Le compte rendu de cette audition sera publié ultérieurement.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
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La réunion est close à 16 h 45.
La commission de la culture est en pointe sur cette question et a fait des propositions pour rendre cette contribution universelle et d'un montant important de sorte que le service public puisse vivre.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 12 h 10.
- Présidence de M. Laurent Lafon, président -
La réunion est ouverte à 14 heures.
Nous recevons M. Jean-Michel Baylet, président du groupe La Dépêche du Midi.
Je rappelle que cette commission d'enquête a été constituée à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain et a pour rapporteur David Assouline.
Monsieur le ministre Jean-Michel Baylet, je ne suis pas sûr qu'il soit nécessaire de vous présenter dans cette maison qui fut la vôtre pendant plus de vingt ans. Vous avez été député, sénateur, quatre fois secrétaire d'État et ministre et vous êtes élu local.
Mais nous vous entendons aujourd'hui dans vos fonctions de président du groupe La Dépêche du Midi, qui rayonne sur le quart sud-ouest de la France. Avec 11 titres et 3,3 % des tirages nationaux, votre groupe est l'un des plus grands de la presse quotidienne régionale, avec EBRA, SIPA-Ouest France et Rossel La Voix.
J'ajoute que vous avez été à l'origine du regroupement de la presse quotidienne nationale et régionale au sein de l'Alliance, dont vous avez été le premier président.
Nous sommes donc désireux d'entendre vos analyses comme président d'un grand groupe de presse locale sur les conséquences d'une concentration dont vous êtes un des acteurs, mais dont vous subissez peut-être aussi les conséquences.
Cette audition est diffusée en direct sur le site internet du Sénat. Elle fera également l'objet d'un compte rendu publié.
Avant de vous passer la parole, je rappelle que tout témoignage mensonger devant une commission d'enquête parlementaire est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende. Je vous invite maintenant à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure ».
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Jean-Michel Baylet prête serment.
Merci de me recevoir.
L'histoire de mon groupe se confond avec celle de la République. La Dépêche fut fondée à la chute de Napoléon III, le 2 octobre 1870, par deux typographes anarchistes de l'imprimerie Sirven désireux d'apporter une information au public différente de celle que délivrait le préfet sur les grilles de la préfecture... Le succès du journal fut assez considérable et rapide. C'est La Dépêche qui a créé les éditions régionales : il y en avait seize à l'époque. C'était alors une coopérative ouvrière. En 1924, un Rothschild décida de se présenter aux élections à Tarbes. La Dépêche, avec son vieux fond anarchiste et radical-socialiste, le combattit avec force. Il tenta alors de lancer une offre publique d'achat (OPA) sur le journal : il obtint 48 % du capital, mais échoua à en détenir la majorité. Le journal n'en fut pas plus tendre avec lui. Ayant perdu les élections, ce Rothschild chercha un repreneur. C'est Jean-Baptiste Chaumeil, député-maire de Valence-d'Agen et arrière-grand-oncle de mon père, qui racheta ses actions. C'est ainsi que ma famille est au capital de La Dépêche depuis 1924. Nous en détenons 97,5 % et la Mutuelle de La Dépêche, 1,5 %, car il m'a semblé important qu'un représentant du personnel siège au conseil d'administration.
La Dépêche est devenue un très grand journal, qui vit se succéder des plumes célèbres comme Clemenceau, Jaurès et bien d'autres. Elle fut prospère, comme l'ensemble de la presse, jusque dans les années 70. Ses positions étaient fermes : mon père avait ainsi fortement engagé le journal dans l'antigaulliste au moment du retour du général de Gaulle.
Les années 70 marquèrent l'apogée de la diffusion des journaux en France. À partir de là, la diffusion de La Dépêche baissa, lentement et tranquillement. Le journal connut la première révolution technologique, avec la fin du plomb. En 1998 et 1999, il subit une deuxième OPA : le journal Le Monde - à l'instigation de Jean-Marie Colombani - s'empare dans notre dos de 40 % des actions de La Dépêche. J'ai contré cette opération, grâce au droit d'agrément du conseil d'administration et avec l'appui de Jean-Luc Lagardère et Pierre Fabre. Nous avons ainsi réussi à conserver notre indépendance. Depuis, je dirige ce groupe familial. J'ai commencé ma carrière comme journaliste à La Dépêche et je suis toujours titulaire d'une carte de presse. Mes deux fils en sont les deux directeurs généraux. C'est l'un des derniers groupes de presse français qui soit resté familial, avec un capital totalement maîtrisé et dirigé par ses propriétaires : il n'y en a plus dans la presse quotidienne nationale (PQN), seulement trois ou quatre dans la presse quotidienne régionale (PQR), aucun dans la presse quotidienne départementale (PQD).
Mais la situation de notre groupe est compliquée, comme ailleurs. Bizarrement, au moment de l'arrivée de l'euro, nous avons connu une baisse considérable de la diffusion. Puis les GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon) ont pillé nos contenus et aspiré nos publicités. Nous avons alors connu des souffrances économiques considérables et il a fallu remettre les choses en ordre.
À la Libération, le législateur avait considéré que la presse devait être à la portée de toutes les bourses et que toutes les opinions devaient y être représentées. D'où la création des Nouvelles Messageries de la presse parisienne (NMPP) - devenues Presstaliss depuis - et des aides à la presse, car il avait été demandé aux patrons de presse de vendre en dessous du prix de revient.
