Commission d'enquête Concentration dans les médias

Réunion du 31 janvier 2022 à 15h05

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • audiovisuel
  • concentration
  • diffuseurs
  • producteur

La réunion

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Photo de Laurent Lafon

Nous reprenons les travaux de notre commission d'enquête en recevant ce jour des producteurs dans le cadre d'une table ronde. Je rappelle que cette commission d'enquête a été constituée à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain et a pour rapporteur David Assouline.

Nous avons donc le plaisir de recevoir M. Pierre-Antoine Capton, président de Mediawan, M. Stéphane Courbit, président de Banijay, et M. Pascal Breton, président de Federation Entertainment.

Monsieur Capton, vous avez fondé la société Mediawan en 2015 avec Xavier Niel, que nous allons entendre dans quelques jours, et Matthieu Pigasse, que nous avons auditionné vendredi 28 janvier. Votre société a connu un très fort développement depuis sa création, dans le domaine de la production, puisque vous êtes aujourd'hui le premier fournisseur de fiction de prime time en France, mais également la distribution de contenus et l'édition de chaînes, avec par exemple AB1 ou RTL9.

Monsieur Courbit, vous avez créé Banijay en 2007, et êtes aujourd'hui présent dans seize pays. Le capital de la société est aujourd'hui réparti, avec une participation de 32,9 % de Vivendi. Vous produisez des programmes aussi populaires que Koh Lanta, Touche pas à mon poste, des séries comme Versailles, des émissions jeunesse et des documentaires.

M. Breton, qui va nous rejoindre dans quelques instants, est président de Federation Entertainment. Sa société, fondée en 2013, est présente dans sept pays, et regroupe une vingtaine d'entreprises, ainsi que 120 salariés. Il s'est récemment fixé l'objectif ambitieux de devenir « le Netflix des producteurs ». Il est à l'origine de très grands succès de ces dernières années, comme Le Bureau des légendes, diffusé sur Canal+, En Thérapie, sur Arte, ou Marseille et Marianne, sur Netflix. En janvier de cette année, il est devenu actionnaire majoritaire dans le groupe de Jean-Yves Robin, qui comprend en particulier Calt Production à l'origine de Kaamelott.

Nous sommes heureux de vous recevoir aujourd'hui pour nous permettre de traiter plus en profondeur un sujet central dans notre commission d'enquête, celui de la production et de ses rapports avec les grands groupes de médias. Certains, et je ne vous cache pas que ce sujet a été régulièrement évoqué devant nous, souhaiteraient une participation plus directe des diffuseurs dans la production, spécifiquement protégée en France depuis les « décrets Tasca » sur la production indépendante. Nous souhaitons faire le point avec vous sur le contexte économique du secteur de la production. La transposition de la directive européenne sur les services de médias audiovisuels (SMA) offre des perspectives intéressantes pour le développement du marché. Vos succès témoignent de la faculté de ce système à permettre le développement de grands producteurs internationaux, mais peuvent aussi s'interpréter comme une « rente de situation » - nous y reviendrons au travers du partage de la valeur.

Nous sommes donc heureux de pouvoir vous entendre aujourd'hui.

Je précise que cette audition est diffusée en direct sur le site Internet du Sénat. Elle fera également l'objet d'un compte rendu publié.

Enfin, je rappelle, pour la forme, qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Je vous précise également qu'il vous appartient, le cas échéant, d'indiquer vos éventuels liens d'intérêts ou conflits d'intérêts en relation avec l'objet de la commission d'enquête.

Je vous invite, monsieur Courbit, monsieur Capton, à prêter successivement serment de dire toute la vérité, rien que la vérité. Levez la main droite et dites : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Stéphane Courbit et M. Pierre-Antoine Capton prêtent successivement serment.

Debut de section - Permalien
Stéphane Courbit, président de Banijay

Nous sommes très heureux et honorés d'être devant vous aujourd'hui. Nous, producteurs, avons un peu le sentiment d'être les parents pauvres de la profession. J'ai apporté quatre slides pour illustrer les deux métiers de la création audiovisuelle : les diffuseurs diffusent et monétisent les programmes ; les producteurs créent et fabriquent les contenus, puis les vendent aux plateformes. Ces deux groupes d'acteurs sont assez différents. Parmi les diffuseurs se trouvent les chaînes linéaires, généralistes comme TF1, M6, Rai ou ITV, ainsi que les streamers ou diffuseurs à la demande, tels que Netflix, HBO Max, Prime Video, Canal+ - pour une partie de son activité. Du côté des producteurs figurent, entre autres, Mediawan, Federation Entertainment, Banijay, ITV, All3Media, Fremantle,dont beaucoup sont indépendants.

Le marché des achats de programmes dans le monde représente près de 300 milliards de dollars - 270 milliards d'euros -, qui sont investis chaque année dans le contenu. Les plateformes dépensent des sommes considérables, la principale étant Disney avec 30 milliards de dollars. Les diffuseurs européens et français sont un peu plus modestes par rapport à ces gros acheteurs : les achats de TF1 et de M6 atteignent respectivement 1 milliard d'euros et 500 millions d'euros, tandis que France Télévisions a réalisé 2 milliards d'euros d'achats.

Le marché de la production est beaucoup plus petit et très fragmenté, mais nous avons la chance que, sur les six premiers mondiaux, cinq soient européens, dont deux Français. En effet, si les diffuseurs européens ont perdu la bataille, ce n'est pas le cas des producteurs. Et le combat n'est pas forcément celui auquel on pense de prime abord.

Le secteur des chaînes de télévision concerne un peu moins de 20 000 employés en France, répartis sur les 4 principales : France Télévisions, Canal+, TF1 et M6. La production représente 100 000 emplois en France, plus que l'édition, la presse et les diffuseurs. Ce secteur est donc globalement générateur d'emplois, de création, et fabrique des champions nationaux. Même s'il s'agit évidemment de biens culturels, les diffuseurs pourraient être considérés comme les distributeurs de programmes à l'instar de Carrefour ou Auchan, et les producteurs seraient les fabricants des produits.

Banijay est né voilà une quinzaine d'années ; aujourd'hui, presque 90 % de son capital est détenu par des acteurs français. Nous possédons le plus important catalogue de programmes au monde - 120 000 heures. En outre, plus de 6 000 personnes en France, et 50 000 à travers le monde, travaillent chaque année pour Banijay. Le groupe est en réalité une fédération de petits entrepreneurs, au total 120 compagnies dans vingt-deux pays. Ces petites entreprises de producteurs indépendants jouissent d'une totale liberté éditoriale. Cette diversité s'étend de l'animation, aux jeux, en passant par les émissions de variétés, les talk-shows, les documentaires, la fiction, etc.

Le combat à mener pour défendre la création et la culture françaises, ainsi que leur exportation à l'étranger, doit passer par les programmes et non par la diffusion. Personne en France ne regarde ITV, BBC ou Antena 3. En revanche, on ne compte plus ceux qui ont visionné La Casa de papel, Peaky Blinders ou Downton Abbey. De la même manière, aucun étranger ne regarde France 2, TF1 ou M6, mais ils sont très nombreux à avoir vu Versailles, Dix pour cent ou Le Bureau des légendes. Par conséquent, pour faire rayonner la France, il faut cibler le contenu en aidant les producteurs et non les diffuseurs. Et soyons vigilants à la concentration de la diffusion qui viendrait affaiblir les premiers.

La compétition est indispensable, car elle favorise la créativité, y compris dans le métier de la diffusion et de l'audiovisuel. Avec une trop forte consolidation du marché de la diffusion, la création risque de disparaître, alors qu'elle est vertueuse en ce qu'elle fabrique des champions français.

