : « L'agence que j'ai dirigée il y a quelques années a récemment publié un rapport sur les régimes amaigrissants : il n'y a pas eu un mot sur les pilules amaigrissantes ! Or, le président de ce comité d'experts est payé par les quatre plus gros laboratoires pharmaceutiques : même s'il est honnête, comment voulez-vous qu'il dénigre ses employeurs ? » Qu'avez-vous à répondre ?

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Je suppose qu'il est sûr de son information, que je ne possédais pas. En tout état de cause, un régime amaigrissant n'est pas un traitement amaigrissant. Notre agence n'est pas qualifiée pour évaluer les médicaments, il y en a une autre pour cela. Nous nous prononçons sur la qualité des épinards, pas sur les pilules.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Je ne crois pas que la confusion entre les missions des agences fasse progresser la sécurité sanitaire, sauf à créer une grande agence - tout peut se discuter.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

J'avais essayé de traduire dans la loi une recommandation du rapport élaboré par le Sénat en 2006 : « Médicament : Restaurer la confiance » en interdisant le financement de la formation médicale continue, pardon !, du « développement professionnel continu » par les laboratoires. Vous m'aviez répondu que leur participation était indispensable.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

J'avais déposé un amendement pour modifier le code de la santé publique. Mon amendement visait à ne plus permettre à l'industrie pharmaceutique de financer la formation médicale continue. Le rapporteur avait émis un avis défavorable. Pour que les choses soient claires, je vais vous donner lecture du Journal officiel de cette séance :

« M. Alain Vasselle : En voilà une bonne idée ! (Sourires.) Je suis surpris que le Gouvernement n'y ait pas pensé plus tôt. Voilà la solution qui permet de diminuer d'autant l'impact de la taxe de 1,96 % sur le chiffre d'affaires !

« Ainsi, on ferait faire aux laboratoires une économie de 1,1 % sur leur chiffre d'affaires! Mais pourquoi n'y avons-nous pas pensé plus tôt, monsieur le ministre? M. Autain veut rendre service aux laboratoires ! Mais comment allons-nous dorénavant financer la formation médicale continue ?

« Pour l'instant, ce sont les laboratoires qui contribuent à ce financement. Que proposez-vous, monsieur Autain ?

« Plus sérieusement, dans le cadre de la réforme de l'assurance maladie, nous avons prévu une charte de la visite médicale. Je ne sais pas où on en est, mais elle a fait l'objet de discussions et de négociations avec les laboratoires et doit entrer en application ; elle devrait donc bientôt porter ses fruits. Grâce à la mise en oeuvre de cette charte, disposition que vous n'avez d'ailleurs pas votée lors de l'examen du projet de loi relatif à l'assurance maladie, nous devrions atteindre l'objectif que vous poursuivez, monsieur le sénateur. Vous empruntez donc une autre voie pour aboutir au même résultat.

« Considérant que cette charte répondra à vos attentes, nous estimons que votre amendement est satisfait. Aussi, je vous demande de bien vouloir le retirer; à défaut, la commission émettra un avis défavorable.

« M. le président : Quel est l'avis du Gouvernement ?

Debut de section - Permalien
Philippe Bas, ministre délégué :

« M. Philippe Bas, ministre délégué : Le Gouvernement partage en tous points l'avis que M. le rapporteur vient d'exprimer. Monsieur le sénateur, vous avez déploré tout à l'heure le fait que nous ne vous ayons pas demandé de retirer votre amendement, laissant entendre que vous l'auriez fait si nous vous l'avions demandé. Au vu des explications qui viennent de vous être apportées, nous vous demandons donc instamment de bien vouloir retirer l'amendement n° 213.

« En effet, la participation de l'industrie pharmaceutique à la formation des prescripteurs est indispensable, et pas seulement pour des raisons financières. Nous avons d'ailleurs eu tout à l'heure un débat sur les modalités de progression de la recherche et du développement de nouveaux médicaments.

Debut de section - Permalien
Philippe Bas, ministre délégué

« M. Philippe Bas, ministre délégué : Pour que ces médicaments soient prescrits à bon escient, il faut que les laboratoires puissent rendre compte des essais thérapeutiques et des recherches qui justifient les indications des médicaments. Il est donc nécessaire que l'industrie pharmaceutique participe à la formation continue, à condition toutefois qu'elle respecte scrupuleusement toutes les règles déontologiques. Je puis vous l'assurer, nous y veillons, notamment dans le cadre de la charte de la visite médicale que M. le rapporteur a fort opportunément évoquée »

Cette lecture est un peu longue, mais éclaire mon propos.

Le rôle de l'industrie pharmaceutique dans la formation médicale continue est très important et je comprends que votre amendement ait été rejeté à l'époque. S'il s'agit de passer d'un système à l'autre, il ne suffit pas d'abolir le système antérieur, il faut prévoir et organiser la suite, après concertation.

Il n'est pas indispensable d'interdire toute participation de l'industrie pharmaceutique à la formation médicale continue. Les médecins doivent être tenus au courant des nouveaux médicaments mis sur le marché. Bien évidemment, les informations délivrées doivent être de qualité. Le système mérite d'être réformé, amélioré, mais sans exclure la participation des laboratoires ou des pharmaciens qui ont procédé aux essais thérapeutiques. Je ne pars pas du principe que tout laboratoire pharmaceutique a des intentions criminelles ou des intentions économiques qui absorbent la totalité des motivations de ceux qui travaillent pour la mise au point des médicaments.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Je vous rappelle qu'une directive européenne considère qu'une information qui émane d'une entreprise est de la publicité. Je vous ferai parvenir des extraits de cette directive.

Debut de section - Permalien
Philippe Bas, ministre délégué

J'en serai heureux : elle fera progresser ma réflexion.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Thérèse Hermange

Nous avons une mission de contrôle, mais nous devons également faire des propositions afin de redonner confiance dans le médicament et dans l'expertise.

Pensez-vous que des problématiques sanitaires pourraient être tues pour des raisons économiques, financières ou idéologiques ? On sait ainsi que le RU486 a tué au moins une personne, mais nul n'en a parlé, car c'est toute une politique de santé publique qui serait remise en cause. Or, dans l'affaire du Mediator, j'entends dire que, même si un seul patient était mort, il aurait fallu le dire.

J'ai découvert récemment les « produits thérapeutiques annexes » pour tout ce qui concerne la fécondation in vitro. Or, ces produits ne sont pas contrôlés.

Ne risque-t-on pas demain d'avoir d'autres affaires similaires à celle du Mediator ?

Debut de section - Permalien
Philippe Bas, ministre délégué

Toute décision en matière de sécurité sanitaire doit être précédée de l'information la plus complète, la plus objective et la plus contradictoire possible, de sorte qu'on puisse la justifier aux yeux des Français. Il est toujours plus facile d'inquiéter que de rassurer. La mission d'une agence n'est de faire ni l'un, ni l'autre, mais de dire la vérité. C'est ainsi qu'on peut justifier les décisions qui sont prises. Il ne faut pas croire que le risque zéro soit atteignable : il n'existe pas de médicaments sans contre-indications. Tout est dans le bon usage : il faut respecter la dose et le traitement.

Il ne faudrait pas que, sous le coup de l'émotion, on retire un médicament ayant donné lieu à un ou plusieurs accidents, alors que, ce faisant, on priverait des dizaines de milliers de patients d'un traitement indispensable. Il y a toujours une balance à faire entre le risque et l'avantage pour les malades. Si l'explication n'a pas lieu, nous serons tous emportés par la vague de l'émotion à chaque fois qu'un évènement sanitaire surviendra.

Vous citez un exemple que je ne connais pas : je ne puis donc me prononcer.

