Intervention de André Gattolin

Commission des affaires européennes — Réunion du 19 novembre 2020 à 8h00
Justice et affaires intérieures — Relations de l'union européenne avec la hongrie : rapport d'information de mm. jean bizet andré gattolin et jean-yves leconte

Photo de André GattolinAndré Gattolin, rapporteur :

Monsieur le Président, mes chers collègues, en Hongrie, la crise sanitaire provoquée par la pandémie de Covid-19 reste sous contrôle. Les statistiques du premier semestre ne montrent pas de surmortalité, et le système hospitalier, qui connaît pourtant des faiblesses structurelles, continue de fonctionner. Des mesures strictes y ont été prises assez tôt : l'état de danger a été proclamé dès le 11 mars, et les frontières qui ont été fermées entre le 17 mars et le 15 juin le sont de nouveau depuis le 1er septembre.

Sur le plan politique, la crise sanitaire a plutôt bénéficié à Viktor Orbán, dont la popularité s'est même améliorée par rapport à l'année précédente. Le Fidesz reste largement en tête des intentions de vote. Sa candidate a d'ailleurs remporté, dès le premier tour, une élection législative partielle face à un candidat pourtant unique de l'opposition.

Mais la gestion de la crise sanitaire a mis en évidence plusieurs difficultés.

Son impact économique est assez prononcé. Alors que la Hongrie avait connu une croissance soutenue de 5 % en 2018 et 2019, et un taux de chômage de 3 %, la pandémie a dégradé de nombreux indicateurs économiques. Le PIB pourrait se contracter de 6 à 8 % en 2020, le déficit budgétaire atteindrait au moins 10 %, tandis que la dette publique, tout en restant contenue, a augmenté de 5 points en trois mois.

Le taux de chômage a sensiblement augmenté, s'élevant à près de 5 % de la population active. La moitié des chômeurs n'est éligible à aucune allocation financière. Le salaire mensuel minimum s'établit à 465 euros, soit 30 % du SMIC français, et la pension de retraite moyenne à moins de 390 euros par mois. J'ai retrouvé un ami qui était réfugié en France dans les années 1980 et qui a rejoint la Hongrie en 1991. Il était rédacteur en chef du principal quotidien national. Il touchait pour sa retraite - il a principalement travaillé en Hongrie - 250 euros par mois. Nous devons avoir conscience de cette paupérisation de la population.

Le tourisme, qui représente près d'un demi-million d'emplois, a beaucoup souffert. La crise sanitaire a eu un impact également élevé sur le secteur automobile - la Hongrie était, en 2019, le 9e producteur européen d'automobiles et elle ambitionne de devenir le pays européen de référence pour les voitures et batteries électriques.

L'outil de production est resté intact, et le tissu industriel hongrois est plus équilibré que celui de certains de ses voisins qui ont une mono-industrie. Le gouvernement conduit en effet une politique active d'industrialisation du pays, avec de nombreuses entreprises sous-traitantes des activités allemandes et autrichiennes.

Les mesures prises par les autorités pour faire face à la crise ont eu un impact économique assez prononcé. Le plan de relance mis en oeuvre est massif : il représente 18 % du PIB. L'objectif est de faire repartir la consommation des ménages.

Les prévisions tablent sur un rebond de la croissance en 2021, mais la situation économique ne devrait pas retrouver son niveau initial avant 2022.

La gestion de la crise sanitaire par les autorités hongroises est marquée par plusieurs faits saillants qui illustrent une réponse globalement disproportionnée.

En premier lieu, le parlement a adopté une loi d'habilitation, entrée en vigueur le 31 mars, sur le fondement de l'article 54 de la Constitution relatif à l'état de danger. Cette législation d'exception présente une particularité : elle n'est pas limitée dans le temps, ce qui a provoqué de nombreuses critiques, en particulier du Conseil de l'Europe, de la Commission européenne et du Parlement européen. Celui-ci a d'ailleurs condamné cet état de fait dans sa résolution du 17 avril dernier sur la gestion de la pandémie et ses conséquences. Par ailleurs, cette loi d'exception a donné lieu à l'introduction d'une nouvelle infraction sur la publication d'informations fausses ou déformées faisant obstacle à la protection du public ou de nature à créer l'angoisse ou la panique. Une peine allant jusqu'à cinq ans de réclusion criminelle est prévue.

Au total, 140 décrets ont été adoptés sur le fondement de cette législation, dont les trois quarts n'auraient pu être pris sans ces pouvoirs spéciaux. Des mesures controversées ont été prises à ce titre, par exemple en matière de collecte et de conservation des données, y compris médicales. L'équivalent hongrois de la CNIL a d'ailleurs critiqué ce texte comme étant « susceptible de donner lieu à une surveillance illimitée ».

L'état de danger a été levé le 20 juin, mais une nouvelle notion a été introduite dans la législation hongroise : l'état d'urgence sanitaire, que le gouvernement pourrait instaurer, sans aucun contrôle parlementaire.

Ensuite, le manque de transparence récurrent de l'action des autorités hongroises s'est encore accentué pendant la pandémie. Ainsi, les personnels soignants ont reçu instruction de ne pas s'exprimer dans les médias, des réunions de commissions parlementaires sur la gestion de la crise sanitaire ont été soudainement reportées, le délai dont dispose l'administration pour communiquer des informations accessibles au public a été fortement prolongé, etc. De même, le projet de rénovation de chemin de fer Budapest-Belgrade, largement financé par la Chine, mais contesté quant à sa rentabilité, a fait l'objet d'un accord non publié au nom de « l'intérêt public supérieur ».

Enfin, la gestion de la crise a donné lieu à des atteintes aux moyens et prérogatives des collectivités territoriales.

De manière générale, la profonde réforme de l'administration locale engagée en 1990 connaît une inflexion depuis 2013, marquée par un net mouvement de recentralisation. De même, les fonds européens, contrairement à ce qui est devenu progressivement une pratique européenne, sont gérés de façon centralisée en Hongrie. La structure administrative se revendique comme proche de ce qu'on peut trouver en France. Mais, si des élections au suffrage universel ont lieu dans les départements et communes en Hongrie, les régions sont des structures purement administratives, ce qui permet au gouvernement de contrôler les fonds européens qui sont gérés par ces régions.

La crise sanitaire a encore accentué ce mouvement général. Ainsi, certains des décrets pris sur le fondement de la loi d'habilitation ont pour effet de priver les municipalités d'une partie de leurs recettes fiscales, les plaçant ainsi dans une situation financière délicate.

Il nous a été expliqué que cet assèchement des ressources locales viserait plus particulièrement les communes désormais gérées par l'opposition depuis sa victoire aux élections municipales de l'automne 2019. Désormais, un tiers des Hongrois vivent dans une commune administrée par l'opposition. Selon l'entourage du maire de Budapest, qui apparaît depuis sa victoire comme le chef de file de l'opposition, le gouvernement chercherait ainsi à instrumentaliser la crise sanitaire : son objectif serait de réduire les ressources de la capitale pour empêcher la réalisation des projets de la mairie en matière de logement et de transport, et in fine démontrer que l'opposition ne sait pas gérer la ville. De même, le gouvernement s'opposerait aux dispositions du CFP 2021-2027 qui comportent des orientations favorables aux financements locaux directs.

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