Les plateformes ne sont pas les concurrentes des chaînes. Aucune publicité n'y est diffusée, et la durée d'écoute s'additionne comme on l'a vu lors du confinement lié au covid. La consommation sur les plateformes est seulement complémentaire et ne vient pas au détriment des chaînes généralistes - elles ne jouent pas dans la même division, sinon les chaînes auraient disparu depuis longtemps ! Amazon a annoncé que Prime Video investirait dans Le Seigneur des anneaux 1 milliard d'euros, soit autant que toute la grille de TF1, et deux fois plus que la grille de M6. Pour 2022, la dépense annuelle prévue par les seules plateformes présentes en France, c'est-à-dire Apple, Disney, Prime Video et Netflix atteint 70 milliards de dollars ; c'est plus que le contenu dépensé par TF1 et M6 depuis leur création...

Si l'on veut agir pour défendre la culture et les contenus français, il faut absolument aider les producteurs et non les affaiblir. Le marché de la production est encore assez éclaté, puisque les leaders européens engrangent 4 milliards ou 5 milliards de chiffre d'affaires, ce qui n'est rien à l'horizon des 300 milliards de dépenses de contenus chaque année. On a encore le temps de consolider le marché.

En conclusion, la concentration de la production, c'est l'expansion ; en revanche, la concentration de la diffusion, c'est de la protection et de la régression. Ne nous trompons pas de combat. La bataille de la diffusion est probablement perdue ; celle de la production ne l'est pas, surtout si l'on prend le bon virage.

Debut de section - Permalien
Pascal Breton, président de Federation Entertainment

Je vous présente mes excuses pour cette erreur d'agenda.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurent Lafon

Avant que M. Pierre-Antoine Capton ne fasse son exposé liminaire, je vous demande, monsieur Breton, de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Pascal Breton prête serment.

Debut de section - Permalien
Pierre-Antoine Capton, président de Mediawan

Je suis très heureux de participer à cette commission d'enquête. C'est pour moi très important d'être là, car je suis convaincu que la création est un indicateur essentiel de la pluralité et de la bonne santé démocratique d'un pays que nous avons tous à coeur de garantir.

Comme l'a dit Nicolas de Tavernost devant vous vendredi dernier, je suis entrepreneur et producteur indépendant depuis plus de vingt-cinq ans. Mon parcours est intrinsèquement lié aux mutations du secteur audiovisuel. J'ai monté ma première société de production, 3e OEil Productions, à vingt-cinq ans. J'arrivais de Trouville, je n'avais pas fait d'études, j'étais passionné de théâtre, de télévision et de cinéma. J'ai effectué mes premiers stages à Paris durant deux ans : le premier chez AB Productions ; le second dans les chaînes thématiques du groupe Canal+. Puis, grâce à Marc-Olivier Fogiel, j'ai obtenu un premier emploi dans TV+, une émission de Canal+. À la suite d'un plan social décidé par Jean-Marie Messier, j'ai touché un chèque de 50 000 francs, qui m'a servi à créer ma première entreprise. J'ai alors appelé les chaînes de télévision de mon bureau qui se trouvait dans un parking à Boulogne. Mais je n'avais aucune réponse. Par chance, j'avais compris que l'arrivée de la télévision par satellite et la déconcentration qui s'opérait sur le secteur pourraient créer des opportunités. J'ai donc proposé un premier programme à la chaîne TPS Star, dont le patron Guillaume de Posch m'a donné ma première chance et mon premier contrat de producteur pour Starmag, une émission quotidienne de cinéma qui s'est arrêtée le jour où TPS a été rachetée par Canal+.

À l'époque, comme je ne connaissais personne, sans l'émergence de nouveaux acteurs qui pouvaient se permettre de parier sur un producteur inconnu, je n'aurais jamais pu me lancer. J'ai continué à développer cette société, essentiellement ciblée sur le flux et le documentaire, pendant vingt ans. En 2015, j'ai eu la chance de rencontrer Xavier Niel et Matthieu Pigasse. Nous partagions tous les trois le même constat : nous avions en France des talents extraordinaires, que ce soient des auteurs, des comédiens, des réalisateurs et des producteurs ; de plus, la demande pour des contenus de qualité explosait, et les offres européennes devenaient des succès mondiaux ; paradoxalement, nous n'avions pas dans notre pays de véritable champion de la production, en dehors du flux avec Banijay. Nous avions la conviction que, depuis la France, nous pouvions créer un champion européen à dimension mondiale dont la production audiovisuelle serait en mesure de rivaliser avec les majors américaines. Je tiens à préciser que la France était un terrain extrêmement fertile pour réussir ce pari un peu fou, notamment grâce à la législation et à la régulation dont vous avez été en partie les artisans au Sénat.

Dès le début, nous savions que, pour réunir les meilleurs producteurs français et européens, il fallait pouvoir leur garantir leur indépendance et leur autonomie, essentielles pour assurer la créativité, leur fournir les moyens pour développer de nouveaux projets et assurer le rayonnement de leurs oeuvres dans le monde entier.

Le premier enjeu était financier. Nous avons donc constitué un SPAC - special purpose acquisition company - pour lever de l'argent en bourse, créer la structure Mediawan et faire notre première acquisition : le groupe AB. Depuis, nous sommes sortis de la bourse, avons repris le contrôle de notre société via une offre publique d'achat (OPA), et nous sommes implantés sur les marchés européens les plus importants, tels que l'Italie, le Royaume-Uni ou l'Espagne. En Allemagne, nous nous sommes associés au groupe Leonine, et nous avons racheté le groupe Lagardère Studios.

Aujourd'hui, Mediawan regroupe trois métiers : la production, qu'il s'agisse de fiction, d'animation, de documentaire, du long métrage et du flux ; la distribution, qui est un pilier essentiel pour garantir la maîtrise de nos oeuvres, leur rayonnement et assurer des revenus qui sont réinvestis dans la création ; enfin, l'édition de chaînes thématiques est héritée du groupe AB.

Mediawan, c'est plus de 1 000 collaborateurs, 50 labels de production dans dix pays, un chiffre d'affaires d'un peu plus de 1 milliard d'euros. Ce sont des séries comme Dix pour cent, qui compte 20 remakes dans le monde ; HPI, lancée l'an dernier sur TF1 ; c'est aussi le dessin animé Miraculous Ladybug, Bac Nord, nommé sept fois aux César 2022 ; des succès en Italie comme Montalbano, La Vie devant soi, ou des documentaires tels Orelsan et Grégory, ainsi que des émissions de flux telles C dans l'air ou C à vous.

Pourtant, même si nos productions sont bien connues dans le monde entier, le secteur de la production indépendante l'est moins, et il est mal compris. Il est donc important, dans le cadre de cette commission d'enquête, de rappeler les grandes caractéristiques de notre marché.

Premièrement, la production audiovisuelle est extrêmement dynamique et concurrentielle. Il existe aujourd'hui en France un peu plus de 4 000 sociétés de production en activité, selon la dernière étude du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), avec à la fois des très grands groupes, des petites et moyennes entreprises (PME), mais aussi des très petites entreprises (TPE). Le nombre et la diversité des acteurs sont une preuve de richesse du secteur et ce qui garantit le pluralisme de sa création. Toutefois, dans un contexte d'internationalisation de la production, nos concurrents sont aussi les grands studios américains et les studios intégrés aux grandes plateformes. En outre, sur le territoire national, nous sommes concurrencés par les diffuseurs qui intègrent de plus en plus verticalement des capacités de production et de distribution en dépit des encadrements réglementaires.

La deuxième caractéristique est l'asymétrie entre le nombre de producteurs et d'acheteurs, révélatrice du rapport de force qui les oppose, quelle que soit leur taille. Nos principaux clients, et donc nos partenaires, sont avant tout les groupes de télévision nationaux, concentrés autour de deux acteurs majeurs de la télévision commerciale gratuite, un acteur de télévision payante, à savoir le service public, et des groupes de taille plus modeste opérant sur la télévision numérique terrestre (TNT).

Troisième et dernière caractéristique : ce secteur est en perpétuelle mutation, la dernière étant l'arrivée des plateformes internationales de vidéo à la demande (VOD) - subscription video on demand. Nous apprenons à travailler depuis quelques années avec ces nouveaux partenaires de la création, qui ont joué un rôle essentiel dans l'exposition de nos contenus à l'international. L'approche de la création évolue également, car les plateformes opèrent avec des logiques économiques et éditoriales très différentes des acteurs historiques et investissent encore peu dans le flux ou dans le cinéma.

