Mission d'information Culture citoyenne

Réunion du 10 février 2022 : 1ère réunion

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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La réunion

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Debut de section - PermalienPhoto de Stéphane Piednoir

Mes chers collègues, nous poursuivons notre cycle d'auditions avec Martial Foucault, directeur du Centre de recherches politiques de Sciences Po (CEVIPOF), que je remercie en notre nom à tous de s'être rendu disponible pour nous ce matin malgré un agenda particulièrement chargé.

Notre mission s'est mise en place dans le cadre du droit de tirage des groupes, à l'initiative du groupe RDSE, et notre collègue Henri Cabanel, membre de ce groupe, en est le rapporteur. Elle est composée de 21 sénateurs issus de tous les groupes politiques. Notre rapport, assorti de recommandations, devrait être rendu public au début du mois de juin 2022.

Cette audition donnera lieu à un compte rendu écrit qui sera annexé à notre rapport ; sa captation vidéo nous permet d'être suivis en ce moment même sur le site Internet du Sénat et sur Twitter. Cet enregistrement sera disponible, par la suite, en vidéo à la demande.

La création de cette mission d'information a été inspirée par la vive préoccupation suscitée par les taux d'abstention atteints lors des élections de 2021, plus particulièrement chez les jeunes, et de manière générale par la crise de confiance qui éloigne des institutions nombre de nos concitoyens, jeunes et moins jeunes. Le baromètre de la confiance que le CEVIPOF a publié en janvier a une nouvelle fois confirmé l'ampleur de cette défiance, qui touche tout particulièrement les partis politiques.

Le récent rapport de l'Institut Montaigne, publié le 3 février, intitulé Une jeunesse plurielle - Enquête auprès des 18-24 ans, fondé sur l'interrogation de 8 000 personnes, va dans le sens des constats que la sociologue Anne Muxel a partagés avec nous le 25 janvier dernier, qu'il s'agisse de la banalisation de la protestation, d'une plus grande tolérance des jeunes à la violence, y compris contre des élus, ou du recul de l'attachement au principe d'un gouvernement démocratique issu d'élections libres, voire d'une forme d'attirance de certains jeunes pour un régime autoritaire.

Au-delà de ces questions qui concernent la jeunesse, et à travers elle l'avenir de la démocratie participative, nous avons particulièrement besoin de votre expertise. Henri Cabanel, rapporteur, va vous poser quelques questions pour situer les attentes de cette mission d'information, puis je vous donnerai la parole, et nous aurons ensemble un temps d'échanges.

Debut de section - PermalienPhoto de Henri Cabanel

Monsieur le Directeur, je vous remercie d'avoir accepté notre invitation.

Pouvez-vous nous rappeler les résultats de l'enquête électorale conduite par le CEVIPOF lors des élections présidentielles et législatives de 2017, plus particulièrement sur les motivations de la participation et de l'abstention ? Les constats recueillis il y a cinq ans sont-ils selon vous transposables au contexte de 2022 ?

La crise de confiance qui se creuse depuis des années entre de nombreux électeurs et les institutions, et les critiques récurrentes dont fait l'objet le fonctionnement de la démocratie, confirmées par le dernier baromètre de la confiance politique du CEVIPOF publié en janvier, sont-elles, selon vous, réversibles ? À quelles conditions ? Pourquoi cette crise de confiance touche-t-elle moins les institutions locales que les assemblées parlementaires ?

Un axe spécifique de l'enquête électorale de 2017 concernait les formes de mobilisation politique des primo votants. Les constats établis à l'époque sont-ils selon vous transposables aux primo votants de 2022 ?

Les causes de l'abstention des jeunes électeurs sont-elles à votre connaissance les mêmes que pour leurs aînés, ou présentent-elles des spécificités ? Y a-t-il des différences d'attitude des jeunes électeurs à l'égard des élections nationales et locales ?

Les études que vous menez au CEVIPOF vous permettent-elles d'évaluer la participation aux prochaines élections et l'attitude des jeunes électeurs ?

Enfin, si l'on projette dans l'avenir les constats des sociologues sur les attitudes politiques des jeunes (vote « intermittent », développement d'une citoyenneté plus critique, plus exigeante voire radicale, moindre attachement à la démocratie), quelles seront à terme les conséquences de ces évolutions sur le comportement politique des citoyens ? Quels paramètres de la démocratie représentative (modalités de scrutin et notamment reconnaissance du vote blanc, propagande électorale) faut-il, selon vous, faire évoluer pour s'adapter aux mutations en cours et relever les défis de l'abstention et de la défiance ? Existe-t-il en la matière, selon vous, des exemples probants à l'étranger ?