La Dépêche du Midi a connu de nombreuses années difficiles. Monsieur Assouline, vous qui avez travaillé sur la question des droits voisins, sachez que, deux ans après le vote de la loi, le compte n'y est toujours pas. Nous avons signé avec Facebook et presque abouti avec Google, mais dans des conditions bien éloignées de ce que nous avions espéré. Ces entreprises mettent des moyens considérables pour nous combattre : elles font du droit comme les Américains et font tout pour ne pas payer et continuer à piller nos recettes publicitaires.
Il y a six ou sept ans, nous avons eu l'opportunité de mener une opération de croissance externe en prenant le contrôle du groupe Les Journaux du Midi. Pourquoi ? Non pas pour asseoir notre autorité sur toute l'Occitanie, comme certains l'ont dit. Mais les revenus et les actifs de Midi Libre avaient été pillés par Le Monde, puis par le groupe Sud-Ouest. Pour nous, il s'agissait d'une opération de cohérence , avec d'importantes mutualisations, le développement de complémentarités et la perspective de redresser nos comptes. Sachez que les périmètres économiques des journaux, décidés à la Libération - avec notamment des statuts extrêmement favorables pour les ouvriers et les journalistes -, sont coûteux et ne sont plus en adéquation avec les réalités actuelles.
Le mouvement de concentration s'explique. Le journalisme a longtemps été un métier fructueux, dans lequel on ne regardait ni à la dépense ni à la gestion rigoureuse : les journaux étaient plutôt mal gérés et se sont trouvés en très grande difficulté. En outre, les successions n'avaient pas été préparées. Certains titres se sont donc retrouvés sur le marché et ont été repris, par Robert Hersant en premier lieu. J'ai eu la chance de recevoir La Dépêche du Midi en héritage et j'ai créé les conditions pour la transmettre à mes enfants qui travaillent à mes côtés.
Mais on ne nous rend pas la tâche facile : le prix du papier a augmenté de 50 %, celui des encres et des plaques de 30 %. De surcroît, Citeo a décidé, avec l'accord du Gouvernement, de transformer des échanges et espaces en un versement d'espèces sonnantes et trébuchantes à compter du 1er janvier prochain : cela représente 20 millions d'euros pour la presse. Il faudrait veiller à moins nous taxer et je redoute de prochains sinistres dans notre secteur.
Nous avons déjà eu l'occasion d'échanger par le passé sur la presse. Dans l'après-Seconde Guerre mondiale, la presse écrite a en effet joué un rôle démocratique majeur, par son accessibilité au plus grand nombre et l'expression de la diversité des opinions qu'elle a permise.
Mais notre sujet est aujourd'hui plus précis : c'est celui de la concentration des médias. En matière de presse écrite, certains groupes contrôlent désormais un grand nombre de titres - autrefois indépendants - sur des territoires entiers. N'y a-t-il pas là un risque de perte de diversité et d'uniformisation, voire de formatage, de la production journalistique ? Les grands groupes de presse régionaux sont soit adossés à des groupes financiers sans lien avec presse - comme le Crédit Mutuel -, soit à des familles présentes de longue date dans le secteur- comme Ouest-France. En contrôlant de nombreux titres dans des régions entières, sans concurrence, ne portez-vous pas atteinte au pluralisme ?
Vos engagements politiques sont affirmés et assumés. Comment les rédactions conservent-elles leur indépendance politique ?
Vous êtes propriétaire de La Dépêche du Midi, La Dépêche du Dimanche, La Dépêche Lundi Sports, L'indépendant, Midi Olympique, La Nouvelle République des Pyrénées, Le Petit Bleu, Le Villefranchois, La Gazette du Comminges, Midi Libre, Centre Presse Aveyron, In Toulouse... Sur internet, vous possédez Rugbyrama, Toulouscope, La Dépêche interactive, Publi.fr. Vous avez créé en 2003 l'agence de presse La Dépêche News. En outre, vous avez acquis quatre chaînes locales au printemps 2021, via le réseau viàOccitanie. En novembre 2021, vous vous êtes intéressé à la reprise de La Provence : Xavier Niel semblait avoir la main, mais des décisions de justice devraient prochainement intervenir. Quand, sur un territoire, il n'y a presque plus de concurrence, ne porte-t-on pas atteinte au pluralisme indispensable à la démocratie ?
La réponse est non. Certes, mes engagements politiques sont connus et La Dépêche du Midi, dont je vous ai rappelé l'histoire, a longtemps porté une ligne politique. Mais aujourd'hui nous portons des valeurs, celles de la République - là-dessus nous n'avons pas changé. Nous continuons à nous battre pour ces valeurs, sans sectarisme : nos colonnes sont ouvertes à tous, pour rendre compte de l'activité des uns et des autres, quelles que soient leurs opinions, et même s'il en est certaines que nous préférons à d'autres. Nous nous sommes dotés d'une charte éditoriale et rédactionnelle. Les choses se passent convenablement.
Mettons à part les deux journaux qui ne parlent que de rugby - Midi Olympique et Rugbyrama -, uniques au monde : la diversité des opinions ne me semble pas affectée dans le cas d'espèce.
