Cette mission a été créée en écho à l'émotion suscitée par le scandale PIP. Bien plus qu'une simple fraude au gel de silicone, cette triste affaire illustre les dysfonctionnements de l'encadrement juridique des dispositifs médicaux. Les signaux d'alerte - lettres d'avertissement de la Food and Drug Administration (FDA), mission d'inspection de l'autorité sanitaire australienne, plaintes déposées en Angleterre, jusqu'aux interrogations du bureau central de tarification sur la qualité des produits de PIP - montraient pourtant que la chaîne de fabrication et l'organisation même de l'entreprise posaient problème. Le Gouvernement doit demander à l'inspection générale des affaires sociales (Igas) un bilan exhaustif de la gestion de cette crise. Il faut y voir clair, en termes de taux de rupture et de pathologies associées, ainsi que sur les conditions, y compris financières, des opérations d'explantation et de réimplantation. C'est le moins que nous puissions faire pour les trop nombreuses victimes.
Mais cette affaire est l'arbre qui cache la forêt. Au début des années 1990, la volonté de mettre en place le grand marché unique européen a conduit à une nouvelle approche réglementaire, faisant primer la libre circulation des produits sur la sécurité des patients.
Je reviens sur le rôle des organismes notifiés dans la certification des dispositifs médicaux. Je regrette que la possibilité offerte aux fabricants de faire certifier leurs produits par la voie dite bibliographique, qui devait rester l'exception, soit devenue la règle. Dans la plupart des cas, ils se contentent donc de présenter les études déjà disponibles, avec un effet domino : un dispositif peut être assimilé à un produit déjà existant, qui a lui-même été certifié par la voie bibliographique, et ainsi de suite. D'aucuns prétendent qu'un dispositif peut même être certifié par assimilation avec un produit retiré du marché. L'évaluation clinique est insuffisante, même pour les dispositifs les plus risqués. Il faudrait que la certification par équivalence ne puisse jouer qu'une fois ; j'espère que le Gouvernement reprendra cette proposition à son compte.
Pour ce qui est de la chirurgie esthétique, le cadre légal existe et la France est plutôt citée en exemple. Notre attention s'est donc portée sur la médecine esthétique, qui souffre d'une réglementation inadaptée, voire inexistante : c'est une vraie jungle. Il n'existe pas de véritable formation en médecine esthétique et chaque spécialité médicale revendique le droit de pratiquer un certain nombre d'actes, sans compter les dentistes au nom de leur capacité à traiter le sillon naso-génien. Les techniques et les produits évoluent très rapidement et de nouveaux marchés apparaissent - blanchiment des dents, épilation par lumière pulsée, etc. - sans que leur innocuité ait été établie.
Fort de ces constatations parfois dramatiques, souvent désolantes, je voudrais aujourd'hui formuler un ensemble de propositions. Mais avant cela, je souhaite dissiper quelques idées reçues. La première est que les règles régissant le médicament pourraient être transposées sans peine aux dispositifs médicaux. Ce sont deux produits de santé très différents. Nous pouvons nous inspirer du système du médicament mais en l'adaptant aux spécificités du secteur des dispositifs médicaux, je pense par exemple à l'institution d'une éventuelle autorisation de mise sur le marché.
Autre idée reçue : il suffirait d'adopter un modèle existant. Certains de nos interlocuteurs ont présenté la réglementation américaine comme la panacée alors que ses dispositions les plus contraignantes peuvent être contournées dans beaucoup de cas. Très voisin de ce qui existe en Europe, le système de reconnaissance par équivalence substantielle est pratiqué dans 90 % des cas.
Troisième idée reçue, fonder le suivi des dispositifs médicaux sur leur remboursement. Or la pose d'un dispositif médical s'appuie à la fois sur un acte et sur un matériel. Il faut disposer de données précises sur la dépense liée à l'utilisation de dispositifs médicaux dans les établissements de santé en général et à l'hôpital en particulier. Je serais étonné que la Cour des comptes ne se saisisse pas du sujet un jour ou l'autre. Fonder le suivi médical des dispositifs médicaux implantés sur le codage du PMSI est une tout autre affaire.
Dernière idée reçue : croire que tout se joue à Bruxelles. Notre mission en Suède et au Danemark ainsi que les éléments que nous avons recueillis sur le système australien montrent bien que la tenue de registres exhaustifs suppose des conditions précises et se heurte à une réticence quasi culturelle dans notre pays. Mais ce n'est pas la réglementation européenne qui nous empêche d'agir.