Il est très important de toujours distinguer la conviction que l'on peut avoir sur l'utilisation d'un produit utile pour la santé ou pour des raisons liés aux moeurs, et les risques sanitaires qu'il fait encourir. La chape de plomb n'est jamais la bonne solution : il faut tout mettre sur la table.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Nous poursuivons nos auditions avec M. Antoine de Beco, président de la Société de la formation thérapeutique du généraliste (SFTG). Cette audition est ouverte à la presse et fait l'objet d'un enregistrement audiovisuel en vue de sa diffusion sur le site Internet du Sénat et sur Public Sénat. En application de l'article L. 4113-13 du code de la santé publique, pouvez-vous nous indiquer si vous avez des liens avec des entreprises produisant ou exploitant des produits de santé ou des organismes de conseil intervenant dans ces domaines ? Votre société de formation est-elle financée ou a-t-elle des liens d'intérêts avec des laboratoires pharmaceutiques ?

Debut de section - Permalien
Antoine de Beco

Je n'ai aucun lien avec l'industrie pharmaceutique et la SFTG non plus.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

C'est extraordinaire parce que vous tranchez par rapport à l'ensemble des sociétés savantes qui reçoivent des aides, parfois infimes, des laboratoires.

Debut de section - Permalien
Antoine de Beco

Je vous remercie de m'avoir invité en tant que président de la SFTG pour porter témoignage au sein de votre commission et vous parler de la formation professionnelle des médecins généralistes.

Je vais présenter la SFTG qui est l'une des sociétés scientifiques de médecine générale. L'affaire du Mediator révèle le besoin d'une formation médicale continue indépendante, notamment pour les généralistes. Une telle formation peut exister, mais les obstacles à son développent sont nombreux. L'histoire de la SFTG et les nuages qu'elle voit poindre à l'horizon légitiment son inquiétude.

La SFTG a été créée en 1977 : elle a pour objet la formation médicale continue et l'amélioration de la qualité des pratiques des professionnels. Ses actions s'appuient sur une charte dont les grands axes sont les suivants : développer la compétence scientifique, humaine et sociale du médecin généraliste, renforcer son rôle d'acteur de santé publique, enseigner et former, fonctionner dans l'indépendance et la transparence, dans le respect de l'éthique des droits et de l'intérêt des patients. La SFTG est indépendante de l'industrie des produits de santé pour son fonctionnement, et dans ses interventions elle est indépendante de toute structure syndicale, universitaire ou commerciale. Enfin, la pluridisciplinarité est prônée : recherche, formation continue, amélioration des pratiques en médecine générale ne peuvent se concevoir qu'en lien étroit avec les autres disciplines scientifiques, humaines et sociales.

Un des champs d'intervention principaux de la SFTG concerne la formation médicale continue : son but essentiel est de former les médecins pour le bénéfice des patients et de la santé publique.

La SFTG a créé des groupes locaux de formation ou d'échanges de pratiques tant en province qu'en région parisienne, dans lesquels des médecins se retrouvent une fois par mois pour travailler sur un sujet préparé par des membres généralistes du groupe ou pour réfléchir sur leurs pratiques. Des médecins généralistes ou spécialistes d'organes sont invités à participer dans le cadre de la formation professionnelle conventionnelle à des séminaires de formation d'une ou de deux journées. Ces formations sont un lieu d'échange et de partage d'informations. Les experts intervenants doivent garantir la qualité, la validité et l'indépendance de leurs informations. Nous nous attachons à ce qu'ils soient des acteurs de terrain : experts médecins généralistes associés, dans la même équipe d'intervenants, à des experts spécialistes libéraux ou hospitaliers, à d'autres professionnels de santé ou du secteur social et, parfois, à des représentants des sciences humaines. Nous exigeons toujours des experts qu'ils déclarent leurs conflits d'intérêts. Les interventions sont discutées avec l'organisateur de la formation, membre de la SFTG, qui veille au respect des principes de notre charte.

Nous avons organisé plusieurs colloques pour ouvrir des pistes de réflexion, et nous avons eu l'honneur d'en tenir deux au Sénat. Nos derniers colloques se sont intitulés : « Le pivot du système de soin », « L'indépendance de l'expertise médicale », « La course à la dénomination commune internationale (DCI) : à vos marques, prêt, partez ! », « Les Etats généraux de la formation médicale continue : construire une charte éthique de la formation médicale continue (FMC) », « L'information santé des patients », « Le médecin, le patient et l'environnement : quelles informations pour agir ? ».

Debut de section - Permalien
Antoine de Beco

Ils sont financés sur fonds propres.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Comment se fait-il que les autres sociétés savantes n'y parviennent pas ? Pour un simple buffet, elles sont obligées de s'adresser aux laboratoires. J'ai entendu des experts me dire que, sans le concours de l'industrie pharmaceutique, ils ne pourraient jamais se rencontrer.

Debut de section - Permalien
Antoine de Beco

L'indépendance a un coût et nous n'avons pas la prétention d'être extrêmement nombreux, mais d'autres sont peut-être encore plus rigoureux, comme la revue Prescrire.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Je ne comprends pas que votre exemple ne soit pas suivi. Il faudrait faire comme vous pour renforcer l'indépendance de l'expertise et des médecins.

Debut de section - Permalien
Antoine de Beco

Nous avons créé avec des partenaires le collège de la médecine générale qui tente de s'organiser autour de ces principes.

J'en reviens aux colloques que nous avons organisés : il y transparaît l'intérêt de la SFTG pour le respect des patients, la passion de la santé publique et l'exigence de l'indépendance. Nous proposons toujours à nos participants et à notre public de faire une lecture critique des informations disponibles : une telle lecture s'apprend et c'est un outil indispensable pour les médecins, tant sont nombreuses les informations qu'ils reçoivent. Les patients doivent également se familiariser avec la lecture critique dans ce monde de communication multiple. Les jeunes générations d'étudiants y ont accès par quelques formations en faculté de médecine. Ce n'est sans doute pas par la visite médicale, la publicité ou la presse médicale, hormis Prescrire, que ce sens de la lecture critique est encouragé.

La SFTG travaille depuis plusieurs années sur l'aide que l'informatique peut apporter au suivi des patients et à la stratégie thérapeutique : ces travaux ont été menés exclusivement avec de l'argent public obtenu en répondant à des appels d'offre de recherche. Ces travaux ont donné lieu à des rapports et à des publications. En partenariat avec la Haute Autorité de santé, la SFTG a piloté l'élaboration de recommandations pour l'hygiène au cabinet médical et pour la prise en charge de patients souffrant d'insomnies en médecine générale. Enfin, la SFTG est fortement impliquée dans le congrès national annuel de médecine générale et dans le collège de médecine générale créé en 2010.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Thérèse Hermange

Que pensez-vous des informations qui étaient à la disposition des médecins généralistes prescripteurs pour connaître la nature du Mediator, notamment son caractère anorexigène ? L'information disponible permettait-elle d'opérer le rapprochement entre benfluorex et anorexigènes ?

Comment appréciez-vous les prescriptions du Mediator hors autorisation de mise sur le marché (AMM) ? Ont-elles été fréquentes et se justifiaient-elles au regard de la situation des patients ?

Ce sont les spécialistes, plus que les généralistes, qui ont signalé les effets indésirables du Mediator : dans quelle mesure les médecins généralistes pouvaient-ils connaître et signaler les effets indésirables dus au Mediator ?

Debut de section - Permalien
Antoine de Beco

La formation en pharmacologie dans les facultés était extrêmement pauvre à mon époque. Le concept de bénéfice-risque des médicaments y était peu enseigné. De plus, les médicaments sont connus sous leurs noms de marque et non sous leur dénomination commune internationale (DCIS). Les médecins généralistes qui s'intéressent à la thérapeutique ont pu être sensibles au nom de benfluorex, mais pas à celui de Mediator qui n'éveille pas l'attention de la même façon. La revue Prescrire développe une rubrique sur les suffixes, les segments clés, qui met en éveil, mais tout le monde ne lit pas cette revue.

En plus, les médecins ne reçoivent pas les mêmes messages et je ne suis pas certain que la visite médicale des laboratoires Servier expliquait que le Mediator était un anorexigène, mais je ne puis en dire plus, étant donné que je ne reçois pas de visiteurs médicaux.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Mais comment faites-vous pour vous informer ? On vient de nous dire que cette visite est indispensable !