Quand nous avons pris le contrôle des autres titres que vous avez cités, nous n'avons pas changé un iota à leur ligne éditoriale. Cela aurait été une faute démocratique et de gestion. Prenez l'exemple de L'Indépendant, un journal très identitaire en Catalogne : en y touchant, nous toucherions à la substance même de la catalanité et les lecteurs s'en détourneraient. Nous avons mutualisé beaucoup de back offices et quelques rubriques locales, mais nous n'avons absolument pas touché aux lignes éditoriales. D'ailleurs, les journalistes ne l'auraient pas accepté. Or les choses se passent très bien avec eux, d'autant que je suis l'un des leurs, ce qui arrondit les angles. Je ne vois donc pas le moindre problème de diversité et de liberté d'opinion en ce qui concerne mon groupe : ce n'est pas un sujet chez nous.
La Provence est un bon exemple. Une entreprise de presse est avant tout une entreprise : elle doit trouver son équilibre économique sous peine de disparaître ou d'être avalée par les grands capitalistes. La Provence connaît une situation terriblement difficile. Nous nous sommes intéressés à ce titre pour deux raisons. D'une part, car la zone de diffusion de Midi libre est contiguë à celle de La Provence : nous sommes voisins à partir d'Arles, où nous montons prochainement un événement commun. D'autre part, car je voulais connaître la santé économique d'un confrère et pourquoi il en était arrivé là. Mais nous n'avions guère l'illusion de triompher face à MM. Saada et Niel. Et les choses ne changeront probablement pas.
Vous affirmez qu'il n'y a jamais eu d'interférence sur les lignes éditoriales. Quelles structures assurent l'indépendance des rédactions ? La loi encourage les entreprises de presse à en mettre en place.
On sait que les titres détenus par le Crédit Mutuel ont été maintenus, mais que certaines informations ont été mutualisées dans un bureau à Paris. Avez-vous opéré de telles mutualisations ou les rédactions sont-elles restées identiques à ce qu'elles étaient avant vos acquisitions ?
Nous avons mutualisé les informations locales et sportives - mais pas partout ni de la même façon partout.
Midi Libre possède une société des journalistes.
Nous avons entendu M. Emmanuel Poupard, secrétaire général du Syndicat national des journalistes (SNJ). Il a mentionné La Dépêche du Midi comme exemple de rationalisation : les conditions d'emploi des journalistes y seraient moins-disantes, afin de diminuer les coûts. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Des conditions d'emploi moins-disantes ? Je ne vois pas ce à quoi il fait allusion.
D'après lui, vous avez créé une agence de presse qui fournit l'information, mais qui écarte les journalistes.
Ce n'est pas exact. Nous avons effectivement créé à La Dépêche - et là uniquement - une agence de presse, La Dépêche News, qui regroupe entre 30 et 40 journalistes. Le SNJ s'en soucie aussi. Leurs conditions sont légèrement différentes, mais pas dans des proportions considérables. Si l'on souhaite que les journaux perdurent, il faut bien rationaliser.
La rentabilité des journaux est « ric-rac » : 1 à 2 millions d'euros de bénéfices ou de pertes, pour un chiffre d'affaires consolidé de l'ordre de 200 millions d'euros, sur lequel nous avons perdu, en cinq ans, quelque 50 millions d'euros de recettes... Nous devons donc rationaliser et mutualiser, à la fois la rédaction, mais aussi les ouvriers.
Certes, mais si vous créez une agence de presse dont le client exclusif est le groupe, à des conditions salariales inférieures à celles du journal, cela pose un problème social et de contestation. Vous nous dites qu'il faut contourner l'existant, car il y a un problème économique.
La plupart des journaux ont créé de telles agences de presse. Ces conditions de travail, négociées avec les syndicats, sont légèrement différentes de celles des journalistes recrutés en direct, mais ont été acceptées par les journalistes embauchés. La différence porte essentiellement sur le nombre de jours de réduction du temps de travail (RTT) : un journaliste travaille normalement 192 jours par an, c'est très lourd à porter.
Pouvez-vous nous assurer que vous n'intervenez jamais auprès des rédactions sur le contenu de l'information ?
Je parle avec le directeur de La Dépêche surtout, moins avec celui de Midi Libre. Nous discutons du contenu du journal. Je veux bien que les rédactions soient complètement indépendantes, mais cela voudrait dire que l'on demande à des gens d'investir dans une entreprise qui ne rapporte quasiment rien - cela fait quinze ans que La Dépêche n'a pas versé de dividendes -, avec un directeur qui se bat au quotidien pour garder son journal à flot et une rédaction qui resterait totalement étrangère à tout cela ? Cela n'est pas possible !
Nous discutons globalement du contenu du journal. S'agissant des éditoriaux publiés chaque jour, la liberté est absolue et totale : aucune intervention n'a lieu sur leur contenu.
En février 2021, le SNJ a dénoncé le billet du chef de la rédaction de La Dépêche du Midi du Tarn-et-Garonne, Laurent Benayoun - depuis directeur de cabinet et de la communication du conseil départemental du Tarn-et-Garonne -, intitulé « Les juges contre le peuple ? », commentant la décision de justice qui a condamné la maire de Montauban, Brigitte Barèges. L'auteur précise que « ce billet engage toute la rédaction ». Par un communiqué du 11 février, le SNJ s'est donc ému de cet article et l'a condamné : « Les journalistes de La Dépêche ne peuvent cautionner que soient ainsi foulés au pied les valeurs de démocratie, de justice et les principes déontologiques. »
Êtes-vous intervenu directement pour favoriser la rédaction d'un tel article ? Si vous ne le cautionnez pas, des mesures particulières ont-elles été prises pour éviter ce manquement aux règles déontologiques ?