J'en viens aux propositions du rapport. Tout d'abord, il faut repenser en profondeur le mécanisme de contrôle des dispositifs médicaux, notamment au niveau européen. La Commission a annoncé vouloir réformer le système des organismes notifiés plutôt que mettre en oeuvre une véritable autorisation de mise sur le marché, sur le modèle du médicament, pour les dispositifs les plus risqués. Nous pensons pour notre part que la certification de ces produits doit se fonder sur des études cliniques poussées, de sorte d'établir une véritable liste positive. Il faut également revoir le mode de fonctionnement des organismes notifiés, aussi bien leur désignation, leurs méthodes de travail ou leur contrôle par les autorités compétentes. Nous proposons d'agir sans délai au niveau national. Il faut commencer par appliquer les dispositions existantes, par prendre les textes d'application de la loi « Médicament ». Deux domaines sont plus particulièrement concernés : l'évaluation des dispositifs médicaux utilisés à l'hôpital et les liens d'intérêts. Les Etats-Unis accordent une très grande importance à la transparence : en complément du Sunshine Act, plusieurs Etats ou universités ont plafonné les sommes susceptibles d'être perçues par les médecins. En l'absence de données précises, nous pourrions dans un premier temps suggérer la mutualisation des sommes perçues et demander la publication en ligne des flux financiers concernés.
Il faut par ailleurs simplifier un certain nombre de procédures afin de rendre la matériovigilance plus réactive : création d'un portail unique de déclaration des incidents, meilleure association des médecins et des professionnels de santé.
Nous souhaitons instituer de véritables registres ; ces instruments de suivi existent dans plusieurs pays et ont fait la preuve de leur efficacité. En Australie, ils ont permis la détection précoce des problèmes liés aux prothèses de hanche DePuy. Il faut encourager les initiatives des sociétés savantes et inciter les médecins à intégrer cette obligation de recueil des données. Au besoin, il nous faudra revoir les règles de protection des données personnelles, quand il y a un impératif de santé publique. La précision du numéro de sécurité sociale fait obstacle à la tenue de registres par les personnes de droit privé. A l'inverse, pour assurer un suivi efficace, il faut pouvoir contacter rapidement les patients et donc les identifier facilement. Nous sommes encore loin du système du registre suédois de la chirurgie de la main où les patients peuvent être contactés par SMS, mais cela ne doit pas nous empêcher de faire évoluer les mentalités.
Enfin, le public doit pouvoir accéder à une information claire et précise sur l'ensemble des incidents car la transparence est le seul moyen de restaurer la confiance.
J'en viens aux interventions à visée esthétique. Il est important de clarifier les compétences et les actes qui relèvent de la médecine esthétique. Pour éviter d'être dépassé par l'évolution des techniques, c'est à la finalité des interventions qu'il faut s'attacher plutôt qu'aux actes eux-mêmes. Une fois cette classification établie, il faut déterminer clairement les compétences des uns et des autres : on ne peut laisser les actes ou matériels dangereux, lampes à lumière pulsée ou cabines de bronzage, entre les mains de personnes peu qualifiées. Non pas que tous les professionnels de l'esthétique soient des irresponsables. Au contraire : l'entreprise Eurofeedback, que nous avons visitée, limite volontairement la puissance des lampes à lumière pulsée. Cela pourrait constituer une des bases de l'encadrement de leur utilisation par les esthéticiennes.
Avec les cabines de bronzage, le danger n'est plus potentiel mais avéré. Je vous propose donc une mesure radicale : leur interdiction pure et simple, hors usage médical. Lorsqu'un risque sanitaire est avéré, nous ne pouvons rester inactifs. Je préfère être accusé aujourd'hui d'excès de précaution que demain d'inertie ! Prenez l'exemple de l'Islande : avant l'apparition des cabines de bronzage dans les années 1980, ce pays ne connaissait quasiment pas de cancers de la peau. Toutes les études montrent que ces cabines ont contribué à la brusque augmentation de l'incidence du mélanome du tronc qui y a été observée depuis 1992.
Il est également urgent de réserver certains actes aux médecins et de doter ceux qui les pratiquent d'une véritable capacité, à travers la création d'un diplôme d'études spécialisées complémentaires (DESC), plutôt que d'ériger la médecine esthétique en spécialité médicale à part entière.
Il faut créer un parcours de soins esthétiques, mettre en place une véritable esthéticovigilance. Les Français doivent être alertés sur les dangers qu'ils courent, sur les risques du tourisme esthétique. Dans un premier temps, il faut créer un site internet regroupant l'ensemble des incidents liés aux interventions à visée esthétique. J'espère que cette meilleure information ouvrira les yeux des consommateurs. La création d'un carnet de soins esthétiques constituerait un autre élément utile.
Voici le socle des propositions concrètes, réalistes et réalisables, formulées dans le rapport. Sans perdre de vue l'incidence économique des secteurs concernés ainsi que la nécessité de ne pas freiner l'innovation, je pense qu'elles sont de nature à replacer la sécurité au premier rang des priorités car, selon le principe d'Hippocrate, Primum non nocere.