Je suis intimement persuadé que la France peut devenir un véritable leader mondial de l'audiovisuel. En tant que producteurs indépendants, nous avons les moyens d'être des acteurs de premier plan pour assurer notre souveraineté économique et culturelle. Pour ce faire, il est crucial de préserver la production indépendante, qui représente un chiffre d'affaires de plus de 20 milliards d'euros, plus de 100 000 emplois, et qui fait rayonner notre pays à travers le monde.

La France a l'avantage de sa compréhension historique de l'importance de la création : en garantissant l'indépendance des producteurs à travers la législation et la régulation du secteur, vous avez permis son développement. Dans le prolongement de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, la transposition de la directive SMA en droit français vient consolider notre secteur en assurant sa souveraineté culturelle et économique avec la création au coeur du dispositif.

C'est dans cet état d'esprit que j'aborde les questions liées à la concentration du secteur. Les diffuseurs sont nos premiers partenaires ; nous ne pouvons que nous réjouir de leur bonne santé économique et de leur dynamisme, indispensables pour la pérennité de la création. Il faut absolument préserver la vitalité et la diversité de la création. Les mouvements de concentration en cours ne doivent pas se faire au détriment de cet intérêt. J'y serai particulièrement attentif.

Debut de section - Permalien
Pascal Breton, président de Federation Entertainment

Je suis un auteur, réalisateur et producteur depuis plus de trente-cinq ans. J'ai commencé par Babar, Tintin, Totally Spies, Marsupilami, autant de programmes pour les enfants qui étaient des succès mondiaux. J'ai ensuite produit Sous le soleil, série qui a duré vingt ans et 500 épisodes et a marqué toute une génération en plus d'être un énorme succès mondial. J'ai également construit Versailles, et je me suis alors rendu compte à quel point les programmes français, et plus généralement européens, commençaient à avoir une pertinence mondiale. Celle-ci était liée à l'évolution de la technologie et à la capacité à s'ouvrir à d'autres programmes que les séries américaines, dont le marché était encore dominé à 90 %.

J'ai créé Federation Entertainment il y a seulement six ans. J'ai voulu fédérer une trentaine de producteurs, avec lesquels j'ai créé des sociétés de production et que j'ai entourés d'une galaxie de talents, cinq à dix auteurs, réalisateurs et producteurs. J'ai, par exemple, produit Le Bureau des légendes avec Éric Rochant et En thérapie avec Éric Toledano et Olivier Nakache. Le Tour du monde en quatre-vingts jours, énorme production mondiale tournée en anglais, a coûté environ 40 millions, financés uniquement avec des diffuseurs publics européens. La série a ensuite été vendue à la BBC et à la chaîne publique américaine (PBS - Public Broadcasting Service). Une autre très belle création sur l'incendie de Notre-Dame sera prochainement diffusée par Netflix. Je produis actuellement une trentaine de séries par an principalement pour les plateformes, mais aussi pour les chaînes traditionnelles, en France et à l'étranger, surtout en Italie, en Allemagne, en Espagne, en Israël où la créativité est très forte, au Royaume-Uni et aux États-Unis.

Le but est de continuer à croître. Je n'ai pas de capitaux particuliers, puisque je suis propriétaire de mon entreprise, créée de toutes pièces avec peu d'argent. J'y ai fait entrer récemment un actionnaire très minoritaire. Je veux créer une grande fédération, voire une coopérative de créateurs européens pour leur donner la plus grande liberté possible par rapport aux mastodontes que sont les plateformes. Pour cela, il convient de garder notre spécificité française que nous défendons depuis trente ans. Grâce aux dernières évolutions, l'Europe s'est rendu compte à quel point elle avait laissé un pouvoir économique beaucoup trop important aux fameuses Gafam - Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft. C'est pourquoi, dans l'agenda de la Commission et du président français, figure la régulation. Cette dernière est fondamentale eu égard aux fake news, à la nécessaire protection de la démocratie, qui est l'enjeu numéro 1, et à l'abus de position dominante qui s'installe largement aux États-Unis. Quand je produis outre-Atlantique, je ne garde aucune propriété, je suis payé comme un réalisateur, ce qui m'empêche d'investir et de développer de nombreux projets. Le business model américain ne profite qu'aux studios et aux Gafam.

Le business model européen que nous sommes en train d'inventer est un système de partage. Les diffuseurs français ont pris cette habitude, ils doivent impérativement garder ce respect des créateurs, des auteurs et des producteurs, maillon essentiel de la créativité et du génie français. Il en va de même pour les plateformes. Notre nouvelle règlementation leur impose plus d'obligations qu'aux chaînes, ne serait-ce qu'en volume - 20 %, contre 11 % à 12 % en moyenne - ou en droits. Les plateformes devront en effet nous rendre tous les droits au bout de trois ans. Le système est très équilibré, assez exemplaire, d'autant plus qu'il fait école, puisque les Italiens sont en passe d'adopter une loi proche de la nôtre qui contraindrait les plateformes à investir jusqu'à 25 %. Plus étonnant encore, les Allemands, historiquement réfractaires en raison du système des Länder, ont décidé de se pencher sur un système équivalent au nôtre, afin de ne plus être menacés dans leur souveraineté.

La souveraineté démocratique est un sujet phare de la concentration des médias. En la matière, nous sommes moins compétents, puisque nous ne produisons que des oeuvres et des émissions de divertissement. Il y va aussi de tout ce que créent nos écrivains dans l'édition, nos journalistes dans la presse, nos auteurs dans les séries, les films, les dessins animés - nous sommes le deuxième producteur mondial -, le documentaire - nous sommes à la troisième place au monde -, le divertissement et le flux - Stéphane Courbit est le leader mondial. Nous sommes confrontés à des enjeux de souveraineté et de partage intelligent très importants. Pour l'instant, nous avons trouvé une solution avec les diffuseurs. S'il doit y avoir un rapprochement entre les chaînes, un accord doit obligatoirement être conclu avec les producteurs.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

Je suis très heureux de cette audition, moment collectif d'échanges croisés. Vous êtes dans un double débat : l'un, qui remonte à vingt ans, concerne les rapports entre la production et la diffusion ; l'autre a trait à la concentration des diffuseurs, qui est au centre de nos travaux. Paradoxalement, la production s'est aussi concentrée ces dernières années. Malgré la présence des 4 000 sociétés de production en France, l'essentiel de la création mise en avant par les diffuseurs est entre les mains des plus gros producteurs. J'aimerais des réponses plus claires à ce sujet. Le mouvement de concentration des diffuseurs nuit-il à la production, à tout le moins à votre capacité de diversité dans la création ?

Debut de section - Permalien
Pascal Breton, président de Federation Entertainment

À l'avenir, de nombreux petits producteurs s'allieront avec de plus gros, faute de pouvoir faire du financement et du développement.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

Ma question porte sur leur rapport avec les diffuseurs. La concentration de la diffusion nuit-elle à la diversité de la création et de la production ?

Debut de section - Permalien
Pascal Breton, président de Federation Entertainment

Le risque est élevé si les diffuseurs s'entendent pour bloquer les producteurs et prendre tous les droits. Hormis le cas d'abus de position dominante à l'égard des fournisseurs, le rapprochement des diffuseurs est nécessaire pour monétiser et investir davantage. Cela suppose le respect de règles du jeu comme nous nous y employons depuis trente ans. Demain, même si Salto est un service payant, TF1 sera essentiellement une grande plateforme gratuite - l'offre de vidéo à la demande -, pour un marché de 100 milliards.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

Vous avez fait une annonce à la place de TF1 sur un projet de marché gigantesque concernant une plateforme gratuite.

