Le Sénat est saisi d'un ensemble de textes européens que l'on désigne comme le paquet « Ajustement à l'objectif 55 » : il s'agit d'une dizaine de textes présentés par la Commission européenne, le 14 juillet 2021, pour mettre en oeuvre la « loi européenne sur le climat ». Ce paquet sera l'un des axes importants de la présidence française du Conseil de l'Union européenne qui vient de s'ouvrir pour six mois.
Les textes qui seront finalement adoptés au niveau européen auront des conséquences majeures pour nos entreprises et nos concitoyens. C'est pourquoi il est essentiel que le Sénat fasse connaître sa position sur ces propositions de la Commission européenne dont l'examen a débuté au Conseil des ministres de l'Union européenne et parallèlement au Parlement européen. Ces négociations vont s'accélérer durant ce semestre où la France préside ce Conseil : pour pouvoir peser sur ces négociations, le Sénat doit rapidement adopter une résolution européenne portant sur le contenu de ce paquet, au risque sinon d'arriver après la bataille.
La résolution européenne indiquera au Gouvernement les orientations politiques auxquelles tient le Sénat et signalera les points durs à tenir au long de la négociation des textes proposés par la Commission ; cette négociation va, d'abord, se faire entre les Vingt-Sept au sein du Conseil, puis, une fois l'accord politique trouvé au Conseil et les positions du Parlement européen connues, entre le Conseil et le Parlement européens, dans le cadre des trilogues. La suspension des travaux parlementaires fin février resserre encore la contrainte de calendrier.
Le paquet de textes « Ajustement à l'objectif 55 », que j'appellerai par commodité « Paquet 55 », est construit d'une manière qui appelle le Sénat à se positionner sur l'ensemble des textes qu'il contient, car ils présentent entre eux des interactions - et c'est leur conjonction qui doit permettre à l'Union européenne de se conformer à ses objectifs climatiques : réduire d'ici 2030 les émissions nettes de gaz à effet de serre d'au moins 55 % par rapport à 1990 et atteindre la neutralité climatique d'ici 2050. Le Conseil lui-même refuse de scinder la négociation qui est donc prévue sur l'ensemble du paquet, même si ce dernier touche à divers sujets : énergie, transports, logement, utilisation des terres, qui ressortent de plusieurs de nos commissions permanentes. Nous l'avons bien mesuré, la semaine dernière, en commission des affaires européennes, en entendant nos deux rapporteurs, Marta de Cidrac et Jean-Yves Leconte, présenter l'architecture d'ensemble du paquet. Notre commission des affaires européennes avait déjà entrepris de se pencher sur le sujet. C'est pourquoi j'ai proposé à Sophie Primas et à Jean-François Longeot, respectivement présidente de la commission des affaires économiques et président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, une méthode de travail qui nous conduit à tenir cette réunion conjointe entre nos deux commissions, comme se tiendra demain une réunion commune entre la commission des affaires européennes et la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable.
L'objectif est de permettre à ces deux commissions, par la voie du binôme de rapporteurs qu'elle a désignés, de faire valoir au mieux les points de vue en présence, dans un cadre temporel contraint à la fois par le calendrier européen et par les élections nationales qui nous empêchent d'envisager un débat en séance publique sur ce sujet pourtant majeur.
Je vous propose aujourd'hui d'entendre les rapporteurs de la commission des affaires européennes exposer le schéma d'ensemble du « paquet 55 » et ses enjeux, avant que nos commissions en débattent. Après cette réunion, les rapporteurs des trois commissions vont poursuivre ensemble leurs travaux ; l'objectif est qu'ils parviennent à élaborer de concert une proposition de résolution européenne qui serait présentée lors d'une réunion conjointe de ces trois commissions le jeudi 24 février et deviendrait ensuite résolution européenne du Sénat.
Cette démarche concertée devrait nous permettre de faire valoir une position sénatoriale unique et lisible dans des délais appropriés, pour peser efficacement dans les négociations à Bruxelles.
Alors que la France vient de prendre la présidence du Conseil de l'Union européenne, l'actualité européenne est très riche dans le domaine de l'énergie.
Des négociations importantes se poursuivent sur la « taxonomie verte », pour laquelle le Sénat a adopté, en décembre dernier, une résolution en faveur de l'inclusion de l'énergie nucléaire, à l'initiative de ses commissions des affaires économiques et des affaires européennes.
Je souhaite sincèrement que le Gouvernement parvienne à infléchir le projet d'acte délégué présenté par la Commission européenne : en effet, le statut transitoire proposé n'est pas du tout satisfaisant. L'énergie nucléaire devrait être assimilée à une activité durable, car ses émissions de gaz à effet de serre sont minimes et son impact environnemental maîtrisé, comme l'a estimé le rapport du Centre commun de recherche (CRC) de la Commission européenne. L'énergie nucléaire ne devrait pas être mise sur le même plan que le gaz naturel, car ses émissions sont soixante-dix fois inférieures, selon l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe).
Le Gouvernement doit réagir, rapidement et fortement, car l'énergie nucléaire est indispensable pour atteindre la neutralité carbone à l'horizon 2050. Sans une « taxonomie verte » infléchie, il est illusoire d'espérer réaliser le paquet « Ajustement à l'objectif 55 ». Pour atteindre des objectifs climatiques ambitieux, il faut se donner les moyens énergétiques suffisants. Sans énergie nucléaire, point de salut pour le climat...
Nos collègues Daniel Gremillet et Dominique Estrosi Sasonne suivent, en tant que rapporteurs pour la commission des affaires économiques, le volet « Énergie » de ce paquet - les huit textes de ce volet, qui vont des énergies renouvelables à la performance et à l'efficacité énergétiques, en passant par les biocarburants et l'hydrogène, sans oublier la fiscalité énergétique : ils vous présenteront leurs premiers éléments de constat après les rapporteurs de la commission des affaires européennes.
La Commission européenne a présenté, le 14 juillet dernier, ce paquet « Ajustement à l'objectif 55 », pour mettre en oeuvre la « loi européenne sur le climat ».
Cet élément phare du pacte vert s'inscrit en cohérence avec les objectifs de l'Accord de Paris de 2015 : il impose d'atteindre la neutralité climatique à l'horizon 2050 et, dans ce but, rehausse de 40 % à 55 % l'objectif de réduction nette des émissions domestiques de gaz à effet de serre d'ici 2030 par rapport à 1990. Ce point a donné lieu à de nombreux débats avec certains États membres, notamment la Pologne. Le règlement affirme également la volonté de l'Union d'augmenter les absorptions de gaz à effet de serre par les puits de carbone.
L'impact budgétaire, économique et social de cette inflexion est majeur, la Commission européenne évoquant une « transformation radicale ». Lors de la réunion des Présidents de la Conférence des organes spécialisés dans les affaires de l'Union des Parlements nationaux de l'Union européenne (Cosac) qui s'est tenue au Sénat, le 14 janvier dernier, la présidente de la Banque centrale européenne (BCE), Christine Lagarde, a relevé l'importance du plan de relance européen pour financer la transition écologique mais a aussi pointé l'ampleur des besoins complémentaires. Elle a ainsi estimé que « la transition écologique demandera[it] des investissements supplémentaires de 520 milliards d'euros par an d'ici à 2030 ».
Sur un autre plan et à un échelon national, l'Institut de l'économie pour le climat met en avant l'écart entre les dépenses de l'État en faveur du climat au cours des dernières années et celles qui devraient être déployées pour atteindre les nouveaux objectifs : la marche est considérable, d'autant que la mise en concrète du pacte vert et de la loi européenne sur le climat implique de trouver de nouveaux équilibres et de prendre garde à accompagner la transition économique, sociale et territoriale.
Aussi, avant d'entrer dans le détail de ce paquet, je voudrais relever quelques problématiques transversales ou critères d'analyse ayant une importance politique.
Le paquet tel qu'il est conçu devrait conduire à renchérir les prix de l'énergie, dans un contexte où ces prix flambent déjà. Se pose clairement une question d'acceptabilité sociale de la transition écologique et de choix des outils, à la fois pour atteindre les objectifs et accompagner les mutations nécessaires. Le président de la commission de l'environnement du Parlement européen, M. Pascal Canfin, agite lui-même le spectre de l'apparition de « gilets jaunes » à l'échelle de l'Union.
Deuxième sujet : comment donner les bons signaux à l'industrie tout en tenant compte de ses capacités d'innovation et en préservant la compétitivité des entreprises de l'Union européenne vis-à-vis des entreprises étrangères ? C'est notamment l'enjeu du mécanisme d'ajustement carbone aux frontières.
Troisième sujet : comment finance-t-on le besoin massif d'investissements ? Quelle doit être la part des investissements publics et privés ? Cette question est en suspens et renvoie à des éléments qui ne figurent pas en tant que tels dans ce paquet, comme le débat sur l'éventuelle adaptation du pacte de stabilité et de croissance pour donner aux États membres des marges de manoeuvre budgétaires supplémentaires, comme la taxonomie ou encore la réglementation financière. Nous avons eu un échange très intéressant avec le fonds Amundi concernant la finance verte et l'intégration par les investisseurs et les entreprises des enjeux climatiques.
Ces différentes questions nous conduisent à poser celle du mix pertinent d'outils : comment combiner de manière efficace objectifs, réglementation, mécanismes de marché, dépenses budgétaires ou fiscales ? Cela nous conduit également à nous interroger sur les curseurs pertinents sur le niveau de solidarité entre les États membres, mais aussi sur l'articulation entre l'action qui doit être menée par les États membres et celle qui doit relever de l'Union européenne.
Ces enjeux sont importants du point de vue des principes et de la capacité opérationnelle à mener à bien les négociations de ce paquet qui implique des transitions particulièrement importantes dans l'Est de l'Europe. Or, les tensions en cours relatives au lien entre État de droit et fonds européens pourraient provoquer un raidissement de certains États membres, voire percuter directement ces négociations.
Le paquet comprend treize révisions législatives et nouvelles initiatives interdépendantes ainsi qu'une stratégie sur la forêt.
Il comprend trois pièces maîtresses qui donnent le cadre général :
- la révision du système d'échange de quotas d'émission (SEQE) de l'UE, y compris son extension au transport maritime, la révision des règles relatives aux émissions de l'aviation et la mise en place d'un système distinct d'échange de quotas d'émission pour le transport routier et les bâtiments ;
- la révision du règlement sur la répartition de l'effort en ce qui concerne les objectifs de réduction des émissions des États membres dans les secteurs ne relevant pas du SEQE de l'UE, même si le paquet introduit des zones de recouvrement pour le transport et les bâtiments ;
- la révision du règlement relatif à la prise en compte des émissions et des absorptions de gaz à effet de serre résultant de l'utilisation des terres, du changement d'affectation des terres et de la foresterie (UTCATF).
Ces trois textes ont déjà été révisés en 2018 : il y a donc des antécédents de négociations. Deux textes totalement nouveaux apparaissent comme des « boucliers » destinés à protéger les ménages et les acteurs économiques européens du choc induit par ce paquet. Il s'agit du mécanisme d'ajustement carbone aux frontières et du fonds social pour le climat.
Les autres textes sont plus ciblés et apparaissent comme des déclinaisons sectorielles pour atteindre les objectifs assignés par les trois règlements posant le cadre. Je ne les cite pas pour ne pas être trop long.
