Commission des affaires européennes

Réunion du 17 avril 2020 à 11h00

Résumé de la réunion

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La réunion

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Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

Merci beaucoup, monsieur l'ambassadeur, d'avoir accepté d'être auditionné par la commission des affaires européennes du Sénat en direct de Bruxelles. La téléconférence est devenue notre mode de travail essentiel. Nous sommes une bonne quinzaine à vous écouter. Cette modalité de travail est un peu paradoxale pour le service que vous dirigez, dont la raison d'être est d'être physiquement au coeur des institutions et des négociations.

Vous poursuivez malgré tout votre mission de défense des positions françaises, particulièrement décisive aujourd'hui pour s'accorder à vingt-sept sur une réponse commune à la crise sanitaire qui frappe l'Europe tout entière - et même la planète.

Après des réflexes nationaux de repli sur eux-mêmes, les États membres semblent avoir pris la mesure de leur interdépendance et ont progressivement convergé pour construire avec les institutions européennes une réponse plus cohérente. Ce mouvement reste fragile et limité. Jacques Delors est sorti de sa réserve, ce qui est assez rare, pour alerter sur le risque mortel que l'attitude des chefs d'État ou de gouvernement fait peser sur le projet européen. Partagez-vous ce sentiment ?

Au Sénat, nous avons bien conscience que l'Union européenne est appelée à une refondation à l'issue de cette crise. L'heure est aux mesures d'urgence, et la commission des affaires européennes du Sénat assure un suivi régulier de cette réaction au Covid-19 à la fois en matière de santé publique et de soutien à l'économie, laquelle est éprouvée par le confinement qui s'est imposé pour enrayer l'épidémie.

Nous percevons à nouveau la résurgence d'une tentation du chacun pour soi dans les pays dont la situation sanitaire permet de lever le confinement. La Commission européenne vient de publier une feuille de route pour tenter de tracer une stratégie coordonnée dans ce domaine. Cela suffira-il à éviter la dispersion ?

Par ailleurs, alors que l'économie européenne traverse la plus grande dépression qu'elle ait connue depuis un siècle et que l'enjeu d'une reprise rapide et forte apparaît comme vital, comment appréhendez-vous l'évolution des positions du Conseil européen concernant la possible création d'un fonds commun pour financer la reprise économique ?

Nous avons observé avec beaucoup d'attention la première phase de la mobilisation d'environ 500 milliards d'euros au travers de trois leviers : mécanisme dénommé SURE, Banque Européenne d'Investissement et Mécanisme Européen de Stabilité. Nous attendons avec impatience un fonds de relance ou de rebond.

Enfin, percevez-vous un risque d'atteinte aux libertés publiques avec les nouvelles solutions techniques envisagées pour accompagner la levée du confinement ?

Monsieur l'ambassadeur, vous avez la parole.

Debut de section - Permalien
Philippe Léglise-Costa, représentant permanent de la France auprès de l'Union européenne

Monsieur le président, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, merci de me donner l'occasion d'échanger avec vous sur des sujets qui nous occupent depuis plusieurs mois.

L'ambiance générale à Bruxelles est très particulière. Les modalités de travail ont dû être adaptées aux circonstances. Un très grand nombre de collègues et d'agents au sein des institutions européennes sont désormais en situation de télétravail.

Les réunions physiques essentielles à notre fonctionnement, en particulier au Conseil européen, ne peuvent plus avoir lieu. Seuls les représentants permanents se réunissent encore pour négocier et assurer la cohérence des préparations et du suivi des décisions. Ceci nous amène à nous réunir encore plus souvent, tout en essayant de mobiliser les équipes en télétravail au sein de la représentation permanente, elle-même soumise à un rythme intense.

Nous avons dû réorganiser profondément les dossiers. L'essentiel de nos travaux est désormais consacré à la crise, à ses conséquences et aux moyens de gérer l'urgence et ses suites. Nous traitons ce qui ne peut être repoussé du fait des échéances ou des priorités, et nous assurons que certaines décisions sont prises malgré tout.

Cette ambiance de travail est particulière, mais l'esprit de mobilisation et de solidarité demeure pour que l'Europe, dans la mesure du possible, puisse jouer son rôle.

Votre première question concernait l'alerte de M. Delors et d'autres grandes personnalités. Elles ont évidemment raison, et le Président de la République l'a souligné avec force : l'enjeu, aujourd'hui, c'est l'avenir du projet européen. Le choc est considérable en termes politiques. Il faut surmonter les difficultés et le défi que cela représente dans l'espace européen en matière de solidarité. Nous faisons tout ce qui est en notre pouvoir pour que l'Europe puisse se relever. Les questions qui se discutent entre les chefs d'État ou de gouvernement sont majeures. Chacun voit bien que les institutions européennes peuvent, si elles sont mobilisées, surmonter une série de chocs économiques et matériels tenant à l'organisation des pays ou à la gestion des frontières, mais aujourd'hui, le choc auquel elles sont confrontées est fondamentalement politique.

S'agissant de la stratégie de sortie de crise et de la manière de l'organiser pour éviter la désorganisation, vous avez sans doute relevé qu'au début de la propagation de l'épidémie, les décisions avaient été prises au niveau national. Depuis début mars, les institutions ont compris l'enjeu, et les chefs d'État ou de gouvernement ont, le 10 mars, à l'initiative du Président de la République, fixé le cadre d'ensemble et la nécessité politique d'une action européenne. Beaucoup a été fait depuis : près de soixante textes ont été mis en place, certains majeurs, politiques, économiques, d'autres très techniques. Ils permettent aux États d'agir et aux populations de recevoir un soutien européen.