Debut de section - Permalien
Pascal Breton, président de Federation Entertainment

Leur croissance sera très forte. Il en sera de même pour France Télévisions, car la société rend un service public essentiel qui ne sera jamais rempli par les plateformes ni par les chaînes privées. Le vrai enjeu est juste le respect des règles du jeu.

Debut de section - Permalien
Stéphane Courbit, président de Banijay

Derrière la concentration, se pose le rapprochement de TF1 et de M6. Aujourd'hui, sur les 4 000 producteurs en France, nous avons six ou sept gros clients. Si la fusion de TF1 et de M6 a lieu, nous aurions un vrai duopole : le service public, client important et spécifique pour tous les producteurs ; dans le secteur privé, le groupe TF1-M6 représenterait 90 % des achats de programmes. Pour certains types de programmes, il n'y aurait qu'un seul client.

Debut de section - Permalien
Stéphane Courbit, président de Banijay

Vous avez raison, Canal+ est un client, même s'il est un peu différent. Cette concentration des diffuseurs ne nous inquiète pas, bien qu'elle change un peu la donne. Le client unique impose sa règle. Nicolas de Tavernost a déclaré la semaine dernière devant vous que la fusion permettrait à M6 d'investir beaucoup plus dans le contenu et le sport. Sans doute, mais lors du dernier appel d'offres concernant les droits de diffusion des matchs de l'équipe de France en 2016, TF1 et M6, qui étaient concurrents, avaient fini par obtenir chacun 3,5 millions d'euros par match. En 2021, après des offres maximales de 2,5 millions d'euros, le nouvel appel d'offres a curieusement été déclaré infructueux. Notre crainte est que cela se passe ainsi pour tout. Et je ne suis pas certain que la Fédération française de football (FFF) se satisfasse d'une telle situation...

Debut de section - Permalien
Pierre-Antoine Capton, président de Mediawan

Il est important de protéger les droits sur les oeuvres, d'assurer le maintien de guichets et de services d'achats séparés. De nombreux films, séries ou fictions n'auraient pas existé s'il n'y avait pas eu des guichets différents, comme, par exemple, Dix pour cent. Le service public joue un rôle crucial dans la création. J'ai eu la chance de produire Florian Zeller au théâtre pendant des années. Après une première pièce difficile, il a connu du succès et est devenu l'auteur français le plus joué dans le monde. J'ai produit son premier court-métrage. Pour son premier film, nous sommes allés voir les chaînes de télévision. Il n'a pas pu financer son film en France, mais en Angleterre, et a sollicité Anthony Hopkins. Son film, après avoir obtenu deux oscars, est nommé comme meilleur film étranger aux Césars alors qu'il est issu d'une pièce de théâtre française financée par des subventions françaises. Si nous n'avons pas la possibilité d'avoir accès à plusieurs guichets, quand deux disent non, notre métier de créateur ou de producteur n'existe plus, et il faut trouver d'autres modes de financement. Attention qu'il n'y ait pas qu'un seul acheteur par genre.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

Vous nous avez fait part de craintes sur les concentrations des diffuseurs, avec des risques de monopole et de pouvoir pour fixer les droits et les tarifs. Est-ce le même problème pour les gros et les petits producteurs ? La concentration de la production dans de grandes sociétés comme les vôtres, pour faire masse et avoir une puissance économique, ne vient-elle pas affaiblir la diversité de la production ?

Debut de section - Permalien
Pascal Breton, président de Federation Entertainment

À nous trois, nous représentons 200 producteurs. Dans ma société, j'ai une trentaine de producteurs internes et une centaine de producteurs avec lesquels je travaille, mais qui peuvent aussi travailler avec mes concurrents. J'essaie juste de les séduire par le meilleur apport : distribution, financement, développement, capacité à mieux négocier avec les diffuseurs et surtout les plateformes, et même vis-à-vis de TF1 ou M6. Notre rôle, c'est de créer des ombrelles. Le paysage audiovisuel européen sera fait de ces ombrelles. Il y en a trois à quatre au Royaume-Uni, peu ailleurs en Europe. En France, nous sommes en train de créer ces ombrelles apportant tous ces métiers : beaucoup d'investissement, de savoir-faire, de concentration de talents. Le petit producteur est un très bon artisan pour faire une série ou un dessin animé. Nous les protégeons dans un deal qui est souvent à 50-50, soit, car ils sont indépendants et veulent le rester, soit parce qu'on les rachète. Dans mon modèle, on achète souvent 51 % de leur entreprise, mais eux restent souverains de leurs décisions. Un producteur ne fait que ce qu'il a envie de faire. C'est une concentration dix fois moins dure que celle des GAFA ou que celles vécues avec les diffuseurs traditionnels. C'est un partage de compétences, car on ne peut pas tout faire tout seul.

Debut de section - Permalien
Pierre-Antoine Capton, président de Mediawan

Nous accompagnons des jeunes talents pour qu'ils aient du succès à l'international. Pour la première fois, nous arrivons à de tels succès internationaux, je pense notamment au Bureau des légendes et à Dix pour cent, et aux productions de Banijay. Nous avons les capacités d'aider de jeunes auteurs à rencontrer des coproducteurs italiens, anglais ou espagnols. Les chaînes de télévision sont aussi ravies que nous leur apportons des séries aussi poussées que HPI.

Même si 1 000 sociétés de production sur les 4 000 existantes se concentraient demain, 1 000 autres pourraient aussi se créer. De nombreux jeunes veulent devenir scénaristes ou producteurs. Il faut les accompagner dans leur formation, comme le prévoit le plan France 2030, et créer des écoles. Nous avons un territoire extrêmement fertile, et devons les aider encore plus.

Debut de section - Permalien
Stéphane Courbit, président de Banijay

Nous ne sommes pas opposés à une concentration mesurée. Il y a 4 000 producteurs en France. Même nous, qui sommes le plus important, nous faisons entre 5 et 10 % de parts de marché - ce n'est pas la même chose que les diffuseurs... Au niveau mondial, nous réalisons 3 milliards d'euros de chiffre d'affaires sur un marché total de 300 milliards d'euros, soit moins de 1 %.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

Pourriez-vous nous transmettre les chiffres des parts de marché ?

Debut de section - Permalien
Stéphane Courbit, président de Banijay

Nous vous transmettrons les valeurs. En nombre d'heures produites par an ou de chiffre d'affaires réalisé par chaque société par rapport au marché français, c'est peu.

Les groupes de producteurs permettent d'avoir ensuite un groupe de distribution pour payer le « gap » de financement. Par exemple, nous distribuons la série Versailles. Canal+ a financé deux tiers de la série, mais il en restait deux tiers à financer. Nous en avons financé un autre tiers. Si un groupe de distribution n'avait pas existé pour financer cette fiction, elle serait partie à l'étranger. La concentration des producteurs est nécessaire.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

Je me permets de rebondir à partir de deux auditions que nous avons menées récemment. Canal+ considère que la règlementation des mandats de commercialisation constitue un frein à son développement international. Cela a été rappelé vendredi dernier par Maxime Saada. Une négociation interprofessionnelle sur la base des dispositions législatives adoptées à l'automne dernier est-elle envisageable pour trouver une solution à ce problème respectueuse des intérêts de chacun ?

On pourrait envisager que des diffuseurs ne demandent rien comme part s'ils se contentaient d'acheter un droit de diffusion. Mais en France, ils sont obligés d'investir beaucoup dans les productions. Ils réclament donc de revoir leur part en retour au vu des sommes engagées. Ils n'ont plus de droits après, par exemple, deux années d'exclusivité, ni de retour à l'international. Ils sont obligés de racheter les droits de séries qu'ils ont financés, comme, par exemple, le Bureau des légendes.

Le président du groupe M6 nous a expliqué qu'il était impossible de vendre Gulli à des producteurs spécialisés dans l'animation, car ils ne pourraient plus vendre à leur propre chaîne. Selon les règles anticoncentration, ils ne peuvent pas diffuser ce qu'ils produisent ou inversement. M. de Tavernost exagère-t-il ? Faut-il modifier les règles pour permettre à des producteurs d'acheter des chaînes de télévision pour lesquelles ils créeraient des programmes ? Le secteur de l'animation est assez concentré...