La difficulté de ce paquet réside dans l'interconnexion des textes : si l'on modifie un curseur dans l'un, il faut procéder à des ajustements dans d'autres pour atteindre l'objectif global de réduction des émissions de gaz à effet de serre.
Cette interdépendance interne au paquet se double de ramifications externes. Un seul exemple : les ressources liées à l'extension du champ du système d'échange de quotas d'émissions et au mécanisme d'ajustement carbone aux frontières font partie des nouvelles ressources propres proposées par la Commission. Si l'on remet en cause ces éléments, il faudra également en tenir compte sur le volet ressources propres et en tirer les conséquences sur le remboursement de la dette liée au plan de relance européen.
Cette interdépendance des textes et le caractère transversal du paquet rendent particulièrement complexe la conduite des négociations, qui ont pris un peu de retard au départ. L'objectif de la présidence française est de poursuivre les négociations pour parvenir à des orientations du Conseil en fin de semestre. Le Parlement européen, après avoir tâtonné dans son organisation interne, a également pour objectif d'adopter ses positions d'ici l'été. Les négociations ne s'achèveront donc pas sous présidence française mais risquent d'avancer durant la suspension de nos travaux parlementaires. Si les objectifs sont tenus, la phase de trilogues devrait débuter sous présidence tchèque du Conseil.
Je voudrais maintenant évoquer plus particulièrement quelques enjeux spécifiques à certains textes, en commençant par l'extension proposée du marché carbone.
La Commission européenne s'appuie notamment sur les bons résultats enregistrés par le système d'échanges de quotas d'émission de l'Union, qui aurait permis d'atteindre des résultats plus élevés que ceux prévus, sans toutefois être en capacité de répondre en l'état à la nouvelle ambition climatique de l'Union.
Le transport maritime serait inclus dans le champ du marché à compter de 2023, avec une restitution progressive des quotas gratuits d'ici 2026.
Surtout, le marché serait étendu aux secteurs du transport routier et du bâtiment à compter de 2026, avec une période de test de démarrage en 2025.
Ces deux secteurs, qui représentent un volume important d'émissions, relèvent jusqu'à présent exclusivement du règlement sur la répartition de l'effort. Compte tenu du grand nombre d'émetteurs, c'est la mise à disposition de combustibles destinés aux secteurs du bâtiment et du transport routier qui serait réglementée par le nouveau cadre.
La Commission européenne propose d'utiliser une partie des recettes générées par l'extension du mécanisme de marché de quotas aux secteurs du bâtiment et du transport routier pour alimenter un nouveau fonds social pour le climat qui serait doté de 72,2 milliards d'euros sur la période 2025-2032, allant donc au-delà de l'actuel cadre financier pluriannuel.
Cette proposition de réforme est loin d'être consensuelle. La France a très clairement exprimé des réserves, tout comme le président de la commission de l'industrie, de la recherche et de l'énergie du Parlement européen, que nous avons auditionné. M. Pascal Canfin qui considère que la Commission a commis une « erreur majeure », va dans le même sens puisqu'il a proposé la semaine dernière que « le nouveau marché carbone ne concerne que les entreprises, à travers leurs bâtiments commerciaux, et les poids lourds ».
Il précise qu'il faudra alors « diminuer le fonds social en conséquence. À un moment où l'on se bat contre la hausse du prix de l'énergie, étendre le marché carbone au chauffage serait difficilement explicable. Le coût politique de l'extension du marché du carbone, comme le conçoit la Commission, serait majeur, mais l'impact climatique serait très faible parce que l'immense majorité des déplacements de particuliers sont contraints, notamment dans les territoires où il n'existe pas d'alternatives à la voiture individuelle ».
C'est donc un sujet important de débat, qui repose la question de l'accompagnement de la transition, notamment pour les États de l'Est : une réduction du fonds social est-elle acceptable et jusqu'à quel point ?
Une refonte du dispositif remet par ailleurs en cause le schéma proposé sur les ressources propres.
Deuxième volet important : le règlement sur la répartition de l'effort. Jusqu'à présent, le marché carbone et ce règlement sont étanches : on se trouve soit dans un cadre, soit dans l'autre.
Ce ne serait plus le cas. La Commission souhaite maintenir le champ du règlement sur la répartition de l'effort aux secteurs du transport routier et du bâtiment, qui représentent près de la moitié des émissions de ce périmètre, même si elle propose de les inclure aussi dans le marché carbone.
La méthode de calcul utilisée pour la détermination des objectifs nationaux reste fondée sur le PIB par habitant, un nombre limité de corrections ciblées étant appliqué afin de répondre aux préoccupations en matière d'efficacité au regard des coûts.
Les ministères français auraient souhaité que l'on prenne davantage en compte le rapport coût-efficacité et un peu moins la solidarité intra-européenne. D'autres États membres seraient sur la même ligne mais, à ce stade, il n'y aurait pas de volonté de rouvrir cette question dans la mesure où il s'agit d'un jeu à somme nulle entre États membres. L'effort de négociations porterait davantage sur les flexibilités envisageables.
Le dernier grand cadre du paquet est relatif à la prise en compte de l'utilisation des terres, du changement d'affectation des terres et de la foresterie, qui vient d'entrer en vigueur.
Le dispositif proposé par la Commission européenne fixe un objectif de neutralité climatique des terres à l'horizon 2035. Il s'agit d'un objectif ambitieux puisque que les absorptions de CO2 ont diminué dans le secteur des terres ces dernières années.
La trajectoire proposée par la Commission européenne comprendrait trois étapes : en 2030, un niveau d'absorption de carbone à hauteur de 310 millions de tonnes d'équivalent CO2, réparti entre les États membres en objectifs contraignants ; la neutralité en 2035 ; enfin, une hausse supplémentaire des absorptions à compter de 2036.
À cela s'ajoute le fait qu'à compter de 2031, seraient prises en compte les émissions hors CO2 du secteur agricole. Cela doit nous conduire à bien évaluer les conséquences potentielles du dispositif sur le secteur agricole. Le directeur général de l'énergie et du climat du ministère de la transition écologique considère lui-même que le niveau d'ambition pour les puits de carbone est particulièrement élevé. C'est un point qui mérite d'être davantage approfondi en vue de la proposition de résolution européenne du Sénat qui sera présentée fin février.
J'évoquerai brièvement les secteurs du bâtiment et des transports, qui sont au coeur du paquet.
La Commission européenne veut renforcer l'efficacité énergétique des bâtiments et intensifier le recours aux énergies renouvelables. Lors du Conseil « énergie » de décembre dernier, les ministres de l'énergie ont discuté de l'équilibre entre la nécessité de soutenir le potentiel des énergies renouvelables en tant que source d'énergie rentable et la nécessité de tenir compte des situations nationales et des situations de départ différentes. C'est évidemment un point politique important.
Le président de la commission de l'industrie, de la recherche et de l'énergie du Parlement européen appelle à ne pas faire de surenchère sur les objectifs. Il considère en particulier que l'objectif de relèvement de 32 % à 40 % d'énergie renouvelable dans la consommation finale brute d'énergie de l'Union en 2030 paraît « réalisable mais très difficile à atteindre ».
J'ajoute que pour atteindre les objectifs, la Commission assortit sa démarche de contraintes spécifiques pour les bâtiments publics. Le secteur public serait ainsi tenu de rénover 3 % de la surface de ses bâtiments chaque année.
Le schéma d'ensemble pose un défi important d'adaptation des logements privés et d'évolution du parc social. Il pose des questions de fond, tant sur l'accompagnement financier que sur les garanties d'efficacité des travaux et, plus largement, sur la conception même de l'urbanisme et le lien entre bâtiment et mobilité.
S'agissant des transports, je me contenterai d'évoquer deux points. Concernant l'aérien, le paquet prévoit un plafonnement plus strict du nombre de quotas pour les vols intra-UE et la suppression progressive totale des quotas gratuits d'ici 2026. C'est un sujet qui mérite une expertise spécifique compte tenu des impacts territoriaux potentiels.
S'agissant de l'industrie automobile, l'impact de ce paquet sera très fort et il y a un vrai enjeu de stratégie industrielle et de visibilité pour les constructeurs. En lien avec les objectifs plus ambitieux du règlement sur la répartition de l'effort, la Commission propose de majorer les objectifs de réduction des émissions de CO2 pour les voitures et les camionnettes à l'échelle de l'Union européenne d'ici 2030 et, surtout, fixe un nouvel objectif de 100 % de réduction d'ici 2035. Dans la pratique, cela signifie qu'à partir de 2035, il ne serait plus possible de mettre sur le marché de l'Union des voitures ou camionnettes équipées d'un moteur à combustion interne, y compris des modèles hybrides.
Des débats existent entre États membres, certains sont plus maximalistes que d'autres. Comme l'a souligné l'une des personnes auditionnées, et cela vaut pour les transports comme pour le bâtiment, la démarche générale de la Commission européenne ne prend pas en compte l'usage et interroge sur la prise en compte de l'ensemble du cycle de vie, de la production jusqu'au recyclage.
Dans le cadre de ces débats, se posent plusieurs sujets connexes, comme celui de la définition de l'hydrogène renouvelable et bas carbone et l'enjeu de déploiement des infrastructures de recharge.
Nous terminons la présentation de ce paquet en évoquant les deux boucliers prévus, à savoir le fonds social pour le climat et le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières.
Le nouveau fonds social pour le climat, dont la création est directement corrélée au projet d'extension du marché carbone aux secteurs du bâtiment et des transports routiers, a pour objectif, selon la Commission européenne, « d'atténuer les incidences sociales et distributives sur les plus vulnérables » de ce projet.
Alimenté par 25 % des recettes résultant de cette extension, il devrait représenter un volume de dépenses de 23,7 milliards d'euros de 2025 à 2027, puis de 48,5 milliards de 2028 à 2032.
Le fonds disposerait en particulier de mesures de soutien aux ménages vulnérables, aux microentreprises vulnérables et aux usagers vulnérables des transports et pourrait couvrir des aides directes temporaires au revenu.
Pour cela, en reprenant une formule éprouvée dans le cadre de la Facilité pour la reprise et la résilience, les États membres devraient présenter des plans sociaux pour le climat assortis de mécanismes de reporting très lourds, mais aussi contribuer à hauteur de 50 % au financement du coût total estimé de leurs plans nationaux.
La création de ce fonds pose des questions de principe sur l'articulation entre l'action des États membres et celle de l'Union, sur le mécanisme de reporting, mais aussi sur la clé de répartition des droits entre États membres.
Enfin, je dirai quelques mots du mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, que le Sénat avait appelé de ses voeux et qui devrait être pleinement opérationnel en 2026, après une phase transitoire expérimentale d'ici 2025. Le Parlement européen pourrait vouloir aller plus vite.
Directement lié au système d'échanges de quotas d'émissions mais aussi à la proposition de décision sur les ressources propres, il apparaît comme un outil indispensable pour prévenir le risque de fuite de carbone et faire en sorte que les nouvelles ambitions climatiques de l'Union ne pénalisent pas les entreprises européennes.
A ce stade, cinq secteurs particulièrement émetteurs et exposés seraient couverts par ce mécanisme qui doit être conçu pour être conforme aux règles de l'Organisation mondiale du commerce (OMC).
On sait que les appétences des États membres vis-à-vis de ce dispositif sont diverses, l'Allemagne étant particulièrement attentive aux mesures de rétorsion commerciale potentielles.