Debut de section - Permalien
Martial Foucault, directeur du Centre de recherches politiques de Sciences Po (CEVIPOF)

Bonjour et merci de cette invitation, Monsieur le Président, Monsieur le Rapporteur, Mesdames et Messieurs les Sénateurs. Je suis toujours honoré d'être invité à débattre et à réfléchir avec votre assemblée sur ces questions qui deviennent de plus en plus saillantes. Sur cette question de l'engagement citoyen, qui peut prendre une forme concrète lors des échéances électorales, nous observons beaucoup de paradoxes. Nous ne pouvons pas affirmer que nous comprenons strictement le phénomène qui se déroule sous nos yeux.

Il est très difficile de tenter de projeter ce que nous avons observé en 2017 sur la séquence présidentielle et législative de 2022, quand bien même des élections intermédiaires ont illustré la démobilisation des jeunes pour les élections municipales, régionales et départementales, mais beaucoup moins pour les élections européennes.

Nous étudions principalement, dans nos enquêtes, la catégorie des personnes âgées de 18 à 24 ans. Or, je suis souvent frappé d'observer que les attitudes de la catégorie suivante (25-34 ans) s'apparentent à celles des 18-24 ans, en beaucoup de points. La question se pose donc pour une jeunesse élargie à un âge plus avancé.

Trois phénomènes m'interpellent : d'une part, la perception qu'ont les jeunes de la représentation - je ne parle pas de démocratie participative -, d'autre part, une comparaison qui ne tient pas à une forme de déterminisme sociodémographique des jeunes - l'âge n'est pas le ressort le plus fort, mais le contexte dans lequel ces jeunes entrent dans l'univers politique et, enfin, la confiance. C'est en effet un sujet qui nous préoccupe au CEVIPOF. Nous avons peut-être tort d'appréhender de manière unidirectionnelle le rapport à la confiance des citoyens vis-à-vis de leurs représentants, d'organisations économiques, syndicales et politiques. Nous devons également apprécier le rapport de confiance de l'ensemble de ces acteurs vis-à-vis des citoyens.

Nous parlons beaucoup d'une génération « désenchantée ». Vous avez cité ma collègue Anne Muxel, qui est spécialiste des questions de jeunesse et de politisation. Je reprendrai une de ses formules : elle parle souvent d'un engagement politique pour partie lié à un héritage familial et pour partie à une forme d'expérimentation. Les jeunes expérimentent en effet, dès le plus jeune âge, ce que le champ de la représentation peut leur permettre de découvrir mais surtout de comprendre leur place dans la société. Il s'opère une transformation majeure qui ne dépend pas de cette catégorie d'âge ou d'un déterminisme sociodémographique : depuis quarante ans, les transformations majeures que traverse notre société sont, d'une part, une individualisation très forte des comportements qui affecte aussi le champ politique et, d'autre part, ce que le sociologue Ronald Inglehart appelait la montée du « post-matérialisme ». Celui-ci consiste à considérer que les jeunes ont accédé à une forme d'autonomie dans leurs choix en s'affranchissant des hiérarchies traditionnelles, religieuse au XVIIIe siècle, éducative au XIXe siècle puis familiale au XXe siècle.

Cette montée du post-matérialisme a totalement disloqué, transformé le rapport à la politique. Pour beaucoup, cette indépendance, cette affirmation de soi rendrait les jeunes beaucoup plus libres. Ainsi, leur entrée dans l'univers politique ne se fait plus nécessairement par la famille ou par l'école. Je n'ai pas de réponse sur l'impact de ces nouvelles formes de médiation que sont avant tout les réseaux sociaux sur cette politisation des jeunes. Cette question est à la fois cruciale et très complexe. L'entrée des jeunes dans un univers politique se faisait par les allégeances partisanes, c'est-à-dire l'entrée dans une organisation politique, notamment syndicale. Ce parcours pouvait s'appuyer sur des convictions acquises parfois dans un entourage familial ou amical. Depuis plusieurs années, en France, aux États-Unis ou au Royaume-Uni, des formes de mobilisation politique se font jour sur les réseaux sociaux de manière invisible et très compliquée à observer. C'est un vrai sujet de préoccupation, qui d'ailleurs ne concerne pas que les jeunes de 18 à 24 ans.