Debut de section - Permalien
Pascal Breton, président de Federation Entertainment

M. de Tavernost est souvent un peu extrême dans ses propos... Les règles sont très bonnes. Un diffuseur qui le souhaite peut produire un tiers de ses obligations en interne : TF1 produit 500 millions d'euros de production en interne avec son groupe Newen, qui est un autre leader. Studio Canal et France.tv Studio sont aussi des acteurs importants. Les deux tiers sont réalisés avec des partenaires extérieurs. C'est une bonne règle, qui n'empêcherait pas des producteurs indépendants d'acheter une chaîne.

Je suis très heureux si Canal+ est prêt à se mettre autour de la table pour discuter avec les producteurs d'un schéma gagnant-gagnant. Je passe mon temps à vouloir créer du gagnant-gagnant. Il y a évidemment des choses formidables à faire avec Canal+. Si j'avais laissé la distribution du Bureau des légendes à Canal+, j'aurais gagné exactement dix fois moins, car je n'aurais pas fait toutes mes ventes mondiales, je n'aurais pas pu le revendre à Canal+, et je n'aurais pas pu renégocier des ventes mondiales avec de très grands groupes mondiaux.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

Serait-ce un frein à l'exportation à l'international ?

Debut de section - Permalien
Pascal Breton, président de Federation Entertainment

Ce serait un énorme frein. Depuis cinq ans, la totalité des exportations de Studio Canal sur les séries françaises - soit une cinquantaine de séries, puisqu'ils en produisent dix par an - est inférieure à l'intégralité de toutes les recettes que j'ai gagnées avec le Bureau des légendes. C'est un problème de dynamique interne des diffuseurs - ils sont rarement de très bons producteurs et encore moins de bons distributeurs -, mais c'est aussi une logique de choix des sujets et de distribution internationale, et enfin de valeur des droits. Si le diffuseur se revend à lui-même les droits, il dira que cela ne vaut rien, alors que pour moi, cela a de la valeur, et donc cela coûte cher. Le créateur Éric Rochant et les acteurs vont gagner beaucoup plus par ma revente de la série. Et c'est bien normal, puisque c'est un immense succès. Il n'y a pas de gêne à ce que ceux qui réussissent gagnent. Il faut trouver le gagnant-gagnant. Quand Canal+ investit 60 % ou un peu moins dans une production, il doit avoir une part de recettes à négocier, entre 30 et 50 %, voire 60 % de la valeur de l'offre. C'est bien normal. Nous partageons tout le temps.

Debut de section - Permalien
Stéphane Courbit, président de Banijay

Oui, nous avons besoin des chaînes de télévision. Sans Canal+, nous n'aurions pas fait Versailles ni Marie-Antoinette. Mais s'ils profitent de cette position pour prendre la distribution, nous nous retrouverions dans la même position. Or Canal+ actuellement n'a pas la puissance financière des grands distributeurs ou la puissance de réseau pour obtenir la même recette. Néanmoins, ils ont négocié un tiers de la production de Marie-Antoinette. S'ils avaient pu faire plus, ils auraient eu la possibilité de nous tordre le bras, au détriment du programme. Cela aurait été une ânerie : le succès international de la série n'aurait pas été le même.

Debut de section - Permalien
Pierre-Antoine Capton, président de Mediawan

Les diffuseurs sont des partenaires. Nous travaillons très bien des deux côtés. Nous leur fournissons des programmes de grande qualité. La montée en puissance de la production française, la chance d'avoir des groupes aussi importants que Banijay, Federation ou Mediawan, tous ces talents et ces marques bénéficient en premier lieu aux chaînes de télévision. Nous sommes des partenaires. Oui, il y a des négociations avec les chaînes. Depuis la loi de 1986, nous avons laissé des droits à 360... Nous menons des discussions régulières. Nous sommes là pour créer du contenu le plus qualitatif, tandis que les chaînes de télévision diffusent. La plateforme MyCanal est de très grande qualité. Chacun est dans sa ligne. Nous voulons rester en capacité de produire et de faire rayonner la France à l'international. Nos talents doivent pouvoir continuer à créer des séries. C'est ce qu'il y a de plus enrichissant pour tout le monde. La création et la production sont ce qui a le plus de valeur dans le monde. Certains groupes français commencent à devenir importants, il faut les encourager : c'est excellent pour le tissu créatif français.

Debut de section - Permalien
Stéphane Courbit, président de Banijay

Les chaînes financent les droits de diffusion, et non un programme. Nous finançons tout le travail en amont, la recherche-développement, la création... Ne faisons pas de raccourcis. En moyenne, les producteurs réalisent 10 % de marge opérationnelle. Cela nous permet de vivre, mais il y a aussi un énorme travail en amont.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurent Lafon

Pour être précis, quels sont vos clients ? France Télévisions, TF1, M6, Canal+ et les trois plateformes. Si la fusion TF1-M6 se réalise, il vous reste six clients. Ce sont bien les mêmes marchés ?

Debut de section - Permalien
Stéphane Courbit, président de Banijay

Tout dépend du genre de programmes. Les plateformes prennent assez peu de flux - divertissement, talk-shows... Plus de la moitié des programmes en termes de poids économique ou de nombre d'emplois concernent des programmes de flux. Le service public en prend un grand nombre, selon une ligne de conduite éditoriale précise. Si vous enlevez le service public et les plateformes, vous n'avez alors plus qu'un client...

Koh Lanta, Fort Boyard et les grands jeux sont des divertissements et non de la sous-culture.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurent Lafon

Si la fusion TF1-M6 se réalise, y a-t-il de la place pour un troisième acteur privé sur le linéaire ?

Debut de section - Permalien
Stéphane Courbit, président de Banijay

Il ne s'agit pas de la fusion entre TF1 et M6, mais de la fusion entre les quatre plus grandes chaînes privées : TF1, M6, W9 et TMC. Ce serait comme si l'on fusionnait ABC, CBS, Fox et NBC aux États-Unis. Je n'ai rien contre s'ils en fusionnent deux et qu'ils revendent deux chaînes... On peut discuter de tout !

Debut de section - Permalien
Stéphane Courbit, président de Banijay

Aucun d'entre nous n'est opposé à cette fusion, mais elle doit être mesurée. Normalement, détenir 70 % de la publicité ou de l'information dans une seule main n'est justifiable que par une situation exceptionnelle, par exemple une mauvaise santé économique ou un risque particulier. Je n'ai pas vu cela, ou alors il faut me l'expliquer... Si ce n'est pas exceptionnel, il faut prévoir des garde-fous. Nous sommes très heureux quand nos clients vont très bien, mais cela ne doit pas être à nos dépens.

Debut de section - Permalien
Pascal Breton, président de Federation Entertainment

Il y a deux types de contrepouvoir : vendre de plus grosses parts de leur marché, à savoir d'autres chaînes et pas juste les plus petites. Il faut aussi qu'ils libèrent la publicité ailleurs, par exemple sur les chaînes publiques. Cela pourrait résoudre une partie du problème de financement du service public, et cela rajeunirait le public de France Télévisions. Quand on fait de la publicité, on est obligé d'avoir un public plus jeune. L'âge du public est l'un des problèmes de France Télévisions. Cela recréerait une concurrence, positive pour les annonceurs. Il est très rare qu'un marché monopolistique fonctionne mieux.

Nous, producteurs, avons habitude de discuter avec TF1. Si nous nous mettons autour d'une table avant la fusion, nous pourrions trouver un accord de respect sur les droits et surtout sur les mandats de distribution, pour éviter que nous soyons tout petits face à un monstre qui veut garder tous les droits. Il en est de même avec Canal+. Si l'on fait ainsi, tout ira très bien.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Raymond Hugonet

Vous nous soumettez aujourd'hui le vingtième épisode de la saison 1...

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Raymond Hugonet

Et même le produire si le président du Sénat en est d'accord !