Comment gérer les mesures de déconfinement qui commencent à être anticipées ? C'est très délicat. La Commission européenne a prévu un cadre qui a fait l'objet de consultations. Il comporte des principes, des moyens, des critères, et un certain nombre de mesures concrètes. Dans l'ensemble, ceci devrait a priori permettre de trouver des solutions.

Toutefois, la situation est très complexe, car les mesures, même si elles sont comparables, seront désynchronisées, en partie du fait des stades variés de l'épidémie dans les différents États. Cela suppose, aux frontières, d'anticiper et de mettre en place des mesures de coordination pour les activités transfrontalières, les chaînes d'approvisionnement, le déplacement des personnes.

Ces principes paraissent adaptés, de notre point de vue. Il faut maintenir un confinement strict jusqu'à ce que la situation épidémiologique et les capacités des systèmes de santé permettent d'envisager un déconfinement, mettre en place des moyens destinés à assurer le suivi, disposer d'une capacité de tests et d'équipements de protection puis, au fur et à mesure, des traitements qui permettront de faire face à la situation de manière durable.

Enfin, la sortie du confinement devrait partout être graduelle, et réversible en cas de reprise de la pandémie. Elle devrait également prendre en compte les différentes catégories de personnes concernées, notamment les plus fragiles et les plus âgées, les différents types d'activités économiques, la spécificité des grands rassemblements et des manifestations sportives, en s'assurant qu'il existe une coordination.

Le cadre a été bien posé en ce qui concerne les principes et les critères. Nous allons nous assurer, la semaine prochaine, lors d'une réunion, que nous disposons des bonnes structures d'information et de coordination, que nous tirerons toutes les leçons de ce qui s'est passé de la fin février à mi-mars, et qu'il existe surtout derrière tout cela une volonté politique. Une visioconférence entre les chefs d'État ou de gouvernement aura lieu le 23 avril. On y évoquera sans doute le plan de relance, mais on devra également valider l'engagement politique de tous les États.

S'agissant du plan de relance, vous l'avez dit, un premier jeu de décisions et de mesures a été élaboré par les ministres des finances à la demande des chefs d'État ou de gouvernement. Ceci s'ajoute aux mesures prises pour faire face à l'immédiat, notamment les initiatives de la Banque centrale européenne (BCE) pour assurer la stabilité financière et garantir que les banques soient en mesure de jouer tout leur rôle.

Trois mesures ont déjà été entérinées mais, pour nous, ce plan de relance comportera quatre outils. Le premier concerne les États - MES - le deuxième les entreprises - BEI - en particulier les PME, le troisième les enjeux sociaux et les travailleurs - SURE - et le dernier, qui figure dans les conclusions de l'Eurogroupe, l'ensemble du pôle économique.

Le premier outil a trait à la mobilisation du mécanisme européen de stabilité, qui se fera exceptionnellement sans conditionnalités supplémentaires et sera ouvert à tous les États, contrairement à ce qui s'était passé lors de la crise financière. Aucune faiblesse n'est pointée d'avance. Il s'agira de couvrir les coûts liés à la crise sanitaire, directs et indirects, ce qui laisse une marge d'interprétation et permet d'envisager des financements adaptés aux enjeux auxquels les États font face. On ne sait si certains États vont la solliciter, mais cette ligne constitue une mesure de précaution. Ceci est très important pour la BCE qui a besoin de la solidarité des États en complément de sa propre action, ainsi que vis-à-vis des marchés financiers.

Le deuxième instrument qui concerne les entreprises a été proposé par la BEI et vient s'ajouter à ce qu'elle avait déjà mis en place à hauteur de 40 milliards d'euros. Il s'agit d'un instrument supplémentaire, qui permettra d'aider les entreprises et les PME jusqu'à 200 milliards d'euros, grâce à une garantie de 25 milliards d'euros fournie par les États. C'est un instrument très important pour assurer la liquidité et le soutien aux PME.

Le troisième instrument, qu'on appelle SURE, proposé par la Commission européenne, permet des prêts aux États à des conditions très favorables grâce à un emprunt de la Commission sur les marchés. Il s'agit d'accorder un soutien au dispositif d'accompagnement au chômage partiel mis en place dans beaucoup d'États, dont la France, et ainsi d'alléger la charge budgétaire afférente. Politiquement, il est également important de montrer que l'Union européenne est prête à accompagner les États pour que les emplois et les entreprises puisque redémarrer.

Le quatrième outil, un fonds de relance, est acté comme tel, mais n'est pas encore défini dans ses modalités. Il a fait l'objet d'une mobilisation très forte de la France, et de tous pays les plus frappés par l'épidémie, comme l'Italie, l'Espagne, la Belgique, le Luxembourg ou certains pays de l'est. Les chefs d'État ou de gouvernement sont déjà convenus que le plan de relance devrait être coordonné par des investissements sans précédent et reposer sur la solidarité.

C'est sur cet enjeu de solidarité que la discussion doit encore porter. Nous proposons que ce fonds soit financé par une capacité d'emprunt collective, mutualisée, aux meilleures conditions et dans la durée. Ce serait un outil puissant, destiné à éviter que la relance ne se fasse de manière inéquitable. On comprend en effet que les tensions politiques et économiques pourraient créer un grand décalage en matière de relance sur le marché intérieur ou de niveaux de dettes. C'est donc une proposition à la fois politique et économique pour s'assurer que l'Union européenne sortira de la crise avec plus de cohésion économique.

Certains pays comme les Pays-Bas ou l'Allemagne émettent toutefois de fortes réserves sur le degré de mutualisation. Nous devons donc y travailler encore. La Commission européenne, pour sa part, soutient cette ambition en termes de moyens et de solidarité. Elle réfléchit à intégrer un tel outil dans la refonte du cadre financier pluriannuel qu'elle prépare pour la fin du mois.

