J'ai eu la chance d'aller souvent en Hongrie en 1987 et 1988. J'ai observé l'évolution du Fidesz, ce mouvement européen de jeunes - l'âge limite d'adhésion était à 35 ans - qui recueillait pourtant le plus de votes chez les plus de 65 ans. Le parti, qui devait incarner le renouveau européen de la Hongrie, est devenu la coqueluche des nostalgiques de l'ancienne Hongrie !
Quand nous étions à Budapest, il y avait une exposition sur le traité de Trianon que nous n'avons pas eu le temps de visiter, mais les affiches étaient frappantes. Les régimes successifs ont fait une réécriture de l'histoire. Levente Magyar, jeune vice-ministre des affaires étrangères, secrétaire d'État chargé de la diplomatie économique et commissaire ministériel aux affaires francophones, nous a présenté une histoire totalement révisionniste de l'Autriche-Hongrie !
Pourquoi Viktor Orbán, même s'il s'arrange avec le système électoral, est aussi populaire ? Parce qu'il a donné la citoyenneté à tous les Hongrois établis hors de Hongrie, soit 2 millions de personnes. Il a ainsi réparé le sentiment d'humiliation nationale infligé par le traité de Trianon à la Hongrie en réduisant sa population et son territoire. La popularité de Viktor Orbán s'explique aussi par sa politique industrielle extrêmement dynamique. Grâce au dumping économique qu'elle offre, la Hongrie, qui n'était pas un pays très industrialisé, est devenue l'un des principaux points de sous-traitance de l'automobile et des machines-outils allemandes et autrichiennes.
Concernant les fonds européens, on ne peut pas dire que Viktor Orbán ou ses ministres se sont enrichis. En revanche, ce sont quelques consortiums de leur entourage qui remportent généralement les appels d'offre européens, des bureaux d'étude qui sous-traitent ensuite l'exécution des projets à des sociétés souvent allemandes et autrichiennes et qui prennent au passage une commission de 25 %. On voit là la limite de nos procédures de contrôle.
Pierre Laurent, vous posiez la question des conditions exigées par l'Union européenne en matière d'État de droit ? La condition initiale est l'indépendance de la justice, c'est-à-dire, la garantie que la justice s'exerce de façon impartiale lorsque des recours de l'Union ou de citoyens sont déposés par rapport à l'usage des fonds européens ou d'autres détournements économiques.
Au cours de notre mission, nous avons rencontré un député du parti d'extrême-droite Jobbik qui expliquait que les antisémites avaient été exclus de leur parti, et qu'il était favorable au Parquet européen. Cela peut surprendre, venant d'un parti nationaliste, mais le Parquet européen est pour eux la seule manière de se débarrasser du régime actuel en ce qu'il institue un contrôle extérieur. La situation est donc étonnante : l'extrême-droite s'associe aux sociaux-démocrates et aux libéraux pour présenter des candidatures uniques face au régime, un peu selon la méthode Alexeï Navalny en Russie, qui consiste à faire front contre le régime en place, dans la diversité.