S'agit-il vraiment d'une infraction aux règles déontologiques ? Je ne peux pas être suspect de défendre Mme Barèges, qui n'est pas une amie politique. Mais le jugement, assorti d'une mesure d'exécution provisoire, a été très inattendu : il a semblé bafouer les droits de la défense. C'est ainsi que le rédacteur de La Dépêche l'a ressenti. Il a donc écrit ce billet, sans me consulter le moins du monde. Ce billet ne m'a pas heurté : les juges y étaient allés très fort. Mme Barèges a d'ailleurs été relaxée en appel.
Le SNJ de La Dépêche, dont les relations avec une grande partie de la rédaction et avec la direction sont très houleuses, a cru bon de publier ce communiqué. Dont acte.
Non, ni d'un côté ni de l'autre. Je ne me voyais pas intervenir pour soutenir la maire de Montauban : voilà trente ans que nous nous tapons sur la figure, cela aurait été original...
Pour épuiser les différentes accusations, en 2016, Le Petit Journal de Canal+ a diffusé un reportage sur l'absence d'indépendance de La Dépêche du Midi : d'après des journalistes syndicalistes du quotidien, la rédaction aurait reçu consigne de ne plus mettre le nom complet du maire de Toulouse, Jean-Luc Moudenc, car la ville de Toulouse aurait changé de bord et réduit ses dépenses de publicité en faveur du journal. En procédant ainsi, vous auriez voulu sanctionner la ville de Toulouse. Que répondez-vous à cela ?
Les relations avec les élus locaux ne sont pas toujours faciles. Il est vrai que M. Moudenc, ayant considéré que La Dépêche n'avait pas été suffisamment compréhensive à son égard, a mis fin à nos relations commerciales. Mais qui pourrait demander à un journaliste d'écrire « M. le maire de Toulouse » à la place de « M. Jean-Luc Moudenc » ?
Je ne sais pas qui il est, cela n'a pas fait grand débat à la rédaction et cela n'est pas remonté jusqu'à moi. Le directeur de la rédaction ne m'en a jamais parlé.
Vous affirmez donc que vous discutez du contenu de votre journal d'opinion, mais que vous n'intervenez jamais pour demander que l'on ne traite pas un sujet, pour des raisons politiques ou commerciales.
Il pourrait arriver que l'on fasse pression sur un journaliste pour qu'il n'enquête pas sur tel annonceur, par exemple...
Revenons à la loi sur les droits voisins. Nous avons entendu dire - et une commission de l'Assemblée nationale y travaille actuellement - que les négociations entre les titres de presse et Google se déroulent dans la plus grande opacité. Le manque à gagner pour la presse serait considérable. Il serait bon que les montants négociés soient rendus publics, afin que la négociation prenne une dimension plus collective, profitable à l'ensemble de la presse. Or cela se passe de façon très différente de ce que nous avions voulu : les accords sont passés de gré à gré et restent secrets. Avez-vous passé un accord ? Pourquoi les montants ne sont-ils pas connus ?
Je ne suis pas le mieux placé pour vous répondre. J'étais président de l'Alliance de la presse quand la loi a été adoptée, mais j'ai passé la main depuis. Je ne fais donc pas partie de ceux qui négocient avec Facebook et Google. Mais, d'après ce que je sais, l'accord a d'abord été collectif, avant d'être individualisé. Je pense que le contenu global de l'accord est couvert par une clause de confidentialité. Un accord collectif a été trouvé avec Facebook et un autre est en cours de finalisation avec Google.
Google, Facebook et l'Alliance. Dans un premier temps, l'accord n'est pas individuel : l'individualisation intervient ensuite.
Il faudrait que j'en parle à mon fils, car c'est lui qui s'occupe de tout cela. Je ne veux pas dire de bêtise, donc je ne dis pas.
Cette discussion est d'une complexité incroyable : avec Google, c'est terrible ; avec Facebook, un peu plus simple. Je ne fais pas partie des négociateurs. Au conseil de l'Alliance, on nous a dit que l'on ne nous donnerait aucune information ni sur le global ni sur le détail par titre. Comme ce n'est pas moi qui m'en occupe, je ne peux pas vous donner le chiffre exact pour mon groupe. Je ne connais nullement ce qu'ont reçu les autres et certains - surtout la PQN - ont négocié de leur côté.
L'objectif de la loi était d'aider la presse. Mais comment vérifier que l'esprit de la loi est respecté si ces négociations sont couvertes par le secret professionnel ou celui des affaires ?
Merci en tout cas de nous avoir donné un ordre de grandeur pour votre groupe. Cela me donnera une idée du montant global : 30, 40, 100 millions d'euros...
Les 2 millions d'euros correspondent-ils à Google seul, ou bien à Google et Facebook ?
Aux deux, je crois. Avec Google, nous n'avons pas encore signé. Je comprends l'importance de la question pour votre commission, mais comprenez que Google peut exciper de mes réponses ici pour ne pas signer...
Très bien, nous parlerons d'autre chose, alors. Mais vous avez évoqué les difficultés économiques rencontrées par la presse, et il s'agit là d'une ressource nouvelle.
Je suis déjà allé au-delà de ce que j'aurais dû dire : on nous a demandé la plus grande confidentialité.
Je poserai la même question aux représentants de Google et Facebook que nous auditionnerons.
Votre entreprise est familiale : avec vos deux fils, vous en détenez 97 %. Les salariés et les journalistes semblent donc peu présents au capital. Qui détient les 3 % restants ?
Vous avez évoqué une société de journalistes de Midi Libre. Est-ce à dire que cette publication fonctionne différemment des autres ?
