Intervention de Stéphane Courbit

Commission d'enquête Concentration dans les médias — Réunion du 31 janvier 2022 à 15h05
Audition de Mm. Pierre-Antoine Capton président de mediawan stéphane courbit président de banijay et pascal breton président de federation entertainment

Stéphane Courbit, président de Banijay :

Nous sommes très heureux et honorés d'être devant vous aujourd'hui. Nous, producteurs, avons un peu le sentiment d'être les parents pauvres de la profession. J'ai apporté quatre slides pour illustrer les deux métiers de la création audiovisuelle : les diffuseurs diffusent et monétisent les programmes ; les producteurs créent et fabriquent les contenus, puis les vendent aux plateformes. Ces deux groupes d'acteurs sont assez différents. Parmi les diffuseurs se trouvent les chaînes linéaires, généralistes comme TF1, M6, Rai ou ITV, ainsi que les streamers ou diffuseurs à la demande, tels que Netflix, HBO Max, Prime Video, Canal+ - pour une partie de son activité. Du côté des producteurs figurent, entre autres, Mediawan, Federation Entertainment, Banijay, ITV, All3Media, Fremantle,dont beaucoup sont indépendants.

Le marché des achats de programmes dans le monde représente près de 300 milliards de dollars - 270 milliards d'euros -, qui sont investis chaque année dans le contenu. Les plateformes dépensent des sommes considérables, la principale étant Disney avec 30 milliards de dollars. Les diffuseurs européens et français sont un peu plus modestes par rapport à ces gros acheteurs : les achats de TF1 et de M6 atteignent respectivement 1 milliard d'euros et 500 millions d'euros, tandis que France Télévisions a réalisé 2 milliards d'euros d'achats.

Le marché de la production est beaucoup plus petit et très fragmenté, mais nous avons la chance que, sur les six premiers mondiaux, cinq soient européens, dont deux Français. En effet, si les diffuseurs européens ont perdu la bataille, ce n'est pas le cas des producteurs. Et le combat n'est pas forcément celui auquel on pense de prime abord.

Le secteur des chaînes de télévision concerne un peu moins de 20 000 employés en France, répartis sur les 4 principales : France Télévisions, Canal+, TF1 et M6. La production représente 100 000 emplois en France, plus que l'édition, la presse et les diffuseurs. Ce secteur est donc globalement générateur d'emplois, de création, et fabrique des champions nationaux. Même s'il s'agit évidemment de biens culturels, les diffuseurs pourraient être considérés comme les distributeurs de programmes à l'instar de Carrefour ou Auchan, et les producteurs seraient les fabricants des produits.

Banijay est né voilà une quinzaine d'années ; aujourd'hui, presque 90 % de son capital est détenu par des acteurs français. Nous possédons le plus important catalogue de programmes au monde - 120 000 heures. En outre, plus de 6 000 personnes en France, et 50 000 à travers le monde, travaillent chaque année pour Banijay. Le groupe est en réalité une fédération de petits entrepreneurs, au total 120 compagnies dans vingt-deux pays. Ces petites entreprises de producteurs indépendants jouissent d'une totale liberté éditoriale. Cette diversité s'étend de l'animation, aux jeux, en passant par les émissions de variétés, les talk-shows, les documentaires, la fiction, etc.

Le combat à mener pour défendre la création et la culture françaises, ainsi que leur exportation à l'étranger, doit passer par les programmes et non par la diffusion. Personne en France ne regarde ITV, BBC ou Antena 3. En revanche, on ne compte plus ceux qui ont visionné La Casa de papel, Peaky Blinders ou Downton Abbey. De la même manière, aucun étranger ne regarde France 2, TF1 ou M6, mais ils sont très nombreux à avoir vu Versailles, Dix pour cent ou Le Bureau des légendes. Par conséquent, pour faire rayonner la France, il faut cibler le contenu en aidant les producteurs et non les diffuseurs. Et soyons vigilants à la concentration de la diffusion qui viendrait affaiblir les premiers.

La compétition est indispensable, car elle favorise la créativité, y compris dans le métier de la diffusion et de l'audiovisuel. Avec une trop forte consolidation du marché de la diffusion, la création risque de disparaître, alors qu'elle est vertueuse en ce qu'elle fabrique des champions français.

Les plateformes ne sont pas les concurrentes des chaînes. Aucune publicité n'y est diffusée, et la durée d'écoute s'additionne comme on l'a vu lors du confinement lié au covid. La consommation sur les plateformes est seulement complémentaire et ne vient pas au détriment des chaînes généralistes - elles ne jouent pas dans la même division, sinon les chaînes auraient disparu depuis longtemps ! Amazon a annoncé que Prime Video investirait dans Le Seigneur des anneaux 1 milliard d'euros, soit autant que toute la grille de TF1, et deux fois plus que la grille de M6. Pour 2022, la dépense annuelle prévue par les seules plateformes présentes en France, c'est-à-dire Apple, Disney, Prime Video et Netflix atteint 70 milliards de dollars ; c'est plus que le contenu dépensé par TF1 et M6 depuis leur création...

Si l'on veut agir pour défendre la culture et les contenus français, il faut absolument aider les producteurs et non les affaiblir. Le marché de la production est encore assez éclaté, puisque les leaders européens engrangent 4 milliards ou 5 milliards de chiffre d'affaires, ce qui n'est rien à l'horizon des 300 milliards de dépenses de contenus chaque année. On a encore le temps de consolider le marché.

En conclusion, la concentration de la production, c'est l'expansion ; en revanche, la concentration de la diffusion, c'est de la protection et de la régression. Ne nous trompons pas de combat. La bataille de la diffusion est probablement perdue ; celle de la production ne l'est pas, surtout si l'on prend le bon virage.

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