Intervention de Pierre-Antoine Capton

Commission d'enquête Concentration dans les médias — Réunion du 31 janvier 2022 à 15h05
Audition de Mm. Pierre-Antoine Capton président de mediawan stéphane courbit président de banijay et pascal breton président de federation entertainment

Pierre-Antoine Capton, président de Mediawan :

Je suis très heureux de participer à cette commission d'enquête. C'est pour moi très important d'être là, car je suis convaincu que la création est un indicateur essentiel de la pluralité et de la bonne santé démocratique d'un pays que nous avons tous à coeur de garantir.

Comme l'a dit Nicolas de Tavernost devant vous vendredi dernier, je suis entrepreneur et producteur indépendant depuis plus de vingt-cinq ans. Mon parcours est intrinsèquement lié aux mutations du secteur audiovisuel. J'ai monté ma première société de production, 3e OEil Productions, à vingt-cinq ans. J'arrivais de Trouville, je n'avais pas fait d'études, j'étais passionné de théâtre, de télévision et de cinéma. J'ai effectué mes premiers stages à Paris durant deux ans : le premier chez AB Productions ; le second dans les chaînes thématiques du groupe Canal+. Puis, grâce à Marc-Olivier Fogiel, j'ai obtenu un premier emploi dans TV+, une émission de Canal+. À la suite d'un plan social décidé par Jean-Marie Messier, j'ai touché un chèque de 50 000 francs, qui m'a servi à créer ma première entreprise. J'ai alors appelé les chaînes de télévision de mon bureau qui se trouvait dans un parking à Boulogne. Mais je n'avais aucune réponse. Par chance, j'avais compris que l'arrivée de la télévision par satellite et la déconcentration qui s'opérait sur le secteur pourraient créer des opportunités. J'ai donc proposé un premier programme à la chaîne TPS Star, dont le patron Guillaume de Posch m'a donné ma première chance et mon premier contrat de producteur pour Starmag, une émission quotidienne de cinéma qui s'est arrêtée le jour où TPS a été rachetée par Canal+.

À l'époque, comme je ne connaissais personne, sans l'émergence de nouveaux acteurs qui pouvaient se permettre de parier sur un producteur inconnu, je n'aurais jamais pu me lancer. J'ai continué à développer cette société, essentiellement ciblée sur le flux et le documentaire, pendant vingt ans. En 2015, j'ai eu la chance de rencontrer Xavier Niel et Matthieu Pigasse. Nous partagions tous les trois le même constat : nous avions en France des talents extraordinaires, que ce soient des auteurs, des comédiens, des réalisateurs et des producteurs ; de plus, la demande pour des contenus de qualité explosait, et les offres européennes devenaient des succès mondiaux ; paradoxalement, nous n'avions pas dans notre pays de véritable champion de la production, en dehors du flux avec Banijay. Nous avions la conviction que, depuis la France, nous pouvions créer un champion européen à dimension mondiale dont la production audiovisuelle serait en mesure de rivaliser avec les majors américaines. Je tiens à préciser que la France était un terrain extrêmement fertile pour réussir ce pari un peu fou, notamment grâce à la législation et à la régulation dont vous avez été en partie les artisans au Sénat.

Dès le début, nous savions que, pour réunir les meilleurs producteurs français et européens, il fallait pouvoir leur garantir leur indépendance et leur autonomie, essentielles pour assurer la créativité, leur fournir les moyens pour développer de nouveaux projets et assurer le rayonnement de leurs oeuvres dans le monde entier.

Le premier enjeu était financier. Nous avons donc constitué un SPAC - special purpose acquisition company - pour lever de l'argent en bourse, créer la structure Mediawan et faire notre première acquisition : le groupe AB. Depuis, nous sommes sortis de la bourse, avons repris le contrôle de notre société via une offre publique d'achat (OPA), et nous sommes implantés sur les marchés européens les plus importants, tels que l'Italie, le Royaume-Uni ou l'Espagne. En Allemagne, nous nous sommes associés au groupe Leonine, et nous avons racheté le groupe Lagardère Studios.

