Intervention de Jean-Yves Leconte

Commission des affaires européennes — Réunion du 25 janvier 2022 à 16h30
Environnement et développement durable — Énergie climat transports - paquet « ajustement à l'objectif 55 » - communication

Photo de Jean-Yves LeconteJean-Yves Leconte, rapporteur :

Nous terminons la présentation de ce paquet en évoquant les deux boucliers prévus, à savoir le fonds social pour le climat et le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières.

Le nouveau fonds social pour le climat, dont la création est directement corrélée au projet d'extension du marché carbone aux secteurs du bâtiment et des transports routiers, a pour objectif, selon la Commission européenne, « d'atténuer les incidences sociales et distributives sur les plus vulnérables » de ce projet.

Alimenté par 25 % des recettes résultant de cette extension, il devrait représenter un volume de dépenses de 23,7 milliards d'euros de 2025 à 2027, puis de 48,5 milliards de 2028 à 2032.

Le fonds disposerait en particulier de mesures de soutien aux ménages vulnérables, aux microentreprises vulnérables et aux usagers vulnérables des transports et pourrait couvrir des aides directes temporaires au revenu.

Pour cela, en reprenant une formule éprouvée dans le cadre de la Facilité pour la reprise et la résilience, les États membres devraient présenter des plans sociaux pour le climat assortis de mécanismes de reporting très lourds, mais aussi contribuer à hauteur de 50 % au financement du coût total estimé de leurs plans nationaux.

La création de ce fonds pose des questions de principe sur l'articulation entre l'action des États membres et celle de l'Union, sur le mécanisme de reporting, mais aussi sur la clé de répartition des droits entre États membres.

Enfin, je dirai quelques mots du mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, que le Sénat avait appelé de ses voeux et qui devrait être pleinement opérationnel en 2026, après une phase transitoire expérimentale d'ici 2025. Le Parlement européen pourrait vouloir aller plus vite.

Directement lié au système d'échanges de quotas d'émissions mais aussi à la proposition de décision sur les ressources propres, il apparaît comme un outil indispensable pour prévenir le risque de fuite de carbone et faire en sorte que les nouvelles ambitions climatiques de l'Union ne pénalisent pas les entreprises européennes.

A ce stade, cinq secteurs particulièrement émetteurs et exposés seraient couverts par ce mécanisme qui doit être conçu pour être conforme aux règles de l'Organisation mondiale du commerce (OMC).

On sait que les appétences des États membres vis-à-vis de ce dispositif sont diverses, l'Allemagne étant particulièrement attentive aux mesures de rétorsion commerciale potentielles.

La mise en place de ce dispositif doit s'accompagner d'une suppression progressive des allocations de quotas gratuits d'émission. C'est intellectuellement cohérent mais il faut veiller à ce que cette suppression progressive s'effectue à un rythme compatible avec la situation des entreprises européennes.

Des questions se posent également sur le champ d'application du mécanisme, le Parlement européen envisage par exemple d'y inclure le secteur de la chimie. Mais le point qui me paraît le plus important politiquement est celui des failles qui ont déjà été identifiées. En effet, le mécanisme, conçu pour assurer une neutralité au sein de l'Union, pourrait pénaliser les entreprises européennes exportatrices, dès lors qu'elles ne bénéficieraient plus de l'allocation de quotas gratuits. C'est un point majeur car il serait évidemment absurde que le système pénalise nos exportations ou conduise à créer des filiales extérieures à l'Union pour contourner ces difficultés.

Voici résumés quelques points saillants de ce paquet particulièrement complexe du fait de son caractère transversal et de l'interdépendance des textes, mais aussi particulièrement lourd en termes d'impact sur la vie quotidienne des citoyens européens et des entreprises. Au-delà des enjeux techniques, il nous paraît essentiel d'avoir une approche politique de ce paquet et de bien mesurer ce qui est politiquement acceptable et ce qui ne l'est pas.

Des divergences parfois majeures d'appréciation existent par rapport à la proposition de la Commission européenne, qui utilise indéniablement ce paquet comme un outil d'accroissement de ses capacités d'action. Ce paquet s'inscrit également dans des réflexions budgétaires plus larges, tant concernant les marges de manoeuvre des États membres pour faire face au coût de la transition écologique que concernant la dimension de l'action de l'Union.

Il faut bien voir également que ce paquet implique une transformation majeure de notre vie économique, et que les questions qu'il pose vont bien au-delà de celle des ressources budgétaires : il y a, en réalité, un défi technique et technologique majeur, pour que la transition se réalise et qu'elle voit naître des outils que nous devons être en mesure de fabriquer, et c'est pourquoi nous ne devons pas nous fermer les portes à l'innovation, mais conserver la palette la plus large possible. Le paquet pose aussi un défi massif de financement, en particulier pour les dépenses contraintes de logement et de transports, mais aussi pour des organisations actuelles, par exemple le logement social.

Nous devons aussi bien mesurer l'incidence de nos décisions sur les émissions globales de carbone. Ainsi, nos productions ont beaucoup progressé pour réduire leur empreinte carbone. C'est ce qui rend la taxe carbone aux frontières de l'Union particulièrement importante. Mais nous n'avons pas la même position sur ce sujet que l'Allemagne, parce que nos voisins ont bien plus que nous besoin d'importer des produits pour fabriquer d'autres produits qu'ils exportent, et je ne parle pas que de l'automobile.

Il faut également parvenir à ce que l'exemple européen contribue à modifier certaines règles au sein de l'OMC. Les plus grands émetteurs de gaz à effet de serre n'ont pas un calendrier aussi serré que le nôtre pour atteindre la neutralité carbone : la Chine se positionne sur 2060, l'Inde sur 2070 - comment faire pour que les mesures que nous prenons servent aux autres, et que notre exemplarité soit en quelque sorte motrice, en particulier auprès de nos voisins qui aspirent à plus d'intégration avec l'Europe - je pense par exemple à la Turquie ?

Enfin, il est très important de pas mettre tout l'argent disponible sur les sujets techniques, car il faut prévoir un accompagnement fort pour que la société s'adapte, les enjeux sociaux sont cruciaux.

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