Mes chers collègues, nous poursuivons, cet après-midi, les travaux de notre commission d'enquête sur la pénurie de médicaments et les choix de l'industrie pharmaceutique française - notamment en matière d'innovation, puisque la question des pénuries est liée à celle des coûts autant qu'à celle de la disponibilité -, avec l'audition de M. Thomas Fatôme, directeur général de la Caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam), et de Mme Julie Pougheon, directrice de l'offre de soins de la Cnam.
Comptant plus de 2 500 salariés, la Cnam est chargée de la gestion de la branche maladie comme de la branche accidents du travail et maladies professionnelles. Dans ce cadre, elle a notamment pour fonction de veiller à l'équilibre financier des deux branches et participe, en application du code de la sécurité sociale, au Comité économique des produits de santé, que nous avons déjà auditionné, qui a témoigné de votre présence active en son sein et qui est chargé de l'élaboration de la politique économique et de la fixation des prix des médicaments, lesquels ont un effet sur l'équilibre budgétaire de la Cnam.
Au-delà des questions financières, la Cnam joue un rôle majeur dans l'organisation et la transformation du système de santé. Elle promeut des actions de prévention, d'éducation et d'information de nature à améliorer l'état de santé des assurés, met en oeuvre les accords conventionnels - sujet d'actualité - conclus avec les professionnels de santé et développe la maîtrise médicalisée des dépenses. Comme les autres têtes de réseau, elle conclut avec l'État une convention d'objectifs et de gestion déterminant les objectifs pluriannuels de l'assurance maladie. Pour la période allant de 2018 à 2022, la convention invite notamment la Cnam à renforcer la qualité et la pertinence des parcours de soins, en veillant à développer le recours aux médicaments génériques et biosimilaires comme à promouvoir la pertinence des prescriptions.
Aussi la Cnam joue-t-elle un rôle clé dans la régulation des dépenses de médicament comme dans la promotion des bonnes pratiques de prescription. C'est la raison pour laquelle il nous a semblé indispensable de vous entendre, monsieur le directeur général, madame la directrice, dans le cadre de cette commission d'enquête. Alors que le nombre de médicaments connaissant des ruptures ou des tensions d'approvisionnement ne cesse d'augmenter - pour mémoire, à l'été 2018, un premier rapport du Sénat, fait au nom de la mission d'information sur la pénurie de médicaments et de vaccins, signalait environ 700 médicaments en situation de pénurie, contre quasiment 3 000 actuellement, certes avec des fluctuations selon les semaines et les territoires considérés -, nous souhaiterions que vous puissiez présenter, dans un bref propos introductif, votre analyse de la situation actuelle.
Dans quelle mesure et de quelle manière la Cnam cherche-t-elle, dans le cadre de ses missions, à prévenir les difficultés d'approvisionnement en médicaments ? Dispose-t-elle de données précises sur le coût financier des ruptures et leurs implications sanitaires, qui ont également un coût financier, puisqu'elles peuvent se traduire par une moins bonne prise en charge sanitaire, voire des retards de prises en charge ? Comment promeut-elle, auprès des professionnels de santé, la pertinence des prescriptions ?
Cette audition est diffusée en direct sur le site internet du Sénat. Elle fera également l'objet d'un compte rendu publié.
Avant de vous passer la parole, je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.
Je vous invite à prêter successivement serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Thomas Fatôme et Mme Julie Pougheon prêtent serment.
Je rappellerai rapidement quel est le rôle de l'assurance maladie en matière de politique du médicament, avant d'aborder le sujet de la pénurie et d'évoquer notre action dans ce domaine, ayant trait notamment au bon usage du médicament.
L'assurance maladie joue un rôle central en tant que financeur. En effet, en prenant en compte la ville et l'hôpital, nous finançons près de 90 % des dépenses de médicaments dans notre pays. Cette prise en charge publique a pour rôle primordial de garantir aux patients l'accès aux soins.
À ce titre, la Cnam joue trois rôles.
Tout d'abord, vous l'avez évoqué, nous sommes membres du Comité économique des produits de santé. Nous sommes donc partie prenante de cette instance collégiale originale, à laquelle l'assurance maladie est très attachée et qui assure la négociation des prix avec les industriels.
Ensuite, nous fixons les taux de remboursement, ce qui n'est pas toujours bien su. En réalité, l'assurance maladie ne dispose que de peu de marge de manoeuvre, voire n'en dispose pas, puisque ces taux sont fixés dans un corridor réglementaire et sur la base d'évaluations de la Haute Autorité de santé. En quelque sorte, nous avons compétence liée, ce qui est relativement normal.
Enfin - j'y reviendrai -, nous jouons un rôle en matière de bon usage du médicament et des produits de santé, dans le cadre de la mission transversale qui nous est confiée, à savoir assurer l'efficience du système de soins et jouer un rôle dans le domaine de la pertinence et de la qualité des soins.
Je resserre progressivement la focale. S'agissant du médicament, l'assurance maladie a trois priorités, en lien avec les orientations fixées par le conseil de la Cnam ainsi que par sa convention d'objectifs et de gestion établie dans le cadre des relations avec l'État.
La première est d'assurer aux assurés, dans les meilleures conditions possible, un accès aux médicaments. On pense souvent à l'innovation. Néanmoins, l'actualité récente comme le sujet de votre commission d'enquête en témoignent, il s'agit non pas uniquement d'innovation, mais aussi d'accès à des produits plus matures. Être partie prenante et offrir aux assurés de notre pays les conditions permettant d'avoir un accès à l'ensemble des produits santé dont ils ont besoin est donc la première des priorités.
La deuxième priorité est d'être un acteur de la politique de santé publique en matière de bon usage des produits de santé. Ceux-ci participent de la prise en charge, de la qualité des soins et de la guérison de nos assurés. Cette priorité s'inscrit dans le cadre de référentiels de santé publique que nous ne définissons pas - cela relève notamment de la Haute Autorité de santé et de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) -, mais notre rôle est de les diffuser et d'assurer leur respect. En cela, nous participons à cette politique de santé publique du bon usage du médicament, au service de la santé des patients.
La troisième priorité est celle de la soutenabilité. Il s'agit de s'assurer que les dépenses de médicaments obéissent à une logique d'efficience et participent plus globalement aux actions que nous menons afin de garantir la soutenabilité de notre modèle d'assurance maladie et de veiller à ce que nous appelons la gestion du risque, à savoir le juste soin au juste coût pour nos patients.
Les pénuries sont un sujet important pour nous, car elles peuvent être synonymes de défaillances dans l'accès aux soins pour les patients ou, à tout le moins, être source de complications et de complexités dans ce parcours de soins.
Sur ce sujet, je ne ferai pas forcément de longs développements, car d'autres acteurs déjà auditionnés sont plus compétents que nous. Néanmoins, je rappelle que les pénuries ne sont pas une question récente ; notre pays y fait face depuis plusieurs années. Cependant, elles ont tendance à s'aggraver ces dernières années, comme le montrent les chiffres partagés de façon transparente par les différentes autorités sanitaires.