Le débat sur la montée du post-matérialisme a ainsi une répercussion sur l'observation de la séquence présidentielle actuelle. Il n'est plus possible d'utiliser les mêmes grilles de lecture, notamment l'environnement social des jeunes. Ceci a pour conséquence une transformation des usages de la politique.

Nous avons observé en 2017 un décrochage en termes de participation des jeunes au deuxième tour de l'élection présidentielle, mais pas au premier tour, où le taux de participation n'était que légèrement plus faible (6 points) que la moyenne du corps électoral. Six semaines plus tard, lors des élections législatives, une démobilisation considérable est apparue. L'intermittence du vote ne concerne pas exclusivement les jeunes car elle est aussi avérée pour d'autres catégories d'âge. En deçà de 50 ans, elle est très forte. Au-delà, elle tend à disparaître.

S'agissant des motivations de la participation, l'exemple des élections départementales et régionales, avec une participation beaucoup plus faible des jeunes qu'aux élections municipales, a révélé des dimensions importantes et opérantes pour l'élection présidentielle. Se pose d'abord la question de l'intérêt pour la politique en général, puis pour l'élection en question. La troisième dimension est ensuite l'importance de l'élection comme modalité d'expression d'opinion. Dans la séquence actuelle, l'intérêt pour la politique est légèrement plus faible pour les 18-24 ans que pour la moyenne des Français (à peine 5 points). La différence réside dans l'intérêt pour la prochaine élection présidentielle. Selon l'enquête qui paraîtra demain, 42 % des Français déclarent avoir « beaucoup d'intérêt » pour cette élection, contre 34 % pour les jeunes de 18 à 24 ans, ce qui témoigne d'un décrochage de cette catégorie en ce qui concerne l'élection présidentielle. Elle est par ailleurs jugée importante pour plus de 40 % des Français, et seulement pour 29 % des jeunes. Cette élection qui structure la vie politique et la Ve République n'est donc plus perçue comme le moment important de la vie politique, alors même que les jeunes de 18 à 24 ans participeront pour la première fois à une élection présidentielle, ce qui devrait susciter de la motivation et de l'intérêt.

J'y vois deux raisons communes à ce que nous avons observé pour les élections locales. D'abord, les enjeux débattus à l'occasion des élections municipales, départementales et régionales, par exemple le sujet des compétences régionales et départementales, pouvaient légitimement mettre à l'écart du jeu politique les plus jeunes. Il s'agit là en quelque sorte d'un désintérêt de culture politique. S'agissant des municipales, il est difficile de démêler ce qui relève de la crise Covid et d'un désintérêt pour l'élection ; la démobilisation n'a pas concerné que les jeunes. Ensuite, le désintérêt plus fort des jeunes à l'égard de l'élection présidentielle peut être lié à une question d'offre électorale, à savoir si les candidats sont capables de discuter, de débattre et de formuler des propositions au sujet de ce que les jeunes identifient comme des enjeux prioritaires. De manière générale, les enjeux jugés prioritaires sont le pouvoir d'achat, le système de santé, la question environnementale et l'immigration mais, pour les jeunes, ces priorités sont l'environnement, les inégalités sociales et les discriminations. Il existe donc un réel décalage. Si la campagne ne permet pas à ces jeunes électeurs, parfois primo votants, de disposer d'éléments de réponse sur ce qui correspond à leurs priorités, une démobilisation est à craindre. C'est une évidence.

Du point de vue des intentions de participation, j'observe sur l'ensemble de cette élection présidentielle une baisse de 8 à 10 points par rapport à il y a cinq ans. 65 % des Français déclarent être certains d'aller voter au premier tour, contre 75 % en 2017. Pour les jeunes, ce chiffre a baissé de 20 points, pour s'établir à 47 %. Il s'agit donc d'un phénomène propre à cette campagne. En 2017, nous avons été frappés d'observer que tant que la campagne n'avait pas pris corps autour de candidatures, les jeunes étaient fortement attirés par des candidatures extrêmes, en l'occurrence celles de Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon. Puis, nous avons observé un changement au fil du déploiement de la campagne. Aujourd'hui, j'observe un phénomène sensiblement identique, avec une polarisation des choix de vote. Le vote des jeunes est donc profondément éclaté et est, d'une certaine manière, au diapason du phénomène constaté pour l'ensemble du corps électoral.

