Intervention de Pascal Breton

Commission d'enquête Concentration dans les médias — Réunion du 31 janvier 2022 à 15h05
Audition de Mm. Pierre-Antoine Capton président de mediawan stéphane courbit président de banijay et pascal breton président de federation entertainment

Pascal Breton, président de Federation Entertainment :

Je suis un auteur, réalisateur et producteur depuis plus de trente-cinq ans. J'ai commencé par Babar, Tintin, Totally Spies, Marsupilami, autant de programmes pour les enfants qui étaient des succès mondiaux. J'ai ensuite produit Sous le soleil, série qui a duré vingt ans et 500 épisodes et a marqué toute une génération en plus d'être un énorme succès mondial. J'ai également construit Versailles, et je me suis alors rendu compte à quel point les programmes français, et plus généralement européens, commençaient à avoir une pertinence mondiale. Celle-ci était liée à l'évolution de la technologie et à la capacité à s'ouvrir à d'autres programmes que les séries américaines, dont le marché était encore dominé à 90 %.

J'ai créé Federation Entertainment il y a seulement six ans. J'ai voulu fédérer une trentaine de producteurs, avec lesquels j'ai créé des sociétés de production et que j'ai entourés d'une galaxie de talents, cinq à dix auteurs, réalisateurs et producteurs. J'ai, par exemple, produit Le Bureau des légendes avec Éric Rochant et En thérapie avec Éric Toledano et Olivier Nakache. Le Tour du monde en quatre-vingts jours, énorme production mondiale tournée en anglais, a coûté environ 40 millions, financés uniquement avec des diffuseurs publics européens. La série a ensuite été vendue à la BBC et à la chaîne publique américaine (PBS - Public Broadcasting Service). Une autre très belle création sur l'incendie de Notre-Dame sera prochainement diffusée par Netflix. Je produis actuellement une trentaine de séries par an principalement pour les plateformes, mais aussi pour les chaînes traditionnelles, en France et à l'étranger, surtout en Italie, en Allemagne, en Espagne, en Israël où la créativité est très forte, au Royaume-Uni et aux États-Unis.

Le but est de continuer à croître. Je n'ai pas de capitaux particuliers, puisque je suis propriétaire de mon entreprise, créée de toutes pièces avec peu d'argent. J'y ai fait entrer récemment un actionnaire très minoritaire. Je veux créer une grande fédération, voire une coopérative de créateurs européens pour leur donner la plus grande liberté possible par rapport aux mastodontes que sont les plateformes. Pour cela, il convient de garder notre spécificité française que nous défendons depuis trente ans. Grâce aux dernières évolutions, l'Europe s'est rendu compte à quel point elle avait laissé un pouvoir économique beaucoup trop important aux fameuses Gafam - Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft. C'est pourquoi, dans l'agenda de la Commission et du président français, figure la régulation. Cette dernière est fondamentale eu égard aux fake news, à la nécessaire protection de la démocratie, qui est l'enjeu numéro 1, et à l'abus de position dominante qui s'installe largement aux États-Unis. Quand je produis outre-Atlantique, je ne garde aucune propriété, je suis payé comme un réalisateur, ce qui m'empêche d'investir et de développer de nombreux projets. Le business model américain ne profite qu'aux studios et aux Gafam.

Le business model européen que nous sommes en train d'inventer est un système de partage. Les diffuseurs français ont pris cette habitude, ils doivent impérativement garder ce respect des créateurs, des auteurs et des producteurs, maillon essentiel de la créativité et du génie français. Il en va de même pour les plateformes. Notre nouvelle règlementation leur impose plus d'obligations qu'aux chaînes, ne serait-ce qu'en volume - 20 %, contre 11 % à 12 % en moyenne - ou en droits. Les plateformes devront en effet nous rendre tous les droits au bout de trois ans. Le système est très équilibré, assez exemplaire, d'autant plus qu'il fait école, puisque les Italiens sont en passe d'adopter une loi proche de la nôtre qui contraindrait les plateformes à investir jusqu'à 25 %. Plus étonnant encore, les Allemands, historiquement réfractaires en raison du système des Länder, ont décidé de se pencher sur un système équivalent au nôtre, afin de ne plus être menacés dans leur souveraineté.

La souveraineté démocratique est un sujet phare de la concentration des médias. En la matière, nous sommes moins compétents, puisque nous ne produisons que des oeuvres et des émissions de divertissement. Il y va aussi de tout ce que créent nos écrivains dans l'édition, nos journalistes dans la presse, nos auteurs dans les séries, les films, les dessins animés - nous sommes le deuxième producteur mondial -, le documentaire - nous sommes à la troisième place au monde -, le divertissement et le flux - Stéphane Courbit est le leader mondial. Nous sommes confrontés à des enjeux de souveraineté et de partage intelligent très importants. Pour l'instant, nous avons trouvé une solution avec les diffuseurs. S'il doit y avoir un rapprochement entre les chaînes, un accord doit obligatoirement être conclu avec les producteurs.

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