Nous avons identifié un certain nombre d'objectifs pour ces investissements. Ils sont destinés à permettre la reprise et la relance économique, à tirer toutes les leçons de la crise et aussi à réfléchir à une stratégie industrielle afin d'apporter plus d'autonomie à l'économie européenne, ainsi qu'un soutien aux secteurs particulièrement affectés pour renouer avec les grands objectifs de l'Union européenne que sont la transition verte et la transformation numérique.

Ainsi que je l'ai dit, le débat entre les chefs d'État ou de gouvernement sur ce quatrième outil aura lieu le 23 avril prochain.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

Concernant le marché unique, n'avez-vous pas le sentiment qu'on s'oriente, compte tenu de la réactivation de certaines frontières intérieures, vers une distinction en matière de liberté de circulation entre les biens et les personnes ?

Debut de section - Permalien
Philippe Léglise-Costa, représentant permanent de la France auprès de l'Union européenne

Toute mesure trop stricte ou désordonnée aux frontières crée immédiatement des difficultés sur les chaînes d'approvisionnement, avec des files de camions à certaines frontières et un risque pour les biens essentiels, alimentaires ou médicaux.

On s'est immédiatement rendu compte qu'il était illusoire, même en période de crise majeure, de penser que chaque État puisse se refermer sur son marché intérieur, les chaînes d'approvisionnement étant totalement intégrées. Ceci suppose toutefois de prendre certaines mesures. C'est pourquoi la Commission européenne a proposé de mettre en place des voies vertes aux frontières afin de s'assurer, même en cas de contrôle sanitaire ou de contrôle d'identité, que les marchandises essentielles puissent traverser de manière fluide. C'est aujourd'hui ce qui se passe.

Cela a été l'occasion de constater la très grande mobilité des Européens entre les États membres. Quand il a fallu mettre en place des contrôles spécifiques, beaucoup ont souhaité rentrer dans leur pays par crainte du confinement.

À cela s'est ajouté, au moment où on a fermé les frontières extérieures de Schengen et de l'Union européenne, le fait qu'on a rapatrié des centaines de milliers d'Européens qui se trouvaient à l'étranger, qui atterrissaient souvent dans un autre État membre que leur État de résidence. Il fallait donc aussi leur permettre de circuler.

Aujourd'hui, les choses se sont organisées pour les marchandises et les personnes. Nous sommes parvenus, grâce au travail de la Commission européenne, à mettre en place à chaque frontière des mesures de coordination transfrontalières qui permettent d'assurer que les travailleurs frontaliers puissent continuer à exercer leur métier et que les professions médicales, les transporteurs, les pompiers, activités essentielles, puissent circuler.

Si on a l'impression qu'il existe une distinction entre la circulation des biens et des personnes, c'est parce que l'immense majorité des Européens vit aujourd'hui confinée. La circulation des personnes n'existe plus au sein des États. Il n'est pas évident de pouvoir faire coexister des mesures facilitant le transport des marchandises et des mesures très strictes concernant la circulation des personnes.

Nous manquons de moyens pour gérer ce type de crise. Il faudra pouvoir l'anticiper, parce qu'il y aura malheureusement sûrement d'autres crises de différentes natures. On l'a vu lors de la crise migratoire, après les attentats terroristes... La Commission européenne, qui y réfléchit déjà, proposera de tirer les leçons de la crise en matière de circulation des personnes et de prévoir des mesures de coopération et de coordination aux frontières permettant de réintroduire des contrôles adaptés, sans remettre en cause l'ensemble des principes.

La dernière leçon, s'agissant de Schengen, réside dans le fait que le caractère opérationnel de nos frontières extérieures est évident. On le voyait déjà auparavant. Nous avons des moyens de contrôles, des bases de données et d'autres outils qui sont ceux d'une frontière extérieure classique. La décision simultanée, à notre initiative, de mettre en place des interdictions d'entrée sur le territoire à toutes les frontières extérieures de l'Union européenne pour tous les ressortissants des pays tiers résidant en Europe est exceptionnelle. Nous ne l'avions jamais fait et nous ne savions pas si c'était possible. Cela s'est fait sous l'empire d'une crise énorme, mais cela montre à tous qu'il existe une frontière extérieure et qu'elle est capable de nous protéger. C'est une leçon qu'il faudra tirer lorsqu'on réfléchira à l'avenir de Schengen.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Rapin

Monsieur l'ambassadeur, je m'inquiète d'un potentiel rebond de l'épidémie. Même si l'on constate quelques signes d'amélioration qui nous permettent d'envisager le bout du tunnel, on voit néanmoins certains foyers repartir, comme en Autriche ou en Chine, où sont intervenues des tentatives de déconfinement.

L'Union européenne prévoit-elle de réagir plus fortement et plus rapidement dans cette hypothèse afin de permettre une meilleure garantie sanitaire et sécuritaire ?

Debut de section - PermalienPhoto de André Reichardt

Monsieur l'ambassadeur, s'agissant de la sortie du confinement, qui n'est pas à l'ordre du jour en France, permettez au sénateur alsacien que je suis de vous faire part de mon inquiétude concernant les zones transfrontalières.

L'Alsace se préoccupe naturellement de ce qui se passe en Allemagne, qui va progressivement sortir du confinement. Une vraie structure de coordination est nécessaire à cet égard.

Par ailleurs, j'aurais aimé que le compromis de l'Eurogroupe soit plus clair en ce qui concerne la question des assurances. Cela ne peut se régler que par une réflexion à l'échelon européen.

