Intervention de Dominique de Legge

Mission commune d'information RGPP — Réunion du 8 juin 2011 : 1ère réunion
Échange de vues

Photo de Dominique de LeggeDominique de Legge, rapporteur :

Le discours convenu des représentants du Gouvernement illustrait parfaitement leur décalage avec les remontées du terrain que nous avons pu avoir. Toutefois, certains acteurs de terrain, bien qu'ayant eu un discours critique, ont également relevé les aspects positifs de la réforme, comme M. Jacques Brot, préfet de Vendée. C'est pourquoi je souhaiterai que le rapport de notre mission soit le plus équilibré possible, en pointant les dysfonctionnements de la réforme tout en mettant en valeur ses aspects positifs.

Je veux d'abord rappeler que, si elle s'est accélérée depuis 2007, la réforme de l'État est une préoccupation ancienne. On la retrouve aussi dans d'autres États européens ou non. Elle répond à une exigence d'efficacité de l'action publique. Elle est accélérée par un contexte budgétaire contraint. Elle est aussi une conséquence inéluctable de la décentralisation, que le Sénat a appelée à plusieurs reprises dans ses travaux d'information et de contrôle. On peut notamment citer à ce titre les rapports Mercier de 2000, Gourault-Krattinger de 2009, ainsi que les travaux de la Délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation et de notre collègue, Mme Michèle André, qui se sont intéressés, directement ou indirectement, à la question de la RGPP et de ses conséquences.

La RGPP s'inscrit dans un ensemble de réformes. Il y a la réforme des collectivités territoriales, celle de la fiscalité locale, la volonté de maîtriser la dépense publique dans le contexte de la crise financière, l'application de normes européennes comme la directive services. Ce cumul la rend plus difficile à appréhender et à « absorber ». Elle vient aussi dans un contexte de réformes et d'évolutions qui ne touchent pas que l'État. On notera ainsi les évolutions du service postal, de l'électricité ou encore la réorganisation de la SNCF. La pénurie de médecins dans certaines zones, la disparition de commerces de proximité sont vécues comme autant de reculs. Ces mutations créent une confusion dans les analyses, très perceptibles lors des auditions comme des déplacements de la mission.

Si la crise ne peut tout expliquer, le triptyque de base qui fondait la RGPP, à savoir une amélioration du service, une rationalisation de celui-ci pour tenir compte des évolutions intervenues et la recherche d'économies, s'est trouvé déséquilibré, et bien souvent la recherche de limitation des dépenses est apparue comme un leitmotiv qui a laissé à penser à certains que, à défaut d'adapter les moyens aux missions, on pouvait adapter les missions aux moyens. La diminution du nombre d'agents publics doit s'accompagner d'une redéfinition des missions.

Enfin je veux souligner que, conformément à l'objet de notre mission, nos analyses doivent se concentrer non pas sur la RGPP en tant que telle mais sur ses conséquences sur les collectivités territoriales et sur les services publics locaux. A cet égard, on a pu nous faire observer que notre évaluation était trop précoce car les effets de la RGPP ne seront mesurables que dans un délai beaucoup plus long. C'est probablement vrai. Nous sommes au milieu du gué. Mais nos observations et nos préconisations doivent permettre de corriger sans retard ce qui peut poser de vraies difficultés dans les territoires.

Le premier point que je vous propose de soulever dans le rapport est que, plus que les objectifs de la réforme, c'est la méthode utilisée qui pose problème. La RGPP répond à des objectifs ambitieux qui - me semble-t-il - peuvent faire consensus. Il faut, en effet, redéfinir les missions de l'État et nos travaux ont montré que ce processus est encore loin d'être achevé. Il faut adapter l'organisation de l'État à des missions recentrées et veiller à valoriser le travail et le parcours des agents. Enfin, le rétablissement des comptes publics est un impératif pour notre pays. Mais il est clair qu'il ne peut être la seule finalité de la révision des politiques publiques. Il nous faudra d'ailleurs dans le rapport discuter les chiffres d'économies budgétaires - qui s'élèveraient à 7 milliards d'euros - qui ont été évoqués. La Cour des Comptes nous a donné des éclairages très intéressants. J'attends toujours sur ce point les réponses du Gouvernement aux questions précises que je lui ai adressées. Mais il est clair que l'impératif de diminuer la dépense publique et l'application de la règle du « un sur deux » de manière systématique ont accrédité l'idée que la RGPP avait pour seul objectif de réduire la dette et, par conséquent, de limiter l'action de l'État, ce qui ne pourrait conduire qu'à des charges nouvelles pour les collectivités territoriales. Je relève l'observation souvent faite devant la mission que le niveau déconcentré aurait subi l'essentiel des diminutions d'effectifs quand l'échelon central aurait été relativement épargné ou moins mis à contribution. En outre, les spécificités locales - par exemple, les zones de montagnes ou les territoires ruraux - devraient être mieux prises en compte, en raison des questions de distance sous-jacentes. Pour parvenir à ces objectifs, la méthode utilisée a été très centralisée. L'absence de concertation est apparue dès nos premières auditions. Elle a été confirmée par la suite et également lors de nos déplacements. Certes, on peut admettre qu'à l'origine du processus de réforme, un certain volontarisme était nécessaire. Il n'empêche que, face aux conséquences très lourdes pour elles de ce processus de réforme, on ne peut accepter que les collectivités soient mises devant le fait accompli alors même que les spécificités locales n'ont pas été prises en compte. Organiser les conditions de cette concertation pour la suite de cette réforme devra être l'une de nos préconisations.

