Intervention de Thomas Fatome

Commission d'enquête Pénurie de médicaments — Réunion du 14 mars 2023 à 13h30
Audition de M. Thomas Fatôme directeur général et de Mme Julie Pougheon directrice de l'offre de soins de la caisse nationale de l'assurance maladie cnam

Thomas Fatome, directeur général de la Caisse nationale de l'assurance maladie :

Au sujet de votre première question, la loi de financement pour 2022 - notamment son article 65, qui doit être lu en lien avec l'accord-cadre qui a évolué peu de temps auparavant et dans le cadre des engagements pris au sein du Conseil stratégique des industries de santé (CSIS) - vise à concilier différents objectifs, à la fois d'attractivité du territoire, de localisation sur le territoire national, de productions de médicaments, avec des objectifs de régulation et de soutenabilité. Il s'agit notamment de faire évoluer les conditions de fixation du prix, afin d'intégrer plus efficacement d'autres critères, en particulier en lien avec une empreinte industrielle. Nous sommes partie prenante de cette politique publique, en tant que membre du Comité économique des produits de santé, qui a la responsabilité de mettre en musique ce cadre législatif.

Pour éviter toute ambiguïté, même si ce n'est pas notre compétence prioritaire, nous sommes extrêmement conscients de l'importance de cet équilibre entre les différentes composantes de la politique du médicament : souveraineté, attractivité, innovation, régulation... Tous ces objectifs doivent se concilier.

Le Comité économique des produits de santé est un objet précieux, puisqu'il réunit l'ensemble des acteurs de l'État, de l'assurance maladie, des organismes complémentaires, dans leurs différentes composantes, auxquels il revient la difficile mission de réaliser la synthèse de ces objectifs, fondés sur un cadre, proposé par le Gouvernement et voté par le Parlement, qui a fait évoluer les règles du jeu sur ces différents critères.

Il est encore trop tôt pour apprécier les conditions dans lesquelles ces différentes dispositions évoluent. Néanmoins, les sujets d'attractivité et d'investissement en France sont bien identifiés par l'ensemble des membres du Comité économique des produits de santé. Ils sont bien présents dans les différentes négociations menées depuis quelques mois.

Cela fait le lien avec votre deuxième question - si je l'ai bien comprise : comment trouver un équilibre entre une politique de prix pour l'innovation et une politique de prix pour les produits plus matures ? C'est toute la tension qui s'exerce sur la soutenabilité des dépenses de produits de santé. Au sein du Comité économique des produits de santé, nous sommes extrêmement attachés à ce que les innovations disposent de prix - encore une fois, largement fixés par l'accord-cadre et le cadre législatif - qui les valorisent. Nous sommes également préoccupés par le niveau extrêmement élevé des prix parfois demandés par les industriels.

Dans une situation connaissant à la fois des prix faciaux élevés, des prix nets qui ne doivent pas être trop bas pour ne pas avoir trop de remises, une clause de sauvegarde qui ne doit pas être trop élevée pour ne pas devenir insupportable et, en même temps, des prix très élevés sur l'innovation et des prix sur les produits plus matures ne pouvant pas évoluer, la question de la soutenabilité se pose.

En 2022, les dépenses de médicaments de ville ont progressé de 8,5 %, ce qui est considérable. Le lien doit être fait avec des financements de l'assurance maladie, dont la progression implique, si elle est plus rapide que celle de la richesse nationale, de trouver davantage de recettes.

D'autres champs financés par l'assurance maladie connaissent également de très fortes tensions - vous le mesurez parfaitement bien -, qu'il s'agisse de l'hôpital, des soins de ville, de la prise en charge des personnes âgées ou des ressources humaines du système de santé. Par conséquent, la soutenabilité de l'ensemble des dépenses d'assurance maladie est questionnée.

Notre vision est de valoriser la véritable innovation, d'assumer une politique de baisse de prix - qui relève non pas de notre responsabilité première, mais de celle du Comité économique des produits de santé, dans le cadre fixé par le Parlement - qui vise à gérer les prix dans le cadre du cycle de vie du produit. Les prix de produits largement amortis doivent diminuer, de même que nous devons valoriser l'utilisation des biosimilaires et des médicaments génériques.

Vos troisième et quatrième questions ont trait à l'évaluation des effets des ruptures de stock, en termes de coût, en raison du recours à des solutions thérapeutiques de substitution plus coûteuses et des incidences de santé publique. Je crains malheureusement de ne pas avoir de réponse extrêmement étayée à vous fournir.

Dès lors que les pénuries, y compris lors de la crise récente, exposent nos assurés à des risques de défaut de prise en charge, le critère financier n'est pas le premier à entrer en ligne de compte. Pour dire les choses encore plus directement, nous avons financé - il fallait le faire - des préparations magistrales, réalisées par les pharmaciens, à des niveaux de prix nettement plus élevés que celui des médicaments en rupture. Nous ne nous sommes pas demandé s'il fallait le faire ou pas.

J'indique, sous le contrôle de Mme Pougheon, que les prix ne disposaient pas de cadre bien établi. Il s'agissait avant tout de se mobiliser et d'accompagner la mobilisation des professionnels pour répondre aux besoins des patients. Dans ce cadre, la question de la régulation budgétaire n'a pas vocation à se poser pour faire face à des situations d'urgence.

S'agissant des incidences en termes de santé publique, bien que cela fasse partie des trois priorités évoquées précédemment, ce sujet nécessitera des travaux plus approfondis conduits avec nos partenaires - l'ANSM, la Haute Autorité de la santé ou le ministère de la santé. En effet, je n'ai pas eu connaissance de travaux engagés sur ce sujet récemment.

Enfin, sur les enjeux européens, nous sommes pleinement attachés - et nous souhaitons en être un des moteurs, même si plusieurs points ne relèvent pas de l'assurance maladie - au déploiement d'une feuille de route nationale de lutte contre les pénuries et en faveur de l'attractivité de notre pays. C'est bien aux niveaux national et européen que les choses se jouent. Ainsi, pendant la crise de la covid-19, la négociation des vaccins a été menée au niveau européen.

Les pays européens représentent un marché très substantiel. Face aux industries multinationales, nous gagnerions à davantage nous appuyer sur cette dimension européenne et cette taille de marché, afin d'avoir un dialogue plus équilibré et de nous mettre à l'abri de situations de rupture de stock dans les pays européens concernés.

Je n'oppose pas les deux dynamiques, nationale et européenne. Que ce soit pour la liste des médicaments d'intérêt stratégique en termes industriel et sanitaire ou pour la gestion de la prévention des ruptures, la cartographie, le suivi, il est évident que de nombreux points sont à approfondir au niveau national sans « renvoyer le bébé » au niveau européen.

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