Le phénomène des pénuries est également multifactoriel ; ce point est également bien connu et partagé. Il est donc plus complexe d'identifier les solutions, puisque les causes sont liées à la fois à l'organisation de la production des différents laboratoires, à des choix d'investissements, à des chocs ou à des aléas conjoncturels - comme cela a pu être le cas pendant et après la covid-19 -, à des difficultés potentielles d'accès aux matières premières.
Les causes dont donc complexes. Aux yeux de l'assurance maladie, si le sujet de la fixation des prix peut figurer parmi ces facteurs explicatifs, il ne semble pourtant pas être le principal.
Ainsi, les États-Unis, qui connaissent les prix les plus élevés, ne sont pas pour autant à l'abri de pénuries. En France, pour différentes molécules comme l'amoxicilline, qui a fait l'objet de pénuries importantes, les prix pratiqués ne sont pas les plus bas, comparés à ceux des autres pays européens. À ce propos, il est nécessaire de rappeler la prudence s'attachant à ces comparaisons européennes, puisque l'assurance maladie ne connaît pas la réalité des prix nets supportés in fine par les différents financeurs des systèmes de santé des pays européens. La transparence sur ces sujets est limitée.
S'agissant de notre responsabilité et des actions que nous pouvons mener, en tant que membre du Comité économique des produits de santé et en tant que principal financeur, nous sommes évidemment partie prenante des travaux ayant trait à la lutte contre les pénuries, portés notamment par les ministres de la santé et de l'industrie, y compris de la feuille de route en cours de consolidation sous leur autorité.
À propos de notre rôle en matière de bon usage du médicament, c'est une politique publique très importante que nous menons. Elle vise à activer l'ensemble des leviers à notre disposition, qu'il s'agisse de l'information ou de l'accompagnement des assurés ou des professionnels de santé, des incitations financières, de la mise sous accord préalable ou encore de la lutte contre les trafics.
Ainsi, en 2022, ont été effectuées près de 7 000 visites de délégués de l'assurance maladie auprès des médecins généralistes sur le bon usage du paracétamol, sujet ô combien important en matière de pénuries ces dernières semaines. Cette action était prête, mais sa réalisation avait été reportée en raison de l'épidémie de covid-19, période pendant laquelle il était compliqué de diffuser un message de modération des prescriptions de paracétamol. De premiers éléments de bilan de cette campagne seront disponibles à la fin du premier trimestre 2023.
Des démarches de ce type sont également mises en oeuvre pour d'autres molécules : 15 000 médecins ont ainsi été visités, dans le cadre d'échanges confraternels, par les médecins-conseils et les délégués de l'assurance maladie au sujet de la metformine ; 11 400 visites de médecins généralistes ont été effectuées en 2022 pour les inhibiteurs de la pompe à protons (IPP). Il s'agit donc d'une logique d'information et d'accompagnement individualisé auprès des prescripteurs, visant à assurer un meilleur respect des référentiels.
Autant, s'agissant de certaines molécules, les prix ne sont pas la principale explication des pénuries, autant il est clair que notre pays connaît encore des niveaux de prescriptions notoirement plus élevés que ceux de pays européens comparables pour certaines molécules. C'est ainsi le cas de l'amoxicilline et du paracétamol, qui ont fait l'objet des pénuries les plus importantes ces dernières semaines et dont les niveaux de prescription comme de consommation sont encore plus élevés que ceux de nos voisins, en dépit de nos efforts. Si le nombre de prescriptions inadéquates et la consommation de ces molécules étaient moindres, nous serions moins exposés au risque de pénurie, sans que cela constitue néanmoins une réponse au problème de pénurie.
Cette démarche concerne non seulement les médecins, mais également les patients et les autres professions de santé, comme les pharmaciens, notamment en matière de lutte contre l'antibiorésistance et de bon usage des antibiotiques. Ainsi, nous déployons actuellement des actions de valorisation des tests rapides d'orientation diagnostique (Trod) pour les angines, qui permettent d'impliquer les médecins et les pharmaciens dans la vérification de l'utilité des antibiotiques. Nous avons également déployé un nouveau protocole, fondé sur le dépistage urinaire, afin de mobiliser les pharmaciens et de diminuer la mauvaise utilisation des antibiotiques. Enfin, nous avons engagé avec eux, même s'ils ne sont pas totalement enthousiastes, la dispensation à l'unité des antibiotiques pour éviter leur gaspillage et leur mauvaise utilisation.
Pour citer d'autres professions de santé, nous avons commencé à travailler avec les chirurgiens-dentistes, également prescripteurs d'antibiothérapie, pour essayer de mieux faire respecter les référentiels.
Nous travaillons avec différentes professions de santé, mais nous déployons aussi différents mécanismes d'accompagnement et d'incitation financiers.
L'exemple le plus connu est celui de la rémunération sur objectifs de santé publique (Rosp). Nous tenons à votre disposition des éléments de bilan des différents indicateurs de cette rémunération. Celle-ci comporte un certain nombre d'objectifs en matière d'antibiothérapie, de bon usage des médicaments, de prescription dans le répertoire, de lutte contre l'iatrogénie médicamenteuse, y compris pour les médicaments anxiolytiques ou psychotropes, qui participent également du bon usage du médicament. Les résultats sont différents selon les classes, mais témoignent, dans un certain nombre de situations, du rôle efficace de la Rosp en matière d'évolution des pratiques des médecins.
Toujours dans le domaine de l'accompagnement financier, nous allons un peu plus loin que la Rosp, en pratiquant une véritable logique d'intéressement destinée aux médecins s'agissant du respect des référentiels ou de la pertinence et de l'efficience des prescriptions. C'est ce que nous avons déployé depuis 2022 au travers de l'intéressement sur la prescription de biosimilaires, dans le cadre de l'avenant n° 9 à la convention nationale organisant les rapports entre les médecins libéraux et l'assurance maladie, signé avec les médecins en juillet 2021. Un bilan de cette première année d'application sera disponible au premier trimestre 2023. Nous avions proposé de poursuivre cette démarche, dans le cadre de la négociation conventionnelle qui n'a pas abouti, pour la juste prescription des IPP, également au moyen d'un intéressement au respect des référentiels avec un partage des gains entre les médecins et l'assurance maladie.
Dans le cadre du bon usage du médicament, je voudrais citer deux évolutions importantes au sujet des outils que nous déployons.
Depuis plusieurs années, nos délégués de l'assurance maladie déposent des profils de prescription papier chez les médecins, ce qui leur permet d'échanger avec eux sur leurs prescriptions et sur les différences avec leurs collègues au niveau départemental et national.