Le deuxième point de notre rapport concerne les collectivités territoriales confrontées directement aux conséquences de la RGPP. Elles sont d'abord confrontées à la réorganisation administrative de l'État. J'ai, à plusieurs reprises, mentionné à nos interlocuteurs ce curieux paradoxe qui veut que, s'inspirant des conclusions du rapport Balladur, la RGPP privilégie l'échelon régional au moment même où le législateur a plutôt cherché à conforter les compétences départementales. Toujours est-il que le rôle conféré au préfet de région peut être un instrument de cohérence pour la mise en oeuvre des politiques de l'État. Mais il ne doit pas mettre en cause la place du préfet de département comme acteur de terrain des politiques publiques et, par sa proximité, interlocuteur naturel des collectivités territoriales. En outre, l'inadéquation des procédures de gestion des crédits et des ressources humaines, encore très verticales et centralisées, fait que cette logique est largement inaboutie. L'échelon régional doit permettre une approche interministérielle. Toutefois, le préfet de région est lui-même confronté à une logique verticale vis-à-vis des divers ministères, pour la gestion des personnels et des crédits. Je vous proposerai de doter le représentant de l'État d'une enveloppe budgétaire globale et d'une capacité de décision effective pour la gestion des ressources humaines.

Par ailleurs, la réorganisation des services déconcentrés au bénéfice de l'échelon régional aboutit à des résultats contrastés. Plutôt bien accueillie en ce qui concerne les DIRECCTE, sous réserve de problèmes locaux, elle souffre d'un évident manque de proximité et d'adéquation aux réalités du terrain pour les DREAL. Nous devons là aussi faire des propositions pour répondre au besoin de proximité clairement ressenti par les collectivités territoriales. Et attention à maintenir dans les services déconcentrés le niveau suffisant et nécessaire d'expertise.

La fusion des services financiers a - semble-t-il - été plutôt bien vécue, en dépit de quelques conséquences pratiques critiquables que le rapport devra relever.

L'avenir des sous-préfectures constitue un autre enjeu important pour les collectivités territoriales. Comme le ministre de l'intérieur nous l'a confirmé, leur existence n'est pas mise en cause par le Gouvernement. Mais le ministre a aussi fait valoir que les sous-préfectures devaient réinventer leurs missions, déchargées qu'elles sont, dans le principe, du contrôle de légalité et de la délivrance des titres. Le sous-préfet doit rester un interlocuteur privilégié pour les collectivités territoriales, le point d'entrée pour les collectivités et les entreprises, ce que nous avons pu par ailleurs constater sur le terrain. Mais peut-il l'être s'il n'a plus à sa disposition que quelques collaborateurs ? On observe aussi des situations contrastées sur le territoire. Ainsi, dans le Nord où la mission s'est rendue, les arrondissements sont aussi peuplés voire plus que certains départements et le choix a été fait de maintenir des effectifs importants dans les sous-préfectures et de ne pas recentraliser le contrôle de légalité en préfecture. La mission devra donc se prononcer sur le rôle des sous-préfets et les moyens dont ils doivent disposer.

