Intervention de Martial Foucault

Mission d'information Culture citoyenne — Réunion du 10 février 2022 : 1ère réunion
Audition de M. Martial Foucault directeur du centre de recherches politiques de sciences po cevipof

Martial Foucault, directeur du Centre de recherches politiques de Sciences Po (CEVIPOF) :

Merci pour ces excellentes questions. Sur la question de la désillusion démocratique et le parallèle que l'on peut faire avec d'autres formes d'engagement, il me semble utile d'insister sur un point essentiel : la lente désintermédiation politique. On parle souvent de la difficulté de faire plus de place aux corps intermédiaires dans notre vie démocratique. Les répercussions de cette situation sur les jeunes n'ont pas été suffisamment observées. Quand l'ensemble des corps intermédiaires perdent en capacité d'action (je ne parle pas de légitimité), le positionnement des jeunes est rationnel : ils s'en éloignent car la vie du pays ne repose plus aussi fortement que par le passé sur ces corps intermédiaires, dans lesquels j'inclus les collectivités territoriales. Il existe deux ressorts essentiels à la confiance des Français vis-à-vis de leurs représentants : d'une part la proximité (qui explique que les Français soient aussi attachés au maire) et d'autre part la compétence, la « probité », l'exemplarité. Il ne s'agit pas de compétence technique, mais de la capacité à transformer l'expression d'une demande sociale et d'un intérêt pour des enjeux en réponses. Les jeunes ont une tolérance beaucoup plus grande à l'erreur politique. On n'observe pas cette tolérance dans d'autres catégories d'âge, notamment les plus élevées.

Nous avons eu l'occasion, au CEVIPOF, de travailler avec des organisations syndicales et des représentants du patronat pour les aider à comprendre ces phénomènes. Ceux-ci peuvent s'expliquer par un turn-over très fort : un jeune dit adhérer aux valeurs de l'entreprise, puis la quitte quelques mois plus tard. La question n'est pas celle de la mobilité mais de la manière dont les organisations parviennent à produire de la confiance pour conserver ces jeunes. Ceci suppose de les convaincre de s'inscrire dans une relation d'engagement.

Il existe aujourd'hui une grande difficulté à concevoir du sens à l'action politique. La culture politique a aujourd'hui disparu. Pour les représentants élus, y compris les maires et les conseillers municipaux, donner du sens politique à son action doit être la principale préoccupation des dix prochaines années. Démultiplier des formes de rencontre, d'échange et de consultation n'est probablement pas la réponse. Je ne sais pas si une forme de discrimination positive à l'endroit des jeunes l'est non plus. En tant que professeurs d'université, nous avons parfois de réelles difficultés eu égard à l'engagement de nos étudiants dans toutes les instances des universités et dans les associations étudiantes. Je ne suis pas certain que la discrimination positive règlerait le problème, mais il faudrait l'expérimenter. Nous avons beaucoup à apprendre de pays étrangers, qui expérimentent de nouvelles formules. Nous devons conduire des opérations pilotes, les évaluer, avant de déterminer comment, le cas échéant, les généraliser. Vous avez évoqué la Suisse ; la participation des jeunes n'y est pas plus forte qu'en France. Il existe une certaine fatigue électorale et politique. La répétition de ces enjeux faisant l'objet de referendum ne construit pas de la politisation supplémentaire. Les niveaux de participation sont relativement identiques en Suisse et en France. Un débat a porté sur le fait de savoir si les formes nouvelles de vote (vote électronique, vote par correspondance) pourraient augmenter le taux de participation des jeunes. En Suisse, un sursaut a été observé avec le vote électronique, avant un retour à des niveaux plus faibles. S'agissant du vote par correspondance, il me semble que le sujet n'est pas spécifiquement dédié aux jeunes. Les jeunes ne recourent pas dans des proportions significatives à la procuration.

Enfin, vous avez évoqué les paradoxes, les contradictions apparaissant dans l'enquête sur la confiance. Je partage votre sentiment. Nous avons essayé de déterminer s'il existe en France des attitudes populistes chez les jeunes. Nous n'observons pas, chez les 18-24 ans, d'attitudes populistes plus importantes que dans d'autres catégories d'âge. Les plus jeunes peuvent exprimer un vote plus désabusé que radical en choisissant d'apporter leur suffrage à des candidatures extrêmes. Une société individualisée implique, en outre, une individuation du rapport au politique. L'instantanéité dans les comportements (de consommation, d'information) n'a aucune raison de ne pas se déployer dans le champ politique. Voter pour une élection présidentielle est ainsi un acte quasi instantané. Les moins de 35 ans ont en effet tendance à se décider en toute dernière minute, jusqu'à une semaine du vote. Le caractère immédiat, à la fois dans la politisation et dans l'expression démocratique, est un phénomène nouveau.

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