Debut de section - Permalien
Antoine de Beco

Je ne sais pas s'il s'agit d'une information. En tout cas, il ne s'agit certainement pas d'une formation. Cela s'apparente peut-être plus à de la publicité.

Debut de section - Permalien
Antoine de Beco

Lorsqu'un médicament nouveau est mis sur le marché, un médecin généraliste en a-t-il besoin immédiatement ? Certainement pas, sauf peut-être pour traiter quelques maladies orphelines. Certaines revues, comme Prescrire, vont en parler rapidement et le médecin généraliste sera informé. Si la visite médicale consiste à me faire un rappel sur des produits que j'utilise déjà, j'ai d'autres façons de m'informer.

Debut de section - Permalien
Antoine de Beco

Oui, sans y être abonné, et comme quantité de médecins. Je reçois aussi Impact médecin et Le Panorama du médecin. Je lis ces revues en diagonale, en tant que président de la SFTG, car j'ai besoin d'y apercevoir les lignes de force qui y sont développées, mais je ne les lis pas pour l'information médicale.

Debut de section - Permalien
Antoine de Beco

Oui. Je suis installé depuis vingt-six ans et je ne me suis jamais abonné.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Ce que vous dites contredit ce que M. Kouchner nous a affirmé : d'après lui, il procède à des abonnements tournants : il envoie pendant quelques semaines un journal à des médecins et, si ces derniers ne s'abonnent pas, il change de praticiens.

Debut de section - Permalien
Antoine de Beco

Je suis peut-être persona grata, mais je n'ai pas toujours été président de la SFTG. Sans doute, certains jours je ne reçois pas tel ou tel journal, mais il n'y a jamais d'interruption prolongée.

Pour revenir sur l'histoire de la SFTG, il y a une trentaine d'années, les plus anciens se réunissaient avec des pharmacologues de la Pitié Salpêtrière pour recevoir ensemble les visiteurs médicaux : l'expérience n'a pas été concluante et ils ont décidé de se former autrement. En l'absence de formation pharmacologique correcte, nous sommes dans un rapport qui n'est pas favorable à la capacité de compréhension et de discrimination du médecin. Pour moi, la visite médicale n'est pas indispensable.

Pour ce qui est de la prescription hors AMM, elle peut trouver sa place dans certains domaines particuliers, mais je doute qu'il en soit ainsi pour un anorexigène. Les anorexigènes ne résolvent pas le problème de l'obésité qui est extrêmement difficile et douloureux pour des malades qui sont parfois rejetés par la société. En 1979, le Vidal parlait pour le Mediator d'hyperlipidémie et d'hypertriglycéridémie. En 2009, la définition est devenue : « adjuvant du régime adapté chez le patient diabétique ». Si j'avais lu cette définition dans le Vidal, j'aurais sans doute été plus prudent dans l'utilisation de ce médicament. Mais c'est en même temps très tentant : il n'y a pas beaucoup de médicaments qui font maigrir les diabétiques. Une des grandes difficultés chez le patient diabétique, c'est qu'il prend du poids au fur et à mesure de sa pathologie. Si on lui administre de l'insuline, il va encore prendre du poids. On est alors tenté de lui donner un médicament qui va le faire maigrir.

Pour la fréquence des prescriptions hors AMM, la Caisse nationale d'assurance maladie (Cnam) pourrait vous répondre.

Les médecins généralistes sont en permanence soumis à des demandes discutables : il faut savoir dire non, mais le dire, cela prend parfois toute une consultation. Un clic de souris ou prendre son stylo pour rédiger une ordonnance, cela ne prend que quelques secondes. De plus, les médecins généralistes reprennent souvent des prescriptions établies par des spécialistes. Il est extrêmement difficile de refuser un renouvellement, surtout que les spécialistes jouissent d'une aura plus grande que les généralistes.

Debut de section - Permalien
Antoine de Beco

Certes, mais pas des spécialistes d'un organe.

Les traitements sont souvent prescrits en sortie d'hospitalisation, avec les médicaments disponibles dans la pharmacie de l'hôpital. Ils ne sont pas en DCI et ils ne sont pas forcément les moins chers. Bref, les médecins généralistes ne sont pas dans une position facile.

Vous avez dit que les spécialistes avaient plus alerté sur les effets indésirables du Mediator que les médecins généralistes. Certes, mais cela est compréhensible : les cardiologues concentrent les échographies et les chirurgiens cardiaques détectent les anomalies. Les diagnostics de valvulopathies atypiques ont été établis par des spécialistes, et c'est bien normal. Les médecins généralistes ne peuvent qu'entendre un souffle cardiaque, constater l'essoufflement, suspecter un trouble valvulaire : ils adressent alors le patient au spécialiste.

De plus, si la déclaration d'effet indésirable est obligatoire, elle est aussi bénévole. Il faudrait trouver des modes d'indemnisation des médecins, constituer des réseaux de pharmacovigilance, former les médecins généralistes afin qu'ils puissent déclarer les effets secondaires, avoir des médecins qui surveillent les molécules qui sont mises sur le marché. Mais la pratique actuelle de la médecine ne facilite pas ce type d'évolution.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Thérèse Hermange

Pensez-vous que la loi « anti-cadeaux » de 1994 a été efficace ? Comment assurer une plus grande indépendance de la formation médicale continue vis-à-vis des industries pharmaceutiques ?

Participez-vous aux Assises du médicament ? Qu'en attendez-vous pour les généralistes, pour le système de santé et pour les patients ? Notre but est de redonner confiance dans les médicaments.

Debut de section - Permalien
Antoine de Beco

Certes, mais la liste des soixante-dix sept médicaments a paniqué certains de nos patients.

La loi « anti-cadeaux » a réduit un peu les abus : il n'y a plus de pots de départ à la retraite payés par les laboratoires, il n'y a plus de séminaires couplés avec des voyages en Mer rouge. Ces pratiques existaient, mais comme je n'y participais pas, je ne puis les décrire.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Je tiens à votre disposition des exemples qui contredisent ce que vous dites... Tous les colloques n'ont pas lieu à l'Assemblée nationale ou au Sénat...

Debut de section - Permalien
Antoine de Beco

Les groupes locaux de la SFTG s'autofinancent, la formation continue est financée dans un cadre conventionnel avec un organisme de gestion. Mais le prix de l'indépendance, c'est aussi une grande insécurité : quand il y a des crises conventionnelles, il n'est pas aisé de poursuivre des actions de formation continue. Nous sommes également confrontés aux contraintes économiques de la sécurité sociale. La signature de conventions bipartites avec les représentants de la profession peut faire l'objet de discussions, mais elle me semble préférable au financement par des acteurs ayant un intérêt direct.

Pour l'instant, dans le cadre conventionnel, il y a moyen de réfléchir aux thèmes de formation qui vont être développés.

J'en viens aux Assises du médicament : la SFTG n'a pas été invitée : elle n'y participe donc pas. La représentante de la SFTG qui participe à la commission ministérielle de suivi du Mediator à la demande de la direction générale de la santé prend forcément sur son temps de travail et de congés, sans être rémunérée. La notion de temps est essentielle : la démographie médicale est ce qu'elle est, et nous n'allons pas abandonner nos consultations. Il n'est pas simple de participer à de multiples réunions. Il est cependant très enrichissant de se retrouver entre collègues. Médecin généraliste est un métier très solitaire. Se retrouver avec d'autres, réfléchir à sa pratique, se rendre compte que l'on a les mêmes difficultés et tenter d'avancer ensemble dans notre connaissance, c'est indispensable pour éviter l'épuisement professionnel. Le taux de suicide dans la profession médicale est extrêmement élevé. C'est un métier où vous devez prendre plusieurs décisions par heure et, pour certaines, les conséquences sont importantes.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Il semble que les jeunes médecins soient de plus en plus attirés par l'exercice en groupe.

Debut de section - Permalien
Antoine de Beco

C'est vrai. Peu d'entre eux souhaitent s'installer en libéral : les jeunes médecins généralistes vont, pour beaucoup, dans les services de gérontologie ou dans les services d'urgence. En outre, ils préfèrent effectuer des remplacements pendant plusieurs années.