La mise en place de ce dispositif doit s'accompagner d'une suppression progressive des allocations de quotas gratuits d'émission. C'est intellectuellement cohérent mais il faut veiller à ce que cette suppression progressive s'effectue à un rythme compatible avec la situation des entreprises européennes.
Des questions se posent également sur le champ d'application du mécanisme, le Parlement européen envisage par exemple d'y inclure le secteur de la chimie. Mais le point qui me paraît le plus important politiquement est celui des failles qui ont déjà été identifiées. En effet, le mécanisme, conçu pour assurer une neutralité au sein de l'Union, pourrait pénaliser les entreprises européennes exportatrices, dès lors qu'elles ne bénéficieraient plus de l'allocation de quotas gratuits. C'est un point majeur car il serait évidemment absurde que le système pénalise nos exportations ou conduise à créer des filiales extérieures à l'Union pour contourner ces difficultés.
Voici résumés quelques points saillants de ce paquet particulièrement complexe du fait de son caractère transversal et de l'interdépendance des textes, mais aussi particulièrement lourd en termes d'impact sur la vie quotidienne des citoyens européens et des entreprises. Au-delà des enjeux techniques, il nous paraît essentiel d'avoir une approche politique de ce paquet et de bien mesurer ce qui est politiquement acceptable et ce qui ne l'est pas.
Des divergences parfois majeures d'appréciation existent par rapport à la proposition de la Commission européenne, qui utilise indéniablement ce paquet comme un outil d'accroissement de ses capacités d'action. Ce paquet s'inscrit également dans des réflexions budgétaires plus larges, tant concernant les marges de manoeuvre des États membres pour faire face au coût de la transition écologique que concernant la dimension de l'action de l'Union.
Il faut bien voir également que ce paquet implique une transformation majeure de notre vie économique, et que les questions qu'il pose vont bien au-delà de celle des ressources budgétaires : il y a, en réalité, un défi technique et technologique majeur, pour que la transition se réalise et qu'elle voit naître des outils que nous devons être en mesure de fabriquer, et c'est pourquoi nous ne devons pas nous fermer les portes à l'innovation, mais conserver la palette la plus large possible. Le paquet pose aussi un défi massif de financement, en particulier pour les dépenses contraintes de logement et de transports, mais aussi pour des organisations actuelles, par exemple le logement social.
Nous devons aussi bien mesurer l'incidence de nos décisions sur les émissions globales de carbone. Ainsi, nos productions ont beaucoup progressé pour réduire leur empreinte carbone. C'est ce qui rend la taxe carbone aux frontières de l'Union particulièrement importante. Mais nous n'avons pas la même position sur ce sujet que l'Allemagne, parce que nos voisins ont bien plus que nous besoin d'importer des produits pour fabriquer d'autres produits qu'ils exportent, et je ne parle pas que de l'automobile.
Il faut également parvenir à ce que l'exemple européen contribue à modifier certaines règles au sein de l'OMC. Les plus grands émetteurs de gaz à effet de serre n'ont pas un calendrier aussi serré que le nôtre pour atteindre la neutralité carbone : la Chine se positionne sur 2060, l'Inde sur 2070 - comment faire pour que les mesures que nous prenons servent aux autres, et que notre exemplarité soit en quelque sorte motrice, en particulier auprès de nos voisins qui aspirent à plus d'intégration avec l'Europe - je pense par exemple à la Turquie ?
Enfin, il est très important de pas mettre tout l'argent disponible sur les sujets techniques, car il faut prévoir un accompagnement fort pour que la société s'adapte, les enjeux sociaux sont cruciaux.
Le 14 juillet dernier, la Commission européenne a présenté le paquet « Ajustement à l'objectif 55 », dont l'objectif est de décarboner les politiques publiques de l'Union européenne et de ses États membres, pour réduire les émissions de 55 % d'ici à 2030.
Le volet « Énergie » de ce paquet étant très vaste et très dense, ma collègue Dominique Estrosi Sasonne et moi-même ne vous en présenterons que les aspects les plus saillants : j'évoquerai l'énergie et ma collègue, le bâtiment.
En premier lieu, les textes proposés fixent des objectifs très ambitieux en matière d'énergies renouvelables ou alternatives.
La directive sur les énergies renouvelables relève de 32 % à 40 % la part de ces énergies dans la consommation finale d'ici à 2030, en prévoyant des sous-objectifs par secteur - le bâtiment, l'industrie, le chauffage et les transports. Pour le bâtiment et l'industrie, le sous-objectif est de 50 %. Pour les biocarburants avancés, le sous-objectif est de 2,2 %. De plus, la directive promeut le stockage et l'hydrogène et renforce la durabilité et la traçabilité de la biomasse utilisées à des fins énergétiques.
Les règlements sur les carburants aéronautiques et maritimes durables visent à accroître l'utilisation de carburants alternatifs. Ils consacrent en particulier des exigences, respectivement, d'incorporation de carburants durables pour l'aérien et d'électrification à quai pour le maritime, à compter de 2025. C'est un complément utile au dispositif d'incorporation existant pour les biocarburants routiers depuis dix ans déjà.
En second lieu, les textes proposés comprennent des outils concrets pour réaliser ces objectifs ambitieux.
La directive sur la taxation de l'énergie prévoit une taxation différenciée des carburants ou des combustibles en fonction de leurs émissions, à compter de 2023. En clair, les carburants fossiles (le gazole et l'essence) seront davantage taxés que ceux alternatifs (le gaz naturel, le gaz de pétrole liquéfié - GPL, l'hydrogène fossile) ou que ceux durables (l'électricité, certains biocaburants, le biogaz, l'hydrogène renouvelable). Une exonération fiscale sera supprimée pour l'aérien et le maritime. Les États membres conserveront la faculté de prévoir des exonérations ou des réductions fiscales pour les ménages vulnérables ou dans certains secteurs (l'agriculture, la forêt, l'industrie).
De son côté, le règlement sur les infrastructures pour carburants alternatifs introduit des objectifs en matière d'infrastructures de recharge électrique, pour les véhicules légers comme lourds, ainsi que pour l'aérien et le maritime. Elle prévoit aussi de tels objectifs pour l'hydrogène et le gaz naturel liquéfié (GNL).
Enfin, le paquet gazier promeut, quant à lui, une meilleure intégration du biogaz et de l'hydrogène dans les réseaux de gaz naturel. C'est une nécessité car la stratégie européenne pour l'hydrogène vise à produire 10 millions de tonnes d'hydrogène renouvelable d'ici à 2030.
Enfin, au-delà de ces textes énergétiques, il faut savoir que le paquet renforce les outils « carbone », que je ne ferai que mentionner.
Le système d'échange de quotas d'émission sera renforcé, ce qui aura une incidence forte pour les producteurs d'énergie et les industries énergo-intensives. Un dispositif similaire sera appliqué aux carburants routiers et aux logements, un débat animé existant déjà à ce sujet.
Enfin, un mécanisme d'ajustement carbone aux frontières de l'Union européenne sera appliqué : c'est un serpent de mer, qui doit protéger effectivement nos industriels et nos entreprises du dumping environnemental.
Je ne pourrais vous donner aujourd'hui qu'une première appréciation sur ces textes, car notre travail est en cours - à ce stade, nous avons organisé six auditions et sollicité une trentaine de contributions.
Je soutiens pleinement la décarbonation cruciale du secteur de l'énergie ; pour autant, plusieurs éléments doivent être rappelés.
Tout d'abord, il faut veiller à la neutralité technologique car toutes les énergies décarbonées, renouvelables comme nucléaires, doivent être mobilisées en faveur du climat. Nous n'avons plus le temps d'ergoter sur ce sujet. Par ailleurs, je rappelle que la définition du mix énergétique relève de la seule compétence des États membres.
Plus encore, il faut veiller à davantage de constance, de lisibilité et de cohérence dans les textes. Ma collègue et moi-même avions transposé en tant que rapporteurs les précédents paquets européens, dans les lois du 8 novembre 2019 relative à l'énergie et au climat dite « Énergie-Climat », et du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite « loi Climat et Résilience ». À la lecture de ce nouveau paquet, tout serait à reprendre... Or, pour réussir la transition énergétique et ses lourds investissements, il nous faut donner du temps et de la stabilité.
Dans le même esprit, il faut veiller à la compensation des effets sociaux et économiques de ces textes. Car la transition énergétique a un coût, qui doit être pris en charge par l'État ou l'Union européenne, au titre de la solidarité. Gardons-nous d'objectifs non financés, ou d'objectifs peu réalistes, dans le secteur si sensible de l'énergie. Si la fiscalité énergétique doit ainsi être verdie, elle ne doit pas être alourdie, a fortiori dans ce contexte de crise. Le coût global du paquet nécessite également d'être évalué...
S'agissant du bâtiment, la directive sur la performance énergétique oblige à la construction de bâtiments « à émission nulle », en 2027 pour les bâtiments publics et en 2030 pour les autres. Elle prévoit également la rénovation de 15 % des bâtiments existants et le non-subventionnement des chaudières à combustible fossile, à compter de 2027. Pour la bonne application de ses dispositions, il est prévu de renforcer les plans de rénovation des bâtiments, d'harmoniser les certificats de performance énergétique, d'instituer un passeport sur les rénovations et de renforcer les normes d'inspection.
Plus encore, la directive sur l'efficacité énergétique oblige à réduire de 9 % la consommation d'énergie d'ici à 2030. Elle introduit le principe de la primauté de l'efficacité énergétique, c'est-à-dire que les États membres devront intégrer les solutions d'efficacité énergétique dans leurs politiques nationales et en rendre compte, via des contributions nationales. Ces derniers devront réduire de 1,5 % par an leur consommation d'énergie ; chaque année, dans le secteur public, la réduction de la consommation devra atteindre 1,7 % et la rénovation des bâtiments 3 % en fonction de leur surface au sol. Enfin, les règles afférentes à l'installation des systèmes de chauffage, à la réalisation d'audits techniques ou encore à la passation des marchés publics seront renforcées.
Tout comme mon collègue, je souscris pleinement à la décarbonation du secteur du logement. Je crois aussi qu'il faut veiller à la neutralité technologique, à la stabilité normative, et à la compensation des coûts.
S'agissant de la stabilité normative, je rappelle que nous venons tout juste de réformer la règlementation environnementale 2020 (RE2020), applicable aux bâtiments neufs, et le diagnostic de performance énergétique (DPE), prévu pour les bâtiments existants !
Sur le fond, trois éléments méritent d'être indiqués.
D'abord, la définition des bâtiments neufs à « émission nulle » doit bien intégrer toutes les sources d'approvisionnement énergétiques décarbonées, nucléaires comme renouvelables.
Ensuite, si une harmonisation de la classification des bâtiments existants est utile, il faut bien prendre en compte la diversité géographique et climatique au sein de l'Union européenne.
Enfin, l'intégration du logement dans un marché carbone, que je ne ferai qu'évoquer, est un vrai sujet d'attention, dont les conséquences doivent être pleinement évaluées.
Pour conclure sur mes premières observations, je veux insister sur la nécessité de compléter les obligations juridiques par des incitations financières : toute nouvelle norme, pour les propriétaires ou les bailleurs, doit être accompagnée par l'État ou l'Union européenne, faute de quoi elle ne ferait que renforcer la précarité énergétique.