Enfin, en tant que président du groupe interparlementaire d'amitié France-Afrique de l'ouest au Sénat, je m'inquiète énormément de la situation sanitaire en Afrique, compte tenu des remontées qui me sont faites. Le partenariat entre l'Union européenne et l'Afrique est faible. Quelle est la position adoptée par la France pour renforcer le plus vite possible - avec force chloroquine - l'intervention de l'Union européenne sur ce continent, notamment afin d'éviter que les futurs migrants ne soient porteurs du coronavirus ?

Debut de section - PermalienPhoto de André Gattolin

Monsieur l'ambassadeur, il conviendrait de mettre en place une structure européenne permanente dotée de réels moyens concernant les infections émergentes. Il existe en France une structure coordonnée par l'INSERM, « REACTing », qui ne travaille pas seulement en réaction aux grandes pandémies, mais qui vise à assurer la coordination entre laboratoires français de recherche. Son budget est notoirement insuffisant. Une telle structure est-elle à l'étude à l'échelon européen?

Par ailleurs, un grand nombre de parlementaires, certains ici présents, ont signé un appel demandant à l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) de collaborer davantage avec Taiwan, dans des termes qui n'accusaient pas la Chine. Nous avons fait l'objet d'attaques d'une violence inouïes, totalement infondées, de la part de l'ambassadeur de Chine à Paris. Le ministre de l'Europe et des affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, a réagi. Le Président de la République, hier encore, rappelait ses doutes sur la communication des autorités chinoises. Quelle est aujourd'hui la situation dans les autres pays d'Europe ? Existe-t-il un consensus vis-à-vis de l'information très discutable en provenance de Chine, quand elle n'est pas extrêmement agressive ?

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Marie

Monsieur l'ambassadeur, mes questions porteront sur le plan de relance que nous souhaitons tous, véritable plan Marshall pour l'Europe.

Tout d'abord, les discussions engagées sur le fonds de relance proposé par la France et quelques autres pays doivent conduire à mutualiser l'emprunt et le remboursement de ces fonds. Au-delà, envisagez-vous la possibilité d'un relèvement du plafond des ressources de l'Union européenne dans le cadre des discussions sur son budget pluriannuel ? La France est-elle prête à remettre en discussion la question de ressources propres supplémentaires pour l'Union européenne ?

Par ailleurs, s'agissant du contenu du plan Marshall, un certain nombre de pays membres ont expliqué que la priorité n'était plus nécessairement celle du Green Deal. Plusieurs chantiers en faveur de la biodiversité, d'une agriculture plus écologique ou contre la déforestation ont été retardés. On entend dire que l'exécutif européen pourrait repousser la date à laquelle il doit proposer de nouveaux objectifs de réduction du CO2.

La France compte-t-elle s'en émouvoir lors du Conseil européen du 23 avril prochain ?

Debut de section - PermalienPhoto de Benoît Huré

Monsieur l'ambassadeur, n'est-il pas temps, en vue d'autres catastrophes sanitaires ou écologiques auxquelles on pourrait être confrontés, de réactiver l'idée d'un centre de management de crise européen, que portait Michel Barnier quand il exerçait des responsabilités européennes dans ce domaine ?

Ma deuxième question ira dans le sens de celle posée par mon prédécesseur. Ne peut-on effectuer une relance effective autour des programmes du Green Deal ? Certaines choses ne peuvent attendre et il existe des investissements verts porteurs d'emplois.

Debut de section - Permalien
Philippe Léglise-Costa, représentant permanent de la France auprès de l'Union européenne

Le rebond de l'épidémie, Monsieur Rapin, est un sujet qui préoccupe les institutions européennes. Nous y travaillons.

La Commission européenne, dans sa feuille de route, envisage ce risque à différents niveaux, le premier par la définition de la gradualité de l'approche de la date de sortie du confinement, avec des délais suffisants entre chaque étape, de manière à vérifier l'absence d'accélération au regard de l'épidémie.

En deuxième lieu, il faut s'assurer que l'analyse épidémiologique, les capacités des systèmes de santé et les moyens disponibles en termes de protection de la population sont bien réunis pour procéder à chaque nouvelle étape de déconfinement.

Enfin, la Commission européenne estime, en cas de résurgence de l'épidémie, qu'il conviendrait de prévoir la réversibilité des mesures de déconfinement.

Malheureusement, l'épidémie se répand dans le reste du monde, ce qui a déjà amené les États membres à prolonger l'interdiction d'entrée sur le territoire des personnes en provenance des pays tiers d'un mois, jusqu'au 15 mai. Il est probable que cette interdiction soit prolongée, de manière à éviter tout rebond, comme on le voit en Chine aujourd'hui.

Monsieur Reichardt, concernant la sortie du confinement et les enjeux transfrontaliers, nous avons plaidé en faveur de dispositifs de coordination et d'échanges d'informations spécifiques, ce que la Commission européenne a pris en compte. Nous savons par avance que les mesures nationales ne seront pas toutes synchronisées. Il vaut mieux l'anticiper et s'assurer qu'il y aura bien coordination sur tous les sujets : travail transfrontalier, approvisionnement de l'autre côté de la frontière....

Nous avons deux types de réunions plusieurs fois par semaine, d'une part avec le Comité des représentants permanents (COREPER), qui instruit les dossiers de manière classique, et d'autre part avec les mêmes, mais dans le format différent du mécanisme de réactions aux crises (IPCR), que nous avons activé le 2 mars pour régler les questions urgentes.

La Commission européenne a mis en place sa propre task force pour gérer les questions matérielles et pratiques, ainsi que les enjeux qui remontent des États et des régions dans la réponse à la crise. C'est dans ce cadre que nous essaierons d'avoir une coordination d'ensemble.

