Intervention de Philippe Léglise-Costa

Commission des affaires européennes — Réunion du 17 avril 2020 à 11h00
Institutions européennes — Audition de M. Philippe Léglise-costa représentant permanent de la france auprès de l'union européenne par téléconférence

Philippe Léglise-Costa, représentant permanent de la France auprès de l'Union européenne :

S'agissant de la remarque de M. Huré, il faut reconnaître, sans chercher à être complaisant, que la Commission européenne a remarquablement évolué.

Elle va en effet très au-delà de son habitude sous l'effet de la crise, y compris par rapport à ses doctrines fondamentales. En matière de médicaments ou d'équipements de protection, elle a ainsi admis des dérogations aux règles de concurrence et a accepté des ententes et des coopérations entre entreprises pharmaceutiques ou autres.

Ce qu'elle a fait en matière d'aides d'État est exceptionnel. Certes, toutes les évolutions ne sont pas synchronisées mais, malgré tout, c'est une autre Commission européenne qui voit le jour. Deux versions se présentent dorénavant, une version que portent certains Allemands, qui considèrent que cette crise est une parenthèse, et une autre, qui est la nôtre, selon laquelle on ne reviendra pas à la normale et qu'il faut adapter l'Europe car le monde a changé. On le verra sur le budget et sur d'autres sujets. Ce sera l'un des éléments de la discussion politique des prochains mois.

J'aimerais revenir sur l'aspect doctrinal. J'ai moi-même été critique sur la manière dont le commissaire à l'agriculture a résisté face aux outils d'intervention, mais la politique d'ensemble de la Commission européenne n'est plus celle-là. Il y a là un verrou qui est en train de sauter.

Ma deuxième remarque ne porte pas seulement sur l'alimentation et l'agriculture, mais vaut de manière générale. Comment faire pour s'assurer que l'Europe a la maîtrise de certains biens essentiels - alimentaires, médicaux ou autres ? Il faut pour cela combiner un certain nombre d'outils. L'outil central consiste à retrouver des capacités de production en Europe.

Thierry Breton est extrêmement actif sur ce sujet. Il rencontre les industriels et travaille avec eux pour s'assurer qu'ils sont capables de reprendre des productions ou de reconvertir certaines lignes. Il faudra faire figurer tous les outils nécessaires dans le plan de relance, y préciser les règles et la manière de financer les investissements pour que l'Europe retrouve la maîtrise de ses biens essentiels.

Cet objectif figurait déjà dans le programme de la Commission européenne, mais très centré sur les technologies avancées - défense, intelligence artificielle, 5G. Aujourd'hui, on voit qu'il faut revenir à l'essentiel et garantir la souveraineté de manière beaucoup plus large. Le Président de la République est très investi sur ce sujet.

Je reviens sur les questions agricoles, pour remarquer que la Commission européenne a agi de manière réactive concernant la pêche et accepté des mesures de stockage.

Vous avez, concernant l'article 222 de l'OCM, rappelé le rôle joué par Michel Dantin. La France avait également apporté sa contribution à l'époque. Il faudra voir, à l'avenir, s'il faut renforcer la PAC et faciliter la mobilisation de cet instrument.

Le projet de cadre financier pluriannuel, monsieur le président, a connu plusieurs versions. Nous sommes aujourd'hui dans une phase de réflexion et de concertation avec la Commission européenne et le président du Conseil européen, Charles Michel.

La présidente de la Commission européenne voudrait que le cadre financier pluriannuel soit adapté dès mai ou juin de façon à ce qu'il entre en vigueur dans les temps, ce qui implique de régler les difficultés restées en suspens fin février et revoir profondément ce budget pour qu'il soit adapté à la relance et à l'après-crise.

La Commission européenne propose de regrouper les négociations dans un cadre intégré qui serait adopté dans les prochaines semaines. C'est très ambitieux. Ce serait la meilleure solution. Il faut savoir si cela recueillera l'accord de tous.

On peut aussi prévoir, comme le suggère le Parlement européen, de fonctionner avec des budgets annuels en dehors du nouveau cadre financier. C'est possible. Le cadre financier n'est pas indispensable. Il avait été inventé à l'époque par Jacques Delors pour permettre une prévisibilité en matière de cohésion, mais les règles permettent de fonctionner avec des budgets annuels. C'est toutefois plus incertain. Cela pose des questions de reprogrammation, de prolongation des instruments existants. La règle veut, dans ce cas, que les plafonds atteints en 2020 constituent les plafonds de dépenses en 2021.

Par ailleurs, les rabais disparaîtraient s'agissant des recettes. Ceci avait été prévu en 2013, lorsqu'on avait adopté le cadre actuel. Il y aurait donc une négociation à mener avec les pays qui en sont actuellement bénéficiaires.

Cette possibilité permettrait à l'Union européenne de fonctionner et de tirer des leçons de la relance sans nouveau cadre financier pluriannuel. Elle peut se combiner avec notre idée d'un fonds de relance qui viendrait en complément.

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