Des Assises du médicament, nous espérons des moyens pour une formation médicale continue indépendante et une réelle mise en oeuvre de l'obligation de formation.

Debut de section - Permalien
Antoine de Beco

Il faudra là aussi trouver du temps et de l'argent, ce qui n'est pas simple. Si le prix de la formation continue pour tout le monde, c'est moins de formation pour ceux qui se formaient régulièrement, ce n'est pas vraiment acceptable. Nous espérons aussi que ces Assises déboucheront sur la possibilité de prescrire en DCI, grâce à des outils informatiques adaptés. A l'heure actuelle, je ne crois pas que cela soit possible. Si je tape la molécule amoxicilline au lieu de Clamoxyl, je me retrouve devant une liste considérable. Ce n'est pas ce que j'appelle prescrire en DCI, la multiplication des génériques rendant la situation encore plus compliquée.

Ces Assises devraient déboucher sur la mise en place d'un réseau de pharmacovigilance, d'une banque de données des médicaments indépendante de l'industrie, d'un dispositif de pharmacovigilance active basée sur les médecins généralistes. Elles devraient également prévoir des formations pour apprendre à dire non et s'appuyer sur les sciences sociales pour la formation des médecins.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Vous ne recevez donc ni les uns, ni les autres. Comme les visiteurs médicaux, je ne suis pas certain que ces délégués soient formés à la pratique médicale.

Debut de section - Permalien
Antoine de Beco

Leur métier est celui de professionnels de la communication.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Vous appelez de vos voeux une banque de données indépendante de l'industrie pharmaceutique. Nous en avons parlé avec le directeur de l'assurance maladie : il existe une banque de données, Thesorimed, mais, quand elle est connue, elle n'est pas utilisée par les généralistes. Cette banque de données a été élaborée à partir de la banque Theriaque, et elle me semble répondre à vos attentes : elle est indépendante de l'industrie pharmaceutique, mais elle n'est pas utilisée. Pourquoi ?

Debut de section - Permalien
Antoine de Beco

Je ne la connais pas.

Nous travaillons de plus en plus avec des logiciels médicaux : la difficulté sera d'insérer cette banque dans les logiciels que nous utilisons afin de pouvoir prescrire.

Au début, on a marché sur la tête : de trop nombreux logiciels ont été créés. Il était difficile de communiquer, de se transmettre des informations, car ces logiciels n'étaient pas compatibles. Il risque d'en aller de même si l'on veut utiliser une banque de données médicamenteuse.

Au sein de la SFTG, un travail est mené sur cette question afin de mettre en place des tableaux de bord de suivi des patients ayant une pathologie chronique. La SFTG et la HAS tentent de mettre au point des langages communs entre les différents logiciels médicaux, mais les éditeurs de logiciels n'ont pas forcément intérêt à modifier leurs produits.

Debut de section - Permalien
Antoine de Beco

Tout à fait. Il n'y en a qu'un qui soit agréé par la HAS.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

C'est d'ailleurs assez étonnant, car cela fait six ans que la HAS s'en occupe.

Debut de section - Permalien
Antoine de Beco

Le logiciel agréé par la HAS et celui développé par la SFTG sont en lien et nous essayons de mettre en place le tableau de bord de suivi dont je vous ai parlé. Au sein du collège de la médecine générale, nous réfléchissons ensemble à ces questions importantes.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Nous auditionnons maintenant le professeur Jean-Louis Imbs, qui fut président du comité national de pharmacovigilance (CNPV) pendant les années cruciales où l'on a perdu l'occasion de retirer le Mediator de la vente quand il en était encore temps. Cette audition, publique et ouverte à la presse, fait l'objet d'un enregistrement audiovisuel pour diffusion sur le site internet du Sénat et, éventuellement sur la chaîne Public Sénat.

En application de l'article L. 4113-13 du code de la santé publique, je dois vous demander de nous faire connaître, si vous en avez, vos liens avec des entreprises produisant ou exploitant des produits de santé ou avec des organismes de conseil intervenant sur les produits concernant la santé.

Debut de section - Permalien
le Professeur Jean-Louis Imbs, ancien président du CNPV

J'ai eu en effet des liens d'intérêts avec l'industrie pharmaceutique, que j'ai déclarés dans la déclaration publique exigée depuis plusieurs années par l'Afssaps. J'avais des liens avec le laboratoire Sanofi-Aventis. Mais je n'ai plus aucun de ces liens depuis trois ans. J'avais également déclaré à la Haute Autorité de santé un lien d'intérêt avec Servier, à l'occasion de la présentation du dossier d'un anti-ostéoporotique ; ce fut un lien très bref et d'ailleurs peu fructueux pour le laboratoire puisque, en matière d'amélioration du service médical rendu, ce produit obtint le classement 3 - sur une échelle de 5.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Lorsque vous étiez président du CNPV, aviez-vous des liens d'intérêts avec Servier ?

Debut de section - Permalien
Jean-Louis Imbs

Non.

Je me présente. Je suis pharmacologue clinicien à la faculté de médecine de Strasbourg, j'ai été directeur de l'Institut de pharmacologie de cette faculté et directeur du service d'hypertension du CHU. Actuellement, je suis professeur de pharmacologie retraité.

Le réseau de pharmacovigilance français repose sur trente et un centres qui, bon an mal an, déclarent 20 000 effets indésirables, tous analysés. Ce réseau passe à la pratique de la pharmaco-épidémiologie, laquelle aurait dû être mise en place depuis des années, ce qui aurait peut-être modifié le devenir du Mediator.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Thérèse Hermange

Nous sommes une mission d'information, nous ne menons pas une procédure judiciaire. Nous avons un rôle de contrôle et d'impulsion d'une nouvelle politique du médicament.

Comment expliquez-vous que l'analyse des effets des fenfluramines par l'étude IPPHS n'ait pas conduit à interdire le Mediator ?

Le processus de prise de décision au sein de l'Afssaps est-il responsable du non retrait du Mediator ?

L'indépendance et la compétence des experts de l'Afssaps vous paraissent-elles pouvoir être remises en cause ? Une pétition circule où certains de ces experts s'inquiètent de voir leurs compétences livrées à l'opprobre de nos concitoyens.

Dans le cadre de vos activités de pharmacovigilance, avez-vous eu connaissance d'incidents concernant le Mediator, en France ou à l'étranger ?

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Avez-vous toujours considéré le Mediator comme un anorexigène ?

Debut de section - Permalien
Jean-Louis Imbs

Je n'étais pas au courant de cette pétition. Mais je souscris à son esprit. Le CNPV comprend des experts internes et externes. Les experts externes, dont j'ai longtemps fait partie, consacrent beaucoup de leur temps et de leurs compétences à l'analyse des dossiers. La liste des soixante-dix sept médicaments sous surveillance spéciale résulte de leur travail. Depuis environ dix ans sont venus s'adjoindre à eux des experts internes qui sont de plus jeunes collègues. La plupart des experts externes ont évidemment des contacts avec l'industrie pharmaceutique ; du fait qu'ils sont compétents, l'industrie a besoin d'eux.

L'étude IPPHS a marqué une étape à la fois pour la rationalité de la pharmacovigilance et pour le Ponderal et l'Isoméride. Elle a prouvé l'absolue nécessité de compléter la « notification spontanée » - les 20 000 notifications dont je parlais - par une démarche de pharmaco-épidémiologie. C'est cette démarche qui a permis de conclure formellement au lien de causalité entre la prise de ces fenfluramines et l'apparition d'hypertension artérielle pulmonaire (HTAP). A l'époque, il n'était pas encore question de lésions des valves cardiaques ; cette complication n'a été mise en évidence que plus tard, avec une observation venue de la Mayo Clinic aux Etats-Unis.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

L'étude IPPHS a été réalisée à l'époque où vous étiez président du CNPV, entre 1992 et 1995. Quel rôle ont joué les centres régionaux de pharmacovigilance dans la fourniture des cas-témoins ? Une enquête du centre de Besançon avait détecté onze cas d'HTAP dont était responsable l'association des fenfluramines et du Mediator. Ces cas ont été intégrés dans l'étude IPPHS. Je m'étonne que le Professeur Abenhaim et les membres du Conseil scientifique n'aient pas vu la responsabilité du Mediator. Pourquoi n'a-t-on rien vu ?