Pensez-vous que le système actuel d'aides à la presse est juste ? Faut-il le réformer ? Comment ?
Vous semblez ne pas être satisfait des contraintes qui sont imposées par Citeo aux entreprises pour réduire leur impact environnemental. Représentent-elles vraiment un coût important pour vous ? Pourquoi ne souhaitez-vous pas accompagner la transition environnementale ? Le fait que vous soyez un homme politique reconnu n'influe-t-il pas sur la ligne éditoriale de vos publications ?
Vous m'interrogez sur le capital. Avec ma famille, j'en détiens 97,5 %. La Mutuelle de La Dépêche du Midi en possède environ 2 %. J'ai souhaité, lorsqu'elle est entrée au capital, qu'elle dispose d'un siège au conseil administration, même si cette proportion ne m'y obligeait pas - mais je trouvais cela convenable. Restent quelques actions éparses - dont une dizaine au porteur !
La société des journalistes n'existe, dans mon groupe, qu'à Midi Libre.
Les aides à la presse, très décriées, sont indispensables. Je lis les comptes rendus de vos auditions, je parle à mes confrères, et je constate que leur répartition est très critiquée. Ce que je sais, c'est que, pour des groupes indépendants comme le mien, elles sont indispensables. Ce que je sais aussi, mesdames, messieurs les sénateurs, c'est que, d'année en année, elles fondent comme neige au soleil, alors qu'elles sont indispensables. Des discussions sont en cours pour réformer les aides postales.
Ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit : je suis, comme tout un chacun, soucieux des problèmes environnementaux. Comment pourrait-il en être autrement ? Je le suis en tant que patron d'entreprises de presse, mais aussi en tant que responsable politique et élu local. Bien sûr, il y a beaucoup de choses à faire. Je dis toutefois que cette période est très difficile pour les groupes comme le mien. Je n'ai pas les moyens, comme certains, de recapitaliser, pour des sommes considérables, comme bien des groupes célèbres. Mon entreprise est familiale, et je dois respecter mes équilibres économiques.
Or nous avons décidé, pratiquement seuls en Europe, que, à partir de 2023, c'est-à-dire dans quelques mois, les échanges que nous avions avec Citeo céderont la place à des espèces sonnantes et trébuchantes. Cela représente, pour la presse d'information générale, 20 millions d'euros de charges supplémentaires. C'est tout de même brutal ! Et Citeo vient d'annoncer que nos tarifs augmenteraient de 38,5 %, sans aucune concertation - nous l'avons découvert dans la presse. C'est tout de même violent, et lourd pour nos budgets. Quand il a fallu passer des blisters à d'autres systèmes, puisque le plastique été interdit, cela a occasionné aussi des coûts importants. Et je pourrais multiplier les exemples : on nous demande de ne plus employer de l'encre minérale, mais végétale - ce qui représente aussi un coût - alors que celle-ci, si elle convient aux magazines, n'est pas au point pour les quotidiens.
Je ne conteste ni le fondement écologique ni la nécessité de défendre l'environnement. Je dis simplement que cela représente, d'un coup, dans une période douloureuse pour nous, des charges supplémentaires, que certains ne pourront pas absorber.
Vous m'avez interrogé sur la ligne éditoriale...
Oui. Le fait que vous soyez un homme politique n'influe-t-il pas sur la ligne éditoriale ? Sur le recrutement des journalistes ? Ne crée-t-il pas une forme d'autocensure ?
Je discute avec le directeur de la rédaction - pas tous les jours, tant s'en faut - mais je ne pèse pas sur la ligne éditoriale. D'ailleurs, l'ensemble des courants politiques français sont traités, même si nous en préférons certains à d'autres.
La Dépêche du Midi est l'un des plus anciens journaux de France. Elle a été créée dans des conditions particulières, et a toujours été un journal d'engagement, comme on le sent dans ses éditos, et dans les tribunes que nous publions le dimanche. C'est moins vrai des autres journaux, que nous avons aussi pris - et conservés - comme ils étaient. Soyez donc rassurée. En fait, l'important est de savoir comment faire un beau journal, qui intéresse les lecteurs et qui trouve preneur, plutôt que d'attaquer untel ou de défendre telle idée. Quant au recrutement des journalistes, ce n'est pas moi qui m'en occupe - sauf pour les rédacteurs en chef, tout de même !
Depuis le début de ces auditions, nous avons vu des groupes de médias constitués de différentes façons. Pour certains, l'activité principale était loin d'être les médias, d'ailleurs. Certains ont une forme associative... Le vôtre est un groupe familial. Quels sont les avantages et les inconvénients d'une telle structure ? Avec l'évolution du monde des médias et l'apparition des Gafam (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft), la constitution de grands groupes est-elle inéluctable ? Vous êtes un homme de presse écrite ; qu'est-ce qui vous attire aujourd'hui vers la radio ?
Sur les aides à la presse, je n'ai pas la même analyse que vous. Elles ne fondent pas comme neige au soleil ! Mais, sans doute, leur répartition évolue. La crise de Presstalis a eu son impact, aussi. Vu la concentration du secteur autour de quelques grands groupes, je parle non pas de supprimer les aides à la presse, mais d'envisager de nouveaux critères d'attribution. Qu'en pensez-vous ?
Vous couvrez une grande partie du sud-ouest. D'autres groupes sont diffusés dans tout l'est de la France, d'autres dans tout l'ouest... Il y a clairement un partage géographique. Dès lors, est-il encore possible de créer un journal régional ? La question se pose aussi pour la radio, puisque l'on voit que BFM s'intéresse à des secteurs régionaux.