Nous sommes en train de moderniser cette démarche et de la faire évoluer vers la data visualisation - pour utiliser un terme à la mode -, c'est-à-dire de mettre à disposition ces données sous format numérique afin d'avoir un rafraîchissement plus fréquent, plus rapide et plus efficace des données. Ainsi, depuis cette année, nous avons déployé une campagne axée sur l'antibiothérapie sous la forme de data visualisation, ce qui permettra aux médecins, dans les prochains mois et les prochaines années, d'avoir accès à leurs prescriptions à tout moment et de se comparer aux autres de manière pédagogique et efficace. Cet outil était demandé par les médecins, qui l'ont plutôt très bien accueilli.
Nous actionnons d'autres leviers un peu plus mordants, si je puis dire, notamment grâce à des dispositifs d'accord préalable déployés pour certains médicaments ces dernières années, afin de vérifier que leur utilisation respecte bien les indications remboursables. Un système de téléservice permet d'adresser une réponse extrêmement rapide du service médical aux demandes des médecins. Il s'inspire de mécanismes existants dans d'autres pays, soumettant notamment la prescription de médicaments coûteux à un accord de l'assurance maladie.
Cela fait le lien avec la dernière action que nous déployons - il existe donc un continuum information-accompagnement-incitations financières-accord préalable -, à savoir la lutte contre les trafics de médicaments, qui existent malheureusement dans notre pays et qui peuvent, sans être la principale explication des pénuries, participer à une mauvaise utilisation des produits de santé. Au début de l'année 2022, nous avons signé avec les pharmaciens une nouvelle convention, par laquelle nous avons engagé avec eux un travail de vérification systématique des ordonnances prescrivant des médicaments coûtant plus de 300 euros, mis en oeuvre depuis le dernier trimestre de l'année 2022. Il est donc un peu tôt pour partager un bilan. Nous sommes malheureusement confrontés, de plus en plus fréquemment, à des trafics de médicaments, donnant lieu à un certain nombre de procédures pénales, qui ont justifié une action renforcée.
Nous déployons aussi des outils transversaux numériques avec la e-prescription, à savoir l'ordonnance numérique, qui permettra de mieux sécuriser les prescriptions et réduira le risque d'utilisation de fausses ordonnances.
Pour revenir au sujet plus large des pénuries, tout d'abord, je rappelle que le prix n'est pas le principal élément expliquant les difficultés que nous rencontrons. La situation nous semble bien plus compliquée. La France reste un marché attractif pour l'industrie du médicament, avec un accès rapide aux molécules innovantes - nous l'avons montré y compris dans le dernier rapport « Charges et produits ».
Nous ne pouvons pas construire une politique de soutenabilité des dépenses d'assurance maladie sans inclure le médicament, comme d'autres champs, à ces politiques d'efficience, et donc au juste prix, y compris au regard du cycle de vie des produits de santé. Il est donc normal que des médicaments matures subissent des baisses de prix progressives, qui sont à la main du Comité économique des produits de santé. Toutefois, un équilibre doit également être trouvé entre l'accès à l'innovation, avec des coûts très élevés, et l'évolution des prix tout au long du cycle de vie du produit.
Ensuite, je voulais partager avec vous deux éléments. En premier lieu - c'est peut-être une évidence -, la réponse est aussi à construire au niveau européen. Nous sommes un très grand marché d'accès aux produits de santé au niveau européen, et la France reste attachée à ce que sa politique du médicament soit construite au niveau national. Toutefois, nous aurions certainement intérêt à construire des modes de dialogue avec les industriels du médicament, qui sont des multinationales, en prenant appui sur l'effet de taille du continent européen.
Je me souviens des discussions que nous avions eues avec nos homologues allemands, voilà quelques années, au sujet des médicaments contre l'hépatite C. Nous avions essayé d'avoir des approches communes, ce qui est extrêmement compliqué. Cependant, la France et l'Allemagne représentent 140 millions de patients ; ce sont donc des marchés considérables.
En second lieu, un peu dans le même ordre d'idées, la France est un financeur et un acheteur pour près de 30 milliards d'euros de dépenses de produits de santé. Un acheteur avec un tel niveau de volume et de dépenses devrait disposer de garanties supplémentaires s'agissant de la continuité de l'approvisionnement de la part de ses fournisseurs.
Les très grands industriels disposent de garanties de leurs fournisseurs, concernant l'approvisionnement en matières premières ou en pièces dont ils ont besoin. Si cet approvisionnement n'est pas au rendez-vous, des pénalités sont prévues.
Ce sujet ne se résume pas à la mise en place de pénalités à destination des industriels, mais nous devrions avoir davantage de garanties de la part des industriels sur la continuité de l'approvisionnement des médicaments dans notre pays, au regard du marché que nous représentons et des dépenses que nous finançons.
C'est encore une fois un sujet majeur pour l'assurance maladie, qui a été aux côtés des assurés et des personnels de santé, notamment des pharmaciens, au cours de la crise récente, qui a accompagné leur mobilisation, y compris au travers du financement de préparations magistrales pour faire face aux pénuries de médicaments.
Le dialogue avec les industries, auquel nous sommes extrêmement attachés dans le cadre du Comité économique des produits de santé, devrait comporter davantage de garanties sur la continuité de l'approvisionnement par l'industrie du médicament, afin de garantir la fourniture de médicaments à nos assurés.
Premièrement, comment appréhendez-vous les dispositions prises dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale de 2022, qui a notamment retenu comme critère la fixation des prix ?
À votre sens, le prix trop bas des médicaments ne serait pas une des causes de pénurie de médicaments, alors que cela a été beaucoup avancé.
Ma deuxième question a trait à la différence entre, d'un côté, les produits matures, aux prix peu élevés, et, de l'autre, les molécules innovantes, aux prix, pour la plupart, extrêmement élevés. N'existe-t-il pas un déséquilibre très important ? Comment pouvez-vous travailler sur ces deux aspects ?
Ma troisième question concerne les ruptures de stock. Une fois leur existence avérée, les médecins s'adaptent obligatoirement et prévoient des solutions thérapeutiques de substitution, qui peuvent, le cas échéant, être plus onéreuses. Disposez-vous, au niveau de la Cnam, d'une évaluation du coût de ces ruptures de stock ?
Ma quatrième question, déjà posée à l'occasion de précédentes auditions, a trait aux multiples incidences médicales des pénuries. Les patients ont moins observé leur traitement, des traitements de substitution ont pu être prescrits et, parfois, des retards de traitement ont pu se produire. Est-il possible d'estimer le coût de ces incidences médicales ?
Enfin, nous ne pouvons que partager vos propos s'agissant de la construction d'une réponse au niveau européen. Toutefois, celle-ci ne peut en aucun cas constituer une excuse pour ne pas en élaborer une au niveau national. Il ne s'agit pas de s'attendre mutuellement, en quelque sorte. La France peut aussi servir d'exemple à suivre, compte tenu de son histoire et de son expérience. Comment s'articulent ces réponses d'après vous ?