Debut de section - Permalien
Jean-Louis Imbs

A l'époque le poids de la responsabilité des fenfluramines était tel que celle du Mediator est passé inaperçue.

Personnellement, je ne considérais pas ce produit comme un anorexigène. L'information n'est venue qu'après l'enquête de Besançon montrant que de la norfenfluramine était libérée par le métabolisme du benfluorex.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

En tant que pharmacologue, vous saviez que le Mediator avait comme dénomination commune internationale « benfluorex » et que le suffixe « orex » désigne les anorexigènes ?

Debut de section - Permalien
Jean-Louis Imbs

On aurait dû y penser. Mais au moment de l'étude IPPHS, le Mediator n'était pas perçu comme un anorexigène fenfluraminique, alors qu'il mène à partir d'un comprimé de 150 mg à une concentration ou une libéralisation de norfenfluramine qui est équivalente à celle que l'on peut obtenir avec l'Isoméride. Cela n'était pas connu.

Debut de section - Permalien
Jean-Louis Imbs

Je pense que Servier n'a pas donné toutes les informations nécessaires. Le métabolisme du médicament n'était pas connu sur le plan quantitatif. La quantité de norfenfluramine n'a été documentée que plus tardivement.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

C'est étonnant car, dès les années 70, le Professeur Le Douarec, qui a travaillé pour Servier, disait - et avant même sa mise sur le marché - que le benfluorex était un anorexigène puissant. Cela a été complètement oublié.

Debut de section - Permalien
Jean-Louis Imbs

Non, pas complètement oublié. Le rapport de Besançon fait allusion au risque de libération de norfenfluramine. Mais son effet était considéré comme minime et ne donnant pas lieu comme observation à une HTAP primitive liée au seul benfluorex.

Debut de section - Permalien
Jean-Louis Imbs

Non, vous mettez là le doigt sur un manque de l'action de pharmacovigilance initiale et je suis persuadé que c'est une occasion perdue, en raison de multiples causes.

Debut de section - Permalien
Jean-Louis Imbs

Il y en a. Comment ne pas le penser ?

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Thérèse Hermange

Que pensez-vous de ces propos d'un responsable des laboratoires Servier :

« Lorsque vous administrez de la fenfluramine ou de la dexfenfluramine, le composé parent, elle représente environ 60 % des composés circulants, les 40 % autres circulants étant de la norfenfluramine. Si vous prenez du benfluorex, ce dernier ne circule pas au niveau plasmatique en tant que tel: il est en effet métabolisé en trois à quatre métabolites circulants, la norfenfluramine ne représentant que 10 % des composés circulants. Ce qui fait la différence majeure, c'est que le benfluorex ne donne pas naissance à de la fenfluramine. Dans le cas de l'Isoméride, la fenfluramine est elle-même porteuse de l'activité pharmacologique, et donc en partie responsable de l'effet anorexigène. La fenfluramine et la norfenfluramine sont tous deux porteurs de l'activité pharmacologique alors que, pour le benfluorex, la norfenfluramine ne représente qu'environ 10 % de l'exposition plasmatique de l'ensemble des métabolites qui sont d'une autre nature. Le benfluorex ne donne pas naissance à la fenfluramine. Le rapport de l'Igas rappelle que l'effet anorexigène a été rapporté dans les études de pharmacologie chez l'animal. Mais il y a une différence majeure entre le métabolisme du rat et celui de l'homme pour ce qui concerne le benfluorex. Chez le rat, après administration de benfluorex, la norfenfluramine est le métabolite principal et est retrouvé en quantité très supérieure au métabolite S 1475 qui lui est le métabolite principal retrouvé après administration de benfluorex chez l'homme. Nous sommes donc dans un niveau d'exposition à la norfenfluramine différent et un ratio des composés circulants totalement inverse selon qu'on fait la pharmacologie chez le rat ou chez l'homme. Cela permet de comprendre pourquoi, chez le rat, on est capable de mettre en évidence, à des taux d'exposition élevés de norfenfluramine, une activité de type anorexigène, alors qu'on ne le constate pas chez l'homme ».

Debut de section - Permalien
Jean-Louis Imbs

Cela fait partie de la politique de désinformation des laboratoires Servier.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Et vous n'êtes pas armés pour vous y opposer ? Je reconnais que ce sont d'excellents professionnels. J'admire qu'ils aient réussi à maintenir sur le marché pendant trente ans un médicament inefficace et dangereux... Les autorités sanitaires ont été incapables de contrer cette désinformation.

Debut de section - Permalien
Jean-Louis Imbs

Je partage ce sentiment. Le rôle de la pharmacovigilance était d'analyser les observations communiquées et d'essayer d'y voir une relation de cause à effet. Ce n'est pas le CNPV qui prend les décisions de retrait. C'est le transfert d'information qui a pris trop de temps...

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Thérèse Hermange

Le cadre légal et jurisprudentiel imposant des certitudes scientifiques pour justifier le retrait d'un médicament vous semble-t-il trop contraignant ?

Debut de section - Permalien
Jean-Louis Imbs

Question difficile. L'apparition d'une préoccupation avec les soixante-dix-sept médicaments soumis à surveillance spéciale ne signifie pas qu'il faille les retirer tous du marché. Il est difficile de prendre des décisions de retrait que nous voulons toujours fonder sur des relations de causalité démontrées. Avec l'étude IPPHS on a l'exemple de ce que doit faire la pharmacovigilance : ramasser les informations par des cas, les analyser et mener à une étude pharmaco-épidémiologique. C'est ce qui se met en place. Mme Frachon a bénéficié des études de cas brestois et français par une méthode mise en place par la pharmacovigilance de l'Afssaps. Il aurait été souhaitable qu'elle soit plus précoce. Mais la pharmacovigilance avait conclu - avec retard, certes - qu'un risque potentiel existait.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Thérèse Hermange

Que pensez-vous du débat entre les sources méthodologiques de Mme Frachon et celles de Mme Alperovitch ou du professeur Acar ?

Debut de section - Permalien
Jean-Louis Imbs

Je ne vois pas à quoi vous faites allusion.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Thérèse Hermange

Que pensez-vous de la proposition de sortir le dispositif de pharmacovigilance du champ des compétences de l'Afssaps pour l'intégrer à l'InVS ?

Debut de section - Permalien
Jean-Louis Imbs

J'ai peur que cela mette à mal un instrument qui fonctionne, au vu du nombre d'observations collectées et de la gestion des risques repérés. J'ai vécu la mise en place de ce réseau de trente et un centres régionaux. C'est un énorme travail et il serait dommage de jeter le bébé avec l'eau du bain.

Je suis frappé de constater que, dans tout cela, la chaîne complète du médicament n'est pas abordée. Certes la firme aurait dû fournir une information différente mais il y a aussi eu un dérapage dans les prescriptions du Mediator qui ont été faites hors AMM. Je n'en entends pas parler et j'aimerais comprendre pourquoi.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Là aussi, il est difficile de situer les responsabilités. Il y a eu un mésusage de ce médicament, dans des proportions allant de 10 % à 50 %. Les généralistes avancent qu'il était prescrit par les spécialistes et que, eux, ne faisaient que poursuivre. Nous n'avons pas encore auditionné les spécialistes. Il faut s'interroger : pourquoi tant de prescriptions hors AMM ? Il ne s'agit pas d'interdire celles-ci ; elles sont souvent utiles mais il faudra mieux les encadrer.

Debut de section - Permalien
Jean-Louis Imbs

Et mieux former les médecins au médicament. Cette formation est tout à fait insuffisante !

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

En application de l'article L. 4113-13 du code de la santé publique, je dois vous demander de nous faire connaître, si vous en avez, vos liens avec des entreprises produisant ou exploitant des produits de santé ou avec des organismes de conseil intervenant sur les produits concernant la santé.