Vous avez évoqué la notion de confiance. Nous observons régulièrement, depuis près de dix ans, par la voie de notre baromètre de la confiance politique, une affirmation de formes démocratiques non pas innovantes, mais bel et bien inquiétantes. Vous avez évoqué l'attrait des jeunes pour l'idée selon laquelle la France pourrait être dirigée par un responsable militaire. Près de 35 % d'entre eux adhèrent à cette opinion. Sur la question de la confiance vis-à-vis de l'expression démocratique, j'ai été frappé par l'intérêt très prononcé des très jeunes pour la Convention citoyenne pour le Climat et pour l'expérimentation de ce processus nouveau. Cependant, au fil du déroulement de cette Convention, l'intérêt a chuté.

Ceci doit nous interroger, non pas sur la procédure en tant que telle, mais sur ce qui se dit et se fait. Dans notre enquête actuelle, les jeunes de 18 à 24 ans se disent encore fortement attachés au vote comme moyen d'expression démocratique, quasiment au même niveau que le reste de la population. En revanche, ils modèrent cette opinion, en considérant que d'autres formes d'expression démocratique sont tout aussi utiles. La notion d'utilité démocratique est d'ailleurs très forte chez les jeunes. Ces autres formes sont, par exemple, les manifestations, avec une légitimité donnée au recours à la violence comme moyen d'exprimer une opinion. Il s'agit cependant d'être prudent : le profil des jeunes qui appelleraient au recours à des formes plus radicales ne concerne ni les jeunes non diplômés ni les très diplômés. Attention à la portée parfois erronée que l'on peut donner au niveau d'éducation, qui conduirait à considérer que plus on est diplômé, plus on se singulariserait. Il y a très peu de différences entre le titulaire d'un bac professionnel, d'un bac général ou d'un diplôme bac+2.

Pendant la séquence du grand débat national, j'ai suivi avec des étudiants de Sciences Po plus de 200 réunions d'initiative locales. Un point m'a particulièrement frappé, au-delà de la faible participation des très jeunes (ce qui doit nous interpeler sur les moyens d'information dont ils disposent pour accéder à ces moments d'échange) : à chaque fois que la thématique de l'environnement était à l'agenda, la présence des jeunes était beaucoup plus forte. Cela crée donc une forme de désenchantement si pendant une campagne électorale ce sujet n'est pas abordé. Les jeunes sont plus fortement attachés à la recherche de consensus que de radicalité dans ce débat.

Par ailleurs, nous commettons une erreur d'analyse en considérant que les valeurs de tolérance des jeunes seraient moins fortes que par le passé. La tolérance est plus grande, mais dans un monde de plus en plus individualisé. Par conséquent, cette tolérance ne conduit pas nécessairement à un engagement politique, en témoigne la participation des moins de 35 ans dans les organisations syndicales, parmi les représentants du personnel dans les entreprises, ou encore la disparition d'un engagement politique dans les quartiers prioritaires de la ville, au profit d'une autre forme d'engagement, notamment culturelle ou sportive.

La crise Covid, avec des confinements, couvre-feu et restrictions successifs, a provoqué une fatigue mentale beaucoup plus forte chez les jeunes. L'isolement social, qui est un concept habituellement utilisé pour étudier la dépendance des personnes âgées ou très âgées, est comparable entre les plus de 65 ans et les moins de 25 ans. Cet isolement social peut être objectivé par le nombre de contacts que ces personnes ont eus au cours des dernières semaines, mais aussi par le sentiment de solitude. Au sortir de cette crise, la participation aux prochaines échéances électorales devra être étudiée à la lumière de l'état psychologique dans lequel se trouve une partie de la jeunesse. Le principe de l'école ouverte n'a pas totalement réglé ces problèmes.