Aujourd'hui, Mediawan regroupe trois métiers : la production, qu'il s'agisse de fiction, d'animation, de documentaire, du long métrage et du flux ; la distribution, qui est un pilier essentiel pour garantir la maîtrise de nos oeuvres, leur rayonnement et assurer des revenus qui sont réinvestis dans la création ; enfin, l'édition de chaînes thématiques est héritée du groupe AB.

Mediawan, c'est plus de 1 000 collaborateurs, 50 labels de production dans dix pays, un chiffre d'affaires d'un peu plus de 1 milliard d'euros. Ce sont des séries comme Dix pour cent, qui compte 20 remakes dans le monde ; HPI, lancée l'an dernier sur TF1 ; c'est aussi le dessin animé Miraculous Ladybug, Bac Nord, nommé sept fois aux César 2022 ; des succès en Italie comme Montalbano, La Vie devant soi, ou des documentaires tels Orelsan et Grégory, ainsi que des émissions de flux telles C dans l'air ou C à vous.

Pourtant, même si nos productions sont bien connues dans le monde entier, le secteur de la production indépendante l'est moins, et il est mal compris. Il est donc important, dans le cadre de cette commission d'enquête, de rappeler les grandes caractéristiques de notre marché.

Premièrement, la production audiovisuelle est extrêmement dynamique et concurrentielle. Il existe aujourd'hui en France un peu plus de 4 000 sociétés de production en activité, selon la dernière étude du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), avec à la fois des très grands groupes, des petites et moyennes entreprises (PME), mais aussi des très petites entreprises (TPE). Le nombre et la diversité des acteurs sont une preuve de richesse du secteur et ce qui garantit le pluralisme de sa création. Toutefois, dans un contexte d'internationalisation de la production, nos concurrents sont aussi les grands studios américains et les studios intégrés aux grandes plateformes. En outre, sur le territoire national, nous sommes concurrencés par les diffuseurs qui intègrent de plus en plus verticalement des capacités de production et de distribution en dépit des encadrements réglementaires.

La deuxième caractéristique est l'asymétrie entre le nombre de producteurs et d'acheteurs, révélatrice du rapport de force qui les oppose, quelle que soit leur taille. Nos principaux clients, et donc nos partenaires, sont avant tout les groupes de télévision nationaux, concentrés autour de deux acteurs majeurs de la télévision commerciale gratuite, un acteur de télévision payante, à savoir le service public, et des groupes de taille plus modeste opérant sur la télévision numérique terrestre (TNT).

Troisième et dernière caractéristique : ce secteur est en perpétuelle mutation, la dernière étant l'arrivée des plateformes internationales de vidéo à la demande (VOD) - subscription video on demand. Nous apprenons à travailler depuis quelques années avec ces nouveaux partenaires de la création, qui ont joué un rôle essentiel dans l'exposition de nos contenus à l'international. L'approche de la création évolue également, car les plateformes opèrent avec des logiques économiques et éditoriales très différentes des acteurs historiques et investissent encore peu dans le flux ou dans le cinéma.

Je suis intimement persuadé que la France peut devenir un véritable leader mondial de l'audiovisuel. En tant que producteurs indépendants, nous avons les moyens d'être des acteurs de premier plan pour assurer notre souveraineté économique et culturelle. Pour ce faire, il est crucial de préserver la production indépendante, qui représente un chiffre d'affaires de plus de 20 milliards d'euros, plus de 100 000 emplois, et qui fait rayonner notre pays à travers le monde.

La France a l'avantage de sa compréhension historique de l'importance de la création : en garantissant l'indépendance des producteurs à travers la législation et la régulation du secteur, vous avez permis son développement. Dans le prolongement de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, la transposition de la directive SMA en droit français vient consolider notre secteur en assurant sa souveraineté culturelle et économique avec la création au coeur du dispositif.

C'est dans cet état d'esprit que j'aborde les questions liées à la concentration du secteur. Les diffuseurs sont nos premiers partenaires ; nous ne pouvons que nous réjouir de leur bonne santé économique et de leur dynamisme, indispensables pour la pérennité de la création. Il faut absolument préserver la vitalité et la diversité de la création. Les mouvements de concentration en cours ne doivent pas se faire au détriment de cet intérêt. J'y serai particulièrement attentif.

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