Un groupe familial, c'est différent d'un groupe qui appartient à un grand capitaliste. Celui-ci, en effet, recrute un manager et, s'il est satisfait de lui, il le garde. Nous sommes une entité familiale. J'ai la chance d'avoir deux fils doués pour la gestion des affaires - j'aurais été très embarrassé dans le cas contraire.
Il y a trente ans, toute la presse régionale et départementale était familiale. Nous ne sommes que trois ou quatre survivants. Là où la gestion était approximative, là où l'on n'a pas su préparer les successions, on s'est fait absorber par d'autres - y compris par nous-mêmes. Le Petit Bleu d'Agen, historiquement, était une entreprise familiale, par exemple. Mais il s'est trouvé complètement en dessous du seuil de flottaison...
Je suis attaché à la forme familiale du groupe, qui est une fierté et un honneur. J'ai hérité d'un groupe de presse, ce qui n'est pas donné à tout le monde, et je m'efforcerai de le transmettre à mes enfants.
La diminution des aides à la presse est insidieuse, elle se fait petit à petit. Il suffit de regarder les chiffres d'il y a trente ans pour voir qu'elles ont fondu comme neige au soleil. Bien sûr, d'un budget à l'autre, cela ne se voit que modérément. Faut-il les réorganiser ? Déjà, nous avons demandé que les aides postales nous soient versées directement. J'ai vu dans le compte rendu de vos auditions que certains avaient proposé que les aides soient réservées aux journaux indépendants. Je ne vais pas m'y opposer...
Il faudra toutefois définir ce que c'est qu'un journal indépendant : tous vous expliqueront qu'ils le sont !
Le modèle familial, qui a disparu incroyablement vite, était celui de toute la presse, y compris régionale, il y a trente ans. Des successions non préparées et une gestion trop approximative en ont eu raison presque partout.
Il est très difficile de gérer un groupe de presse. Cela impose de redéfinir sans cesse le périmètre économique, parce que nos recettes fondent aussi comme neige au soleil. En cinq ans, notre chiffre d'affaires est passé de 250 à 200 millions d'euros. Il faut bien s'adapter, car nous sommes aussi des entreprises comme les autres : si l'entreprise ne gagne pas d'argent, le journal se retrouve sur le marché...
Il y a, bien entendu, presse indépendante et presse indépendante. La critique principale faite aux aides est qu'elles bénéficient aussi à des grands groupes dont l'activité n'est pas principalement dans les médias, et qui ont la capacité, si besoin, de sauver, de stabiliser, ou même d'investir massivement.
D'autres, qui ne groupent que des entreprises de presse, n'ont pas cette possibilité. Or les aides à la presse vont principalement à des organes possédés par de grands groupes industriels. Peut-on envisager de changer cela ?
Oui, j'y suis favorable. Mais je vous souhaite du plaisir pour mener cette discussion...
Oui, mais le problème est qu'il y a tout le monde, dans l'Alliance, qui est une confédération, avec un équilibre fragile. Les responsables politiques que vous êtes savent bien que rassembler, réunir, fédérer, est plus difficile que diviser ! Parfois, je me demande comment j'ai réussi à mettre tout le monde d'accord. C'est vraiment de la politique...
Je n'ai pas de radio. J'ai fait une expérience dans le domaine il y a longtemps, en créant Radio-Toulouse : cela a été un désastre économique, et j'ai arrêté. Pourtant, mon groupe a été amené à reprendre viàOccitanie il y a un an, tout simplement parce que BFM était sur le coup, et que je n'avais pas envie de voir arriver BFM sur cette zone. Ce n'est pas que j'aie une volonté goulue de maîtrise de l'information. C'est qu'il aurait fallu partager non seulement l'information, mais aussi les recettes publicitaires, l'événementiel... Et BFM a un vrai savoir-faire en la matière. Vous n'imaginez pas le combat que nous avons dû mener. Nous avons fini par gagner devant le tribunal de commerce de Nîmes. J'en ai été sidéré, parce qu'ils avaient mis tous les moyens...
Vous avez évoqué l'arrivée des Gafam. C'est terrible, ce qui nous arrive. Ils sont arrivés, ils nous ont pillé nos recettes publicitaires et nos contenus. Pour les premières, nous ne pouvons malheureusement rien faire. Pour les contenus, on essaie bon an mal an de toucher quelques indemnités grâce à la loi que vous avez portée, mais l'exercice n'est pas simple.
Presstalis ne concerne pas la presse régionale, mais me concerne au travers de Midi Olympique, qui est un journal national. Nous n'avons donc guère été affectés par la crise. Je note que Presstalis a été bien aidé par l'État. Quand je compare ces sommes à celles que l'on nous demande, et quand je pense à la gestion calamiteuse de Presstalis, pendant des décennies, jusqu'à sa disparition...
Créer un journal ? Cher Michel Laugier, je ne vous le conseille pas ! Si vous voulez investir votre argent, je pense qu'il y a beaucoup mieux qu'un journal. Il est très difficile de créer un journal aujourd'hui, car la presse écrite n'est plus le principal vecteur d'information. Ce rôle est désormais joué par les réseaux sociaux. C'est là qu'il faudrait faire porter les efforts. Comme ils sont mondiaux, on ne peut pas agir seuls. Mais, quand on voit l'opacité de ces grands groupes et l'anonymat sur les réseaux sociaux, c'est sidérant - et révoltant. Cela a des conséquences sur les manières de penser, d'agir et de voter.