Enfin, nous avons mis en place une task force entre la France et l'Allemagne pour pouvoir anticiper des décalages en termes de déconfinement.

S'agissant de l'Eurogroupe, un échange a eu lieu hier entre les ministres des finances, qui se sont réunis en vue du Conseil européen. Nous n'en sommes qu'au début, mais votre remarque concernant les assurances est clairement prise en compte.

Enfin, pour ce qui est de l'Afrique, nous avons demandé à la Commission européenne de mettre en place une initiative globale pour prendre en compte le développement de la pandémie dans des pays vulnérables, qui risquent de faire face à des défis encore plus graves qu'en Europe étant donné la faiblesse de l'État, les difficultés que connaissent les structures sanitaires ou les conflits en cours. La Commission européenne et la BEI ont débloqué 15,6 milliards d'euros, en essayant d'apporter une réponse très rapide à ces pays.

Le ministre de l'Europe et des affaires étrangères, dans une visioconférence, a soutenu avec force la priorité africaine, pour des raisons évidentes au regard des vulnérabilités d'un très grand nombre de pays africains et de leur proximité avec l'Europe.

La Commission européenne a identifié quatre enjeux.

Le premier est un enjeu humanitaire. Nous travaillons à l'acheminement très rapide d'une aide humanitaire vers les pays africains.

Le deuxième enjeu est sanitaire et porte à la fois sur les structures et la fourniture d'équipements médicaux, de médicaments ou de personnels soignants.

Le troisième enjeu est économique. Une grande partie de l'économie de ces pays est informelle. Certaines personnes risquent par ailleurs de ne pas accepter les mesures de confinement parce qu'elles ne seront plus en mesure d'assurer la survie de leur foyer.

Le dernier enjeu est politique et concerne la sécurité dans différentes régions d'Afrique, en particulier au Sahel ou en Libye.

L'Europe - et la France au premier chef - agit aussi au niveau international et au G20 en faveur d'un moratoire sur les dettes et d'un déblocage de droits de tirage spéciaux du FMI.

Une dernière action a enfin été engagée par la Commission européenne et de grands partenaires afin d'avancer ensemble en termes de recherches de traitements, de vaccin et de tests au niveau mondial. La Commission européenne a annoncé que cette conférence internationale, qui rassemblera les principales puissances mondiales et les acteurs comme l'OMS, l'Alliance globale pour les vaccins et l'immunisation (GAVI), la fondation Gates, aurait lieu le 4 mai prochain par visioconférence. Nous essayons donc d'ordonner l'action internationale et multilatérale, et de mobiliser des moyens, avec l'Afrique comme priorité.

Monsieur Gattolin, la recherche fait partie des cinq axes que les chefs d'État ou de gouvernement ont retenus pour ordonner l'action européenne dans cette période de crise. C'est l'une des grandes priorités. Nous réfléchissons, au-delà de l'initiative internationale dont je viens de parler, à coordonner les moyens européens de façon à être mieux préparés. Ceci vaut pour les vaccins, les tests, la collecte de données, les traitements.

Nous avons pu débloquer en quelques semaines près de 284 millions d'euros sur le budget européen en faveur de la recherche appliquée, de la recherche fondamentale, de la coopération avec l'industrie et du soutien à des entreprises européennes ayant la capacité de développer des vaccins ou des traitements.

Le Parlement européen, en particulier Mme Trillet-Lenoir, a porté ce sujet à Bruxelles dans une résolution sur la réponse à la crise. Il est proposé de mettre en place un fonds pour lutter contre le coronavirus prenant en charge le soutien à la recherche.

J'ai pris bonne note de votre observation s'agissant de ce que fait l'INSERM en France.

Debut de section - PermalienPhoto de André Gattolin

Les 280 millions d'euros émanent-ils du budget européen, sans apport des États ou des entreprises privées ?

Debut de section - Permalien
Philippe Léglise-Costa, représentant permanent de la France auprès de l'Union européenne

Sur 280 millions d'euros, 45 millions d'euros proviennent d'entreprises privées, qui interviennent dans le domaine du médicament innovant, dans le cadre d'un partenariat entre les autorités publiques et les entreprises.

Nous avons par ailleurs contribué, avec la BEI, au soutien d'entreprises comme la société allemande dont les États-Unis semblent avoir cherché à s'approprier le projet de vaccin.

Enfin, entre 60 millions d'euros et 100 millions d'euros pourront être apportés à la Coalition pour les innovations en préparation aux épidémies (CEPI).

S'agissant du cadre financier pluriannuel, étant en fin de programmation, nous faisons avec les moyens dont nous disposons. Il faudra, dans le cadre du programme Horizon Europe, réfléchir à ce que nous pourrons consacrer à la recherche, en particulier concernant les pandémies.

La préoccupation concernant la Chine prévalait déjà avant la crise. Elle est encore plus aiguë à présent. Les masques tombent - sans jeu de mots. Les Chinois se révèlent très agressifs alors même, comme l'a dit hier le Président de la République dans une interview au Financial Times, que nous ne savons pas tout de ce qui s'est passé là-bas. Nous observons aussi la mise en scène autour des livraisons chinoises de matériels et de masques en Europe, dans les Balkans et en Afrique.

Les intuitions européennes fonctionnent sur le droit. Elles n'agissent pas sur le même terrain, mais elles sont de moins en moins naïves et se dotent de certains outils. Deux axes ont été définis par les ministres des affaires étrangères en début de mois, puis validés par les chefs d'État ou de gouvernement.

