Intervention de Jean Bizet

Commission des affaires européennes — Réunion du 19 novembre 2020 à 8h00
Justice et affaires intérieures — Relations de l'union européenne avec la hongrie : rapport d'information de mm. jean bizet andré gattolin et jean-yves leconte

Photo de Jean BizetJean Bizet, rapporteur :

Monsieur le Président, mes chers collègues, ce rapport d'information arrive à point nommé puisque la Hongrie se trouve malheureusement sous les feux de l'actualité. Comme l'Europe se construit en marchant, il faudra bien que sur les problématiques budgétaires, nous puissions un jour inventer une forme de coopération renforcée ou de projet important d'intérêt européen commun (PIIEC) pour éviter qu'un petit nombre de pays ne bloque les autres, par exemple sur une problématique économique et sanitaire, comme c'est le cas actuellement.

Avec André Gattolin et Jean-Yves Leconte, nous avons donc effectué un déplacement en Hongrie, du 20 au 23 septembre derniers. Notre commission s'intéresse en effet de longue date à la situation dans ce pays. Elle avait notamment adopté un rapport sur la Hongrie en février 2014 ; elle auditionne aussi régulièrement son ambassadeur à Paris, M. Georges Károlyi.

Notre déplacement s'est déroulé dans un contexte nouveau. Certes, la Hongrie vit le troisième mandat de Viktor Orbán depuis 2010, et le Fidesz détient toujours la majorité des deux tiers au parlement monocaméral. Cependant, l'opposition a remporté les élections municipales de l'automne 2019, en particulier dans les principales villes, dont Budapest. Une nouvelle séquence politique est donc peut-être en train de s'ouvrir. Par ailleurs, je rappelle que la Hongrie fait l'objet, depuis septembre 2018, à l'initiative du Parlement européen, d'une procédure dite « de l'article 7 » du traité sur l'Union européenne, pour risque d'atteinte aux valeurs européennes, parmi lesquelles figure l'État de droit. Enfin, la Hongrie est confrontée, comme tant d'autres en Europe, à la pandémie de Covid-19, mais dans des proportions moindres. Nous avons donc voulu observer comment les autorités géraient cette crise sanitaire et quelles en étaient ses conséquences.

À Budapest, nous avons bénéficié d'entretiens de haut niveau, avec des ministres et des parlementaires de la majorité et de l'opposition, ainsi qu'avec des représentants de la société civile.

La relation complexe entre la Hongrie et l'Europe est ancienne. L'histoire de la Hongrie est indéniablement douloureuse. Le traité de Trianon de 1920, en particulier, reste perçu de façon unanime comme un traumatisme. Il est vrai qu'il s'est traduit par la perte de 60 % de la population et de près des deux tiers du territoire, notamment la Transylvanie au profit de la Roumanie. Les Hongrois conservent de fortes attaches avec les territoires « perdus ». D'importantes minorités hongroises, environ deux millions de personnes, alors que la Hongrie compte moins de dix millions d'habitants, vivent aujourd'hui dans plusieurs pays frontaliers, au risque d'irritations bilatérales. La période du régime communiste, et les événements dramatiques de 1956, sont encore également dans tous les esprits.

Nos échanges avec des responsables hongrois ont permis de prendre la mesure de ce passé traumatique. Plusieurs d'entre eux ont en effet déploré la méconnaissance de l'histoire de l'Europe centrale et de leur pays. Nous avons relevé de l'amertume dans de nombreux propos sur l'absence supposée de solidarité de l'Europe et un sentiment d'abandon par les Occidentaux. Un jeune ministre nous a même dit - à notre grand étonnement ! - que « la Hongrie ne doit rien à l'Union européenne », et que ses spécificités ne sont pas suffisamment prises en compte. Ces propos nous ont choqués. Les dirigeants hongrois réfutent les critiques en nationalisme, mais se considèrent comme patriotes et se reconnaissent dans le concept d'Europe des nations.

Malgré tout, la Hongrie apparaît indéniablement attachée à l'Union européenne, à laquelle elle a adhéré le 1er mai 2004. Les dirigeants hongrois que nous avons rencontrés ont tous affirmé que l'avenir de leur pays se trouvait au sein de l'Union et qu'aucune autre voie alternative n'était envisageable. Par ailleurs, selon les derniers sondages Eurobaromètre, l'opinion publique hongroise est très favorable à la construction européenne, et le sentiment d'être Européen est sensiblement plus élevé en Hongrie qu'en moyenne dans l'Union européenne. Le gouvernement hongrois doit donc en tenir compte.

Ce pays tire objectivement avantage de sa participation aux grandes politiques européennes, à commencer par la politique de cohésion. Avec 25 milliards d'euros sur la période 2014-2020, la Hongrie est l'un des principaux bénéficiaires des fonds structurels.

Il existe d'ailleurs des convergences entre les positions hongroises et celles de la France sur plusieurs dossiers : la nécessité de parvenir à un accord rapide sur le CFP 2021-2027 et le plan de relance, la politique agricole commune, le climat, l'Europe de la défense, le Brexit ou encore la conférence sur l'avenir de l'Europe.

Naturellement - cela ne me paraît pas dérangeant en soi -, la Hongrie a forgé des positions qui lui sont propres sur certains sujets, par exemple l'élargissement de l'Union européenne aux Balkans occidentaux, dont elle est un fervent partisan, la directive relative aux travailleurs détachés, dont la révision a, selon elle, porté atteinte à la compétitivité des pays d'Europe centrale, ou encore la concertation informelle au sein du groupe de Visegrad.

Néanmoins, la Hongrie adopte aussi des positions qui la marginalisent par rapport au reste de l'Union. Nous avons noté, sur le plan symbolique, que les drapeaux européens étaient quasi absents de Budapest... Les responsables hongrois que nous avons rencontrés se sont montrés critiques des évolutions de l'Union européenne depuis 2004 et ont dit ne plus vraiment la reconnaître, par exemple en matière de moeurs ou de respect des souverainetés nationales. Ce fort attachement à la souveraineté nationale conduit fréquemment la Hongrie à privilégier ses intérêts nationaux dans la recherche de marchés et donc à ne pas nécessairement donner la priorité à l'Europe. Nous avons aussi été informés de ce que certains secteurs de l'économie seraient « magyarisés ».

En matière de relations extérieures, la Hongrie adopte parfois des positions éloignées des positions européennes. Elle développe ainsi sa politique dite d' « ouverture à l'Est » et affiche une certaine proximité avec la Russie, notamment en matière énergétique, et avec la Chine, y compris pour la gestion de la crise sanitaire. Elle ne cache pas non plus son indulgence pour la Turquie.

La Hongrie est aussi fermement opposée à toute conditionnalité liant les financements européens au respect de l'État de droit dans le cadre des négociations sur le CFP 2021-2027. D'ailleurs, ce dernier sujet est, vous le savez, le principal point d'achoppement entre la Hongrie et l'Union européenne.

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