Au sujet de votre première question, la loi de financement pour 2022 - notamment son article 65, qui doit être lu en lien avec l'accord-cadre qui a évolué peu de temps auparavant et dans le cadre des engagements pris au sein du Conseil stratégique des industries de santé (CSIS) - vise à concilier différents objectifs, à la fois d'attractivité du territoire, de localisation sur le territoire national, de productions de médicaments, avec des objectifs de régulation et de soutenabilité. Il s'agit notamment de faire évoluer les conditions de fixation du prix, afin d'intégrer plus efficacement d'autres critères, en particulier en lien avec une empreinte industrielle. Nous sommes partie prenante de cette politique publique, en tant que membre du Comité économique des produits de santé, qui a la responsabilité de mettre en musique ce cadre législatif.
Pour éviter toute ambiguïté, même si ce n'est pas notre compétence prioritaire, nous sommes extrêmement conscients de l'importance de cet équilibre entre les différentes composantes de la politique du médicament : souveraineté, attractivité, innovation, régulation... Tous ces objectifs doivent se concilier.
Le Comité économique des produits de santé est un objet précieux, puisqu'il réunit l'ensemble des acteurs de l'État, de l'assurance maladie, des organismes complémentaires, dans leurs différentes composantes, auxquels il revient la difficile mission de réaliser la synthèse de ces objectifs, fondés sur un cadre, proposé par le Gouvernement et voté par le Parlement, qui a fait évoluer les règles du jeu sur ces différents critères.
Il est encore trop tôt pour apprécier les conditions dans lesquelles ces différentes dispositions évoluent. Néanmoins, les sujets d'attractivité et d'investissement en France sont bien identifiés par l'ensemble des membres du Comité économique des produits de santé. Ils sont bien présents dans les différentes négociations menées depuis quelques mois.
Cela fait le lien avec votre deuxième question - si je l'ai bien comprise : comment trouver un équilibre entre une politique de prix pour l'innovation et une politique de prix pour les produits plus matures ? C'est toute la tension qui s'exerce sur la soutenabilité des dépenses de produits de santé. Au sein du Comité économique des produits de santé, nous sommes extrêmement attachés à ce que les innovations disposent de prix - encore une fois, largement fixés par l'accord-cadre et le cadre législatif - qui les valorisent. Nous sommes également préoccupés par le niveau extrêmement élevé des prix parfois demandés par les industriels.
Dans une situation connaissant à la fois des prix faciaux élevés, des prix nets qui ne doivent pas être trop bas pour ne pas avoir trop de remises, une clause de sauvegarde qui ne doit pas être trop élevée pour ne pas devenir insupportable et, en même temps, des prix très élevés sur l'innovation et des prix sur les produits plus matures ne pouvant pas évoluer, la question de la soutenabilité se pose.
En 2022, les dépenses de médicaments de ville ont progressé de 8,5 %, ce qui est considérable. Le lien doit être fait avec des financements de l'assurance maladie, dont la progression implique, si elle est plus rapide que celle de la richesse nationale, de trouver davantage de recettes.
D'autres champs financés par l'assurance maladie connaissent également de très fortes tensions - vous le mesurez parfaitement bien -, qu'il s'agisse de l'hôpital, des soins de ville, de la prise en charge des personnes âgées ou des ressources humaines du système de santé. Par conséquent, la soutenabilité de l'ensemble des dépenses d'assurance maladie est questionnée.
Notre vision est de valoriser la véritable innovation, d'assumer une politique de baisse de prix - qui relève non pas de notre responsabilité première, mais de celle du Comité économique des produits de santé, dans le cadre fixé par le Parlement - qui vise à gérer les prix dans le cadre du cycle de vie du produit. Les prix de produits largement amortis doivent diminuer, de même que nous devons valoriser l'utilisation des biosimilaires et des médicaments génériques.
Vos troisième et quatrième questions ont trait à l'évaluation des effets des ruptures de stock, en termes de coût, en raison du recours à des solutions thérapeutiques de substitution plus coûteuses et des incidences de santé publique. Je crains malheureusement de ne pas avoir de réponse extrêmement étayée à vous fournir.
Dès lors que les pénuries, y compris lors de la crise récente, exposent nos assurés à des risques de défaut de prise en charge, le critère financier n'est pas le premier à entrer en ligne de compte. Pour dire les choses encore plus directement, nous avons financé - il fallait le faire - des préparations magistrales, réalisées par les pharmaciens, à des niveaux de prix nettement plus élevés que celui des médicaments en rupture. Nous ne nous sommes pas demandé s'il fallait le faire ou pas.
J'indique, sous le contrôle de Mme Pougheon, que les prix ne disposaient pas de cadre bien établi. Il s'agissait avant tout de se mobiliser et d'accompagner la mobilisation des professionnels pour répondre aux besoins des patients. Dans ce cadre, la question de la régulation budgétaire n'a pas vocation à se poser pour faire face à des situations d'urgence.
S'agissant des incidences en termes de santé publique, bien que cela fasse partie des trois priorités évoquées précédemment, ce sujet nécessitera des travaux plus approfondis conduits avec nos partenaires - l'ANSM, la Haute Autorité de la santé ou le ministère de la santé. En effet, je n'ai pas eu connaissance de travaux engagés sur ce sujet récemment.
Enfin, sur les enjeux européens, nous sommes pleinement attachés - et nous souhaitons en être un des moteurs, même si plusieurs points ne relèvent pas de l'assurance maladie - au déploiement d'une feuille de route nationale de lutte contre les pénuries et en faveur de l'attractivité de notre pays. C'est bien aux niveaux national et européen que les choses se jouent. Ainsi, pendant la crise de la covid-19, la négociation des vaccins a été menée au niveau européen.
Les pays européens représentent un marché très substantiel. Face aux industries multinationales, nous gagnerions à davantage nous appuyer sur cette dimension européenne et cette taille de marché, afin d'avoir un dialogue plus équilibré et de nous mettre à l'abri de situations de rupture de stock dans les pays européens concernés.
Je n'oppose pas les deux dynamiques, nationale et européenne. Que ce soit pour la liste des médicaments d'intérêt stratégique en termes industriel et sanitaire ou pour la gestion de la prévention des ruptures, la cartographie, le suivi, il est évident que de nombreux points sont à approfondir au niveau national sans « renvoyer le bébé » au niveau européen.
Je reviens sur la question des prix bas des médicaments matures. Manifestement, le prix n'est pas toujours proportionnel au service médical rendu. Je pense, par exemple, aux inhibiteurs de la pompe à protons : l'oméprazole a connu sept baisses de prix en une quinzaine d'années. Le service médical rendu se calcule également en euros sonnants et trébuchants pour l'assurance maladie, puisque c'est un certain nombre de pathologies qu'on n'est plus obligé de prendre en charge à l'hôpital.