Le premier axe concerne la lutte contre la désinformation, criminelle s'agissant d'enjeux sanitaires. Nous avons mis en place un système d'alerte rapide qui réunit la Commission européenne et les renseignements extérieurs des États membres pour échanger des informations, vérifier les faits et réagir de manière ordonnée. Nous fondons bien évidemment nos réactions sur l'alerte, la dénonciation ou des mesures de retrait quand la propagation des informations devient sérieuse, et veillons à rétablir les faits sur des données scientifiques et objectives s'agissant de la pandémie.

Le second axe est celui de la communication afin que l'Europe qui, dans le monde, est le premier donateur, le premier investisseur, le premier fournisseur d'aide humanitaire, soit plus visible et que la vérité soit rétablie dans l'opinion publique.

Ce travail est engagé. Ce n'est pas naturel pour les institutions européennes, qui agissent généralement de manière plus discrète, mais qui prennent conscience que ce n'est plus possible étant donné l'approche d'autres puissances.

Monsieur Marie, s'agissant du plan de relance, le président de l'Eurogroupe a indiqué hier qu'il existait deux options. Le ministre de l'économie et des finances, Bruno Lemaire, a proposé de mettre en place, avec les autres gouvernements, un fonds sur la base d'un remboursement mutualisé permettant d'offrir des conditions de financement très favorables.

Les fonds pourraient aussi être prélevés sur le budget européen. Nous sommes prêts à examiner toute option qui apporterait les mêmes résultats. La Commission européenne y réfléchit.

Les moyens disponibles comprennent le budget européen - mais on a vu la difficulté à relever le niveau des dépenses et les ressources provenant des États. Pour ce qui est de la période 2014-2020, le niveau des dépenses est fixé à 1 % du PIB européen, et le niveau des ressources qui peuvent être appelées à 1,2 %. Cet écart est utilisable pour que la Commission européenne puisse emprunter avec la garantie des États, puis prêter.

L'idée serait de relever significativement le plafond des ressources propres. La Commission européenne réfléchit à la manière d'élargir cet écart pour pouvoir emprunter de manière massive.

Cela pose toutefois beaucoup de questions juridiques, politiques et techniques.

Non seulement il n'y a pas encore d'accord, mais l'intégrer dans le budget européen pose encore d'autres questions. Il faut reconnaître que cette solution serait néanmoins la plus simple. C'est à la Commission européenne d'en démontrer la faisabilité. Ce sera l'enjeu de la visioconférence des chefs d'État ou de gouvernement de la semaine prochaine avant la proposition annoncée à la fin du mois.

S'agissant des ressources propres supplémentaires, nous avons suspendu la négociation du cadre financier pluriannuel en février, lors d'un Conseil européen extraordinaire des chefs d'État ou de gouvernement qui, sans aboutir, avait cependant permis d'avancer. On a vu comment trouver un compromis, mais deux points restent épineux.

Le premier, c'est la volonté des Pays-Bas, du Danemark, de la Suède, de l'Autriche et de l'Allemagne de conserver des rabais après 2020, alors que ceux-ci tombent en principe, le rabais britannique étant appelé à disparaître. Cela fait néanmoins augmenter leur contribution nette.

Le deuxième, c'est justement celui de l'introduction de ressources propres nouvelles. Le Président de la République, lors du Conseil européen, a insisté sur cet impératif. Nous avons en effet besoin de moyens supplémentaires. La capacité des États a des limites, et il faut bien trouver d'autres sources.

Nous avons proposé d'utiliser la ressource ETS, le système d'échange de permis d'émissions négociables en matière climatique, qui est un cadre européen aujourd'hui redistribué entre les États.

Il en existe d'autres. Ce peut être la taxe sur les services numériques ou le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières. La Commission européenne a proposé d'autres moyens, mais cette discussion a été suspendue face à l'opposition de certains pays de l'est et de l'Allemagne. Il faudra la reprendre dans le cadre politique renouvelé dans lequel nous sommes. Cela nous paraît aujourd'hui plus indispensable encore qu'en février.

Quant au plan Marshall et au verdissement, le Conseil européen a adopté des conclusions d'ensemble le 26 mars. Elles ont été estompées par le débat qui s'engageait sur le fonds de relance et la mutualisation des dettes. Il n'en reste pas moins qu'elles sont importantes.

Elles définissent les objectifs du plan de relance et les investissements massifs qui doivent l'accompagner. Ces objectifs concernent la reprise économique et l'emploi, notamment dans les secteurs les plus affectés, les leçons à tirer de la crise en matière de relocalisations industrielles et de garanties d'approvisionnement et la cohérence à retrouver autour du Green Deal et de la transformation numérique.

Le Premier ministre tchèque a estimé que la crise économique dans laquelle nous allons entrer nécessite de repousser le Pacte vert aux calendes grecques. Ce n'est pas l'avis de la majorité des chefs d'État ou de gouvernement.

La ministre Élisabeth Borne et un certain nombre de ses collègues ont signé une déclaration pour soutenir cette nécessité. Il faudra la réintégrer dans une stratégie économique différente, préciser les calendriers, les réglementations et les investissements afin de retrouver les trajectoires prévues, que ce soit en termes de lutte contre le changement climatique, de biodiversité ou d'économie circulaire.

Il est bien dans l'intention de la Commission européenne de le proposer dans les prochaines semaines. Le Parlement européen l'a répété, et la présidente de la Commission européenne l'a dit elle-même hier à la télévision française.

