Intervention de Philippe Léglise-Costa

Commission des affaires européennes — Réunion du 17 avril 2020 à 11h00
Institutions européennes — Audition de M. Philippe Léglise-costa représentant permanent de la france auprès de l'union européenne par téléconférence

Philippe Léglise-Costa, représentant permanent de la France auprès de l'Union européenne :

Monsieur le président, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, merci de me donner l'occasion d'échanger avec vous sur des sujets qui nous occupent depuis plusieurs mois.

L'ambiance générale à Bruxelles est très particulière. Les modalités de travail ont dû être adaptées aux circonstances. Un très grand nombre de collègues et d'agents au sein des institutions européennes sont désormais en situation de télétravail.

Les réunions physiques essentielles à notre fonctionnement, en particulier au Conseil européen, ne peuvent plus avoir lieu. Seuls les représentants permanents se réunissent encore pour négocier et assurer la cohérence des préparations et du suivi des décisions. Ceci nous amène à nous réunir encore plus souvent, tout en essayant de mobiliser les équipes en télétravail au sein de la représentation permanente, elle-même soumise à un rythme intense.

Nous avons dû réorganiser profondément les dossiers. L'essentiel de nos travaux est désormais consacré à la crise, à ses conséquences et aux moyens de gérer l'urgence et ses suites. Nous traitons ce qui ne peut être repoussé du fait des échéances ou des priorités, et nous assurons que certaines décisions sont prises malgré tout.

Cette ambiance de travail est particulière, mais l'esprit de mobilisation et de solidarité demeure pour que l'Europe, dans la mesure du possible, puisse jouer son rôle.

Votre première question concernait l'alerte de M. Delors et d'autres grandes personnalités. Elles ont évidemment raison, et le Président de la République l'a souligné avec force : l'enjeu, aujourd'hui, c'est l'avenir du projet européen. Le choc est considérable en termes politiques. Il faut surmonter les difficultés et le défi que cela représente dans l'espace européen en matière de solidarité. Nous faisons tout ce qui est en notre pouvoir pour que l'Europe puisse se relever. Les questions qui se discutent entre les chefs d'État ou de gouvernement sont majeures. Chacun voit bien que les institutions européennes peuvent, si elles sont mobilisées, surmonter une série de chocs économiques et matériels tenant à l'organisation des pays ou à la gestion des frontières, mais aujourd'hui, le choc auquel elles sont confrontées est fondamentalement politique.

S'agissant de la stratégie de sortie de crise et de la manière de l'organiser pour éviter la désorganisation, vous avez sans doute relevé qu'au début de la propagation de l'épidémie, les décisions avaient été prises au niveau national. Depuis début mars, les institutions ont compris l'enjeu, et les chefs d'État ou de gouvernement ont, le 10 mars, à l'initiative du Président de la République, fixé le cadre d'ensemble et la nécessité politique d'une action européenne. Beaucoup a été fait depuis : près de soixante textes ont été mis en place, certains majeurs, politiques, économiques, d'autres très techniques. Ils permettent aux États d'agir et aux populations de recevoir un soutien européen.

Comment gérer les mesures de déconfinement qui commencent à être anticipées ? C'est très délicat. La Commission européenne a prévu un cadre qui a fait l'objet de consultations. Il comporte des principes, des moyens, des critères, et un certain nombre de mesures concrètes. Dans l'ensemble, ceci devrait a priori permettre de trouver des solutions.

Toutefois, la situation est très complexe, car les mesures, même si elles sont comparables, seront désynchronisées, en partie du fait des stades variés de l'épidémie dans les différents États. Cela suppose, aux frontières, d'anticiper et de mettre en place des mesures de coordination pour les activités transfrontalières, les chaînes d'approvisionnement, le déplacement des personnes.

Ces principes paraissent adaptés, de notre point de vue. Il faut maintenir un confinement strict jusqu'à ce que la situation épidémiologique et les capacités des systèmes de santé permettent d'envisager un déconfinement, mettre en place des moyens destinés à assurer le suivi, disposer d'une capacité de tests et d'équipements de protection puis, au fur et à mesure, des traitements qui permettront de faire face à la situation de manière durable.

Enfin, la sortie du confinement devrait partout être graduelle, et réversible en cas de reprise de la pandémie. Elle devrait également prendre en compte les différentes catégories de personnes concernées, notamment les plus fragiles et les plus âgées, les différents types d'activités économiques, la spécificité des grands rassemblements et des manifestations sportives, en s'assurant qu'il existe une coordination.