Cela m'amène à évoquer le contrôle de légalité. Sa centralisation en préfecture peut répondre à un souci de rationalisation et de renforcement des compétences. Ce qui peut aussi justifier un contrôle plus sélectif et centré sur les actes les plus sensibles. Mais nous devons rappeler le besoin de sécurité juridique des collectivités territoriales. Cela doit conduire à rejeter les contrôles inutilement tatillons. Mais cela implique aussi qu'il soit répondu, pour les plus petites d'entre elles, au besoin de conseil et d'accompagnement des communes. La mission devra réaffirmer cette fonction essentielle des services de l'État.

Le troisième point que je vous propose est le suivant : les territoires peuvent être profondément affectés par la réorganisation des services publics induite par la RGPP. Les territoires sont directement confrontés au retrait de l'État induit par la RGPP. De toute évidence, les différentes cartes ont été conçues et mises en oeuvre sans considération pour l'aménagement du territoire. Surtout, ces réformes ont souffert de l'absence d'une vision d'ensemble et ont obéi à une logique « en silos ». Certains territoires ont dû subir les conséquences dramatiques de plusieurs réformes successives. Nous avons ici recueilli les témoignages saisissants de Digne-les-Bains et de Joigny. Nous avons observé sur place la situation de Cambrai. Ce sont des dynamiques territoriales qui sont brisées. On peut comprendre que la réorganisation de la défense nationale obéisse à une logique propre. Mais on ne peut admettre que la mise en oeuvre de ces différentes cartes ne fasse pas l'objet d'une coordination et ne prenne pas en compte la réalité des territoires. En outre, les compensations doivent être effectives et inscrites dans la durée. Il y a là une exigence que nous devrons affirmer.

L'ingénierie territoriale a occupé une bonne partie de nos travaux. Les communes doivent faire face au retrait de l'État qui est la conséquence à la fois de la décentralisation et de la mise en oeuvre des règles de concurrence. La RGPP n'est pas responsable de la réduction et de la réorientation de l'ingénierie publique, qui a commencé il y a déjà une dizaine d'années. En revanche, la RGPP confirme ce mouvement et, en quelque sorte, le renforce. Les collectivités doivent, comme alternative, se tourner vers l'offre privée. Or, celle-ci s'avère onéreuse et parfois inexistante ou inadaptée à leurs besoins. En revanche, les collectivités territoriales font preuve d'ingéniosité dans la recherche d'alternatives, que ce soit par la voie de l'intercommunalité ou du soutien départemental. Cela pose aussi la question de la transmission des savoir-faire acquis par les services de l'État. Mais, en toute hypothèse, le désengagement de l'État constitue un transfert « rampant » pour les collectivités territoriales. Elles devraient donc avoir elles aussi un « retour » sur les économies réalisées par l'État. Au-delà, nous avons été appelés à examiner l'impact du nouveau mode de fonctionnement des services publics sur les collectivités territoriales et les usagers. Je crois que l'on doit approuver dans son principe le recours aux NTIC ou à des procédures nouvelles, telles que la télédéclaration. La dématérialisation peut être à terme source d'efficacité et de simplification pour les usagers. Mais le processus de changement ne va pas sans heurt. On a pu observer certaines difficultés pour la délivrance des cartes grises. En outre, avec ces procédures, les communes subissent des charges nouvelles. C'est vrai dans les échanges dématérialisés qu'elles ont avec l'État. C'est vrai aussi des missions qui leur sont confiées dans la délivrance des titres. Or la compensation de ces charges est insuffisante. Demander que cette compensation soit effectivement assurée devra être un axe important de nos préconisations.

Pour les usagers, nous avons pu constater le risque d'un service public qui ne répondrait plus au besoin de proximité. Nous avons aussi mesuré qu'une administration dématérialisée pourrait aussi être une administration « déshumanisée ». Comme l'a rappelé au cours de son audition M. Jean-Paul Delevoye, ancien Médiateur de la République, la machine ne remplace pas un contact individualisé. Enfin, c'est bien de miser sur les NTIC pour moderniser les procédures, encore faut-il que l'ensemble du territoire soit effectivement couvert par le haut débit. Ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Nous devrons demander que cette couverture soit effective.

Voilà l'ensemble des constats qui me paraissent se dégager de nos travaux. Ils pourront, complétés par notre échange de vues, servir de fil directeur au rapport que je vous présenterai dans quinze jours et motiver les propositions que je soumettrai à la mission. Je souhaite que ce rapport soit équilibré et constructif. Nous sommes par ailleurs au milieu du gué, nous ne voyons aujourd'hui que les effets négatifs de la RGPP, et nous en occultons ses effets positifs. Toutefois, nous devons faire à l'État une série de propositions pour permettre de corriger les effets indésirables de la réforme.

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