Debut de section - Permalien
la Professeure Geneviève Derumeaux, présidente de la Société française de cardiologie

J'ai effectivement des relations avec l'industrie pharmaceutique, notamment avec les laboratoires Servier, en tant qu'experte de l'échographie cardiaque dans le cadre de l'étude Regulate. J'ai obtenu des contrats de recherche subventionnés par les laboratoires Astra Zeneca, Trophos, Brams et Servier. Pour des invitations à des congrès scientifiques en France et à l'étranger, j'ai des relations avec Astra Zeneca, Sanofi Aventis, Metronic et Servier. Je suis également intervenue dans des symposiums financés par Boehringer Ingelheim, Sanofi Aventis, Toshiba, General Electrics, Metronic et Servier.

J'interviens aussi dans des symposiums non financés par l'industrie pharmaceutique. Les congrès organisés par la Société française de cardiologie ou par la Société européenne de cardiologie comportent des sessions qui, pour la plupart, ne sont pas financées par l'industrie. Celles qui le sont, sont identifiées de façon indépendante au sein de ces congrès. Le congrès de Stockholm de la Société européenne de cardiologie comporte une session financée par l'industrie, sans laquelle il ne serait pas possible de réunir 30 000 cardiologues européens.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Donc, sans industrie, pas de congrès ! Sans laboratoires, pas de Société française de cardiologie ! C'est inquiétant...

Debut de section - Permalien
Geneviève Derumeaux

Actuellement toutes les sociétés ont deux types de revenus. Les cotisations de leurs membres - 80 euros par membre pour la SFC - sont insuffisantes, si bien que l'essentiel de leurs ressources vient des congrès et des subventions pour des recherches. Je le déplore autant que vous, mais le terme d'« inquiétant » me semble excessif. Je partage votre préoccupation. Je suis présidente de la Société française de cardiologie depuis janvier 2010 et j'ai tout de suite eu conscience qu'il fallait travailler à rediscuter le mode de financement de toutes ces sociétés savantes qui doivent, ne l'oublions pas, se positionner au niveau international.

Ces congrès sont des lieux où l'on fait part de ses recherches et où les jeunes chercheurs peuvent débuter leur carrière en exposant leurs travaux. Ce sont aussi des lieux de perfectionnement et d'enseignement post-universitaire, où les cardiologues, libéraux ou hospitaliers, bénéficient de mises au point de la part d'experts internationaux. C'est donc un temps fort de la vie de ces sociétés.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

La Société française de cardiologie n'a donc pratiquement pas de moyens en dehors de l'aide fournie par l'industrie pharmaceutique ?

Debut de section - Permalien
Geneviève Derumeaux

Nos moyens propres sont limités. Nous regroupons 4 500 des 6 500 cardiologues français, plus des chercheurs et aussi des paramédicaux. Faites la multiplication. Avec 80 euros de cotisation nous ne pourrions jamais organiser ces congrès.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Il n'empêche que, à en croire le professeur Philippe Lechat, que nous avons auditionné, votre société aurait financé l'étude Valide dont il était l'investigateur principal. Comment pouvez-vous financer de telles études ?

Debut de section - Permalien
Geneviève Derumeaux

Nous sommes en effet une des rares sociétés savantes à avoir développé une cellule Recherche et une cellule Registres. Nos revenus viennent de notre congrès et de subventions de recherche fournies par des laboratoires mais qui sont versées dans un pot commun.

Debut de section - Permalien
Geneviève Derumeaux

Ils donnent des subventions qui ne sont pas consacrées à leurs recherches propres et qui se ventilent entre études et registres.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

L'étude Lechat porte sur un médicament. Or, il a argué du financement de votre société pour ne pas la déclarer comme lien d'intérêt. C'était masquer la réalité ! En réalité, ce sont les laboratoires qui financent et, à ce titre, ne doit-on pas déclarer ses liens d'intérêts ?

Debut de section - Permalien
Geneviève Derumeaux

La question est légitime. Ces subventions sont données de façon globale à notre société qui promeut des études et ventile les dotations des laboratoires. Peut-être le professeur Lechat n'avait-il pas ce mode de fonctionnement en tête. C'est un pot commun.

Debut de section - Permalien
Geneviève Derumeaux

Non, notre commissaire aux comptes a la liste des subventions versées par les laboratoires, des lignes budgétaires où elles sont affectées, et la transparence est totale.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Il s'agissait en l'occurrence d'une étude sur l'enoxaparine et j'imagine que vous recevez des subventions de Sanofi Aventis. C'est une pure coïncidence... Ce laboratoire finance, par votre intermédiaire, une étude Valide. A ce titre, il fallait la mentionner dans une déclaration publique de liens d'intérêts.

Debut de section - Permalien
Geneviève Derumeaux

Je l'aurais certainement mentionnée. Mais il m'est difficile de prendre position sur les propos du professeur Lechat.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Oui, mais cela met en cause la société dont vous êtes la présidente. Nous prenons acte de vos réponses....

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Thérèse Hermange

Le Parlement a une mission de contrôle et d'évaluation des politiques menées. Nous ne sommes pas une instance judiciaire. Nous tentons seulement de comprendre, afin de mieux réformer ce qui doit l'être.

Le rapport de l'Igas « constate que, malgré les résultats de l'étude cas-témoin de Brest et ceux de l'étude Regulate, les laboratoires Servier, représentés par le professeur Geneviève Derumeaux et le professeur Philippe Ravaud, se bornent à demander une modification des résumés des caractéristiques du produit. La mission note que ces modifications sont proches de celles déjà évoquées dans la version du rapport révisé rédigé dix ans plus tôt par l'Italie en lien avec la France, qui soulignait déjà la nécessité de faire modifier les RCP. »

Comment réagissez-vous à ces affirmations ? Quels ont été vos premiers contacts avec le Mediator et quand avez-vous eu connaissance des premières alertes relatives aux risques qu'il comportait ?

En plus de l'étude Frachon, certaines sources méthodologiques ont été mises en cause, notamment celles de l'épidémiologiste le docteur Annick Alperovitch, et le professeur Christophe Acar s'est lui aussi interrogé sur la méthodologie employée.

Debut de section - Permalien
Geneviève Derumeaux

Lorsque l'étude Regulate a été initiée par les laboratoires Servier, en 2005 - je n'étais pas encore présidente de la Société française de cardiologie -, le professeur Moulin, principal investigateur de Regulate, m'avait demandé une étude sur la sécurité d'emploi cardiovasculaire du benfluorex comparée à celle d'un produit de référence utilisé contre le diabète, la pioglitazone. A cette époque, Servier m'avait demandé s'il était possible d'évaluer les risques d'insuffisance cardiovasculaire de cette pioglitazone et, donc, avait besoin d'une étude échographique - je suis échocardiographiste. J'avais répondu qu'une échographie cardiaque pratiquée pour apprécier la force de contraction du muscle cardiaque devait être absolument complétée par une étude sur les valves et sur l'hypertension artérielle pulmonaire (HTAP). A l'époque il y avait peu de littérature dans la presse médicale sur le benfluorex. Il y en avait en revanche beaucoup sur l'Isoméride - alors retiré du marché - et sur le pergolide, administré en cas de maladie de Parkinson mais nocif pour les valves cardiaques. Sur le benfluorex, la seule alerte que j'avais alors venait d'une étude espagnole mettant en évidence l'apparition d'une valvulopathie.

Debut de section - Permalien
Geneviève Derumeaux

Je n'en suis informée que depuis que le Mediator a été retiré, en septembre 2009.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Vous considérez que l'imputabilité de cette valvulopathie est contestable ?

Debut de section - Permalien
Geneviève Derumeaux

Elle est fort probable.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

C'est un progrès : dans vos déclarations au site The Heart Organ, vous disiez qu'elle n'était pas évidente.