Vous déclarez que le prix est un facteur, mais qu'il n'est pas déterminant dans les difficultés. Le moratoire sur les baisses de prix qui vient d'être proposé par le Gouvernement prouve bien que ce lien n'est pas complètement inexistant ! Au reste, la question du prix reste un vrai sujet, puisque cela crée des concurrences frontalières. Les habitants de l'Est ou du Nord de la France le savent bien, qui trouvent certains médicaments de l'autre côté de la frontière, qu'ils ne trouvent pas en France.
Comment cette baisse de prix se décide-t-elle sur un plan qualitatif ? Le bénéfice du service médical rendu sur les dépenses de l'assurance maladie est-il pris en compte dans la baisse de prix ? Est-on attentif au maintien d'un prix suffisamment élevé pour éviter les pénuries ? Je rappelle que les pénuries récentes concernaient des médicaments essentiels !
Vous avez évoqué la question des bonnes pratiques, sur le paracétamol, par exemple, qui est en vente libre. Comment gère-t-on la vente libre, qui est forcément source de pénuries ?
S'agissant du Ceps, comme vous, nous déplorons tous le manque de garanties et l'absence d'anticipation. Comment souhaiteriez-vous voir les choses évoluer ?
Enfin, à combien estimez-vous le coût de substitution en l'état ? Qui dit pénurie, dit coût de substitution, y compris pour la dépense hospitalière, puisque c'est parfois hors appel d'offres que l'on doit s'approvisionner, à un prix qui peut être nettement plus élevé. Cela donne lieu à des arbitrages budgétaires complexes pour l'assurance maladie. Mieux adapter le prix du médicament permettrait peut-être de diminuer ce coût de la substitution.
Monsieur le directeur général, merci de votre propos très intéressant.
Vous avez parlé de fixation des prix du médicament, à l'intérieur d'un corridor largement déterminé, et évoqué, parmi les priorités, la question de la soutenabilité, avec une logique d'efficience.
Je suis retombée sur le conflit entre la Cnam et Sanofi à propos du Plavix, médicament contre les maladies cardiovasculaires. On presse le citron sur les médicaments matures, au risque de désorganiser toute la branche et toute la filière industrielle, tout en favorisant l'innovation. Or certains labos et certaines industries font les deux. Se pose un problème de transition entre l'innovation et la maturité du médicament.
L'affaire du Plavix me paraît assez révélatrice. Pourriez-vous nous expliquer ce qui s'est passé ? On se rend compte que la Cnam n'a rien négocié pendant longtemps, et que c'est grâce à l'intervention du tribunal qu'elle a pu récupérer une centaine de millions d'euros. J'aimerais comprendre. Manque-t-il des outils ? Y a-t-il trop d'institutions en jeu ? Faut-il clarifier le rôle de chacun ?
Nous sommes une commission d'enquête, pas une mission d'information. Nous voulons des réponses très précises.
Sur le prix, vous avez affirmé que l'on était mieux placés que les États-Unis et à peu près au niveau de l'Union européenne. Tout ce que nous avons pu lire ou entendre lors des auditions devant la commission des affaires européennes montre que cela n'est pas vrai ! La France est largement en dessous. Les groupes d'entreprises et les petits et moyens laboratoires que nous avons auditionnés nous ont dit que le prix, en France, conduisait à la pénurie. L'un d'entre eux choisit même de vendre ses produits à l'étranger.
La clause de sauvegarde nous pénalise également.
Quid des stocks de médicaments ? Soit on ne fait pas de stocks, soit on n'aide pas les entreprises à en faire...
Que se passe-t-il en France aujourd'hui pour que nous soyons parmi les derniers de la classe sur le sujet de la pénurie des médicaments !
Pouvez-vous revenir sur la hausse de 8,5 % du prix du médicament ? Nous n'avons pas bien compris.
Nous nous interrogeons sur les biosimilaires, les génériques et les négociations avec les laboratoires français du médicament. Pouvez-vous être plus précis ?
Je vais essayer d'apporter les réponses les plus précises possible.
Je ne dis pas que le prix ne compte en rien dans le débat sur la pénurie. Je dis juste qu'il ne peut pas être la seule et unique explication aux pénuries que nous connaissons.
Les États-Unis sont, de loin, le pays où les prix des médicaments sont les plus élevés. Pourquoi ? Parce que c'est sur les marchés américains que l'industrie fait d'abord sa rentabilité, avant de venir sur les autres marchés, où les prix sont plus bas.
Cependant, les États-Unis connaissent également des pénuries, du fait de problèmes de matières premières, de production, d'industrie, de surconsommations ponctuelles en Chine ou en Inde, dont les conséquences sont planétaires.
On ne peut donc pas dire que c'est parce que la France a des prix plus bas que les autres pays que nous avons un problème massif de pénurie. Le phénomène est multifactoriel.
L'amoxicilline en est un exemple très clair. Son prix en unité commune de dispensation (UCD) est deux fois plus élevé en France qu'en Espagne et au Royaume-Uni, et a augmenté de 9 % en cinq ans dans notre pays. Pourtant, nous connaissons des pénuries ! Les relations ne sont donc pas univoques. Elles sont complexes. Le phénomène n'est pas le même selon les types de molécules, les périodes et les pays. Il n'y a pas une seule vérité.
Le prix fait partie du débat. C'est la raison pour laquelle le Gouvernement a décidé un moratoire et confié à un ensemble de personnalités qualifiées une mission sur la politique du médicament, qui va notamment traiter de l'équilibre entre les enjeux de souveraineté et de soutenabilité.
Le taux de 8,5 % correspond à l'évolution des dépenses de médicaments remboursées par l'assurance maladie sur la ville. Quand la dépense de médicaments progresse à un niveau aussi dynamique, c'est, d'une certaine façon, une bonne nouvelle : cela veut dire que l'accès au traitement est facile, que l'innovation se diffuse, que des médicaments coûteux, auparavant réservés à l'hôpital, arrivent en ville. Mais cela pose un problème de soutenabilité quand l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam) s'établit, suivant les années, entre 2 et 4 %.
Non, c'est celle des dépenses remboursées.
Ce n'est pas ce vous que aviez dit au départ - ou alors je ne vous ai pas compris...
Excusez-moi si je n'ai pas été clair. Dans cette progression de 8,5 % des dépenses remboursées en ville, il y a une dynamique de volume, une dynamique de prix et une déformation des médicaments - on va de plus en plus vers des médicaments coûteux, ce qui est une bonne nouvelle.
Je vous ai présenté l'ensemble des leviers d'action que nous mobilisions pour garantir que ces volumes correspondent pleinement à des besoins de santé et à de bonnes prises en charge, conformes au référentiel, mais faire évoluer les prescriptions, dans notre pays comme ailleurs, est un travail extrêmement difficile. La politique de bon usage du médicament, c'est à la fois une régulation des prix et une gestion des volumes.
La gestion des prix se fait selon des règles du jeu qui partent de l'évaluation du médicament - quelle est l'amélioration du service médical rendu ? Quels sont les comparateurs ? C'est sur cette base que le Ceps, dans le cadre d'un Ondam voté par le Parlement, de règles du jeu fixées par le Parlement et le pouvoir réglementaire, d'un accord-cadre qu'il a construit avec l'industrie du médicament, mène une politique de gestion des prix à la hausse ou à la baisse.