Merci pour ces présentations. Ce chantier est énorme, nous y travaillons à trois commissions, les consensus seront probablement difficiles à trouver, mais j'ai bon espoir que nous y parviendrons. Nous avons déjà évoqué l'aspect financier, après les chiffres communiqués par notre collègue Christine Lagarde car le cadre pluriannuel de financement et le plan de relance ne suffiront pas : il faudra examiner ce qu'il en est.
Pour l'agriculture, la stratégie « Farm to fork » est la chronique d'un désastre annoncé et programmé : elle se traduira par une perte globale de terres agricoles de 10 %, par un recul des engrais de 20 % et de 50 % pour les produits phytosanitaires, et, résultat d'une politique perdant-perdant, par un recul de notre production alimentaire de 12 %. Si ces dispositions s'appliquaient au niveau international, la production alimentaire mondiale reculerait de 11 %, ce qui signifie 191 millions de personnes supplémentaires en pénurie alimentaire et une perte générale de 1 100 milliards de dollars de richesse. Sans compter qu'avec l'augmentation des prix qui s'en suivrait sur le marché européen, nous devrions quasiment doubler nos importations de produits agricoles, ce qui ferait pencher les émissions carbones du mauvais côté. On estime en effet que si cette stratégie de « Farm to fork » ferait baisser nos émissions carbones de 20 %, les deux-tiers de ce gain seraient perdus par les émissions supplémentaires des produits que nous serions contraints d'importer plutôt que de les produire... L'Europe continuerait ainsi d'exporter ses nuisances environnementales, en faisant reculer la production chez elle, au prix de problèmes sociaux qui ne feraient que s'aggraver. C'est de tout cela dont nous ne voulons pas.
Il faut bien voir que l'extension envisagée du système d'échanges de quotas et les nouvelles normes appliquées au logement et aux transports routiers poseront des problèmes aux ménages, car nous sommes dans des dépenses contraintes - et c'est bien la norme, ici, qui est le levier d'action. Ensuite, sur le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, le maintien de quotas gratuits pour des zones géographiques plus émettrices de carbone n'est pas tenable longtemps. Enfin, il apparaît clairement qu'il faut accompagner la transition, au moins sur trois volets : les ménages, en raison des dépenses supplémentaires ; le tissu industriel, qui doit adapter son appareil de production et les emplois, nous voyons déjà ce qui se profile dans l'automobile ; enfin, et on n'en parle pas assez, les territoires : il faut qu'une part des nouvelles ressources abondent un fonds pour les collectivités territoriales, qui seront conduites à jouer un rôle plus important dans la transition.
Tous ces milliards d'euros annoncés m'inquiètent. La Chine représente 28 % des émissions de carbone, les États-Unis 14 %, l'Inde 6,6%, et les projections montrent que les principaux émetteurs vont continuer de l'être, voire qu'ils vont renforcer leurs émissions. De son côté, la France représente 0,8 % des émissions de CO2 et va faire de gros efforts pour les diminuer encore : sait-on quelles mesures prendront les autres pays pendant que nous ferons ces efforts - et quelles garanties a-t-on qu'ils les prendront effectivement ?
Dans la stratégie « Farm to fork », les émissions sont-elles évaluées en net des émissions captées, ou bien seules les émissions brutes sont-elles prises en compte ? Ensuite, dispose-t-on d'un chiffrage pluriannuel des coûts, à l'échelle des pays, voire des territoires ? Enfin, il me semble qu'on ne pourra pas réussir la transition sans une planification : ces directives prévoient-elles des outils de planification ?
Je ne m'engagerai pas, tant que nos travaux ne sont pas terminés, à répondre à ces questions importantes, mais je peux d'ores et déjà dire que nous sommes bien conscients que l'évaluation des émissions est importante, et qu'on ne parle pas de la même chose quand on prend en compte le carbone capté : nous examinons cette question et nous entendons bien mettre la focale sur l'évaluation concrète des émissions.
Il y a sur ce sujet une question de volonté politique : les pays européens se sont mis d'accord sur un objectif chiffré pour 2030, reste à définir les modalités d'action. Nous voyons que nous n'avons pas encore tous les outils, et que, dans le fond, on parle d'un changement profond de la société, ce qui montre bien l'importance du débat.
Merci à tous pour votre participation, nous nous retrouverons prochainement pour poursuivre ces travaux.
- Présidences de MM. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes, Pascal Allizard, vice-président de la commission des affaires étrangères, et Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques -
Monsieur le ministre, la France préside pour six mois le Conseil de l'Union européenne. Dans le cadre de cette présidence, vous avez organisé dès le 10 janvier une conférence sur les relations commerciales entre l'Union européenne et l'Afrique, afin de mettre l'accent sur les nouveaux partenariats envisageables. Ce choix revêt une portée politique et symbolique évidente : vous pourrez nous exposer comment la Commission entend le rendre opérationnel, puisque le commissaire en charge du commerce, M. Valdis Dombrovskis, a déclaré approuver le fait que la France ait fait de ce thème une priorité de sa présidence. Dans quelques jours, les 13 et 14 février, vous recevrez également à Marseille l'ensemble de vos homologues, à l'occasion d'une réunion informelle des ministres chargés du commerce.
Je souhaiterais donc que vous nous présentiez les priorités de la France en matière de commerce, votre méthode et les objectifs qui vous paraissent atteignables dans le cadre de cette présidence du Conseil.
Je voudrais en particulier vous entendre sur certaines positions fortes exprimées par la France au cours de ces derniers mois, notamment sur les enjeux liant commerce et développement durable, sujet qui a récemment fait l'objet d'une consultation publique à laquelle notre commission a contribué.
Je pense aussi à la rénovation des outils permettant à l'Europe de s'assumer comme une puissance commerciale et de faire face à des pratiques déloyales ou à des pressions extérieures par le biais de sanctions extraterritoriales : c'est notamment l'enjeu du projet de règlement anti-coercition présenté le 8 décembre dernier. Pensez-vous être en mesure d'aboutir à de premières orientations du Conseil en la matière d'ici à la fin du semestre ?
Je pense également à l'accent mis par la France sur les clauses miroirs dans les accords commerciaux, concept très populaire dans notre pays, mais qui rencontre des résistances dans d'autres États membres et doit faire l'objet d'une analyse très précise pour être compatible avec les règles de l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Pouvez-vous nous préciser votre stratégie en la matière ?
Je pense enfin à un dossier phare dans le cadre du paquet « Ajustement à l'objectif 55 » : celui du mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (MACF). Le Sénat en soutient fortement le principe, mais sa mise en oeuvre s'avère complexe dans le respect des règles de l'OMC. Or il apparaît qu'en l'état, les entreprises européennes exportatrices couvertes par ce mécanisme seraient pénalisées, ce qui ne serait absolument pas acceptable. La direction générale du Trésor y travaille : pouvez-vous nous faire le point sur ses réflexions et nous assurer que vous n'accepterez pas un dispositif qui pénaliserait in fine une partie de notre industrie ?
À mon tour de vous remercier d'être venu débattre avec nous des enjeux du commerce extérieur dans le cadre de la présidence française du Conseil de l'Union européenne. S'agissant du commerce extérieur français, permettez-moi de relever un paradoxe : vous êtes chargé du commerce extérieur et de l'attractivité ; or si la France est le pays le plus attractif d'Europe pour les investissements étrangers, elle est aussi championne d'Europe du déficit commercial ! Selon les chiffres publiés en janvier, ce déficit a atteint 9 milliards d'euros en novembre 2021, soit, selon les douanes, le « solde mensuel le plus bas jamais atteint ». Sur 12 mois, le déficit cumulé s'élève à 78 milliards d'euros, quand l'Allemagne connaît un excédent de 180 milliards d'euros. Ces chiffres sont alarmants pour les élus attachés à la prospérité de nos territoires que nous sommes.
Vous justifiez ces résultats, tout d'abord, par la hausse de la facture énergétique, qui a indéniablement contribué à augmenter la valeur de nos importations, mais qui n'explique pas tout. Ajoutons que ce n'est pas une fatalité qui s'abat sur nous sans que nous ne puissions rien y faire. En novembre, alors que l'électricité est d'habitude l'un de nos principaux postes excédentaires, nous avons été déficitaires en ce domaine, du fait de la politique énergétique du Gouvernement et de l'Union, qui est difficile à suivre, particulièrement en matière nucléaire. Or une électricité peu chère et décarbonée est un élément majeur de compétitivité et d'attractivité, car elle bénéficie de façon transversale à de nombreux secteurs. Quelle est la stratégie du Gouvernement pour réduire la dépendance de notre appareil productif vis-à-vis des hydrocarbures, des énergies carbonées et des fluctuations des marchés internationaux, et comment cela s'intègre-t-il à la présidence du Conseil de l'Union européenne ?
Vous avez également argué que la dégradation de notre balance commerciale serait uniquement conjoncturelle : nos entreprises augmentent leurs importations de biens intermédiaires aujourd'hui pour pouvoir produire et exporter demain. On ne peut pourtant pas se satisfaire de cette réponse : serions-nous si dépendants que, pour exporter demain, nous serions obligés de creuser notre déficit commercial aujourd'hui ? Quelles conclusions tirez-vous de ce déficit pour votre stratégie de réindustrialisation et, dans certains cas, de relocalisation ?
Outre la recherche d'une plus grande maîtrise des différents segments de la chaîne de valeur, l'une des priorités de la politique commerciale est la conquête de marchés extérieurs, dans une logique bien sûr de réciprocité. Je voudrais donc vous interroger sur les dispositifs de soutien à l'export : Team France Export, le chèque relance export ou encore le chèque VIE. Les restrictions aux échanges liées à la pandémie ont ralenti leur déploiement, mais pouvez-vous déjà distinguer ceux qui ont donné les meilleurs résultats pour l'internationalisation de nos entreprises ?
Nous avons bien noté les priorités de la présidence française du Conseil de l'Union européenne en matière de politique commerciale, notamment l'adoption du mécanisme d'ajustement carbone aux frontières et l'instauration dans les accords commerciaux de clauses miroirs imposant à nos partenaires une réciprocité en matière de normes. Nous ne doutons pas que tout sera fait pour faire avancer ces objectifs dans la fenêtre de tir réduite qui nous est impartie.
Je voudrais exprimer mon inquiétude quant au niveau historique atteint par notre déficit commercial. Cela vient d'être dit, la France a souvent été un pays exportateur, mais nous sommes maintenant dans la situation d'un pays massivement importateur net, ce qui nous inquiète dans un contexte de tensions internationales toujours croissantes. Relevons en outre que certains de nos voisins - l'Allemagne, mais aussi l'Italie, les Pays-Bas ou l'Irlande - ne connaissent pas le même déséquilibre. Je souhaiterais donc moi aussi entendre votre réaction sur ce point.
Je souhaiterais, au nom de la commission, que vous reveniez sur les accords commerciaux conclus par l'UE avec des pays tiers, en particulier l'accord avec le Mercosur. Vous nous aviez fait part lors de votre audition l'année dernière de votre détermination à « obtenir des engagements concrets et vérifiables » des pays partenaires en matière de déforestation et d'application des normes sanitaires et phytosanitaires. Avez-vous avancé en ce sens depuis lors ? C'est un enjeu tout à fait essentiel, car la déforestation ne fait que s'accélérer : la forêt amazonienne brésilienne continue de régresser à un rythme effrayant ; d'après les scientifiques, on s'approche dangereusement du point de bascule où elle ne sera plus qu'une savane, avec des conséquences irréparables sur le climat et la biodiversité.