Le cadre a été bien posé en ce qui concerne les principes et les critères. Nous allons nous assurer, la semaine prochaine, lors d'une réunion, que nous disposons des bonnes structures d'information et de coordination, que nous tirerons toutes les leçons de ce qui s'est passé de la fin février à mi-mars, et qu'il existe surtout derrière tout cela une volonté politique. Une visioconférence entre les chefs d'État ou de gouvernement aura lieu le 23 avril. On y évoquera sans doute le plan de relance, mais on devra également valider l'engagement politique de tous les États.

S'agissant du plan de relance, vous l'avez dit, un premier jeu de décisions et de mesures a été élaboré par les ministres des finances à la demande des chefs d'État ou de gouvernement. Ceci s'ajoute aux mesures prises pour faire face à l'immédiat, notamment les initiatives de la Banque centrale européenne (BCE) pour assurer la stabilité financière et garantir que les banques soient en mesure de jouer tout leur rôle.

Trois mesures ont déjà été entérinées mais, pour nous, ce plan de relance comportera quatre outils. Le premier concerne les États - MES - le deuxième les entreprises - BEI - en particulier les PME, le troisième les enjeux sociaux et les travailleurs - SURE - et le dernier, qui figure dans les conclusions de l'Eurogroupe, l'ensemble du pôle économique.

Le premier outil a trait à la mobilisation du mécanisme européen de stabilité, qui se fera exceptionnellement sans conditionnalités supplémentaires et sera ouvert à tous les États, contrairement à ce qui s'était passé lors de la crise financière. Aucune faiblesse n'est pointée d'avance. Il s'agira de couvrir les coûts liés à la crise sanitaire, directs et indirects, ce qui laisse une marge d'interprétation et permet d'envisager des financements adaptés aux enjeux auxquels les États font face. On ne sait si certains États vont la solliciter, mais cette ligne constitue une mesure de précaution. Ceci est très important pour la BCE qui a besoin de la solidarité des États en complément de sa propre action, ainsi que vis-à-vis des marchés financiers.

Le deuxième instrument qui concerne les entreprises a été proposé par la BEI et vient s'ajouter à ce qu'elle avait déjà mis en place à hauteur de 40 milliards d'euros. Il s'agit d'un instrument supplémentaire, qui permettra d'aider les entreprises et les PME jusqu'à 200 milliards d'euros, grâce à une garantie de 25 milliards d'euros fournie par les États. C'est un instrument très important pour assurer la liquidité et le soutien aux PME.

Le troisième instrument, qu'on appelle SURE, proposé par la Commission européenne, permet des prêts aux États à des conditions très favorables grâce à un emprunt de la Commission sur les marchés. Il s'agit d'accorder un soutien au dispositif d'accompagnement au chômage partiel mis en place dans beaucoup d'États, dont la France, et ainsi d'alléger la charge budgétaire afférente. Politiquement, il est également important de montrer que l'Union européenne est prête à accompagner les États pour que les emplois et les entreprises puisque redémarrer.

Le quatrième outil, un fonds de relance, est acté comme tel, mais n'est pas encore défini dans ses modalités. Il a fait l'objet d'une mobilisation très forte de la France, et de tous pays les plus frappés par l'épidémie, comme l'Italie, l'Espagne, la Belgique, le Luxembourg ou certains pays de l'est. Les chefs d'État ou de gouvernement sont déjà convenus que le plan de relance devrait être coordonné par des investissements sans précédent et reposer sur la solidarité.

C'est sur cet enjeu de solidarité que la discussion doit encore porter. Nous proposons que ce fonds soit financé par une capacité d'emprunt collective, mutualisée, aux meilleures conditions et dans la durée. Ce serait un outil puissant, destiné à éviter que la relance ne se fasse de manière inéquitable. On comprend en effet que les tensions politiques et économiques pourraient créer un grand décalage en matière de relance sur le marché intérieur ou de niveaux de dettes. C'est donc une proposition à la fois politique et économique pour s'assurer que l'Union européenne sortira de la crise avec plus de cohésion économique.

Certains pays comme les Pays-Bas ou l'Allemagne émettent toutefois de fortes réserves sur le degré de mutualisation. Nous devons donc y travailler encore. La Commission européenne, pour sa part, soutient cette ambition en termes de moyens et de solidarité. Elle réfléchit à intégrer un tel outil dans la refonte du cadre financier pluriannuel qu'elle prépare pour la fin du mois.

Nous avons identifié un certain nombre d'objectifs pour ces investissements. Ils sont destinés à permettre la reprise et la relance économique, à tirer toutes les leçons de la crise et aussi à réfléchir à une stratégie industrielle afin d'apporter plus d'autonomie à l'économie européenne, ainsi qu'un soutien aux secteurs particulièrement affectés pour renouer avec les grands objectifs de l'Union européenne que sont la transition verte et la transformation numérique.

Ainsi que je l'ai dit, le débat entre les chefs d'État ou de gouvernement sur ce quatrième outil aura lieu le 23 avril prochain.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion