Intervention de Pascal Chevalier

Commission d'enquête Concentration dans les médias — Réunion du 3 février 2022 à 15h30
Audition de M. Pascal Chevalier président de reworld media

Pascal Chevalier, président du groupe Reworld Media :

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les sénatrices et sénateurs, merci de m'accueillir.

J'ai 54 ans, je suis ingénieur de formation, et j'ai commencé ma carrière à la direction générale de l'Armement. Je suis arrivé dans le monde des médias après avoir entrepris des projets dans l'innovation pendant une trentaine d'années, toujours en France, avec des entreprises qui ont connu le succès également à l'étranger. Avant les médias, ma dernière entreprise était une agence, avec laquelle j'ai vécu la croissance de Google. Cette précision est importante pour comprendre ma présence dans les médias, et où se situe le problème de nos jours.

Jusqu'en 2012, je dirigeais une agence leader dans le secteur du marketing digital en Europe. Je dépensais alors pour le compte de mes clients plus de 300 millions d'euros par an destinés à Google, et malheureusement seulement quelques millions d'euros pour les groupes médias français de l'époque. J'ai alors pris conscience que ces groupes médias n'appréhendaient pas la réalité de la situation et la révolution liée au digital, à savoir que la force des Gafam leur permettait de s'emparer d'une très grande part du marché.

Devant l'échec de ces groupes de médias, je me suis dit, comme tout entrepreneur, que je devais m'y essayer. J'ai donc quitté le secteur des agences pour me consacrer pleinement aux médias, en créant ce groupe en 2012 avec Gautier Normand, en respectant une vision centrée sur l'innovation. Le marché des médias n'est pas en crise, il a déjà évolué.

Je vous propose quelques documents pour vous présenter le groupe Reworld Media, son activité présente et ses objectifs futurs.

Le groupe dispose aujourd'hui d'un millier de collaborateurs dans douze pays, et cette orientation vers l'étranger est importante, puisqu'elle représente 30 % de notre chiffre d'affaires. Reworld Media est côté en Bourse, avec un actionnariat principalement français. Nous avons contribué, avec les différents rachats, aux retours en France d'actifs français détenus par des actionnaires étrangers. Lorsque nous l'avons racheté, Mondadori appartenait à la famille Berlusconi, et nous sommes heureux que des marques médias soient à nouveau gérées par des actionnaires français. Entrer en Bourse constituait également une étape importante, en tant qu'élément de transparence et de communication.

Reworld Media dispose aujourd'hui de deux métiers. Nous sommes d'une part éditeurs de médias thématiques, de passionnés ni économiques ni politiques, et d'autre part, des techniciens, leaders européens de la publicité sur Internet, l'AdTech. Ces deux pôles d'activités sont importants, car ils représentent l'histoire du groupe, et un poids économique sensiblement équivalent l'un à l'autre.

Nous sommes donc créateurs de contenus, vendus à nos lecteurs, et nous sommes attachés à la qualité de ce contenu. Aujourd'hui, le lecteur achète du contenu selon différents formats : de l'écrit, de la vidéo, des podcasts... Nous devons travailler sur la pluridisciplinarité de ces contenus de qualité pour que nos lecteurs puissent les consommer sur les différents supports proposés aujourd'hui. Nous vivons avec notre temps, où le principal support s'avère être le téléphone portable, et nous produisons beaucoup de vidéos destinées à ce support.

Concernant notre autre métier, nous sommes une société technologique qui propose des logiciels à l'origine de la moitié de notre chiffre d'affaires. Dans ce cas, notre relation se noue avec un annonceur.

Il y a donc une véritable différence entre produire du contenu pour un lecteur et mettre en place des solutions publicitaires pour un annonceur. Cette dernière activité est gérée par des logiciels proposant des systèmes d'enchères automatiques, qui permettent d'acheter des publicités sur Internet pour cibler un profil de consommateur.

Le groupe présente 54 marques médias dans six univers thématiques regroupant pratiquement toutes les passions et les consommations. Comme déjà dit, nous n'avons pas souhaité nous positionner sur le marché des actualités ou de l'économie, le groupe couvrant à l'heure actuelle suffisamment de secteurs.

Demain, Reworld Media continuera à créer de la croissance et de l'innovation, car nous pensons que ce marché des médias a déjà évolué, et qu'il faut suivre cette évolution, accompagner les innovations, voire les devancer. Nous allons donc continuer à développer le digital, qui tire la croissance. Nous allons aussi poursuivre la création de contenus et de plateformes technologiques. Nous garderons par ailleurs notre culture entrepreneuriale qui nous a permis de créer ce groupe, en innovant, en restant agile, en vivant avec les évolutions sans chercher à les contrer, en travaillant avec les leaders du numérique tout en ayant conscience de leur taille, bien plus importante que la nôtre. J'ai appris ce matin les résultats de Google, de l'ordre de 61 milliards de dollars de recettes publicitaires, soit l'équivalent du chiffre d'affaires du groupe LVMH, ce qui est incroyable. Nous allons par ailleurs persévérer dans la diversification : édition de livres, formation ou microformation, organisation d'événements, et investissements dans la technologie dans un monde où il est nécessaire de maîtriser ses environnements pour suivre le marché.

Nous souhaitons donc nous inscrire dans la consolidation du marché européen, avec nos deux métiers, le contenu et les technologies.

Concernant la concentration des médias en France et en Europe, nous pensons que le marché évolue désormais vers un usage massif des canaux digitaux : mes quatre enfants ne regardent presque jamais la télévision, n'écoutent quasiment pas la radio, ne lisent pas de magazines, mais sont abonnés aux plateformes dont nous parlions (Netflix, etc.), et utilisent leur téléphone portable en permanence. Ce n'est pas un jugement de valeur, juste un constat. Nous avons donc une responsabilité de fournir à ces jeunes du contenu de qualité pour les supports qu'ils utilisent aujourd'hui.

Ce marché crée de nouveaux métiers, qui demandent de nouvelles formations. Certains métiers disparaissent, ce qui est à l'origine de tensions. Mais cela n'est pas synonyme de pertes d'emplois : nous allons devoir créer des formations pour accompagner des jeunes dans la recherche d'emplois liés à ces nouveaux secteurs, ou former les personnes déjà en place aujourd'hui. Le groupe investit depuis plusieurs années pour financer des écoles dans le domaine du marketing digital.

La concentration des marchés est une bonne chose si elle est accompagnée d'une stratégie offensive d'investissement et d'innovation. En revanche, si son seul objectif est de se contenter d'une vision défensive en réduisant simplement les coûts, ce sera un échec. Cela doit s'accompagner d'une véritable stratégie d'innovation et de croissance. Tout le monde me disait : « le marché de la presse va mal », et je répondais : « le marché des médias va bien ».

Ces médias français doivent être créateurs et acteurs de l'innovation. Nous ne pouvons pas nous contenter de constater que nos médias traditionnels, télévision, radio ou magazines papiers, connaissent des baisses d'audience, et d'attendre que ces médias ferment. Nous devons essayer de convaincre des investisseurs de prendre des risques pour récupérer une part de l'audience et du marché capté par les Gafam.

Les entreprises françaises possèdent les moyens, et disposent des meilleurs ingénieurs. Je constate avec plaisir que ces ingénieurs sont de moins en moins nombreux à partir à l'étranger. La prochaine vague du numérique doit être maîtrisée par nos entreprises.

En conclusion, Reworld Media est un groupe d'entrepreneurs français qui s'inscrit de manière durable dans l'innovation et la concentration du marché.

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