S'agissant de l'appel des jeunes pour des formules plus proches de la démocratie participative, délibérative ou consultative, celles-ci peuvent effectivement paraître séduisantes en théorie pour beaucoup de jeunes. La démocratie participative ou délibérative n'est cependant pas chose aisée lorsqu'on ne maîtrise pas les codes de son fonctionnement. Prendre la parole en public, exprimer un argument, convaincre son voisin ou son aîné n'est pas donné à tous. Je suis très réservé quant à l'idée qu'il suffirait de démultiplier les expérimentations de démocratie participative et délibérative pour réintégrer dans le jeu politique des jeunes qui s'en seraient exclus eux-mêmes. C'est certes une demande des jeunes, qui sont favorables à la démocratie participative sans pour autant contester les principes de la démocratie représentative, mais la démocratie participative exige un long apprentissage. Je ne suis pas certain qu'elle soit la solution à tous les maux démocratiques que nous observons aujourd'hui.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Gillé

Il existe un sentiment global de désillusion démocratique qui est très puissant, notamment chez les jeunes. Lorsque vous évoquez l'appétence pour d'autres modes de représentation démocratique, j'ai le sentiment que l'engagement doit aussi se mesurer dans tous les aspects de l'engagement sociétal. Ceci interroge également leur engagement dans le monde de l'entreprise, qui me semble comparable. Nous observons que, pour certains jeunes, les modalités d'engagement diffèrent par rapport à un monde adulte classique et rejoignent notamment le concept d'entreprise libérée. Cela fait résonance à la manière dont on voudrait qu'ils s'insèrent dans le débat démocratique, alors que leurs attentes sont différentes.

Vous avez évoqué l'intérêt de mettre en évidence l'engagement des jeunes dans d'autres espaces, notamment associatifs et sportifs, qui peuvent être des lieux d'opportunité de rencontre et de débat démocratique. Il semble nécessaire de se demander comment susciter à nouveau du débat dans les associations, quelles qu'elles soient, notamment sportives, où elles sont le plus présentes en milieu rural. Ceci réinterroge la notion d'engagement et d'éducation populaire et la façon dont les nouvelles fédérations se repositionnent sur ce projet politique qu'était l'engagement citoyen et populaire au travers du mouvement associatif. Les associations ont en effet beaucoup de difficulté à faire participer les jeunes aux gouvernances associatives et à proposer d'autres modes d'engagement.

Enfin, nous sommes tous très inquiets de notre remise en question au regard de la désillusion démocratique. Nous avons des difficultés à sortir d'un schéma classique de « petites réponses », par exemple sur la rénovation du principe du vote pour créer de l'appétence. La rénovation des pratiques électorales me semble une réponse faible au regard de la situation à laquelle nous assistons aujourd'hui.

Debut de section - PermalienPhoto de Henri Cabanel

Vous avez évoqué les trois phénomènes que constituent la représentation, le contexte dans lequel les jeunes entrent dans la vie démocratique et la confiance. Je souhaiterais vous entendre sur la représentation. Nous avons auditionné des organisations de jeunes qui souhaiteraient que nous leur laissions davantage de place au sein des partis politiques et parmi les élus.

Vous avez abordé, en conclusion, la thématique de la démocratie participative. Je suis d'accord avec vous : le chemin reste encore long. Certains pays, comme la Suisse, ont une culture de référendum régulier, chaque année. Disposez-vous d'éléments sur la participation des jeunes à cette votation ?

Debut de section - PermalienPhoto de Stéphane Piednoir

J'ai deux questions complémentaires. Marie-Pierre Richer vous demande si des éléments vous permettent d'observer les différences d'engagement entre hommes et femmes. Par ailleurs, le baromètre que vous publiez ce mois-ci est éloquent : les Français se disent à la fois favorables à un régime autoritaire et jugent le vote utile, considérant que « c'est par les élections que l'on peut faire évoluer les choses ». Nous avons perdu la légitimité de prendre des décisions au nom du peuple, alors que celui-ci a désigné les élus pour prendre des décisions à leur place, pour l'intérêt général. Ces sondages très contradictoires illustrent qu'ils ne savent plus à qui se fier pour prendre des décisions, eux-mêmes n'en étant pas capables.