Cette commission d'enquête n'en est pas une pour vous, et c'est une bonne chose. Son thème est « mettre en lumière les processus ayant permis ou pouvant aboutir à une concentration dans les médias en France et d'évaluer l'impact de cette concentration sur la démocratie. » Il y a deux points d'entrée, la démocratie et l'économie. Comme nous sommes tous des démocrates convaincus, vaillants et respectueux de la démocratie, je me concentrerai sur le sujet économique. Est-ce une histoire de génération ? Peut-être un peu.

Je remercie M. Courbit des chiffres présentés. Il y a d'un côté les diffuseurs, et de l'autre les producteurs. La télévision linéaire n'est pas l'avenir, sauf si vous me contredisez...

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Raymond Hugonet

En revanche, une écrasante majorité constate que ce n'est pas l'avenir, y compris ceux qui l'ont en gestion, puisqu'ils viennent nous expliquer qu'ils doivent se marier pour survivre. Certes, les éditeurs de télévision ne s'arrêteront pas brutalement, mais en pente douce. C'est une révolution culturelle, que montre M. Capton par son parcours, alors qu'il est monté à Paris, sans diplôme, avec une idée, une volonté et une envie chevillée au corps, et du courage. Il y a d'un côté les éditeurs, de l'autre les producteurs. Les éditeurs sont souvent plus âgés que les producteurs - même si M. Breton fait une habile transition entre les deux.

Nous oublions souvent qu'il y a un triptyque audiovisuel : un secteur public très concentré, financé par l'argent du contribuable ; le payant très concentré avec un investisseur, qui a connu des hauts et des bas ; le gratuit, fait d'entrepreneurs, tout comme vous. M. de Tavernost est rentré en télévision en 1986, année de la loi.

Sur le gratuit, vous sembliez craindre la fusion de TF1-M6. Monsieur Courbit, vous avez atténué le propos en estimant qu'elle pouvait être possible si elle continuait à vous donner du travail. Pourquoi craindre la concentration dans le gratuit alors qu'on l'a dans le secteur public ? Si M. de Tavernost gérait l'audiovisuel public, le contribuable français s'en porterait mieux.

Même en cumulant TF1 et M6, sur les achats de programmes dans le monde, ils seraient encore en retrait par rapport à Canal+ et à France Télévisions.

Des règles existent sur les droits. Faut-il que le législateur les précise ? Nous avons reçu la présidente de la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (Sacem) et celui de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD). La présidente de la Sacem est en conflit avec M6, qui se dit cependant prêt à payer en attendant un accord. C'est du négoce.

L'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) peut-elle jouer un rôle dans cette médiation, ou cela doit-il revenir au juge ? Les règles sont-elles suffisamment claires pour la fusion ?

Je vous donne rendez-vous pour la saison 2, certes plus sous la forme d'une commission d'enquête. Je rêve d'avoir un « Luxembourg de l'audiovisuel ». Depuis quatre ans que je suis sénateur, je rencontre les uns et les autres. Je ne voudrais pas paraphraser Paul Meurisse dans L'Armée des ombres en disant « qu'on a besoin d'un homme qui ignore tout des armes », mais c'est un peu le cas... Seriez-vous partants pour vous mettre autour de la table, avec les diffuseurs, puisque l'exécutif n'est pas capable de proposer une loi Audiovisuel, que la loi de 1986 est obsolète et que nous sommes parlementaires ? Un échange global serait une façon de sortir de l'ornière pour vous permettre d'investir et à l'exception française de rayonner.

Debut de section - Permalien
Pierre-Antoine Capton, président de Mediawan

Le linéaire a encore de l'avenir, notamment pour couvrir de grands événements, et nous avons besoin d'un service public de qualité pour l'information - comme il l'est actuellement. J'ai la chance de produire des émissions quotidiennes d'information comme C dans l'air et C à vous. Les rédactions peuvent jouir d'une indépendance totale et le service public a une force d'investissement dans la création, en fiction et en divertissement...

À l'heure où l'on s'interroge sur les financements, il faut défendre le service public plus que tout et trouver des nouveaux moyens de le renforcer. Ce sera crucial à l'avenir.

Debut de section - Permalien
Pascal Breton, président de Federation Entertainment

Il faut un Luxembourg des médias. Nous en avons besoin : il y a trop de non-dits, d'arrière-pensées, alors qu'à 90 % nous serons condamnés à nous mettre d'accord. Autant le faire poliment, et dans l'intérêt du pays et de l'Europe.

Derrière, il faut un régulateur beaucoup plus présent et qui contrôle l'application de ces accords ; l'Arcom doit apprendre ce nouveau rôle. Il serait formidable d'installer une sorte de commission paritaire régulière vérifiant la bonne application des accords. Il y aura des ajustements réguliers. Pour cela, il faut de la concertation et se parler d'égal à égal, ce qui n'a pas été le cas ces dernières années.

Debut de section - Permalien
Pierre-Antoine Capton, président de Mediawan

Les chaînes linéaires ne sont pas déclinantes, lorsqu'on voit leurs résultats. Mais c'est un marché différent. Si M. de Tavernost était à la tête du service public, ce serait différent, mais il n'aurait pas 90 % de ses bénéfices à distribuer à ses actionnaires, tandis que le service public réinvestit tout...

Debut de section - Permalien
Stéphane Courbit, président de Banijay

Oui, car il est talentueux !

Nous ne sommes pas des ennemis : les diffuseurs ne peuvent vivre sans nous, et inversement. L'Arcom pourrait jouer un rôle dans cette coordination. Le décret relatif aux services de médias audiovisuels à la demande (SMAD) et celui sur la TNT n'ont pas couvert tous les sujets.

Debut de section - Permalien
Pierre-Antoine Capton, président de Mediawan

Nous débattons régulièrement entre nous des accords interprofessionnels. Les choses ont évolué, et notamment les droits 360. Nous sommes des partenaires. Certes, il y a désaccords, mais depuis 1986, le monde a changé. La France connaît un virage exceptionnel ; nous ne devons pas le rater. Je comprends la position défensive des diffuseurs, qui ont l'opportunité de réaliser une fusion entre TF1 et M6. Nous n'y sommes pas opposés, mais nous voulons l'encadrer pour éviter que la production française n'en pâtisse.

Debut de section - PermalienPhoto de Sylvie Robert

Merci pour la qualité de vos propos. Notre commission d'enquête traite à la fois des questions démocratiques et économiques. Il y a aussi des sujets culturels, touchant à la diversité, à la créativité et à la liberté de création. Derrière se jouent les négociations entre tous les acteurs. On oublie souvent d'évoquer ces questions, que ce soit au niveau de l'information ou des contenus.

J'ai apprécié vos propos sur le marché devenant européen, et votre positionnement en tant qu'ombrelles. Quelle relation avez-vous avec ces plateformes ? Financièrement, c'est évidemment différent des relations avec les diffuseurs européens. Avez-vous un degré de liberté absolu ? Y a-t-il encore de la liberté de création pour des contenus mondiaux, en raison de commandes ou d'influence des plateformes, ou est-il parfois difficile de proposer des contenus qui peuvent ne pas plaire ou qui seraient difficiles à vendre ? C'est un sujet mondial dans la négociation. Vous avez aussi évoqué la formation avec des écoles pour aider à l'écriture de scénarios... Toute la chaîne de valeur est impactée.

Pourrait-on améliorer la visibilité des productions françaises à l'export ?

Debut de section - Permalien
Pascal Breton, président de Federation Entertainment

La technologie nous aide énormément : la révolution numérique a permis à toutes les productions - françaises, italiennes, suédoises, coréennes... - de traverser les frontières et de toucher un public mondial, car nous sommes sur des plateformes mondiales. Il y a eu un miracle Lupin. J'espère bientôt un miracle Notre-Dame.

À chaque fois que nous réalisons une série pour des plateformes, nous essayons d'en faire un succès local, mais aussi qu'elle puisse avoir une chance d'être un succès mondial. C'est très excitant pour tous les créateurs français. Le fait d'avoir aussi deux ou trois gros distributeurs en France est une opportunité.