S'agissant des relations transatlantiques, vous aviez évoqué certains signaux positifs envoyés par l'administration Biden, comme la réintégration des États-Unis dans l'accord de Paris, la reprise des négociations à l'OCDE sur l'imposition minimale des entreprises et la taxation des entreprises numériques, ou encore les moratoires sur les taxes sur l'aéronautique. Cette tendance se confirme-t-elle ? A-t-on progressé quant au blocage de l'organe d'appel de l'OMC par les États-Unis ?
Enfin, quelles sont les pistes pour mieux contrecarrer à l'échelle européenne l'application extraterritoriale du droit américain, arme brutale et pénalisante pour nos entreprises ? Avez-vous l'intention de vous pencher sur ce sujet au cours de la présidence française ? Enfin, où en sommes-nous quant aux accords commerciaux avec le Canada ?
Merci pour votre invitation ; c'est toujours un plaisir de faire le point avec vous, notamment aujourd'hui sur les enjeux commerciaux liés à la présidence française du Conseil de l'Union européenne. J'étais hier au Parlement européen pour répondre aux questions de sa commission du commerce international. Le Président de la République a exprimé la triple intention de la présidence française : relance, puissance, appartenance. Nous portons donc trois ambitions très claires : une Europe plus souveraine, capable de maîtriser ses frontières tout en renforçant les liens avec ses voisins ; une Europe qui valorise de nouveaux modèles de croissance, par l'innovation et l'excellence technique et numérique ; enfin, une Europe plus humaine, qui incarne l'État de droit, la culture, la confiance en la science et la lutte contre les discriminations.
En cohérence avec cet agenda, nous avons défini trois axes principaux pour la politique commerciale européenne : continuer de créer des occasions pour nos entreprises sur les marchés étrangers par une politique d'ouverture ; promouvoir une politique commerciale plus durable, à la hauteur de nos standards sociaux et environnementaux ; enfin, défendre avec fermeté et sans naïveté nos entreprises contre les pratiques déloyales et coercitives. Ces trois axes rejoignent les priorités identifiées par la Commission européenne dans sa stratégie pour une politique commerciale ouverte, durable et affirmée, publiée le 18 février 2021.
Concernant le premier axe, le maintien de notre ouverture aux échanges est plus que jamais indispensable pour que notre économie tire tout le bénéfice de la reprise économique. Je visitais aujourd'hui l'entreprise Tractel, implantée dans l'Aube, qui exporte 50 % de sa production en volume ; pour elle, les occasions d'exporter se multiplient : c'est le moment d'oser l'international ! La France tire profit de cette ouverture, plus de 4 millions d'emplois en dépendent. La diversification de nos partenariats commerciaux est aussi une manière de renforcer la résilience de nos chaînes de valeur et d'approvisionnement qui, lorsqu'elles étaient trop concentrées auprès d'un faible nombre de pays fournisseurs, ont été soumises à des tensions importantes durant la crise sanitaire. C'est un enjeu européen, mais aussi national : le Gouvernement a donc choisi d'accompagner nos entreprises, notamment petites et moyennes, en intégrant un ambitieux volet export dans le plan France Relance.
Le déficit commercial de la France est structurel pour les biens, mais la conjoncture aggrave aussi la situation. Même si nous avons globalement retrouvé une activité exportatrice supérieure à nos performances d'avant la crise, certains secteurs traditionnellement forts sont toujours affectés, notamment l'aéronautique. En outre, la très forte croissance observée en France en 2021 a conduit à une demande très forte de biens de consommation importés, mais aussi de biens nécessaires à la fabrication de produits finaux dans nos usines, conduisant à une forte hausse conjoncturelle des importations.
On peut relever ce défi commercial en s'aidant de quatre leviers. Premièrement, il convient d'améliorer la compétitivité de notre pays, longtemps faible du fait que les gouvernements précédents ont manqué de prendre les décisions nécessaires ; en 2019 et 2020, la France a été le pays le plus attractif d'Europe grâce à la baisse de l'impôt sur les sociétés passé de 33 % à 25 % et des impôts de production de 10 milliards d'euros en 2021 et d'autant en 2022, à l'assouplissement des contraintes administratives ou encore à une négociation sociale replacée au plus près de l'entreprise. Deuxièmement, il faut engager la réindustrialisation de notre pays ; à cette fin, une politique ambitieuse a été placée au coeur du plan de relance pour décarboner, numériser et automatiser notre industrie et investir dans les secteurs d'avenir, avec notamment France 2030. Les résultats du plan de relance et du « quoi qu'il en coûte » sont déjà visibles : la croissance est très forte, car on a pu maintenir les talents dans nos entreprises et éviter à celles-ci les défaillances. Troisièmement, notre politique commerciale doit être moins naïve. Enfin, il faut accompagner les entreprises à l'international, notamment les PME, pour qu'elles exportent davantage. Depuis vingt ans, nous n'avions jamais eu autant d'entreprises exportatrices qu'aujourd'hui : elles sont 136 000, contre 123 000 en 2017. On est encore loin des Italiens qui sont à 220 000 et des Allemands qui sont à 300 000, mais on progresse !
Certes, les difficultés sont structurelles avec les quatre leviers sur lesquels nous travaillons, mais il ne faut pas nier non plus les réalités conjoncturelles qui expliquent largement la détérioration de court terme de notre balance commerciale ! Ajoutons à celles que je viens d'évoquer l'accroissement du coût de l'énergie. Notre politique énergétique est simple à comprendre : elle est fondée sur le nucléaire et les énergies renouvelables.
Absolument pas : le Président de la République a été très clair à ce sujet depuis le début de son quinquennat.
Au sein du plan de relance, nous avons fait du sur-mesure pour nos entreprises exportatrices. Le chèque relance export permet de couvrir une partie de leurs coûts de prospection et les chèques VIE aident les jeunes volontaires internationaux en entreprise. Bpifrance organise par ailleurs un renforcement de l'assurance prospection-accompagnement pour les TPE et PME. Les crédits du Fonds d'études et d'aide au secteur privé (Fasep) ont également été renforcés. Les mesures du plan de relance export ont été prolongées jusqu'au 30 juin 2022 et adaptées pour répondre aux demandes des entreprises : les coûts de formation des chefs d'entreprise et de leurs équipes et les coûts d'interprétariat et traduction pourront être pris en charge.
Les barrières à l'export liées à la pandémie se lèvent progressivement : c'est le moment de repartir de l'avant ! Pour donner aux entreprises françaises et européennes les meilleures chances de prospérer sur les marchés étrangers, la présidence française défend un principe clair : tout le monde doit jouer selon les mêmes règles. Le système commercial multilatéral doit donc être remis en état de marche ; la tâche est rude, mais nous nous sommes attelés à une revitalisation et une réforme de l'OMC. Nous veillerons à ce que l'Union européenne s'engage pleinement dans les négociations de la douzième conférence ministérielle de l'OMC. Je rencontrerai sa directrice générale, Dr Ngozi Okonjo-Iweala, à Paris ce vendredi.
L'agenda bilatéral de l'Union est également important pour nos entreprises ; l'accord économique et commercial global (CETA) avec le Canada ou encore l'accord avec le Japon sont très favorables à nos intérêts économiques.
Quant au projet d'accord avec le Mercosur, notre position n'a pas changé : il ne peut être signé en l'état, nous attendons que la Commission européenne nous indique quelles garanties elle demandera en matière de déforestation, de lutte contre le changement climatique et de normes sanitaires et phytosanitaires, et quels instruments autonomes européens elle compte mettre en place pour répondre à ces préoccupations ; je pense notamment à un instrument de lutte contre la déforestation importée, qui pourra concerner cette zone économique.
Les accords commerciaux profitent à nos exportations et ont permis d'amortir l'impact de la crise sanitaire sur nos échanges. Le CETA avait déjà permis avant la crise une augmentation importante de nos exportations, notamment dans le secteur agroalimentaire. Les exportations de biens ont moins baissé vers les pays ayant conclu un accord commercial avec l'Union européenne que vers les autres pays.
Promouvoir l'ouverture, c'est aussi renforcer nos relations économiques avec certains partenaires clés, notamment sur le continent africain. Nous avons l'ambition de refonder en profondeur la relation UE-Afrique. Nous soutenons l'intégration continentale africaine, au travers notamment d'une aide à la zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf). Nous encourageons aussi la conclusion et l'approfondissement d'accords économiques régionaux ou bilatéraux pour favoriser le développement durable des pays africains et renforcer nos chaînes de valeur. Nous travaillons avec l'Agence française de développement (AFD) et les acteurs de la diplomatie économique française pour accompagner l'entrepreneuriat africain et former les jeunes entrepreneurs. Après la conférence du 10 janvier, ce sujet sera à l'ordre du jour de la réunion informelle des ministres du commerce de l'UE qui se tiendra les 13 et 14 février à Marseille, ville de commerce international tournée notamment vers l'Afrique. Ces discussions prépareront la tenue du sommet Union européenne-Union africaine qui se tiendra quelques jours plus tard.
Le second axe de travail prioritaire de la présidence française est la contribution de la politique commerciale à nos objectifs de développement durable. L'Union est pionnière en matière de lutte contre le changement climatique ; nous pouvons en être fiers. Nous avons décidé de réduire nos émissions de gaz à effet de serre de 55 % par rapport à 1990 d'ici à 2030. Une telle ambition nécessite la mobilisation de toutes les politiques de l'Union. Nous travaillons déjà à une telle cohérence, notamment dans le cadre du plan d'action pour la mise en oeuvre du CETA.
Notre présidence est l'occasion de redoubler d'efforts au travers de trois textes législatifs en cours d'examen au Conseil qui doivent inciter nos partenaires à relever leurs ambitions en matière de développement durable et garantir que les efforts consentis par l'UE ne conduiront pas à une dégradation de la situation dans des régions moins-disantes.
Le premier de ces textes est la révision du système de préférences généralisées (SPG), qui permet à des pays en développement d'accéder de manière préférentielle au marché européen. La Commission a fait une proposition, nous travaillons à l'adoption d'un compromis au Conseil afin de renforcer certains de ces volets, notamment en conditionnant l'accès à ces préférences à des actions de protection de l'environnement.
Le second texte porte sur le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (MACF), qui permettra de réduire les « fuites » de carbone et d'assurer l'efficacité environnementale du système européen d'échange de quotas d'émission. Annoncé le 14 juillet dernier, ce mécanisme est conçu pour être conforme aux règles de l'OMC et cohérent avec l'accord de Paris. Plusieurs points demeurent sensibles dans les discussions actuelles au Conseil : l'accompagnement des exportateurs, les filières aval et les produits qui, sans être directement ciblés par le MACF, contiennent des produits qui le sont ; sur ce dernier aspect, il ne faudrait pas qu'un contournement du dispositif soit possible. Nous souhaitons aboutir à une position commune sous la présidence française.