Vous dites que l'avenir de la presse est incertain. Avez-vous des chiffres sur le nombre de jeunes qui la lisent ? Si les jeunes générations lisent de moins en moins la presse quotidienne régionale, certains titres disparaîtront, ou seront rachetés, ce qui accélérera la concentration.
Vous avez raison, bien sûr. Année après année, nous perdons tous des lecteurs : les lecteurs jeunes ne compensent pas les anciens qui disparaissent. Nous avons su - un peu tardivement - prendre le virage du numérique. Notre site enregistre 152 millions de visites par mois, et le numérique représente à peu près 20 % de notre chiffre d'affaires. Cette évolution est inéluctable, et la presse écrite continuera à perdre des lecteurs. Chaque groupe essaie de compenser avec le numérique. Ne nous faisons pas d'illusion : cette guerre est perdue.
On ne parle pas des imprimeries ni, d'ailleurs, des ouvriers et des employés, qui constituent les deux tiers du groupe : celui-ci, sur 1 500 personnes environ, ne compte que 500 journalistes. Les imprimeries connaissent aussi beaucoup de difficultés. Je tiens à les conserver, alors que la presse nationale s'en est débarrassée. Dans le grand Sud, il y a beaucoup trop d'imprimeries, et les tirages diminuent année après année. Les jeunes, en fait, s'informent beaucoup sur les réseaux sociaux - et, je l'espère, sur notre site !
Le chiffre d'affaires des journaux baisse régulièrement depuis de nombreuses années. La presse était déjà en déclin avant même l'électrochoc qu'a constitué l'arrivée d'internet. M. Patrick Eveno, que nous recevions il y a peu, soulignait que l'information n'était pas rentable. Les titres de presse appartenant à de grands groupes ont des marges très inférieures à celles des métiers principaux, mais peuvent s'appuyer sur les résultats de ces derniers pour surmonter les difficultés financières.
Constatez-vous une différence entre les grands titres nationaux et la presse régionale quotidienne dans cette crise de la presse ? Quel est, selon vous, le modèle économique de votre groupe, qui ne comporte que des titres de journaux, une agence de presse et des sites internet ? Quelle est l'importance de l'offre numérique dans le résultat ?
En effet, le déclin de la presse avait commencé avant l'arrivée des Gafam. La presse écrite a connu son apogée dans les années 70. Mais le déclin s'est accéléré depuis que l'apparition des Gafam, naturellement.
Je pense que les titres régionaux résistent mieux que les titres dits nationaux, qui sont en réalité des titres parisiens : dans ma région, sur dix journaux vendus, il y a sept La Dépêche du Midi, un ou deux L'Équipe...
Nous résistons mieux, donc, mais ils ont plus de moyens, car ils sont soutenus par de puissants capitalistes - et gérés par des managers de qualité. Cela dit, après bien des années de déficit, nos titres ont retrouvé, peu ou prou, à de rares exceptions près, leur équilibre économique. C'est que nous avons rationalisé, mutualisé, créé les conditions pour les journaux soient fabriqués dans des conditions moins coûteuses. Le modèle économique est donc de continuer sur cette voie, tout en s'adaptant en permanence. Dans toute entreprise, il faut faire, à la fin de l'année, un minimum de bénéfices...
Le numérique est inéluctable, et nous travaillons activement à nous développer dans ce domaine.
Vous avez fait racheter viàOccitanie par La Dépêche du Midi il y a un peu moins d'un an parce qu'Altice s'y intéressait. Où en êtes-vous avec ce réseau ? Quel est le modèle ? Avez-vous gardé tous les journalistes ? Sont-ils totalement indépendants, par sites ? Comment organisez-vous l'information ? J'imagine qu'elle est très locale. C'est une nouvelle activité pour vous. Nous savons que les plateformes ont un impact sur le modèle économique et imposent une plus grande diversification de vos activités, et d'importants investissements dans le numérique. Jusqu'où avez-vous l'intention d'aller dans la diversification de vos activités ? Allez-vous rester dans le domaine de la presse, ou avez-vous d'autres projets ?
Sur viàOccitanie, j'ai un peu de mal à vous répondre, car elle est dirigée par l'entreprise familiale, donc par mes fils. Quand nous l'avons reprise, de manière défensive, elle perdait 3 millions d'euros par an. Mes fils sont en train de travailler, après avoir recruté un directeur général, à créer les conditions pour revenir à l'équilibre, notamment en recherchant des mutualisations.
Vous parlez de diversification : nous sommes très engagés sur l'événementiel, malgré les sinistres que nous avons subis ces deux dernières années. Dans ce secteur, la plupart d'ailleurs des éditeurs se sont engagés avec succès, parce que nous avons les moyens, au travers de nos journaux, de porter fortement les événements que nous organisons.
Aller au-delà de mon coeur de métier ? Je ne l'envisage guère. La vie m'a appris que, quand on sait faire quelque chose, tout va bien, mais que, quand on veut se lancer dans l'aventure au-delà de son savoir-faire, cela se passe rarement bien. Jusqu'à maintenant, mon groupe s'est toujours diversifié dans la presse et n'est jamais allé au-delà.