Debut de section - Permalien
Geneviève Derumeaux

Je n'ai jamais eu le dossier de ce patient. Je connais très bien la rigueur du Dr Chiche et je lui fais confiance. Mais pour affirmer, ou non, l'imputabilité, j'ai besoin du dossier. Sinon, je ne peux vous répondre avec certitude. Ce n'est pas du tout de ma part une dénégation. Je me réfère simplement aux conclusions de la pharmacovigilance de l'époque, où ce n'était qu'une alerte ; je n'avais pas connaissance d'une notification.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Dans la même interview, vous disiez qu'au moment du retrait du Mediator, on ne disposait que de « quelques cas erratiques », alors que, en mai 1999, trente notifications de valvulopathie avaient été présentées !

Debut de section - Permalien
Geneviève Derumeaux

L'incidence de la valvulopathie est importante dans la population générale et elle l'est encore plus dans cette population en particulier, où elle peut aller jusqu'à 50 %. Surtout si ces patients prennent aussi en association d'autres produits ! Mais il ressort de mon étude une indéniable imputabilité. Il n'y a, à cet égard, aucune dénégation de ma part. Et les membres de la commission de pharmacovigilance de 2009, que j'ai interrogés m'ont dit que ma présentation de Regulate et des résultats des échographies cardiaques avait été déterminante dans le retrait du Mediator.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Je parle de ce qui s'est passé avant Regulate. Vous dites qu'à ce moment là on ne savait rien sur les valvulopathies.

Debut de section - Permalien
Geneviève Derumeaux

Je maintiens qu'il s'agissait de cas erratiques, compte tenu de la fréquence des valvulopathies dans une population qui y est particulièrement exposée.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Vous ne pensiez pas que c'était une alerte et que cela imposait autre chose qu'une énième étude qui a retardé de quatre ans encore le retrait du Mediator ?

Debut de section - Permalien
Geneviève Derumeaux

A l'origine, cette étude ne portait pas sur les valvulopathies et c'est moi qui ai insisté pour qu'elles y soient intégrées. J'ai été alertée, bien sûr ; sinon, on n'aurait pas fait une étude pour rechercher l'émergence des valvulopathies et des HTAP, la seule étude en aveugle qui montre que, après un an, l'émergence de valvulopathie est multipliée par trois dans le groupe Mediator par rapport au groupe Pioglitazone. Dans le rapport de la Cnam, et aussi dans l'étude Weill, le risque est aussi de l'ordre de 3. Donc, j'ai été alertée.

Cette étude aurait pu être négative si je n'avais considéré que les fuites dites significatives. Or j'ai insisté pour qu'elle englobe également les fuites dites triviales, qui constituent le signal.

Quand à la déclaration du Dr Chiche en 1999, n'ayant pas eu le dossier entre les mains, je ne peux que rapporter les « on dit »...

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

La valvulopathie de Marseille n'est pas une simple rumeur !

Debut de section - Permalien
Geneviève Derumeaux

Je répète que je n'ai pas eu le dossier entre les mains. Sur les cas précis, je ne connais que les données de la littérature, à savoir le cas de Barcelone en 2003, et ceux de 2006 rapportés par des équipes françaises.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Vous n'accordez pas le même crédit à la valvulopathie de Marseille qu'à celle de Barcelone, qui a, elle, fait l'objet d'une publication ?

Debut de section - Permalien
Geneviève Derumeaux

Ce n'est pas une question de crédit. Vous me demandez si la valvulopathie de Marseille est imputable au Mediator ; je vous réponds que c'est fort probable, mais que je ne connais pas le dossier. Pour le cas espagnol, je peux le dire avec certitude, car les données ont été publiées.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

N'existe-t-il pas de documents sur le cas marseillais ?

Debut de section - Permalien
Geneviève Derumeaux

Certainement, mais je ne les ai pas eus en main.

Debut de section - Permalien
Geneviève Derumeaux

Ce n'était pas mon rôle de requalifier les éléments rapportés dans les services de pharmacovigilance.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Vous vous êtes donc exprimée sur l'imputabilité d'une valvulopathie alors que vous n'aviez aucun élément en main ?

Debut de section - Permalien
Geneviève Derumeaux

J'ai émis un doute du fait que je n'étais pas en possession du dossier.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

J'attache beaucoup d'importance à cette première valvulopathie, qui a été contestée. Qu'un professeur comme vous, avec votre autorité, semble mettre en doute son imputabilité est très regrettable.

Debut de section - Permalien
Geneviève Derumeaux

Je ne mets pas en doute l'imputabilité de la valvulopathie, je dis que je n'ai pas les éléments pour me prononcer. Vous me faites un mauvais procès !

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Le 13 décembre 2010, vous dites que l'imputabilité de la valvulopathie de Marseille en 1999 n'était pas évidente et n'avait donc pas été retenue. Cela me paraît grave.

Debut de section - Permalien
Geneviève Derumeaux

Je me faisais le porte-parole du comité de pharmacovigilance, qui avait analysé le dossier de Marseille ; je ne portais pas un jugement personnel. Vous considérez que j'ai pu imaginer qu'il n'y avait pas de lien entre le Mediator et la valvulopathie ; or ce lien, je l'ai démontré, tout en étant pourtant experte mandatée par Servier ! J'aurais pu dans mon étude ne parler que des fuites de grade 2, qui n'induisent pas de symptomatologie. Je pense avoir fait preuve d'une probité totale dans ma recherche et dans ma présentation des résultats. Je me suis livrée à une relecture indépendante de toutes les échographies, sans savoir à quel groupe appartenaient les patients.

Je regrette que les éléments à charge soient ressassés, tandis que l'on balaye un travail de fond, dont la rigueur n'a jamais été contestée, au motif qu'il n'aurait eu aucun impact sur la décision de retrait du Mediator, ou qu'il serait arrivé trop tard, et serait inutile. Cela me paraît injuste !

L'alerte date de 2003. Sans vouloir botter en touche, je rappelle que le Mediator n'était pas un produit de cardiologie. Il était essentiellement prescrit par des médecins traitants, voire des endocrinologues, souvent hors AMM.

En 2008, la Société française de cardiologie a tenu une session dédiée aux valvulopathies induites par les médicaments. Dès le retrait du Mediator, le site de la Société française de cardiologie relayait l'information. Étonnamment, malgré cette publication, malgré l'étude de suivi lancée dès 2009, l'information des cardiologues, notamment libéraux, n'a pas été patente, et n'a pas constitué l'alerte. C'est fort dommageable. Le président du Syndicat des cardiologues, qui a également relayé l'information auprès de la communauté cardiologique, a fait le même constat.

Parlant avec Mme Irène Frachon avant le retrait du médicament, en mars 2009, je m'étais étonnée de la sévérité des cas qu'elle rapportait. Je suis des valvulopathies au quotidien : le premier travail de l'échographiste est d'identifier une valvulopathie, d'en apprécier la sévérité et l'étiologie. En quinze ans d'exercice, je n'ai pas eu de signal de valvulopathie induite par ce traitement. J'ai indiqué à Mme Frachon que nous étions en train d'achever une étude de suivi ; par un hasard du calendrier, nous nous sommes retrouvées en 2009 dans la même session du Comité national de pharmacovigilance.

J'avais dit à Mme Frachon qu'il serait intéressant de reconduire son observation brestoise à l'échelle nationale, et je l'avais mise en contact avec le professeur Christophe Tribouilloy, président de la filiale d'échographie cardiaque de la Société française de cardiologie, pour aider à la diffusion de cette étude et au recensement de ces observations. Les résultats de l'étude ont colligé une quarantaine de cas, rapportés récemment. L'étude de suivi, lancée à la demande de l'Afssaps sur l'ensemble du territoire, donnera des informations factuelles sur un nombre beaucoup plus important de patients exposés au Mediator.

Vous m'interrogez sur des divergences entre experts sur la mortalité induite par le traitement par Mediator. Personne ne conteste qu'il y a eu des valvulopathies induites : sur ce point, aucune voix discordante. Mais l'appréciation de la mortalité induite peut être divergente, car une logique d'épidémiologiste se heurte à une méthodologie de clinicien. J'ai dit, après les déclarations de Servier, qu'il me paraissait indécent de restreindre la mortalité à trois décès. Un seul décès est déjà un de trop ! Il n'y a pas de bagarre, mais une discussion entre experts sur les méthodes de calcul, car on ne saura jamais combien de décès sont liées à cette molécule.