Le dernier texte auquel nous travaillons est le projet de règlement européen sur la déforestation. Un texte a été proposé par la Commission en novembre dernier ; nous voulons aboutir à une orientation générale du Conseil. Ce texte vise à interdire la mise sur le marché européen de matières premières sensibles ayant contribué à la déforestation ou à la dégradation des forêts, ou issues d'une extraction illégale. Café, cacao, huile de palme et bois seraient les principaux produits concernés. Nous attendons d'ici à la mi-février une proposition de la Commission sur le devoir de vigilance des entreprises. La France est pionnière en la matière, grâce à la loi Potier du 20 mars 2017. Nous souhaitons que soient présentées au plus vite, dans ce texte ou par un dispositif juridique ad hoc, des dispositions visant à empêcher les produits issus du travail forcé d'entrer sur le marché intérieur. Nous soutenons aussi le principe de clauses miroirs insérées dans les réglementations agricoles, sanitaires ou environnementales européennes permettant d'appliquer lorsque c'est pertinent aux produits importés certains standards européens, de manière compatible avec les règles de l'OMC. Nous attendons le rapport de la Commission sur ce sujet, ainsi qu'un acte délégué sur l'utilisation d'antibiotiques comme facteurs de croissance.
Au-delà des initiatives législatives, nous soutiendrons une révision de l'approche européenne sur le contenu des chapitres sur le commerce et le développement durable des futurs accords commerciaux de l'Union, en cohérence avec nos préoccupations environnementales, sociales et relatives aux droits humains. Il faut que ces dispositions soient crédibles et prennent en considération la pratique et les outils développés par nos principaux partenaires, y compris en matière de sanction des engagements.
Le troisième axe de notre stratégie est la mise en oeuvre d'une politique commerciale plus affirmée et moins naïve. Nous souhaitons bâtir une politique plus ferme qui contribue à notre souveraineté et accroître la capacité de l'Union européenne à défendre ses intérêts et ceux de ses entreprises contre les pratiques déloyales et abusives, au travers de trois instruments.
Nous travaillerons d'abord à la finalisation de l'instrument de réciprocité dans les marchés publics, actuellement en discussion en trilogue ; ce levier doit encourager l'ouverture des marchés publics dans les pays qui les ferment aujourd'hui à nos entreprises en permettant le blocage des produits issus de tels pays.
Nous entamons aussi au Conseil des discussions sur l'instrument anti-coercition, sur la base de l'excellente proposition de la Commission en décembre dernier. Ce nouvel outil, compatible avec nos engagements internationaux, doit dissuader les pays tiers d'adopter des pratiques coercitives, y compris des sanctions extraterritoriales, par la menace crédible d'une réponse proportionnée. Les entreprises européennes, en première ligne, seraient ainsi mieux protégées. Nous voulons un outil dont le spectre soit le plus large possible et qui soit suffisamment dissuasif pour les pays tiers.
Nous poursuivrons enfin les discussions entamées en vue de l'adoption d'un instrument permettant de mieux lutter contre les distorsions générées par les subventions étrangères sur le marché intérieur, afin que les entreprises européennes jouent à armes égales avec leurs concurrents étrangers. L'actuelle politique européenne de la concurrence ne permet pas d'encadrer pleinement les effets de ces soutiens étrangers, notamment en matière de marchés publics et de fusions-acquisitions.
En parallèle de ces travaux législatifs, nous souhaitons que la Commission poursuive les efforts qu'elle déploie sous l'égide du responsable européen du respect des règles du commerce, véritable procureur commercial européen auquel il incombe d'assurer la pleine mobilisation des outils commerciaux existants, en particulier nos instruments de défense commerciale. Une boîte à outils beaucoup plus ambitieuse ne suffit pas : il faut ensuite s'assurer que ces outils sont utilisés. Il doit aussi lever les barrières injustifiées auxquels nos exportateurs sont confrontés sur les marchés tiers et faire en sorte que les accords commerciaux soient pleinement respectés.
Je suis conscient que les attentes n'ont jamais été aussi fortes en matière d'évolution de la politique commerciale européenne. Il nous faut trouver un juste équilibre entre ouverture, défense des intérêts de l'Union et satisfaction de nos objectifs de développement durable pour que le commerce international de l'Union soit conforme à la fois aux valeurs européennes et à nos intérêts. Nous saisirons pleinement l'occasion offerte par la présidence française du Conseil pour y parvenir.
Sur l'ensemble de l'année 2021, le déficit commercial de la France dépasse 77,6 milliards d'euros. Les exportations ne progressent pas assez pour compenser la hausse des importations. Certes, celle-ci s'explique en partie par la hausse des prix des matières premières énergétiques et des produits industriels, mais il faut relever que la France, traditionnellement exportatrice d'électricité, a été importatrice nette en novembre et décembre à la suite de l'arrêt de quatre réacteurs nucléaires. Selon le ministre de l'économie et des finances, il nous faudra dix ans pour retrouver une balance commerciale excédentaire. Le Haut Commissaire au plan déplore quant à lui une « dégringolade » du commerce extérieur. Depuis cinq ans, le Gouvernement n'a rien fait pour préserver notre capacité de production, y compris dans des domaines où nous étions leaders. Pour réduire le déficit commercial, il faut recommencer à produire en France. Avez-vous réellement la volonté de relancer la production nationale ? Si tel est le cas, quelles mesures mettez-vous en place ?
L'attractivité se construit sur le long terme. Or, au cours des dernières années, la France est passée de la troisième à la sixième place en matière d'accueil des étudiants étrangers. On ne peut pas non plus construire l'attractivité sans mobilité : notre politique en matière de visas est donc cruciale en la matière. Enfin, la recherche de l'attractivité doit se traduire par des investissements utiles à la balance commerciale. Beaucoup d'entreprises rencontrent des entraves pendant cette crise sanitaire : faire venir des clients s'avère souvent impossible faute de délivrance des visas ; le passe vaccinal peut aussi s'avérer problématique ; enfin, les « motifs impérieux » d'entrée sur notre territoire sont étudiés par un « cabinet noir » au ministère de l'intérieur... Comment expliquez-vous notre politique dogmatique en la matière, qui bloque toutes les mobilités, alors que l'Allemagne s'est montrée extrêmement pragmatique pour continuer d'accueillir ses clients ? Vous n'avez rien fait pour favoriser nos exportations !
Vous avez évoqué l'effort de notre pays en matière de compétitivité extérieure et votre ambition de réindustrialisation. Certains économistes expliquent que l'enjeu n'est pas tant la compétitivité, en attestent nos résultats dans les secteurs de l'aéronautique et du luxe, que la capacité de l'industrie française à produire des biens attendus par les Français. Pourriez-vous nous dire quelle est votre priorité, entre la compétition avec l'extérieur et la production nationale de ces biens ?
Un sommet entre l'Union africaine et l'Union européenne doit se tenir les 17 et 18 février à Bruxelles. Le Président de la République a évoqué une refonte en profondeur de la relation selon lui « un peu fatiguée » entre les deux continents. Dès 2017, dans son discours à la Sorbonne, il avait déclaré vouloir relancer la taxe sur les transactions financières européennes pour financer la politique de développement, notamment en direction de l'Afrique. Pouvez-vous nous éclairer sur le bilan de ces initiatives et sur les perspectives commerciales qui se dessinent entre l'Europe et l'Afrique, alors que les investissements chinois y sont dominants, ce qui pose des défis redoutables aux acteurs économiques occidentaux ?
Il faut savoir que, en novembre 2021, 50 % du creusement du déficit commercial provenait de l'augmentation de la facture énergétique qui constitue bien évidemment une problématique mondiale. J'y insiste, c'est l'augmentation du prix des hydrocarbures qui a un très fort impact conjoncturel sur le déficit du commerce extérieur de notre pays.
Pendant le même mois de novembre, les exportations françaises étaient supérieures de 5 points à ce qu'elles étaient en novembre 2019. J'ajoute qu'au même moment, les exportations liées au secteur de l'aéronautique étaient, quant à elles, inférieures de moitié à celles qu'elles étaient, là encore, en novembre 2019.
Il y a donc bien, dans de nombreux secteurs, une dynamique des exportations. D'ailleurs, les entreprises exportatrices sont elles-mêmes plus nombreuses.
D'un point de vue conjoncturel, nous sommes confrontés, je le répète, à une très forte augmentation des prix des hydrocarbures qui a évidemment un impact sur notre déficit commercial. Et nous connaissons parallèlement un niveau élevé de la consommation, de la part tant des entreprises que des particuliers.
Je vous rappelle les quatre leviers que j'ai évoqués tout à l'heure pour faire face au problème structurel que nous connaissons. Il y a d'abord l'amélioration de la compétitivité. Contrairement aux majorités précédentes - pardon de le dire ! -, nous avons baissé la fiscalité qui pèse sur notre compétitivité...
Je vois plusieurs d'entre vous faire non de la tête, mais là encore, c'est simplement la réalité !
La politique ambitieuse d'amélioration de la compétitivité coût et hors coût que nous menons depuis quatre ans paye aujourd'hui. Des industries se réinstallent dans nos territoires, elles investissent.
Nous connaissons un formidable dynamisme des investissements étrangers en France, ce qui signifie bien que les grands groupes internationaux font aujourd'hui - ce n'était pas le cas auparavant - le choix de la France, y compris en matière industrielle. Ces groupes voient dans notre pays des opportunités importantes de développement, plus qu'en Allemagne.
De nombreux facteurs y contribuent : la baisse de la fiscalité, l'augmentation de la souplesse accordée aux entreprises pour s'organiser, la présence de talents et de compétences, etc. Sur le temps long, ces entreprises vont nous permettre d'augmenter nos capacités exportatrices.
D'ailleurs, je crois que les Français se rendent compte de ce changement sur le terrain.
Il n'y a jamais eu autant d'emplois créés en France ! Nous devons continuer dans ce sens.
La question de la relocalisation d'une partie des chaînes de valeur nécessite un travail en profondeur et du temps. Dans le cadre du plan de relance, nous avons mobilisé des lignes de crédits pour accompagner les entreprises qui relocalisent en France. Des centaines de projets sont en cours, notamment dans des secteurs stratégiques.
Je crois qu'il faut aussi inciter les consommateurs à acheter français. Chacun sait bien que de nombreux restaurants achètent du boeuf argentin, australien ou brésilien plutôt que de la viande d'Aquitaine, du Limousin ou de l'Aubrac ! Nous devons accompagner les changements de comportements afin de favoriser le made in France.
En ce qui concerne la question de M. Leconte sur la mobilité pendant la crise du covid, je vous rappelle que plusieurs pays - je pense évidemment aux États-Unis, avec le travel ban, ou à la Chine - se sont complètement fermés durant cette période. Cela n'a pas été le cas de la France, mais nous assumons d'avoir pris des mesures restrictives temporaires pour des pays où le virus circulait de manière particulièrement importante. Dire que nous n'avons rien fait pour faciliter la mobilité des chefs d'entreprises ou de leurs équipes est donc tout simplement exagéré !
Sur l'Afrique, je l'ai dit, c'est pour nous une zone prioritaire et nous soutenons le projet de zone de libre-échange à l'échelle du continent, la Zlecaf. Nous avons l'ambition de nouer à terme des accords de continent à continent plus intégrés. D'ici là, nous travaillons à la signature, ou à la modernisation lorsqu'ils existent, d'accords commerciaux régionaux ou bilatéraux - je pense par exemple au Kenya.
Pour que ces accords soient gagnants-gagnants, nous réfléchissons à la question des chaînes de valeur : les relocalisations que nous souhaitons pour notre pays peuvent aussi s'appuyer sur des colocalisations dans des pays proches de l'Europe, que ce soit d'un point géographique, culturel ou linguistique, afin d'améliorer les chaînes d'approvisionnement. Je pense notamment à la réussite du développement des secteurs aéronautique et automobile au Maroc et en Tunisie.