Debut de section - Permalien
Martial Foucault, directeur du Centre de recherches politiques de Sciences Po (CEVIPOF)

Merci pour ces excellentes questions. Sur la question de la désillusion démocratique et le parallèle que l'on peut faire avec d'autres formes d'engagement, il me semble utile d'insister sur un point essentiel : la lente désintermédiation politique. On parle souvent de la difficulté de faire plus de place aux corps intermédiaires dans notre vie démocratique. Les répercussions de cette situation sur les jeunes n'ont pas été suffisamment observées. Quand l'ensemble des corps intermédiaires perdent en capacité d'action (je ne parle pas de légitimité), le positionnement des jeunes est rationnel : ils s'en éloignent car la vie du pays ne repose plus aussi fortement que par le passé sur ces corps intermédiaires, dans lesquels j'inclus les collectivités territoriales. Il existe deux ressorts essentiels à la confiance des Français vis-à-vis de leurs représentants : d'une part la proximité (qui explique que les Français soient aussi attachés au maire) et d'autre part la compétence, la « probité », l'exemplarité. Il ne s'agit pas de compétence technique, mais de la capacité à transformer l'expression d'une demande sociale et d'un intérêt pour des enjeux en réponses. Les jeunes ont une tolérance beaucoup plus grande à l'erreur politique. On n'observe pas cette tolérance dans d'autres catégories d'âge, notamment les plus élevées.

Nous avons eu l'occasion, au CEVIPOF, de travailler avec des organisations syndicales et des représentants du patronat pour les aider à comprendre ces phénomènes. Ceux-ci peuvent s'expliquer par un turn-over très fort : un jeune dit adhérer aux valeurs de l'entreprise, puis la quitte quelques mois plus tard. La question n'est pas celle de la mobilité mais de la manière dont les organisations parviennent à produire de la confiance pour conserver ces jeunes. Ceci suppose de les convaincre de s'inscrire dans une relation d'engagement.

Il existe aujourd'hui une grande difficulté à concevoir du sens à l'action politique. La culture politique a aujourd'hui disparu. Pour les représentants élus, y compris les maires et les conseillers municipaux, donner du sens politique à son action doit être la principale préoccupation des dix prochaines années. Démultiplier des formes de rencontre, d'échange et de consultation n'est probablement pas la réponse. Je ne sais pas si une forme de discrimination positive à l'endroit des jeunes l'est non plus. En tant que professeurs d'université, nous avons parfois de réelles difficultés eu égard à l'engagement de nos étudiants dans toutes les instances des universités et dans les associations étudiantes. Je ne suis pas certain que la discrimination positive règlerait le problème, mais il faudrait l'expérimenter. Nous avons beaucoup à apprendre de pays étrangers, qui expérimentent de nouvelles formules. Nous devons conduire des opérations pilotes, les évaluer, avant de déterminer comment, le cas échéant, les généraliser. Vous avez évoqué la Suisse ; la participation des jeunes n'y est pas plus forte qu'en France. Il existe une certaine fatigue électorale et politique. La répétition de ces enjeux faisant l'objet de referendum ne construit pas de la politisation supplémentaire. Les niveaux de participation sont relativement identiques en Suisse et en France. Un débat a porté sur le fait de savoir si les formes nouvelles de vote (vote électronique, vote par correspondance) pourraient augmenter le taux de participation des jeunes. En Suisse, un sursaut a été observé avec le vote électronique, avant un retour à des niveaux plus faibles. S'agissant du vote par correspondance, il me semble que le sujet n'est pas spécifiquement dédié aux jeunes. Les jeunes ne recourent pas dans des proportions significatives à la procuration.

Enfin, vous avez évoqué les paradoxes, les contradictions apparaissant dans l'enquête sur la confiance. Je partage votre sentiment. Nous avons essayé de déterminer s'il existe en France des attitudes populistes chez les jeunes. Nous n'observons pas, chez les 18-24 ans, d'attitudes populistes plus importantes que dans d'autres catégories d'âge. Les plus jeunes peuvent exprimer un vote plus désabusé que radical en choisissant d'apporter leur suffrage à des candidatures extrêmes. Une société individualisée implique, en outre, une individuation du rapport au politique. L'instantanéité dans les comportements (de consommation, d'information) n'a aucune raison de ne pas se déployer dans le champ politique. Voter pour une élection présidentielle est ainsi un acte quasi instantané. Les moins de 35 ans ont en effet tendance à se décider en toute dernière minute, jusqu'à une semaine du vote. Le caractère immédiat, à la fois dans la politisation et dans l'expression démocratique, est un phénomène nouveau.

Debut de section - PermalienPhoto de Stéphane Piednoir

Merci pour votre intervention. Nous étudierons vos compléments écrits avec beaucoup d'attention.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.