Notre commission d'enquête porte sur l'impact du processus de concentration des médias sur le pluralisme des opinions. Nous avons déjà entendu d'autres propriétaires de médias. De votre point de vue, ce processus de concentration s'explique à la fois par des considérations de viabilité économique et par la concurrence, notamment internationale. Mais, pour nous, le pluralisme des opinions est nécessaire dans une démocratie. Comment faire en sorte que nous ayons en France des entreprises suffisamment solides pour survivre face à la concurrence, tout en garantissant le pluralisme des opinions ?
En fait, en France, les journaux dits nationaux ont toujours été des journaux engagés : L'Humanité, Le Figaro, L'Aurore, Libération, Le Parisien... La presse régionale, elle, est très peu engagée. La Dépêche du Midi, à cet égard, est une exception. Les autres journaux sont totalement apolitiques. Même nous, d'ailleurs, qui revendiquons toujours nos valeurs et nos engagements dans nos éditoriaux, nous sommes ouverts à toutes les formes de pensée. Ce sont surtout des journaux d'information générale, pas de combat.
La presse écrite, tout de même, peut être une presse d'opinion. De ce point de vue, vous faites une claire différence entre La Dépêche du Midi et Midi Libre. Vous vous êtes engagé à préserver l'identité de Midi Libre et Centre Presse. Comment cet engagement se matérialise-t-il ? Nous cherchons justement à comprendre comment l'indépendance rédactionnelle peut trouver une matérialité.
Comment voyez-vous l'avenir de vos groupes dans le numérique ? Votre spécificité est votre connaissance de la vie locale. Vous avez évoqué des accords avec les Gafam. En avez-vous conclu aussi avec certains médias nationaux ? Vous avez évité que BFM n'arrive chez vous. N'est-ce pas pourtant l'avenir que de développer un couplage entre la presse écrite régionale et de grands médias nationaux ?
Quand j'ai repris le groupe Midi Libre, j'ai réuni l'ensemble du personnel en assemblée générale, et je me suis exprimé pendant une heure et demie. Puis, nous avons discuté. Midi Libre a changé trois fois de propriétaire en sept ou huit ans, les personnels étaient très affectés. Je leur ai donné deux garanties : que je n'allais pas piller ce titre, car c'était déjà fait, et que nous respecterions ce qu'ils sont, leur histoire et leur identité. Comment vouloir changer, d'ailleurs, l'âme d'un journal, qui colle à son secteur ? Les gens qui habitent à Toulouse ne sont pas du tout les mêmes que ceux qui habitent à Montpellier ! Or un journal doit être représentatif : si le lecteur ne s'y reconnaît pas, il ne l'achète pas.
Bien sûr, nous allons tous vers le numérique. Ce n'est pas un choix ; je suis personnellement attaché au papier. Mais plus personne, en pratique, ne lit le journal sous ce format. Nos groupes seront profondément transformés par cette évolution. Ce ne sont pas les mêmes recettes ni les mêmes contenus.
Je veux dire devant vous mon indignation quand je vois la manière dont la loi que nous avons portée est appliquée. Nous avons voulu aboutir vite pour être un fer de lance au niveau européen, et honorer notre pays, qui a toujours été à la pointe de ces combats. Notre état d'esprit était simple : nous voulions que la presse, dans sa diversité, puisse bénéficier de ce qu'elle produit, et que ceux qui utilisent cette production sans rien payer contribuent. Or je n'ai que des retours négatifs sur les montants négociés, sur les conditions de la négociation et sur l'exclusion de certains qui, de ce fait, ne sont pas concernés. J'y vois un détournement de ce que nous, législateurs, avons voulu. Cela m'indigne.
Vous avez osé répondre à ma question simple. En même temps, j'ai vu que vous vous demandiez ce qui allait vous tomber sur la tête. En fait, ces géants tétanisent et terrorisent la presse française, y compris en conditionnant ce qui est un droit et un devoir. Si l'on a peur, il y a presque mise sous tutelle ! Je le dis à l'adresse de tous les patrons de presse, ce n'est cela que nous avons voulu quand nous avons voté la loi. Nous avons voulu qu'ils bénéficient de leur production, dans la transparence et à un niveau qui soit à la hauteur de ce qu'ils méritent. L'esprit collectif et ouvert de la négociation doit reprendre ses droits. Les plateformes doivent payer ce qu'elles doivent payer, et non exercer un chantage les poussant à accepter n'importe quoi : même une miette, ils en ont besoin.
Nous connaissons bien ce sujet, puisque je présidais l'Alliance quand nous avons discuté de la nécessiter de transcrire le droit européen dans la loi française. Je m'étais rendu à Bruxelles pour convaincre les parlementaires européens, ce qui n'a pas été simple.
Je ne vous souhaite d'avoir à discuter avec ces gens. Vous dites qu'ils terrorisent ; c'est excessif. Mais ils ont des moyens colossaux et tentent d'écraser tout le monde. Lors des débats au Parlement européen, 80 lobbyistes travaillaient pour eux. Je sais quelle a été la souffrance des négociateurs. Nous n'avons pas toujours été accompagnés comme nous l'espérions.
Nous aurions aimé nous sentir plus soutenus, même si l'Autorité de la concurrence, effectivement, a fait ce qu'il fallait. Deux ans après, votre loi a été votée. Comme la proposition de loi avait été déposée avant ces négociations, elle nous a aidés à définir nos positions. Mais il a bien fallu, au bout d'un temps, clôturer les négociations. Le conseil d'administration de l'Alliance a considéré que nous étions loin du niveau souhaité, mais qu'un « tiens » vaut mieux que deux « tu l'auras ». Après trois ans, nous devrons revenir à la table des négociations.
Merci.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.