Dans le secteur agroalimentaire, il n'est quand même pas normal que des produits bruts, par exemple le chocolat ou la noix de cajou, soient expédiés d'Afrique en Asie pour revenir ensuite transformés en Europe...
Le Gouvernement s'est attelé à rendre notre pays plus compétitif et à récompenser le travail - c'est un constat. Cependant, la compétitivité de nos entreprises est mise à mal par les impôts de production, qui sont assis non sur le bénéfice, mais sur le chiffre d'affaires ou sur les facteurs de production. Ils sont d'un montant supérieur à celui de nos voisins. Le Gouvernement a fait le choix de les réduire significativement ; ils ont ainsi baissé de 10 milliards d'euros depuis 2020.
Ma question est double. Cette réduction a-t-elle eu des conséquences positives sur l'attractivité de notre pays ? Dans la mesure où nos impôts de production sont encore supérieurs à la moyenne européenne, est-il envisageable de les réduire jusqu'à atteindre cette moyenne ?
Pour autant que notre politique commerciale vise à être plus durable et plus conforme aux exigences environnementales et sociales, deux aspects me semblent importants.
Je veux d'abord évoquer le devoir de vigilance des multinationales. En présentant le programme de la présidence française du Conseil de l'Union européenne, le Président de la République a dit que ce sujet ferait partie de ses priorités. Notre pays a été, d'une certaine façon, pionnier en la matière, mais la loi française n'a de sens que si elle s'appuie sur une politique forte à l'échelon européen. Or il y a déjà eu de multiples reports sur le projet de texte communautaire sur le devoir de vigilance. Où en est-il précisément ?
Je veux aussi parler de la préparation de la mise en place effective du fameux mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (MACF), qui pourrait entrer progressivement en vigueur à partir de 2023. Cette échéance sera-t-elle tenue ? Il serait désastreux, autant pour le climat que pour les perspectives de remboursement de l'emprunt commun, qu'elle soit repoussée.
Par ailleurs, il n'est pas envisageable de maintenir à terme les quotas gratuits alloués aux entreprises les plus polluantes, si nous voulons que ce mécanisme soit efficace et cohérent au regard des règles de l'Organisation mondiale du commerce (OMC). En outre, la Cour des comptes européenne a montré combien l'efficacité de ces quotas est discutable. Si on peut comprendre la préoccupation liée à la compétitivité de nos exportations, on ne peut pas, pour autant, céder à toutes les pressions destinées au maintien de ces avantages. L'action de la France aura-t-elle la détermination qui s'impose ?
Monsieur le ministre, vous venez de rappeler un certain nombre de priorités de la présidence française du Conseil de l'Union européenne, comme la prise en compte de l'enjeu environnemental et la nécessaire fermeté en matière de politique commerciale. Vous avez même dit que nous ne devons pas faire preuve de naïveté...
Mais force est de constater que la voix de la France n'est pas toujours entendue à l'échelle de l'Europe. Peut-être en sera-t-il différemment avec le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières ? Les appétences des États membres vis-à-vis de ce dispositif sont diverses : les pays ayant une balance commerciale excédentaire - je pense évidemment à l'Allemagne - sont particulièrement attentifs aux mesures potentielles de rétorsion commerciale.
La question se pose également pour nos entreprises exportatrices. Elles sont nombreuses malgré notre déficit commercial, qui est à un niveau abyssal, jamais atteint. Or le mécanisme qui a été conçu pour assurer une neutralité au sein de l'Union européenne pourrait pénaliser les entreprises européennes exportatrices, dès lors qu'elles ne bénéficieraient plus de l'allocation de quotas gratuits.
Monsieur le ministre, comment comptez-vous procéder pour que le mécanisme ne pénalise pas nos exportations et ne conduise pas à créer des filiales à l'extérieur de l'Union européenne ?
Monsieur le ministre, vous êtes également chargé de « l'attractivité » de la France qui dépend grandement de l'image de notre pays.
Il y a très longtemps, notre pays a fait le choix de l'universalité de ses réseaux à l'étranger. Nous sommes donc présents d'un point de vue économique ou culturel dans la majorité des pays. Pourtant, le budget du ministère de l'Europe et des affaires étrangères n'a cessé de diminuer année après année. Dans l'ensemble de nos réseaux, les crédits diminuent ; certes, ils stagnent cette année, mais cela est dû à la pandémie. Cela pose la question de notre perte d'influence et de la diminution de notre attractivité économique et culturelle.
Nous disposons pourtant d'un réseau dont peu d'autres pays disposent : je ne citerai, sur le plan économique, que Business France, les conseillers du commerce extérieur, les chambres de commerce ou encore les services économiques et, sur le plan culturel, les instituts français, les alliances françaises et les établissements scolaires.
Certains pays ont bien compris l'atout que constitue un réseau culturel et ils y investissent massivement. De notre côté, nous avons aussi un réseau, mais il a finalement beaucoup moins d'influence, parce qu'il n'a pas la chance de bénéficier du même soutien que ses concurrents.
Alors que le ministère de l'Europe et des affaires étrangères chapeaute désormais l'ensemble des politiques d'attractivité, comment défendre et développer notre attractivité économique, si la diplomatie d'influence, qui est essentielle à celle-ci, ne bénéficie pas de moyens suffisants ? Avez-vous une stratégie globale, dans laquelle tous nos réseaux seraient coordonnés pour éviter le fonctionnement en silos ? Quels en sont les objectifs ?
Je vous donne un exemple : les Irlandais travaillent chaque année sur une telle stratégie, appelée Global Ireland, et l'ensemble de leurs réseaux à l'étranger, qu'ils soient diplomatiques, culturels ou économiques, est focalisé sur les objectifs ainsi fixés. Je sais que vous connaissez bien ce pays. Que pensez-vous de ce mode de fonctionnement ?
Nous avons pris des décisions très importantes pour faire baisser les impôts de production et je peux vous dire qu'elles sont reconnues comme tel : j'ai visité lundi dernier une usine du groupe Mars installée dans le Loiret et son dirigeant m'a clairement dit que, si son groupe avait décidé d'investir 50 millions d'euros en France, c'est parce que les impôts de production et sur les sociétés avaient baissé.
Pour autant, il existe encore un décalage avec certains pays européens, dont l'Allemagne. Continuer de faire baisser les impôts de production pour améliorer encore plus notre compétitivité fait partie de nos pistes de réflexion.
Un autre levier qui nous a permis d'améliorer notre compétitivité a été la baisse des cotisations sociales ; ainsi, le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) a été transformé en un allègement pérenne de cotisations sociales. Il est vrai que cela concernait d'abord les bas salaires et que nous devons regarder la question des salariés plus qualifiés.
En tout cas, la France a créé 140 000 emplois industriels en 2021 et il y a eu deux fois plus d'usines ouvertes que d'usines fermées. Il existe donc une réelle dynamique en matière industrielle.
En ce qui concerne le devoir de vigilance, c'est une fierté pour la France d'avoir été pionnière en la matière avec la loi de 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d'ordre, dite loi Potier, dont d'autres pays se sont inspirés, à commencer par l'Allemagne. Nous devons maintenant travailler sur ce sujet au niveau européen. Le commissaire Didier Reynders devrait proposer une législation dans les semaines à venir et nous estimons qu'il est très important qu'un cadre européen soit fixé. Nous souhaitons que cette proposition intègre la question du travail forcé ; si ce n'était pas le cas, nous serions favorables à ce que l'Union européenne se dote d'un instrument spécifique sur ce sujet, comme l'a évoqué la présidente de la Commission.
Je peux vous dire, madame la sénatrice de Cidrac, que la voix de la France est de plus en plus suivie, y compris sur les questions commerciales. La Commission européenne a présenté une révision de sa stratégie commerciale dans laquelle la France se retrouve en très grande partie et qu'elle a d'ailleurs influencée. Des pays comme les Pays-Bas, traditionnellement éloignés de la France sur les sujets commerciaux, ou l'Allemagne, en particulier depuis l'entrée en fonction de la nouvelle coalition, sont dorénavant beaucoup plus en phase avec nous.
En ce qui concerne le MACF, de nombreux pays soutiennent un tel mécanisme et nous devons continuer de travailler à un consensus pour éviter les délocalisations et les « fuites » de carbone à l'extérieur de nos frontières. Nous devons protéger nos producteurs, auxquels nous demandons des efforts importants en matière de décarbonation, tout en évitant de pénaliser nos exportateurs. De ce point de vue, le dispositif précis n'a pas encore été identifié. Pour l'instant, il est proposé de réduire les quotas gratuits de 10 % par an sur une période de dix ans. Je rappelle que la Commission européenne a proposé une période à blanc pour le MACF de 2023 à 2025. Nous aurons des discussions avec nos partenaires sur tous ces sujets pour trouver un mécanisme qui soit solide et qui ne puisse pas être contourné.
S'agissant du ministère de l'Europe et des affaires étrangères, son budget global a augmenté de 32 % sur le quinquennat.
Jean-Yves Le Drian a précisé une nouvelle fois en décembre dernier notre stratégie d'influence qui passe par la marque France. Nous travaillons d'ailleurs à une campagne de communication dans un certain nombre de pays pour valoriser les entreprises françaises. Pour cela, nous rassemblons les différents leviers que vous avez évoqués.
Vous avez raison de dire, madame Conway-Mouret, que le soft power, comme on dit en franglais, est une question très importante. Je m'y suis beaucoup intéressé, lorsque j'étais ministre de la culture. Nous avons un très grand potentiel en la matière et cela reste au coeur de nos priorités.
Cela a été dit, le déficit commercial français atteint un niveau abyssal. Certes, la hausse des prix de l'énergie et des matières premières et la pandémie ont un impact, mais ce qui est très inquiétant, c'est que traditionnellement les ventes d'armement permettent à la France de tirer vers le haut sa balance commerciale. Par ailleurs, la croissance du marché de l'armement atteint des records, ce qui devrait créer une dynamique favorable pour l'industrie française.
Or force est de constater que les achats d'équipements militaires par les membres de l'Union européenne se font de plus en plus auprès d'acteurs hors de l'Union européenne. Neuf pays membres de l'Union européenne ont acheté des F35 américains. L'exemple de la Pologne est criant, puisqu'elle a consacré 10 milliards d'euros pour des F16, des missiles antichars et des F35 américains. L'exemple allemand vis-à-vis des avions Poseidon n'est pas sans poser d'importantes interrogations, alors même que nous redoublons d'efforts pour la réalisation du système de combat aérien du futur (SCAF) avec eux. Ces achats concernent également les munitions, les avions de transport, les hélicoptères, etc.
C'est donc l'ensemble de notre industrie de défense qui en pâtit. Cela a des conséquences sur la construction de la défense européenne qui doit s'appuyer sur une interopérabilité des matériels et sur notre souveraineté, car les exportations d'armement permettent à notre industrie de défense de maintenir ses capacités de recherche et de production, sur lesquelles repose notre modèle d'armée, le seul, dans l'Union européenne, à être autonome et complet.
Monsieur le ministre, quels actes forts allez-vous engager dans le cadre de la présidence française du Conseil de l'Union européenne pour favoriser la mise en place d'un marché commun européen de la défense, favorable à la France et à ses exportations ?