Si le prix des IPP a baissé, c'est parce qu'il a été considéré, en lien avec les industriels concernés, que l'amélioration du service médical rendu et les comparateurs existants le permettaient. Chaque année, depuis au moins dix ou quinze ans, le Ceps a pour mandat de faire évoluer les prix pour que le médicament contribue au respect de l'Ondam. Il le fait dans un cadre qui est fixé par les lois de financement successives et l'accord-cadre, donc de manière transparente et, me semble-t-il, relativement efficace. Je répète que ce dispositif fonctionne plutôt bien.
Pour aller plus loin sur la garantie, je pense que la réflexion menée dans le cadre du plan pénurie du Gouvernement, de vos travaux et de ceux d'autres acteurs devrait davantage intégrer la nécessité, dans la mise sur le marché, la fixation des prix et le remboursement, de se doter de dispositifs qui permettent d'assurer la continuité de l'approvisionnement.
La loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 prévoit un dispositif de sanctions si l'industriel n'assure pas la continuité d'approvisionnement et s'il procède à l'importation d'alternatives plus coûteuses. Cela fait partie des dispositifs que nous devons pouvoir utiliser. Nous sommes un acheteur de médicaments pour des volumes extrêmement élevés et, comme tout acheteur, nous devrions avoir davantage de garanties que le fournisseur répond à ses obligations et garantit à nos assurés l'accès aux traitements.
Effectivement, l'assurance maladie est partie prenante à la procédure relative au Plavix. La dernière décision juridictionnelle nous a d'ailleurs donné gain de cause. Des travaux d'expertise sont en cours pour déterminer le préjudice précis dont nous avons été victimes, mais je considère que nous avons été actifs pour faire valoir nos droits.
Oui, la Cnam s'en est finalement bien sortie, mais je m'interroge : pourquoi avoir attendu sept ans pour lancer la procédure ? Même le premier jugement aboutissait à une prescription. On a ensuite considéré que la Cnam était finalement en droit de demander des dédommagements.
Nous pourrons vous apporter des éléments précis sur le détail de la procédure. Je répète que nous avons été actifs pour défendre nos droits par rapport à des pratiques en notre défaveur, que la justice a d'ailleurs considérées comme répréhensibles. Nous sommes extrêmement attentifs à intenter les procédures justifiées face à de telles difficultés.
Je l'ai dit, nous n'avons pas, à ce stade, toutes les réponses sur l'évaluation économique ou sanitaire des pénuries. Nous devons continuer à y travailler, même si nous n'aurons pas forcément toutes les informations nécessaires pour réaliser de tels travaux, relativement complexes.
La clause de sauvegarde n'est pas gérée par l'assurance maladie : elle l'est par le pouvoir réglementaire, sur la base d'un dispositif voté par le Parlement. Elle participe d'un équilibre entre trois niveaux de discussion sur la fixation du prix : le niveau du prix facial, le niveau du prix net et le niveau de la clause de sauvegarde.
Quel est l'équilibre entre ces trois leviers pour parvenir à la soutenabilité ? D'après les industriels, taper trop fort sur le prix facial crée un problème de compétitivité par rapport aux autres pays ; taper trop fort sur les remises sur produits fait trop peser la pression sur les industriels les plus innovants ; trop jouer sur la clause de sauvegarde est une forme d'impôt transversal sur l'ensemble de l'industrie, ce qui n'est pas acceptable. La question du bon équilibre entre ces différents outils est compliquée. Elle est reliée aux choix faits par le Parlement, qui décide d'un objectif de dépenses d'assurance maladie chaque année, donc d'une soutenabilité de ces dépenses et de choix de régulation, qui s'appliquent notamment aux médicaments.
Pouvez-vous nous donner une idée de votre budget pour acheter des médicaments ?
Comment décidez-vous des taux de remboursement que vous allez appliquer aux médicaments ? Est-ce vous qui décidez du non-remboursement de médicaments ? Je pense à l'homéopathie, qui a été déremboursée. Avez-vous une part dans ce type de décisions ?
Vous avez estimé que les marchés de médicaments pourraient être favorablement négociés au niveau européen plutôt qu'au niveau national. L'exemple des vaccins contre la covid - absence de transparence, États non souverains dans les commandes - n'incite pas tellement à laisser la main à l'Europe sur la commande de médicaments ! Que pouvez-vous nous dire à ce propos ?
Monsieur le directeur, je suis sénateur de la Vienne en CDD et pharmacien d'officine depuis trente-deux ans, dans un territoire qui compte 20 habitants au kilomètre carré.
Je suis très surpris par votre remarque sur l'amoxicilline. Certain que le prix n'a pas augmenté, j'ai fait une recherche sur internet. D'après le premier résultat de cette recherche, depuis le 1er janvier 2010, le prix de vente public du flacon d'amoxicilline 500 buvable est passé de 2,47 à 1,87 euro, soit une diminution de 32,1 %. La question des prix est une vraie question. Notre commission a été constituée pour enquêter sur un problème d'accès à la santé grave, dont le prix des médicaments est bien évidemment l'une des causes. Les choses doivent être donc très claires sur son évolution - on pourrait prendre d'autres exemples que l'amoxicilline.
Il faut que l'on comprenne que c'est un enjeu de territoires, de proximité, qui touche des personnes à faible mobilité. Vous savez très bien que, quand on touche au prix du médicament, on touche au financement de la répartition ! Les répartiteurs ont quasiment une obligation de service public : celle de livrer n'importe quelle officine, quelle que soit la taille de la commande, dans les 72 heures. Or le prix du gazole, les règles de mobilité et tout ce qu'on leur impose rendent la tâche impossible. Cela se fait au détriment des officines les plus rurales, donc des populations les plus isolées.
Le prix du médicament est donc l'une des causes de la situation dans laquelle nous sommes aujourd'hui. Aucun patient ne connaît véritablement le montant des médicaments qu'il consomme.
Quoi qu'il en soit, l'amoxicilline n'a pas augmenté, contrairement à ce que vous dites. Ou alors nous n'avons pas les mêmes références !
Les questions de mes collègues sont très précises et très pertinentes. Nous avons besoin de réponses pointues, notamment sur les prix.
Pensez-vous que les pénalités que vous avez évoquées soient suffisamment contraignantes ? L'ANSM nous a dit qu'elles étaient, de fait, peu nombreuses.
Il est très important que nous partagions le même état des lieux, mais, pour que notre commission d'enquête ait été utile, il faudrait qu'elle puisse formuler un certain nombre de propositions pour nourrir le débat et pour sortir de cette situation. À cet égard, les réponses policées ne nous satisfont pas.
Je sais bien qu'il n'appartient pas à la Cnam de déterminer qu'elles doivent être les pénalités, mais quel est votre avis à leur sujet ? Pensez-vous qu'elles sont suffisantes ? Quelles réponses alternatives pourraient vous aider en tant que caisse de sécurité sociale ?