Il faudrait revenir sur la cohorte de patients rassemblés par la Cnam, permettre à des experts cardiologues de revoir les dossiers des soixante-quatre patients décédés et d'adjudiquer la mortalité sur une cause cardiovasculaire ou non ; de retrouver les données précises des échographies cardiaques, des chirurgies, voire des anatomopathologies. L'étude de suivi va apporter des informations importantes. Elle va éclairer la sévérité de cette pathologie, pour les patients et pour la justice. La logique épidémiologique, dont je ne nie pas la valeur, repose sur un nombre de patients potentiellement biaisé par des erreurs d'allocation ; cela mérite qu'on y revienne.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Thérèse Hermange

Estimez-vous adaptée la proposition de décembre 2009 de maintenir l'AMM du Mediator, après la parution des études Frachon et Regulate, en modifiant uniquement le résumé des caractéristiques du produit (RCP) ?

Debut de section - Permalien
Geneviève Derumeaux

Le rapport de l'Igas fait planer une ambiguïté. On y lit que « le laboratoire Servier, représenté par le professeur Ravaud et le professeur Derumeaux, propose une modification du RCP ». A aucun moment je n'ai proposé une modification de RCP ! Dès que nous avons pris connaissance des résultats préliminaires - début juillet, une photographie de la répartition des valvulopathies - nous avons immédiatement arrêté tout traitement par Mediator dans le service du Dr Moulin à Lyon, et mis en place un contrôle d'échographie. Je ne peux donc pas avoir proposé le maintien du Mediator par une modification du RCP !

Debut de section - Permalien
Geneviève Derumeaux

On ne me demandait pas de faire de proposition, pas plus qu'à Mme Frachon. J'ai présenté des résultats, de façon factuelle.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

La Société française de cardiologie va-t-elle se pencher sur le suivi des patients soumis au Mediator ?

Debut de section - Permalien
Geneviève Derumeaux

Elle le fait déjà. Une étude, pilotée par le professeur Tribouilloy, a été mise en route dès 2009. Le professeur Tribouilloy a présenté les résultats de son centre d'Amiens et rassemblé les dossiers de différents centres, en vue d'une publication dans une revue européenne.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Thérèse Hermange

Estimez-vous, comme le propose le rapport Debré-Even, qu'il faille créer un corps d'experts internes indépendants ?

Debut de section - Permalien
Geneviève Derumeaux

Je n'ai pas de réponse. Il faut des experts indépendants pour évaluer, lors de la mise sur le marché du médicament, le service médical rendu et surtout l'amélioration du service médical rendu.

Si je partage largement le diagnostic du rapport Debré-Even, il ne me paraît toutefois pas souhaitable de tenir les experts éloignés du terrain, de la pratique et des patients...

Debut de section - Permalien
Geneviève Derumeaux

Cela me paraît énorme !

L'indépendance est un voeu pieu. Qui peut dire être totalement indépendant, n'avoir jamais eu de relations avec l'industrie, quand celle-ci finance les congrès ?

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Le fait de participer à un congrès financé par l'industrie constituerait un lien avec celle-ci ?

Debut de section - Permalien
Geneviève Derumeaux

Je vous en ai décrit le fonctionnement.

En janvier 2010, déjà, j'ai demandé au comité d'éthique de la Société française de cardiologie de réfléchir aux relations avec l'industrie. On parle beaucoup de la relation entre médecins et industrie, j'entends même parler de relation « incestueuse », mais il ne faut pas oublier la place des patients. C'est un triangle. Il faut leur redonner la parole. Quel est leur désir d'innovation, donc de coût supplémentaire ? Aux politiques de ne pas nous laisser seuls face aux patients dans le choix du traitement. Les patients doivent continuer à être acteurs dans l'évaluation des effets secondaires.

Il n'y pas lieu de diaboliser ou de stigmatiser les relations entre les sociétés savantes et l'industrie, si elles sont transparentes.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Est-ce à dire que vous seriez d'accord pour que ces liens d'intérêts soient rendus publics ?

Debut de section - Permalien
Geneviève Derumeaux

Absolument. Ils sont d'ailleurs en ligne sur notre site. Je rappelle au passage que ceux qui animent la Société française de cardiologie sont tous bénévoles, c'est beaucoup de travail notamment pour préparer le congrès annuel.

Il faut revenir au pourquoi de la maladie. J'ai lancé dès le début de ma présidence un groupe de travail translationnel, de façon à faire travailler ensemble chercheurs et cliniciens ; j'ai organisé un congrès dédié à cette approche ; pour la première fois, les patients seront présents. A défaut d'indépendance, il faut assurer une transparence totale, et associer au mieux les patients à notre réflexion éthique. A titre d'exemple, j'anime une prise en charge de patients suivant une filière autour de l'insuffisance cardiaque, avec un parcours du patient, qui donnera lieu à une évaluation qualitative et économique par des chercheurs en sciences humaines et sociales.

Nous n'avons pas le droit, en tant que médecin, d'évacuer la question du risque lié au traitement. Ce risque est permanent, car un traitement efficace entraîne des effets secondaires.

Molécule mise sur le marché par Sanofi-Aventis, la dronédarone, commercialisée sous le nom de Multaq, a fait l'objet d'une alerte de la Food and Drug Administration (FDA) américaine, qui a recensé deux cas d'hépatite. Alors que nous étions en plein congrès européen, le site de la Société française de cardiologie en faisait Etat, avant même que l'Afssaps ne relaye le message.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Est-ce à dire que l'Afssaps n'est pas assez réactive ?

Debut de section - Permalien
Geneviève Derumeaux

Pas du tout. Je dis juste que je n'ai pas attendu les conclusions de l'Afssaps pour relayer celles de la FDA sur notre site.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

L'affaire du Mediator a-t-elle changé les relations de la Société française de cardiologie avec les laboratoires Servier ?

Debut de section - Permalien
Geneviève Derumeaux

Elle change la façon dont nous allons accepter la collaboration avec l'ensemble des laboratoires. Servier ne contribue que pour 15 % au budget de la Société française de cardiologie. Notre bureau va discuter aujourd'hui même des engagements proposés par Servier, de la participation aux symposia, des actions qu'il souhaite mener à nos côtés. Il n'y a pas lieu de diaboliser nos relations avec Servier, qui travaille sur des molécules prometteuses dans le domaine de l'insuffisance cardiaque. Nous serons très vigilants dans les propos tenus lors des symposia, s'agissant de toute communication au regard d'une autorisation de mise sur le marché.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

J'ai observé que vos colloques hebdomadaires se terminent par un buffet offert par Servier. C'est le cas pour le colloque du 6 janvier 2011, auquel vous participiez, ou pour le séminaire du 25 janvier, qui se tient « avec le soutien des laboratoires Servier »...

Debut de section - Permalien
Geneviève Derumeaux

Je vous ai indiqué les conflits d'intérêts que je pouvais avoir. Là, il ne s'agit pas de la Société française de cardiologie : ce n'est pas moi qui organise ces colloques. Ils se tiennent au sein de l'hôpital, et sont organisés par le pôle d'activité médicale ; à tour de rôle, certains laboratoires offrent en effet des sandwiches - pas grand-chose !

Debut de section - Permalien
Geneviève Derumeaux

Je transmettrai vos remarques aux organisateurs de ce pôle d'activité médicale. Si je voulais jouer à ce petit jeu, je rappellerai que le Club Hippocrate, qui rassemble députés et sénateurs, travaille avec le soutien de l'industrie du médicament, et de la Générale de santé, ce qui est plus inquiétant !

Debut de section - Permalien
Geneviève Derumeaux

Pour ma part, je suis attachée à 100 % au service public. Je n'ai jamais eu d'activité libérale, et n'en aurai jamais.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Je ne peux que vous en féliciter.

Merci pour cette audition, qui a été très intéressante.