Monsieur le ministre, je suis désolé, mais je vais évoquer de nouveau la question du déficit de notre balance commerciale. En novembre dernier, notre déficit en la matière a bondi de 9,7 milliards d'euros, un niveau jamais atteint. Ce phénomène a eu un impact direct sur les factures énergétiques des Français, cela a été dit. La France s'est retrouvée en position d'importatrice nette en novembre au moment où les cours s'envolaient. Les déficits sur les produits énergétiques se creusent considérablement.
Comment comptez-vous remédier à ce problème pour l'année 2022 ? Si vous estimez que la moitié du déficit est due à la hausse des prix des carburants, dont acte ! Personnellement, je pense que c'est surtout dû un manque de capacité de production électrique. Quelle est la stratégie de la France pour rattraper ce manque ?
Quelles filières devons-nous renforcer pour équilibrer notre balance commerciale ? Je ne suis ni pessimiste ni naïf, mais quand le plan France Relance s'arrêtera, c'est-à-dire après la campagne présidentielle, dans quel état sera notre pays en matière commerciale ?
Monsieur le ministre, en septembre 2013, à Londres, Nicole Bricq, alors ministre du commerce extérieur, annonçait qu'elle devait équilibrer la balance commerciale de la France, hors énergie, d'ici à la fin du quinquennat de François Hollande. Son objectif : combler le trou de 15 milliards d'euros créé sous Nicolas Sarkozy. Raté ! Le gouvernement socialiste a renouvelé la performance de ses prédécesseurs et doublé le déficit dans ce domaine avec 36,2 milliards d'euros en 2017 - un record ! Match nul donc entre les protagonistes des deux quinquennats dans tous les sens du terme.
Le redressement de notre commerce extérieur sera une opération de longue haleine que chacun devrait aborder avec beaucoup d'humilité. Président du groupe d'amitié France-Pays du Golfe, j'ai eu le privilège de faire partie de la délégation qui accompagnait Emmanuel Macron pour ses visites de travail aux Émirats arabes unis, au Qatar et en Arabie saoudite en novembre dernier.
Trente-six ans après avoir travaillé sur le démonstrateur du Rafale A, j'étais comblé d'assister à la signature à Dubaï d'un contrat historique pour la livraison de 80 Rafale. Par ailleurs, les Émirats ont signé un contrat pour l'acquisition de 12 hélicoptères H225M Caracal auprès d'Airbus Helicopters, qui seront entièrement produits et assemblés à Marignane.
Ce voyage a permis de concrétiser des résultats économiques spectaculaires qui renforceront l'emploi en France. L'étape de Djeddah, en Arabie Saoudite, où vous nous avez rejoints, m'a permis d'y retrouver beaucoup d'entreprises françaises qui vous accompagnaient.
Pouvez-vous nous parler des résultats obtenus en Arabie Saoudite, qui ont été moins médiatisés que ceux obtenus aux Émirats, mais qui m'ont semblé réjouir nos entrepreneurs ?
La proposition de mécanisme d'ajustement carbone aux frontières constitue une avancée considérable, même si le chemin à parcourir pour le concrétiser sera sans doute long et certainement semé d'embûches. On peut donc comprendre pourquoi la Commission européenne n'a proposé d'inclure, dans un premier temps, qu'un nombre restreint de secteurs.
Il en est toutefois un qui est absent à ce stade et qui mériterait d'être intégré le plus tôt possible : il s'agit évidemment de l'agriculture. Vous allez sûrement me dire là encore que c'est un secteur où tout va bien... Toutefois, nous mesurons chaque jour les effets délétères de son exposition à la concurrence internationale déloyale.
Dans un récent avis sur le mécanisme d'ajustement carbone, la commission agriculture du Parlement européen a plaidé pour que le dispositif soit étendu au plus vite aux produits agricoles. La commission souligne que cette intégration est d'autant plus importante que, malgré les compensations promises en cas de perte de rentabilité, le secteur agricole sera directement touché par l'inclusion d'autres produits, notamment les engrais.
Monsieur le ministre, pouvez-vous nous indiquer la position du Gouvernement sur cette question et, le cas échéant, nous préciser si la présidence française entend préparer dès maintenant, par exemple via une étude d'impact ou une consultation intersectorielle, le terrain à l'extension de ce mécanisme aux produits agricoles ?
Je reviens rapidement sur l'attractivité pour vous dire que 700 projets de relocalisation sont en cours dans le cadre du programme France Relance. Une fois ce programme terminé, monsieur Cardon, c'est France 2030 qui sera le dispositif d'accompagnement des différents secteurs.
Quelqu'un a évoqué tout à l'heure les universités. Je crois qu'il faut avoir un peu d'objectivité en la matière et je vous rappelle que la France se situe en 2021 au troisième rang mondial du classement de Shanghai.
Sur l'énergie, la stratégie est claire : elle vise à développer à la fois les énergies renouvelables et le nucléaire. Ainsi, le Président de la République a annoncé la construction à terme de six centrales EPR. Pour diminuer la consommation d'hydrocarbures - je rappelle que nous avons décidé de stopper leur exploration en France, si bien que nous devons les importer -, il nous faut aussi - c'est ce que nous faisons - accompagner la transformation de notre parc automobile vers l'électrique.
Aujourd'hui, l'agriculture ne fait pas partie du champ des quotas carbone du système de permis d'émissions négociables (ETS) ; c'est la raison pour laquelle ce secteur n'a pas été intégré à ce stade au MACF. Nous devons continuer de discuter de l'ensemble de ces questions ; c'est ce que fait le ministre concerné, Julien Denormandie, avec les filières agricoles. Nous devrons aussi être attentifs sur la question des engrais pour éviter les « fuites » de carbone dont je parlais tout à l'heure et pour évaluer correctement les conséquences de l'intégration de ces produits sur la filière aval, c'est-à-dire l'agroalimentaire. Plus globalement, la politique agricole commune permet d'accompagner les filières et les exploitants dans la modernisation de leurs exploitations.
Nous gardons une forte ambition internationale pour le secteur agroalimentaire, que ce soit pour maintenir les marchés ouverts ou pour en ouvrir de nouveaux. C'est un secteur très concurrentiel. J'ai récemment eu d'importantes discussions avec les responsables algériens sur ces questions, par exemple.
Pour nous protéger des pratiques déloyales, nous soutenons la mise en place de clauses miroirs. Je pense notamment à l'utilisation des antibiotiques comme facteurs de croissance ou à la déforestation importée, mais les ministres Julien Denormandie et Barbara Pompili travaillent aussi sur d'autres clauses miroirs dans leurs secteurs respectifs, l'agriculture et l'environnement. Dans le même temps, nous devons continuer d'améliorer la compétitivité de l'agriculture française et européenne, ce qui est difficile, il faut le reconnaître, en raison de nos engagements en matière de développement durable.
Nous mobilisons beaucoup d'énergie sur le Moyen-Orient comme nous le faisons sur l'Afrique, l'Asie du Sud-Est ou encore l'Amérique. J'ai fait de nombreux déplacements depuis un an et demi. L'Arabie saoudite, pays sur lequel vous m'interrogez, monsieur Cadic, a adopté un plan stratégique, Vision 2030, qui prévoit de très importants investissements. Il faut savoir que le fonds souverain saoudien, le Public Investment Fund (PIF), va investir 40 milliards de dollars par an en Arabie saoudite d'ici à 2025. Or nombre de nos entreprises ont un savoir-faire formidable pour se positionner sur ces projets : je pense aux entreprises des secteurs de la ville durable, des énergies renouvelables, de la santé, du tourisme, de l'industrie, de la finance verte, des transports urbains ou encore de l'hydrogène. Nous devons continuer de nous mobiliser pour accroître notre présence en Arabie saoudite ; c'est pour cette raison que j'ai organisé dans ce pays, vous l'avez dit, un forum d'affaires, où 80 entreprises françaises étaient présentes. D'importants contrats ont été signés, par exemple une commande à hauteur de 400 millions d'euros auprès d'Airbus Helicopters, l'achat de fournitures pour des moteurs destinés à l'aéronautique à hauteur de 11 milliards pour Safran ou encore un contrat de gestion des eaux pour la ville de Riyad à hauteur de 80 millions pour Veolia. D'autres négociations sont en cours. Une vingtaine de contrats de coopération ont été signés avec ce pays, touchant différents secteurs d'activité. La confiance se renforce entre opérateurs français et saoudiens.
Enfin, une question m'a été posée concernant le secteur de l'armement. Ce secteur relève plus directement du champ du ministère des armées, mais il s'agit évidemment d'une question stratégique pour notre pays. L'Union européenne devrait adopter prochainement sa « boussole » stratégique. La complémentarité entre l'OTAN et l'Union européenne est absolument nécessaire. Nous devons prendre en compte l'aspect industriel de cette stratégie, parce que, si nous voulons être souverains, nous devons maîtriser les technologies et la production des matériels nécessaires à notre défense. La France a évidemment un savoir-faire particulièrement reconnu en la matière. Nous avons obtenu des résultats positifs, par exemple avec le Rafale en Grèce, en Croatie ou dans les Émirats arabes unis, mais aussi des déceptions comme avec les sous-marins. En tout cas, la souveraineté européenne passe nécessairement par une souveraineté en matière industrielle et technologique.
Pour conclure, je voudrais vous dire, monsieur le ministre, que le Sénat ne vous a jamais manqué, quand il s'est agi de travailler sur la compétitivité des entreprises. Je trouve donc assez déplacés les propos que vous avez eus - je préfère vous le dire. Nous avons toujours travaillé sur la compétitivité des entreprises à vos côtés, avec les territoires, et nous considérons qu'il y a encore du chemin à faire, comme vous l'avez vous-même indiqué tout à l'heure.
Je crois que nous avons des approches différentes sur l'énergie et la politique commerciale extérieure. En particulier, pour reprendre les propos de M. Cardon, je pense que nous n'aurions pas un tel déficit en matière énergétique, si nous n'avions pas été dans l'obligation d'acheter autant d'énergie en cette période. En tout cas, le déficit aurait été probablement moins lourd, même si nous savons bien que les tarifs sont en hausse.
Nous avons beaucoup parlé de politique commerciale internationale et des initiatives qui sont prises en Europe, en particulier en ce qui concerne le mécanisme d'ajustement aux frontières, le MACF. En revanche, nous ne vous avons pas interrogé sur la question de la concurrence déloyale intra-européenne, notamment en matière agricole. Or environ 80 % de notre déficit commercial est intra-européen et il est largement dû à des concurrences déloyales en termes de pratiques, que ce soit d'un point de vue environnemental ou social - on peut au minimum dire que ces pratiques ne sont pas homogènes... Il me semble que c'est une question très importante.
Par ailleurs, nous sommes assez inquiets en ce qui concerne la politique européenne de l'espace. Ce sujet fera l'objet de débats lors des conférences parlementaires organisées dans le cadre de la présidence française du Conseil de l'Union européenne. Nous sommes inquiets, là aussi, de la concurrence déloyale intra-européenne en termes de bases de lancement, mais aussi de l'absence de vision d'ensemble sur ce sujet. Il me semble que ce secteur doit concourir à l'attractivité de notre pays et que nous devons créer un marché unique européen en la matière.
Enfin, vous nous avez indiqué que vous aviez les meilleures relations avec le nouveau gouvernement allemand. Nous en sommes très heureux, car nous avons besoin de convergences entre nos deux pays, mais nous ne devons pas être naïfs au regard de l'importance de l'influence allemande en Europe.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 19 heures.