J'aimerais avoir un certain nombre de précisions sur le protocole que vous pouvez mettre à disposition des professionnels. Comment s'articule-t-il avec la liberté de prescrire, et comment réagissent les médecins face à ces conseils ?
Vous n'avez pas répondu à ma question sur le coût de la substitution - soit, finalement, le coût des pénuries de médicaments - ou de la fabrication alternative, c'est-à-dire de la production en officine ou par des pharmacies centrales ? Je pense aussi aux pénuries hospitalières, pour lesquelles l'appel d'offres tombe, ce qui oblige à commander à un coût nettement plus élevé auprès d'un autre laboratoire.
Je reviens sur le taux de 8,5%. Quid de la partie hospitalière ? Quelle est la part de ce taux liée aux médicaments innovants ou aux nouvelles prises en charge ? Quelles sont celles de l'efficience du soin et de la soutenabilité dans les choix qui sont faits ?
Le montant des « achats » de médicaments que nous réalisons - le terme d'achat est un peu impropre ; il vise à illustrer la relation entre un fournisseur et des produits - s'élève à 32 milliards d'euros si l'on se fie au montant global brut des dépenses remboursées de médicaments. Compte tenu de ce montant, je considère que l'on peut essayer de poser un certain nombre de garanties...
Sur le remboursement, notre compétence est liée, parce que le taux de remboursement dépend de l'évaluation de l'efficacité du médicament : aux différents niveaux d'évaluation correspond un taux.
Dès lors que la Haute Autorité de santé considère qu'un médicament a un service médical rendu insuffisant, il n'est plus remboursé. De ce point de vue, nous sommes, en réalité, plus un « notaire » : nous tirons les conséquences d'évaluations sanitaires. Cette séparation entre celui qui évalue à celui qui paie est heureuse. C'est l'une des forces de notre système. Il ne faut pas mélanger les casquettes. Notre compétence de fixation du taux est donc, en réalité, directement liée à une appréciation de l'apport médical.
Monsieur le sénateur Belin, j'adresserai très rapidement à la commission d'enquête les éléments sur les prix de l'amoxicilline que j'ai en ma possession. Les prix que j'évoquais sont en UCD, qui traduisent différentes formes d'utilisation du produit. Je ne conteste absolument pas la pertinence de votre exemple, mais les prix moyens hors taxe d'une UCD d'amoxicilline étaient, au dernier trimestre 2022, à 0,17 euro en France et en Allemagne, à 0,08 en Espagne et à 0,10 au Royaume-Uni. Nous pourrons, si vous le souhaitez, poursuivre nos échanges sur le sujet.
L'impact des baisses de prix sur le réseau de distribution est un sujet majeur pour l'assurance maladie. Depuis une dizaine d'années, nous avons, avec les représentants des pharmaciens et en lien avec le ministère, fait évoluer le mode de rémunération des pharmacies d'officine, lequel est moins dépendant des prix du médicament aujourd'hui qu'il y a quinze ans. L'ajout de différents honoraires et les différentes missions de santé publique qui ont été reconnues et valorisées par l'assurance maladie participent à cette forme de désensibilisation partielle du réseau de distribution que constituent les officines par rapport aux baisses du prix du médicament.
Au dernier congrès de l'un des deux syndicats de la pharmacie, une étude a été diffusée sur l'historique de la composition des modes de rémunération des pharmaciens, qui montrait très bien ce phénomène de désensibilisation. Nous n'en sommes pas les auteurs, mais nous pourrons vous l'adresser.
L'assurance maladie est extrêmement attachée au partenariat avec les pharmaciens et, surtout, à la solidité du réseau officinal, pour qu'il puisse assumer ses missions vis-à-vis des assurés. Depuis plus d'une dizaine d'années, nous conduisons une politique publique avec le ministère pour essayer pour que les évolutions de prix pèsent moins sur l'équilibre économique des pharmacies qu'il y a dix ou quinze ans. Les évolutions montrent bien ce phénomène de désensibilisation.
L'assurance maladie n'a pas, à ce jour, mené de travaux qui évaluent l'impact des pénuries sur les dépenses.
Pourtant, comme vous le dites, le phénomène n'est pas tout à fait récent...
Certes, mais c'est un phénomène relativement complexe. Il faudrait regarder ce que fait le patient, s'il prend ou non un autre produit, s'il y a un retard...
L'augmentation des dépenses sur les officines est de 8,7 %. En revanche, les dépenses de rétrocession - l'accès, à l'hôpital, à des médicaments pour la ville - sont en baisse, de 5,8 %.
Nous ne disposons pas du montant des dépenses de médicaments dans la composition du coût des séjours. Ces dépenses sont comprises dans le coût du groupe homogène de séjour (GHS). Il faut remonter à la comptabilité analytique des établissements. Je vous avoue que nous n'avons pas conduit cette étude. Il serait d'ailleurs intéressant que nous travaillions plus régulièrement avec l'Agence technique de l'information sur l'hospitalisation (ATIH) sur ces sujets. Quoi qu'il en soit, nous n'avons pas d'étude récente sur l'évolution du poids du médicament dans le total de la dépense du séjour.
En revanche, nous disposons de données sur la « liste en sus ». Nous pourrons vous les communiquer. La « liste en sus », remboursée indépendamment du coût du séjour aux établissements, concerne les médicaments les plus coûteux ou les moins stables dans la formation du coût du séjour. Ce sont évidemment des dépenses qui évoluent assez rapidement, compte tenu de l'importance de l'innovation.
Très sincèrement, je ne crois pas que ce soit par les pénalités que l'on gère le système. Il faut un équilibre général qui permette, dans la durée, une relation de confiance et un partenariat avec l'industrie du médicament, et une garantie dans l'accessibilité aux traitements.
Les pénalités font partie de la panoplie ; c'est un outil parmi d'autres.
Je veux dire les choses clairement : le plus important, pour l'assurance maladie, c'est d'essayer de renforcer l'efficacité de nos actions sur le bon usage des produits de santé. Pourquoi a-t-on, en France, neuf millions d'angines par an et seulement un million de Trod ? Pourquoi prescrit-on deux fois plus d'antibiotiques sur les angines que nécessaire ? Parvenir à être plus efficaces et à faire évoluer les pratiques des prescripteurs et des assurés, qui ont encore trop souvent aujourd'hui le réflexe de recourir à un médicament, est, pour moi, dans mon champ de responsabilité, la chose la plus importante. L'assurance maladie, ses 800 délégués et ses 1 200 praticiens-conseils sont extrêmement mobilisés sur ce plan.
Faire évoluer les pratiques et les organisations, faire en sorte que les patients aillent davantage en pharmacie pour effectuer un Trod angine et que les médecins utilisent des Trod est, selon moi, la réponse la plus importante aux pénuries. En effet, c'est moins de consommation de médicaments inutiles, donc un risque de pénurie plus faible.
