Intervention de Jean-Yves Leconte

Commission des affaires européennes — Réunion du 19 novembre 2020 à 8h00
Justice et affaires intérieures — Relations de l'union européenne avec la hongrie : rapport d'information de mm. jean bizet andré gattolin et jean-yves leconte

Photo de Jean-Yves LeconteJean-Yves Leconte, rapporteur :

Monsieur le Président, mes chers collègues, le respect de l'État de droit, de la démocratie et des droits de l'Homme en Hongrie suscite des inquiétudes depuis plusieurs années. Les critiques formulées émanent tant des organisations paneuropéennes que des institutions de l'Union européenne.

Dès 2013, l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe (APCE) avait demandé l'ouverture d'une procédure de suivi au titre de la Hongrie. Elle y avait finalement renoncé, mais avait déploré des révisions constitutionnelles successives, justifiées par des intérêts politiques partisans et visant à établir un contrôle politique sur la plupart des institutions. La Commission de Venise considérait ces révisions comme éloignées des normes en vigueur. Il en résulte de fait un affaiblissement du système d'équilibre des pouvoirs. Quatre ans plus tard, l'APCE dressait un constat similaire et pointait plus particulièrement les nombreuses discriminations dont sont victimes les Roms.

Par ailleurs, la mission d'observation des élections législatives de 2018, menée par l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), avait mis en évidence de sérieuses difficultés dans le processus électoral : une rhétorique intimidante et xénophobe, un financement opaque de la campagne, un accès à l'information restreint, un chevauchement généralisé entre les ressources de l'État et celles du parti au pouvoir, etc.

On constate un risque de violation de l'État de droit dénoncé par le Parlement européen, mais non encore reconnu au Conseil. Le 12 septembre 2018, pour la première fois, le Parlement européen, s'appuyant sur un rapport de Judith Sargentini, a adopté une résolution invitant le Conseil à constater, conformément à l'article 7, paragraphe 1, du traité sur l'Union européenne, l'existence d'un risque clair de violation grave par la Hongrie des valeurs sur lesquelles l'Union est fondée. Je rappelle que la Pologne fait l'objet de la même procédure depuis décembre 2017, mais à l'initiative de la Commission.

La résolution du Parlement européen mentionne des « préoccupations » portant sur douze éléments : le fonctionnement du système constitutionnel et électoral ; l'indépendance de la justice ainsi que des autres institutions et les droits des juges ; la corruption et les conflits d'intérêts ; la protection des données et de la vie privée ; la liberté d'expression ; la liberté académique ; la liberté de religion ; la liberté d'association ; le droit à l'égalité de traitement ; les droits des personnes appartenant à des minorités, y compris les Roms et les Juifs, et la protection de ces minorités contre les déclarations haineuses ; les droits fondamentaux des migrants, des demandeurs d'asile et des réfugiés ; les droits économiques et sociaux.

À ce stade, le Conseil n'a pas procédé à un tel constat, se limitant à auditionner des ministres hongrois.

Il n'en demeure pas moins que le premier rapport annuel sur la situation de l'État de droit dans l'Union européenne, publié par la Commission le 30 septembre dernier, confirme, dans le chapitre consacré à la Hongrie, plusieurs constats dressés par le Parlement européen.

Parmi les différents problèmes soulevés par les institutions européennes, trois apparaissent plus conséquents : la place de la société civile et de la liberté d'association, le pluralisme des médias et l'indépendance du système judiciaire. Ces questions sont suivies de près par la Commission qui a activé la procédure en manquement, celle-ci pouvant être dirigée contre un État membre ayant manqué à ses obligations découlant du droit de l'Union.

Nous constatons enfin des atteintes au droit de l'Union pointées par la Commission européenne. La démarche de la Commission est à chaque fois identique : compte tenu des blocages inhérents à la procédure de l'article 7, elle engage une procédure d'infraction, qui comporte une phase de dialogue puis une phase contentieuse devant la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) pour non-respect de certaines dispositions des traités et, le cas échant, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. Certes, ce n'est pas tant l'atteinte à l'État de droit en tant que telle qui est alors sanctionnée que le non-respect de dispositions relatives, par exemple, au bon fonctionnement du marché intérieur. Mais la procédure gagne en efficacité, puisque l'arrêt de la CJUE est exécutoire dans les États membres condamnés.

La Commission a ainsi obtenu gain de cause auprès de la CJUE sur plusieurs dispositions législatives hongroises contestées, en particulier la loi sur la transparence des organisations bénéficiant de financements étrangers et la loi sur l'enseignement supérieur, qui visait en réalité l'Université d'Europe centrale fondée par Georges Soros, qui a joué un rôle majeur dans la formation des cadres d'Europe centrale aujourd'hui.

Par ailleurs, la liberté de la presse a sensiblement reculé en Hongrie : selon le classement de Reporters sans frontières, ce pays est passé du 56e rang en 2013 au 89e rang en 2020. L'intervention des pouvoirs publics dans le paysage médiatique prendrait deux principales formes : soit l'acquisition directe ou indirecte d'entreprises médiatiques - c'est le cas avec le conglomérat KESMA -, soit des tracasseries administratives, qui se terminent souvent en sanctions administratives - nous avons ainsi rencontré les dirigeants de la radio indépendante Klub Radio, dont la licence d'émission ne sera pas renouvelée pour des motifs futiles. La situation des médias sur Internet serait meilleure, mais les audiences y sont plus limitées. Comme l'a noté la Commission dans son rapport sur l'État de droit en Hongrie, « l'accès du public à l'information est entravé ». Mais le principal problème est l'accès à la ressource publicitaire qui est largement contrôlé par le régime, même lorsqu'il s'agit d'annonceurs privés.

L'indépendance du système judiciaire est également problématique. Plusieurs difficultés nous ont été signalées : un procureur général tout-puissant très proche du Fidesz ; la politisation des organes de contrôle judiciaires ; la réduction des pouvoirs de la Cour constitutionnelle ; des insuffisances importantes dans la lutte contre la corruption, qui est pourtant élevée dans le pays, en particulier dans la gestion des fonds européens, etc. D'ailleurs, la Hongrie a refusé de participer au Parquet européen qui a vocation à protéger les intérêts financiers de l'Union. Nous avons insisté sur ce point et avons reçu des témoignages accablants sur cette situation, en particulier de la part de collectivités locales pour ce qui concerne l'attribution des marchés publics.

Enfin, la politique migratoire hongroise a suscité des réserves. La Hongrie a été le seul État membre à refuser, en juillet 2015, d'accueillir le moindre réfugié sur une base volontaire. Les responsables hongrois que nous avons rencontrés ont d'ailleurs été très clairs sur la « ligne rouge » que représente pour eux l'instauration de quotas de relocalisation de migrants. Dans ce domaine également, la Commission a saisi la CJUE d'un recours en manquement et a obtenu gain de cause sur la non-conformité au droit de l'Union de la législation hongroise sur l'asile. La Hongrie a également été condamnée par la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH) pour cette même législation.

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