Je ne suis pas un grand fan des groupes américains. J'ai eu la chance de pouvoir convaincre le Président de la République d'avoir l'audace d'aller jusqu'au bout d'une véritable régulation des plateformes. Ce n'est pas rien ! C'est la première fois que nous le faisons en Europe. C'est par l'audiovisuel que nous avons commencé à réguler les plateformes. Netflix a accepté, puis Amazon, puis Disney. Si l'on dit stop à un géant, il s'arrête en raison de la loi européenne, parce que c'est notre souveraineté. Je travaille beaucoup avec ces groupes, qui sont très malins. Ils ont compris la diversité avant les autres. Netflix fait beaucoup de diversité. Il a tout un service interne dessus, y compris sur l'éducation. La banlieue s'exprime beaucoup plus sur Netflix que sur les chaînes traditionnelles. Les plateformes ont ciblé un public plus jeune qui n'était pas servi par les chaînes traditionnelles. Canal+ s'est mis à réaliser des programmes sur les banlieues. La diversité rentre de tous les côtés. Les plateformes ont une petite longueur d'avance, aux autres de les rattraper. Ils vont aussi beaucoup plus vite dans leurs décisions et obligent TF1 et Canal+ à accélérer. C'est dans notre intérêt : quand il y a de la concurrence, il y a de la création et de la diversité. L'absence de concurrence est dangereuse.

Certes, les sujets religieux font très peur aux groupes américains, et un peu le sexe - cette pudibonderie s'est un peu aggravée récemment. Ils sont un peu trop obsédés par la violence depuis quelques décennies. Je ne sens pas de censure, mais une envie de trouver la nouvelle pépite.

En France, nous avons trop vécu les chaînes comme des appareils semi-politiques : j'avais souvent l'habitude de discuter avec TF1 comme avec un acteur de la vie politique française, de même sur France Télévisions, avec l'enjeu des réélections... Je sentais parfois plus de pression. La concurrence desserre l'étau et permet plus de diversité culturelle, d'ouverture aux réalisatrices et à tous les thèmes minoritaires. Cette diversité devient obsessionnelle dans les plateformes. On ne peut pas aller chez HBO si on ne présente pas des réalisateurs d'origines minoritaires ni de thème lié à des minorités. Cela devient un peu ridicule, car il y a tous les publics. Je n'ai donc pas d'inquiétude sur le contenu culturel. Le véritable sujet concernera plus l'information, la politique et les fake news. Nous avons un énorme chantier en Europe. C'est la priorité.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Capo-Canellas

Nous avons beaucoup parlé des relations avec les diffuseurs et les plateformes. Qu'est-ce qui relève de l'échelon national et de l'échelon européen ?

Nous avons compris que la concentration des diffuseurs n'était pas forcément évitable. Vous êtes plutôt dans une logique de régulation conventionnelle. Vous semblez approuver la concentration à condition qu'il y ait un accord préalable avec vous. Cette logique conventionnelle suffit-elle ? Attendez-vous une action du législateur pour la garantir, ou faut-il plus de régulation ? De même de l'Arcom et de l'Autorité de la concurrence, pour maintenir la diversité ?

Debut de section - Permalien
Stéphane Courbit, président de Banijay

Nous ne sommes pas dans une logique conflictuelle ni opposés aux concentrations, mais nous sommes inquiets. Nous sommes dans une logique de régulation conventionnelle. Si le législateur pouvait nous aider, ce serait l'idéal. Il y aurait plus de chances que les règles soient suivies. Nous avons besoin de votre aide.

Debut de section - Permalien
Pierre-Antoine Capton, président de Mediawan

La régulation actuelle est bonne ; nous avons réussi à la faire évoluer. J'ai toute confiance dans l'indépendance de l'Autorité de la concurrence pour faire ce travail.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Laugier

Sur le plan national, quelle est la répartition de votre chiffre d'affaires entre audiovisuel public et audiovisuel privé ? Quel pourcentage de votre chiffre d'affaires provient des plateformes ?

J'ai senti un certain paradoxe dans votre positionnement : vous craignez la concentration des médias alors que votre réussite est fondée sur la concentration... Sommes-nous condamnés, dans le secteur médiatique, à la constitution de grandes structures ?

Pourriez-vous détailler votre proposition de fédération de producteurs ? Ne serait-elle pas plutôt une confédération de producteurs ?

M. de Tavernost a investi dans le football avec les Girondins de Bordeaux. Pierre-Antoine Capton est très proche du club de Caen. Dans le cadre de la diversification de vos métiers, MM. Courbit et Breton sont-ils intéressés par le ballon rond ?

Debut de section - Permalien
Pierre-Antoine Capton, président de Mediawan

Personnellement, je vous le déconseille...

Debut de section - Permalien
Pascal Breton, président de Federation Entertainment

J'ai été contacté par il y a dix ans par le FC Bastia, et j'ai refusé l'offre.

Je suis une nouvelle entreprise, atypique. Plus de 50 % de mon chiffre d'affaires est réalisé avec des plateformes, 20 % avec Canal+, 20 % avec TF1 et 10 % avec France Télévisions.

Debut de section - Permalien
Stéphane Courbit, président de Banijay

Banijay réalise un chiffre d'affaires de 3 milliards d'euros dans le monde, dont 10 % en France - soit 300 millions d'euros. Un tiers est réalisé sur le service public - environ 100 millions - et 50 millions d'euros sur Canal+. Pour le reste, il y a un peu de distribution et nous faisons moins de 50 % avec les chaînes privées linéaires gratuites. Nous réalisons environ 10 % de notre chiffre d'affaires dans le monde, soit 300 millions d'euros, avec les plateformes. Nous pourrions en faire un peu plus.

Quand vous travaillez beaucoup avec les plateformes, vous avez peu de contraintes éditoriales, mais de grosses contraintes de négociations de droits. Nous avons la chance d'être des groupes suffisamment forts pour résister, et de pouvoir refuser de leur vendre un produit. Par exemple, nous avions deux séries connues, Peaky Blinders et Black Mirror, obtenues lors de la reprise du groupe Shine, qui étaient en contrat chez Netflix. Nous avons refusé de leur vendre pendant deux saisons, car ils voulaient prendre les droits. Nous avons eu cette liberté de refuser de vendre. Ils ont fini par lâcher, car ils en avaient besoin. Nous n'aurions pas eu le choix si nous avions été un petit producteur indépendant.

Nous ne sommes pas opposés à la concentration, mais à la concentration excessive. Dans le secteur de la production, il faut continuer à concentrer, mais bien. Si nous concentrons bien, les producteurs français peuvent devenir les acteurs principaux du monde, car des lois ont été faites en ce sens et qu'elles nous aident, et, car il y a de la création, de la tradition. L'excès de concentration et ses effets pervers sont gênants.

Banijay rassemble 120 sociétés de production indépendantes faisant travailler d'autres producteurs artistiques. Ils ont 100 % de liberté éditoriale et sont tous intéressés au résultat de leur PME. Je ne comprends pas très bien la nuance entre confédération et fédération...

Debut de section - Permalien
Pierre-Antoine Capton, président de Mediawan

Le groupe Mediawan réalise environ 1 milliard d'euros de chiffre d'affaires, moins de 50 % en France, dont un peu moins d'un tiers avec le service public, beaucoup moins avec TF1 et M6. Les plateformes ne représentent que 10 % de notre chiffre d'affaires mondial, pour les mêmes raisons que Stéphane Courbit. Elles deviennent des clients avec lesquels nous négocions, mais ces négociations sont difficiles. Les décrets SMAD vont changer tout cela.

Nous avons une soixantaine de sociétés de production à travers l'Europe : nous leur laissons une liberté éditoriale, artistique et de discussion avec les chaînes totale. Nous sommes là en cas de besoin pour une meilleure distribution et pour prodiguer des conseils. Il est parfois difficile, pour une petite société de production ou un jeune producteur, de produire une série à plus gros budget. Nous les faisons progresser.

