Intervention de Jean-Michel Baylet

Commission d'enquête Concentration dans les médias — Réunion du 3 février 2022 à 14h00
Audition de M. Jean-Michel Baylet président du groupe la dépêche du midi

Photo de Jean-Michel BayletJean-Michel Baylet, président du groupe La Dépêche du Midi :

Merci de me recevoir.

L'histoire de mon groupe se confond avec celle de la République. La Dépêche fut fondée à la chute de Napoléon III, le 2 octobre 1870, par deux typographes anarchistes de l'imprimerie Sirven désireux d'apporter une information au public différente de celle que délivrait le préfet sur les grilles de la préfecture... Le succès du journal fut assez considérable et rapide. C'est La Dépêche qui a créé les éditions régionales : il y en avait seize à l'époque. C'était alors une coopérative ouvrière. En 1924, un Rothschild décida de se présenter aux élections à Tarbes. La Dépêche, avec son vieux fond anarchiste et radical-socialiste, le combattit avec force. Il tenta alors de lancer une offre publique d'achat (OPA) sur le journal : il obtint 48 % du capital, mais échoua à en détenir la majorité. Le journal n'en fut pas plus tendre avec lui. Ayant perdu les élections, ce Rothschild chercha un repreneur. C'est Jean-Baptiste Chaumeil, député-maire de Valence-d'Agen et arrière-grand-oncle de mon père, qui racheta ses actions. C'est ainsi que ma famille est au capital de La Dépêche depuis 1924. Nous en détenons 97,5 % et la Mutuelle de La Dépêche, 1,5 %, car il m'a semblé important qu'un représentant du personnel siège au conseil d'administration.

La Dépêche est devenue un très grand journal, qui vit se succéder des plumes célèbres comme Clemenceau, Jaurès et bien d'autres. Elle fut prospère, comme l'ensemble de la presse, jusque dans les années 70. Ses positions étaient fermes : mon père avait ainsi fortement engagé le journal dans l'antigaulliste au moment du retour du général de Gaulle.

Les années 70 marquèrent l'apogée de la diffusion des journaux en France. À partir de là, la diffusion de La Dépêche baissa, lentement et tranquillement. Le journal connut la première révolution technologique, avec la fin du plomb. En 1998 et 1999, il subit une deuxième OPA : le journal Le Monde - à l'instigation de Jean-Marie Colombani - s'empare dans notre dos de 40 % des actions de La Dépêche. J'ai contré cette opération, grâce au droit d'agrément du conseil d'administration et avec l'appui de Jean-Luc Lagardère et Pierre Fabre. Nous avons ainsi réussi à conserver notre indépendance. Depuis, je dirige ce groupe familial. J'ai commencé ma carrière comme journaliste à La Dépêche et je suis toujours titulaire d'une carte de presse. Mes deux fils en sont les deux directeurs généraux. C'est l'un des derniers groupes de presse français qui soit resté familial, avec un capital totalement maîtrisé et dirigé par ses propriétaires : il n'y en a plus dans la presse quotidienne nationale (PQN), seulement trois ou quatre dans la presse quotidienne régionale (PQR), aucun dans la presse quotidienne départementale (PQD).

Mais la situation de notre groupe est compliquée, comme ailleurs. Bizarrement, au moment de l'arrivée de l'euro, nous avons connu une baisse considérable de la diffusion. Puis les GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon) ont pillé nos contenus et aspiré nos publicités. Nous avons alors connu des souffrances économiques considérables et il a fallu remettre les choses en ordre.

À la Libération, le législateur avait considéré que la presse devait être à la portée de toutes les bourses et que toutes les opinions devaient y être représentées. D'où la création des Nouvelles Messageries de la presse parisienne (NMPP) - devenues Presstaliss depuis - et des aides à la presse, car il avait été demandé aux patrons de presse de vendre en dessous du prix de revient.

La Dépêche du Midi a connu de nombreuses années difficiles. Monsieur Assouline, vous qui avez travaillé sur la question des droits voisins, sachez que, deux ans après le vote de la loi, le compte n'y est toujours pas. Nous avons signé avec Facebook et presque abouti avec Google, mais dans des conditions bien éloignées de ce que nous avions espéré. Ces entreprises mettent des moyens considérables pour nous combattre : elles font du droit comme les Américains et font tout pour ne pas payer et continuer à piller nos recettes publicitaires.

Il y a six ou sept ans, nous avons eu l'opportunité de mener une opération de croissance externe en prenant le contrôle du groupe Les Journaux du Midi. Pourquoi ? Non pas pour asseoir notre autorité sur toute l'Occitanie, comme certains l'ont dit. Mais les revenus et les actifs de Midi Libre avaient été pillés par Le Monde, puis par le groupe Sud-Ouest. Pour nous, il s'agissait d'une opération de cohérence , avec d'importantes mutualisations, le développement de complémentarités et la perspective de redresser nos comptes. Sachez que les périmètres économiques des journaux, décidés à la Libération - avec notamment des statuts extrêmement favorables pour les ouvriers et les journalistes -, sont coûteux et ne sont plus en adéquation avec les réalités actuelles.

Le mouvement de concentration s'explique. Le journalisme a longtemps été un métier fructueux, dans lequel on ne regardait ni à la dépense ni à la gestion rigoureuse : les journaux étaient plutôt mal gérés et se sont trouvés en très grande difficulté. En outre, les successions n'avaient pas été préparées. Certains titres se sont donc retrouvés sur le marché et ont été repris, par Robert Hersant en premier lieu. J'ai eu la chance de recevoir La Dépêche du Midi en héritage et j'ai créé les conditions pour la transmettre à mes enfants qui travaillent à mes côtés.

Mais on ne nous rend pas la tâche facile : le prix du papier a augmenté de 50 %, celui des encres et des plaques de 30 %. De surcroît, Citeo a décidé, avec l'accord du Gouvernement, de transformer des échanges et espaces en un versement d'espèces sonnantes et trébuchantes à compter du 1er janvier prochain : cela représente 20 millions d'euros pour la presse. Il faudrait veiller à moins nous taxer et je redoute de prochains sinistres dans notre secteur.

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