Monsieur Huré, concernant le centre de gestion de crise européen, on retrouve, certaines des idées portées par Michel Barnier il y a un certain temps dans le mécanisme de protection civile qui avait fait l'objet d'une proposition de sa part, dans le contexte des feux de forêt, et qui fonctionne maintenant à plein régime pour aider à rapatrier des Européens bloqués dans des pays tiers. Des centaines de vols sont organisés et financés à 75 % grâce à ce mécanisme. Ce mécanisme est également utilisé par la Commission européenne pour acquérir des stocks stratégiques d'équipements médicaux, voire de médicaments. C'est un des outils les plus utiles dans ce domaine.

Les chefs d'État ou de gouvernement nous ont demandé de réfléchir à ces mécanismes de crise et à la façon dont on peut les doter des moyens de réactivité et de coordination suffisants pour une prochaine fois. Nous avons commencé à y travailler. Nous ne partons pas de rien. Un certain nombre d'outils existent, comme le mécanisme européen de protection civile.

La Commission européenne dispose de son propre outil de coordination, le Centre de coordination de la réaction d'urgence (ERCC). Le Conseil européen bénéficie de l'IPCR, que j'ai déjà évoqué. L'enjeu est de consolider voire de fusionner certaines structures, de les doter de moyens et de les préparer.

Le Parlement européen joue le rôle d'aiguillon à ce sujet. Je pense que des propositions seront faites dans les prochaines semaines.

Debut de section - PermalienPhoto de Gisèle Jourda

Monsieur l'ambassadeur, je souhaiterais savoir quelle réponse sera apportée aux demandes des vignerons qui ont été touchés par la crise sanitaire. Ils ont subi d'énormes pertes du fait de la mise en place des droits à l'importation aux États-Unis et des droits de douane imposés par la Chine. L'écoulement des stocks n'ayant pu se faire, la crise que nous subissons a un impact dramatique sur la situation des exploitations.

Les vignerons privés, le secteur de la coopération et les syndicats réclament la mise en place de mesures exceptionnelles, portées par notre ministre de l'agriculture, et surtout l'activation des articles 219 et 222 du règlement relatif à l'organisation commune des marchés agricoles du 17 décembre 2013.

La profession demande aussi d'un commun accord le stockage des vins excédentaires. A-t-on bon espoir de voir ces demandes aboutir au niveau européen ? Plusieurs pays européens formulent la même demande et sont solidaires, comme l'Italie, l'Espagne, l'Allemagne, l'Autriche, la Hongrie et la Slovénie.

La situation de toutes les régions viticoles est critique, non seulement en Occitanie, mais également en Alsace.

Debut de section - Permalien
Philippe Léglise-Costa, représentant permanent de la France auprès de l'Union européenne

Madame la sénatrice, parmi tous les sujets économiques, l'agriculture est l'une des grandes priorités, non seulement parce que la situation est très grave dans certaines productions, mais aussi parce que c'est une responsabilité directe de l'Union européenne.

Nous avons mobilisé les États membres pour faire pression sur la Commission européenne et l'alerter sur ces situations très graves. Vous avez mentionné le secteur viticole, mais d'autres filières, comme le lait, la viande, les fruits et légumes ou l'horticulture connaissent de sérieuses difficultés. Elles touchent la France, mais aussi d'autres États membres. Vous avez mentionné l'Italie ou la Slovénie pour la filière viticole. Nous avons également mobilisé l'Autriche, le Portugal et l'Espagne.

La crise de la production laitière touche également beaucoup d'États. Aux Pays-Bas, c'est le secteur horticole qui est concerné, en Irlande, la filière bovine.

Nous avons donc voulu mobiliser les États membres collectivement et sommes parvenus à rassembler hier les Vingt-Sept autour d'une même position pour augmenter la pression sur la Commission européenne. Il faut reconnaître que si la Commission européenne est allée assez vite pour mettre en place des mesures d'allégement des charges administratives en faveur des agriculteurs - même si nous pensons qu'il faut faire plus -, elle est très réticente s'agissant des mesures de marché, ce qui nous paraît inacceptable.

Elle est rétive pour plusieurs raisons. Vous avez suivi d'autres crises. On avait eu beaucoup de mal, il y a trois ou quatre ans, à mobiliser la Commission européenne pour qu'elle prenne des mesures concernant le marché du lait. Il existe en quelque sorte une réticence doctrinale, mais aussi budgétaire, même si on peut encore dégager des moyens.

Il existe aussi une réticence politique. Nous travaillons à toutes les surmonter, mais cela demande du temps.

Le Président de la République est intervenu auprès de la présidente de la Commission européenne. Le ministre de l'agriculture est mobilisé sur tous les fronts. Il s'est encore entretenu avec le commissaire polonais il y a quelques jours. Nous demandons à la Commission européenne de prendre un certain nombre de mesures très concrètes pour mobiliser les instruments dont vous avez parlé, qui peuvent être du stockage privé, des mesures de retrait, de compensation ou de coordination.

S'agissant de la filière viticole, nous avons demandé la mise en place d'un dispositif de distillation de crise.

Debut de section - PermalienPhoto de Gisèle Jourda

Pour nous, le dispositif de distillation constitue l'outil majeur. Toutes les caves sont pleines. C'est une urgence, car la récolte se profile.

Debut de section - PermalienPhoto de Benoît Huré

Le dogmatisme de la Commission européenne va peut-être fléchir face à la nécessité de rendre certaines productions souveraines. On l'a vu pour les masques. On peut le voir demain pour l'alimentation. Or, cela passe par un système de stockage. C'est vieux comme le monde !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

Je voudrais revenir sur la problématique agricole et le verrou idéologique de la gestion de crise, notamment sur le fameux article 222 de l'OCM unique, sur lequel avait travaillé Michel Dantin, ancien député européen, concernant la possibilité des ententes.