Nous investissons aussi beaucoup en développement : nous recevons des projets, nous les lançons, nous les essayons, nous réalisons des pilotes, nous en jetons parfois... Nous faisons confiance à nos producteurs pour que ces projets deviennent les programmes phares de demain. C'est très important de pouvoir réinvestir une partie de l'argent de la distribution dans la création et dans le développement.

L'information est un sujet essentiel. Nous travaillons aussi sur la création de plateaux pour accueillir des tournages plus importants. Nous sommes à la recherche de création d'outils de production, et de formations. Pour créer beaucoup d'emplois qualifiés demain, nous avons besoin de former de nombreux jeunes.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre-Jean Verzelen

Je salue la clarté et la précision de vos propos, notamment sur le potentiel rapprochement entre TF1 et M6. Nous avons compris les risques que cela impliquait. Vous avez évoqué une concentration maîtrisée et l'aide législative. Pourriez-vous nous préciser les choses ? Nous avons compris les enjeux en matière de droits. D'autres sujets pratiques sur le rapprochement TF1-M6 concernent-ils une concentration concertée ?

Debut de section - Permalien
Stéphane Courbit, président de Banijay

Nous sommes d'accord pour que les deux diffuseurs se rapprochent pour être un acteur plus fort, mais cela ne doit pas se faire à nos dépens. Lors de l'annonce de la fusion, en mai 2021, un communiqué de presse annonçait la réalisation de 250 à 350 millions d'euros de synergies. Je ne connais que trois moyens de faire des synergies : réduire le nombre d'emplois, augmenter la publicité ou réduire le montant des achats. Nous sommes directement impliqués par le troisième sujet. Nous craignons que les chaînes fusionnées passent de 1,5 milliard à 1,2 milliard d'euros d'achats pour réaliser 300 millions d'euros d'économies. Cela nous pose un problème.

Les nouveaux décrets ont permis aux chaînes d'avoir beaucoup plus de production dépendante. Sur l'access prime time et le prime time, TF1 et M6 sont passées de 75 % de production indépendante en 2016 à 38 %. Ils resserrent l'étau. On doit encadrer cela.

Debut de section - Permalien
Pascal Breton, président de Federation Entertainment

Si les chaînes acceptent nos propositions d'augmenter leurs obligations de production à 15 % de leur chiffre d'affaires, contre 12 % en moyenne actuellement - contre 20 % pour les plateformes, sachant que la situation de Canal+ est particulière puisque la chaîne investit surtout sur le cinéma, et très peu sur l'audiovisuel - ; si elles donnent des garanties sur les achats de flux en sus de ces programmes de stock - fiction et animation - ; si nous précisons bien ensemble les règles du jeu sur la distribution et sur la détention des mandats à la fois pour les chaînes généralistes et pour Canal+ ; et si nous trouvons un accord gagnant-gagnant avec partage des droits, nous sommes prêts à partager les recettes d'un succès commun - y compris en les revendant sur des plateformes ensuite. Pour l'instant, les chaînes refusent de débattre.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurent Lafon

L'écosystème français est assez favorable à la création et à la production ; tant mieux. Il y a un enjeu de souveraineté : le système de production n'est-il pas le maillon faible de la souveraineté, notamment capitalistique ? N'y a-t-il pas un risque qu'une partie des 4 000 sociétés de production passent un jour sous propriété étrangère ? Aucun système ne les protège...

Debut de section - Permalien
Pascal Breton, président de Federation Entertainment

Ce sujet concerne aussi les diffuseurs.

La fusion entre TF1-M6 sera le point de départ d'autres opérations capitalistiques plus globales, à l'échelle européenne, avec des rapprochements avec RTL, peut-être Mediaset...

La question de la souveraineté se posera au niveau européen, de manière intéressante.

Vous étudierez prochainement la transmission des catalogues. On ne peut pas empêcher chaque producteur de vendre son catalogue, mais, en même temps, cela pose problème que tous les catalogues partent aux États-Unis. Cela suppose une réflexion commune. On ne peut pas empêcher une entreprise d'être sur un vrai marché ; c'est un bien de souveraineté culturelle puissant, qui ne peut être vendu comme un autre bien matériel. Il ne faut pas fortement abîmer la valeur de nos entreprises, qui sinon ne seraient pas vendables, et qui ne pourraient plus capitaliser ni emprunter de l'argent. En tant que citoyen, je pense qu'il faut que nous réfléchissions intelligemment à ce que l'essentiel de notre souveraineté créative française reste européenne dans tous les cas de figure.

Debut de section - Permalien
Stéphane Courbit, président de Banijay

Je partage le point de vue de Pascal Breton : il est schizophrène de promouvoir le développement de la culture française, tout en reconnaissant le droit aux producteurs de vendre leur catalogue à l'étranger.

Debut de section - Permalien
Pierre-Antoine Capton, président de Mediawan

Mon expérience en bourse m'a enseigné que le plus important est le contrôle. Le développement, la création nécessitent toujours d'aller chercher des financements, mais le contrôle reste le sujet crucial et essentiel.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

Les diffuseurs que nous avons entendus soutiennent qu'ils ont besoin de concentration, de fusionner les groupes pour atteindre une masse critique face à la concurrence internationale - sur le plan domestique, on ne peut pas dire qu'ils soient très concurrencés. Or, pour vous, la réussite internationale, c'est-à-dire la conquête de marchés, repose sur les producteurs et non sur les diffuseurs. Le fait que des professionnels aussi avertis tiennent des discours aussi opposés nécessite un approfondissement, avec des données chiffrées.

Le président d'Arte nous a indiqué que En Thérapie affichait cinq millions de vues en novembre 2021. Netflix serait très heureux d'avoir une production comme celle-ci, surtout avec des coûts très limités. Le succès international est donc possible avec un producteur qui ne fait pas partie des mastodontes mondiaux.

Monsieur Capton, qui est aujourd'hui propriétaire de Mediawan ? Quel est précisément le poids du fonds américain KKR dans son capital ? Est-il vrai que ce fonds a obtenu des garanties pour devenir, à terme, majoritaire dans le groupe ?

Debut de section - Permalien
Pierre-Antoine Capton, président de Mediawan

Non. Xavier Niel, Matthieu Pigasse et moi-même avons lancé Mediawan en tant que SPAC, dont nous n'avions pas le contrôle. N'importe quel fonds vautour aurait pu y entrer et en prendre le contrôle. C'est pourquoi nous avons lancé une OPA avec plusieurs partenaires, dont Bpifrance, la Société Générale et la MACSF - la Mutuelle d'assurances du corps de santé français.

Je crois savoir d'où vient cette question... Le plus important est que le contrôle reste français. Aucune décision, de vente notamment, ne peut désormais être prise sans l'accord conjoint de Xavier Niel, Matthieu Pigasse et moi-même.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

Monsieur Courbit, vous êtes entré en janvier 2018 dans le capital de Shauna Events, leader européen des e-influenceurs. Or sa directrice, Magali Berdah, qui est également chroniqueuse à Touche pas à mon poste, a sorti il y a une semaine sur YouTube un format « 24 heures avec Éric Zemmour ». En étiez-vous informé ? Quelle est la nature de votre partenariat ?

Debut de section - Permalien
Stéphane Courbit, président de Banijay

Nous avions en effet pris une part minoritaire au capital de Shauna Events, qui est une société qui gère des influenceurs. Magali Berdah y conservera des parts à hauteur de 10 % environ. Je connais ses activités, mais j'ignorais qu'elle avait produit le format que vous évoquez - et que cela pouvait poser problème...

Je ne suis pas un soutien de M. Zemmour, et Mme Berdah s'est peut-être intéressée à lui parce que c'est un bon client ; d'ailleurs Public Sénat vient de lancer une émission intitulée Bienvenue chez vous, dont il est le premier invité.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

J'observais simplement qu'il existe un rapport organique entre vous et Mme Berdah. Je prends acte de votre réponse.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurent Lafon

Je vous remercie de votre participation.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 16 h 55.