Cela étant, il faut faire attention quand on fait des comparaisons. Par exemple, les Allemands consomment moins de paracétamol que nous, mais ils consomment beaucoup plus d'aspirine. Néanmoins, si notre pays consommait des antibiotiques au niveau des pays européens, il n'aurait pas connu de pénurie d'amoxicilline.
Nous avons du mal à faire bouger les conditions dans lesquelles les praticiens et les assurés utilisent le médicament. Il y a une très grande hétérogène dans le respect des référentiels, mais, dans la plupart des classes thérapeutiques, la consommation est plus élevée que dans d'autres pays.
Le principal sujet, pour nous, est d'être plus efficace sur l'action sur les volumes.
S'agissant du protocole, cela dépend vraiment des types d'opérations. Nous essayons généralement de faire deux choses.
Nous essayons de situer la prescription du professionnel par rapport à celle de ses collègues, ayant la même spécialité, au niveau du département ou encore au niveau national. Prescrit-il beaucoup plus d'antibiotiques, beaucoup plus d'IPP ? Nous standardisons les patientèles. Nous recourons, pour ce faire, à des méthodes scientifiques. Cet exercice donne de la visibilité au professionnel de santé.
Par ailleurs, nous diffusons les référentiels de la Haute Autorité de santé, de l'ANSM... Nous rappelons l'existence de guides de bons usages.
Dans les campagnes sur le paracétamol ou la metformine, on s'appuie sur ce qui fait notre force, en donnant au professionnel de santé de la visibilité sur sa prescription et en le situant par rapport à ses collègues et en diffusant les guides des bonnes pratiques. On essaie de produire des matériels de plus en plus didactiques, des vidéos avec des professionnels de santé, des kits simples à lire. Nous pourrons communiquer à la commission d'enquête différents exemples de ce que nous faisons.
Avez-vous constaté une augmentation de la consommation d'antibiotiques du fait de la disparition des homéopathes et du moindre accès aux médicaments homéopathiques ? L'un de nos anciens ministres de la santé, Xavier Bertrand, que je connais bien, expliquait aux médecins que, s'ils ne considéraient pas l'homéopathie comme des médicaments, le recours à celle-ci allégeait le poids de son remboursement sur l'assurance maladie...
C'est tout le débat sur l'usage des financements de l'assurance maladie. Il est déjà compliqué de rembourser l'intégralité des besoins médicamenteux. On peut peut-être trouver d'autres moyens de financer ce qui est en dehors du champ de l'allopathie. On peut toujours accéder à l'homéopathie, même si elle n'est pas remboursée.
Vous n'avez pas répondu à ma question concernant l'achat des médicaments au niveau européen et l'expérience de la période de la covid et des vaccins périmés, que l'on envoie désormais dans les pays africains.
Nous n'avons pas fait d'étude scientifique sur un lien de causalité éventuel entre déremboursement de l'homéopathie et évolution de la consommation d'antibiotiques. En tout cas, nous observons que le recours aux antibiotiques reste plus élevé que chez nos voisins européens, mais il l'était déjà quand l'homéopathie était remboursée.
Notre travail est de mobiliser différents leviers pour essayer de diminuer ces prescriptions inutiles. Les niveaux de prescriptions d'antibiotiques restent dans notre pays nettement plus élevés que chez nos voisins, notamment pour les enfants, mais pas seulement.
Si chaque pays européen était allé, en marche dispersée, voir les différents industriels pour négocier ses conditions d'accès au vaccin contre la covid, la France, qui est un grand pays et un grand marché, s'en serait sans doute mieux tirée que l'Autriche ou Malte ! Pour ma part, je pense que la façon dont cela a été géré au niveau européen a plutôt été un succès. Cela a plutôt garanti un accès rapide aux vaccins pour les assurés français et leurs homologues européens, ce qui était quand même l'urgence du moment. Je rappelle que l'assurance maladie n'a fait que financer ce vaccin ; elle n'a en aucune manière été un acteur des négociations, qui ont été menées au niveau de la Commission européenne.
Je veux apporter un témoignage. Bien sûr que la substitution a un coût ! Quand il n'y a plus eu de bétaméthasone ou de prednisolone, qu'est-ce qu'on a fait ? On a pris ce qui restait dans les fonds de tiroir chez les répartiteurs, notamment du Medrol, qui coûte beaucoup plus cher. Quand il n'y a plus eu de Cefpodoxime, de céphalosporine de troisième génération, qu'est-ce qu'on a fait ? On a pris les deuxièmes, puis les premières générations, de l'Alfatil, qui est un princeps, et non un générique, et qui coûte beaucoup plus cher.
Monsieur le directeur, vous dites qu'il faudrait faire plus de Trod angines. Mais depuis quand les Trod angines sont-ils autorisés ? Depuis le 1er juillet 2021 ! Or, en 2021 et 2022, nous avons été sous l'eau. Croyez-vous que nous avions le temps de faire des Trod angine pour savoir si les prescriptions d'Oroken étaient justifiées ?
Il y a eu une vie avant les Trod, et les gens n'étaient pas forcément si mal soignés...
Il est bien clair que c'est d'abord chez les médecins que les Trod se sont déployés ; ils l'ont été beaucoup plus récemment chez les pharmaciens. J'ai simplement voulu dire, en visant les pharmaciens comme les médecins, que le Trod est un outil extrêmement pertinent pour améliorer et diminuer les prescriptions inutiles d'antibiotiques. Je répète que, pour neuf millions d'angines dans notre pays, on réalise seulement un million de Trod.
Monsieur le sénateur, j'ai, à de nombreuses reprises, souligné l'investissement des pharmaciens pendant la crise de la covid, qu'il s'agisse des tests ou de la vaccination. Ils ont été en première ligne, et je crois que nous avons été à leurs côtés pour les accompagner.
Vous ne m'avez pas entendu dire qu'il n'était pas normal que les pharmaciens n'aient pas fait de Trod en janvier 2022, quand on était en pleine vague Omicron et que l'on essayait de se débrouiller avec les autotests. Il n'en reste pas moins que l'utilisation d'antibiothérapie sur les angines est deux fois supérieure à ce qu'elle est chez nos voisins, et que l'on utilise un Trod dans un cas sur neuf. Cela doit quand même nous faire réfléchir sur l'utilisation des tests de dépistage qui sont à notre disposition.
Il est compliqué d'ouvrir le débat maintenant, mais je rappelle que les effets secondaires des angines non traitées ont un coût largement supérieur à celui d'une prise en charge thérapeutique, tout au long de la vie.
Sur ces sujets, tout doit être comparé. Rien n'est simple et tout est complexe, comme vous le dites à juste titre.
Je vous remercie de toutes vos réponses. N'hésitez pas à nous transmettre des éléments complémentaires. Nous vous adresserons rapidement un questionnaire plus détaillé.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat
La réunion est close à 15 h 05.