La commission des affaires européennes du Sénat déposera une proposition de résolution européenne à ce sujet dès que les circonstances lui permettront de le faire dans le respect du Règlement du Sénat, mais elle entend sans attendre adresser un avis politique aux institutions européennes.

Pour les crises qui s'annoncent, en matière alimentaire, j'imagine mal, comme l'a dit Benoît Huré, qu'on limite la production pour « maintenir les prix ». Même s'il n'est pas question de revenir à la politique des années 1960, avec des montagnes de lait, de beurre ou de viande, une politique encadrée destinée au stockage constituerait humainement et économiquement une bonne réponse. Je me permets d'insister à nouveau sur ce point.

Enfin, l'état d'esprit des États membres et des institutions européennes a-t-il fondamentalement changé en ce qui concerne le projet de cadre financier pluriannuel ? En d'autres termes, en restera-t-on à un budget européen limité à 1,074 % du PIB, dans la proposition annoncée pour les semaines qui viennent ?

Debut de section - Permalien
Philippe Léglise-Costa, représentant permanent de la France auprès de l'Union européenne

S'agissant de la remarque de M. Huré, il faut reconnaître, sans chercher à être complaisant, que la Commission européenne a remarquablement évolué.

Elle va en effet très au-delà de son habitude sous l'effet de la crise, y compris par rapport à ses doctrines fondamentales. En matière de médicaments ou d'équipements de protection, elle a ainsi admis des dérogations aux règles de concurrence et a accepté des ententes et des coopérations entre entreprises pharmaceutiques ou autres.

Ce qu'elle a fait en matière d'aides d'État est exceptionnel. Certes, toutes les évolutions ne sont pas synchronisées mais, malgré tout, c'est une autre Commission européenne qui voit le jour. Deux versions se présentent dorénavant, une version que portent certains Allemands, qui considèrent que cette crise est une parenthèse, et une autre, qui est la nôtre, selon laquelle on ne reviendra pas à la normale et qu'il faut adapter l'Europe car le monde a changé. On le verra sur le budget et sur d'autres sujets. Ce sera l'un des éléments de la discussion politique des prochains mois.

J'aimerais revenir sur l'aspect doctrinal. J'ai moi-même été critique sur la manière dont le commissaire à l'agriculture a résisté face aux outils d'intervention, mais la politique d'ensemble de la Commission européenne n'est plus celle-là. Il y a là un verrou qui est en train de sauter.

Ma deuxième remarque ne porte pas seulement sur l'alimentation et l'agriculture, mais vaut de manière générale. Comment faire pour s'assurer que l'Europe a la maîtrise de certains biens essentiels - alimentaires, médicaux ou autres ? Il faut pour cela combiner un certain nombre d'outils. L'outil central consiste à retrouver des capacités de production en Europe.

Thierry Breton est extrêmement actif sur ce sujet. Il rencontre les industriels et travaille avec eux pour s'assurer qu'ils sont capables de reprendre des productions ou de reconvertir certaines lignes. Il faudra faire figurer tous les outils nécessaires dans le plan de relance, y préciser les règles et la manière de financer les investissements pour que l'Europe retrouve la maîtrise de ses biens essentiels.

Cet objectif figurait déjà dans le programme de la Commission européenne, mais très centré sur les technologies avancées - défense, intelligence artificielle, 5G. Aujourd'hui, on voit qu'il faut revenir à l'essentiel et garantir la souveraineté de manière beaucoup plus large. Le Président de la République est très investi sur ce sujet.

Je reviens sur les questions agricoles, pour remarquer que la Commission européenne a agi de manière réactive concernant la pêche et accepté des mesures de stockage.

Vous avez, concernant l'article 222 de l'OCM, rappelé le rôle joué par Michel Dantin. La France avait également apporté sa contribution à l'époque. Il faudra voir, à l'avenir, s'il faut renforcer la PAC et faciliter la mobilisation de cet instrument.

Le projet de cadre financier pluriannuel, monsieur le président, a connu plusieurs versions. Nous sommes aujourd'hui dans une phase de réflexion et de concertation avec la Commission européenne et le président du Conseil européen, Charles Michel.

La présidente de la Commission européenne voudrait que le cadre financier pluriannuel soit adapté dès mai ou juin de façon à ce qu'il entre en vigueur dans les temps, ce qui implique de régler les difficultés restées en suspens fin février et revoir profondément ce budget pour qu'il soit adapté à la relance et à l'après-crise.

La Commission européenne propose de regrouper les négociations dans un cadre intégré qui serait adopté dans les prochaines semaines. C'est très ambitieux. Ce serait la meilleure solution. Il faut savoir si cela recueillera l'accord de tous.

On peut aussi prévoir, comme le suggère le Parlement européen, de fonctionner avec des budgets annuels en dehors du nouveau cadre financier. C'est possible. Le cadre financier n'est pas indispensable. Il avait été inventé à l'époque par Jacques Delors pour permettre une prévisibilité en matière de cohésion, mais les règles permettent de fonctionner avec des budgets annuels. C'est toutefois plus incertain. Cela pose des questions de reprogrammation, de prolongation des instruments existants. La règle veut, dans ce cas, que les plafonds atteints en 2020 constituent les plafonds de dépenses en 2021.

Par ailleurs, les rabais disparaîtraient s'agissant des recettes. Ceci avait été prévu en 2013, lorsqu'on avait adopté le cadre actuel. Il y aurait donc une négociation à mener avec les pays qui en sont actuellement bénéficiaires.

Cette possibilité permettrait à l'Union européenne de fonctionner et de tirer des leçons de la relance sans nouveau cadre financier pluriannuel. Elle peut se combiner avec notre idée d'un fonds de relance qui viendrait en complément.