Intervention de Martial Foucault

Mission d'information Commune et maire — Réunion du 1er mars 2023 à 18h00
Crise de vocation des maires — Audition

Martial Foucault, professeur des universités en science politique à Sciences Po Paris et directeur du Centre de recherches politiques de Sciences Po (CEVIPOF) :

Je n'aurai pas les réponses à toutes les questions qui m'ont été posées. Certaines d'entre elles doivent impérativement venir des maires en exercice et anciens maires eux-mêmes.

Je retiens plusieurs points, qui ont le mérite d'objectiver un certain nombre de phénomènes, que nous avons coutume de lire dans une presse souvent plus déchaînée que raisonnable, qui peuvent constituer des pistes à explorer.

Le premier point que je souhaite aborder est celui de la crise ou du découragement des vocations, qui est apparu dans plusieurs des témoignages.

Dans un travail que j'ai pu mener dans le cadre d'enquêtes auprès de maires et de larges échantillons de Français à propos de leurs propres représentations de la vie au sein d'une commune, la question de la vocation tient une place particulière. La notion est curieuse, elle comporte une dimension religieuse, un appel divin. L'expérience spirituelle justifierait à elle seule l'engagement.

La réalité est évidemment plus complexe. La France connaît un paradoxe : alors qu'elle réunit presque un million de candidats lors des élections municipales, au sein d'un corps électoral de 46 millions d'individus, nous constatons le vieillissement des équipes municipales en général et pas seulement des maires. En l'espace de 20 ans, la part des retraités parmi les maires est passée de 30 à 40 %.

Une ambiguïté existe quant aux termes que l'on associe à l'exigence du mandat de maire, entre « fonction » et « métier ». Deux maires viennent par exemple de mentionner le « travail » et le « boulot » de maire, en indiquant qu'il était passionnant. Mais cela signifie au fond que cette activité est chronophage et exigeante, laissant parfois les maires désemparés face aux attentes pressantes des administrés.

Les enquêtes montrent que dans les communes de moins de 3 500 habitants, les maires parlent de « métier », alors que dans les communes de plus de 10 000 habitants ils parlent de « fonction ». Cela illustre, dans les petites communes, une certaine solitude par rapport à la complexité technique de l'exercice du mandat de maire.

Le deuxième point que je souhaite aborder est celui des démissions. Je suis surpris de constater qu'en 2023, le bureau des élections du ministère de l'Intérieur n'est pas capable de fournir des données précises sur le nombre et les motifs de démissions. Si ce sujet est effectivement d'importance nationale, pouvoir le quantifier est une nécessité. Il est simplement fait état de 910 démissions volontaires depuis juin 2020. Ce chiffre ne tient pas compte des décès, des démissions d'office prononcées par un juge, ni de celles liées à l'application de la loi sur le cumul des mandats ou la fusion des communes. La loi oblige tout maire démissionnaire à en informer le préfet : dans un souci d'intérêt public, la cause pourrait être indiquée, afin d'éviter un certain nombre de fantasmes à ce sujet.

Je rappelle qu'un maire sur deux exerce la fonction de maire en même temps qu'une activité professionnelle. Ce cumul est un premier motif qui conduit des maires à ne pas se présenter à nouveau. Un autre motif est la difficulté de concilier cette fonction avec sa vie personnelle et familiale. Ce n'est pas sans lien avec le vieillissement des maires, la conciliation entre toutes ces exigences étant plus difficile entre 40 et 50 ans.

Gilles Cadoret indiquait avoir eu une expérience au sein du milieu associatif. Cet engagement associatif préalable est déterminant dans les parcours des maires. C'est un rite de passage, qui témoigne d'un engagement citoyen très fort.

Il faut se méfier de l'interprétation des intentions déclarées de ne pas se représenter. Une enquête du CEVIPOF publiée en 2019 indiquait que 60 % des maires envisageaient de ne pas se représenter. Mais, en réalité, 40 % des maires furent renouvelés, et 20 % des nouveaux maires étaient déjà membres de conseils municipaux. Les conseils municipaux sont par ailleurs, en moyenne, renouvelés à hauteur de 60 %.

Les témoignages que nous avons entendus recoupent ceux que j'ai pu rassembler, après avoir interrogé plus de 6 600 maires.

L'engagement du maire repose principalement sur deux moteurs : la reconnaissance des administrés ; le sens civique. Les maires soulignent que leur engagement se fait au nom d'une conception élevée de la citoyenneté, qu'eux-mêmes souhaitent incarner et faire vivre.

En revanche, ils mettent en avant deux sources d'insatisfaction : l'absence de reconnaissance de la part de l'État, en particulier du pouvoir exécutif ; l'inflation normative, qui rend la fonction de plus en plus technique, à l'opposé de ce que porte la notion d'engagement politique. Cela est particulièrement le cas des municipalités qui ne disposent pas d'un secrétaire de mairie.

L'attachement des citoyens à leur municipalité est profond. Deux tiers des Français se déclarent attachés à leur commune, ce qui est un niveau comparable à l'attachement pour le pays, bien supérieur à celui déclaré pour le canton, la région ou l'Union européenne.

Logiquement, les Français placent très haut leur maire parmi leurs représentants préférés. Cela n'a pas toujours été le cas. Jusqu'au début des années 90, c'était plutôt le député. Cette situation a évolué en raison de scandales politiques ainsi que de la « désutilité » de la fonction de député face à l'ampleur de problématiques qui dépassaient largement le champ d'action des parlementaires.

Cette place symbolique du maire traduit une aspiration, qui n'est pas propre à la France : la demande de proximité. Celle-ci ne recouvre pour autant pas nécessairement une demande de décentralisation. En effet, je pense que la culture de la décentralisation n'est acquise ni pour les citoyens ni pour les élus. Les maires n'appellent généralement à plus de décentralisation que dans les périodes de tension avec l'État. À l'unisson des Français, une majorité des élus préfère l'efficacité à l'égalité républicaine. Lorsque l'égalité n'est pas combinée à de l'efficacité, elle n'est pas réclamée.

Quelles conséquences en tirer pour l'avenir des communes ? Faut-il leur donner plus de compétences ? Les maires ne s'engagent pas pour n'être qu'officiers d'état civil et sont très attachés à l'exercice de leur responsabilité politique. Or, comment l'exercer s'ils disposent de moins en moins de compétences ? Nous pourrions d'ailleurs nous interroger sur le bien-fondé de maintenir des élections si les compétences du maire ne sont plus politiques.

Les maires confirment le développement de profondes tensions démocratiques dans leurs territoires, que reflète la baisse de la participation aux différentes élections. En 2020, les maires interrogés estimaient que cette baisse était passagère. Les Français, attachés à leur maire, retrouveraient le chemin du bureau de vote. 83 % des mêmes maires interrogés en 2022 faisaient part de leur inquiétude à ce sujet, craignant un désintérêt politique plus profond. Le point de bascule, en deux ans, est considérable.

Je parle de tensions démocratiques, parce que les maires perçoivent un durcissement des opinions politiques. 50 % d'entre eux relèvent, notamment lors de l'élection présidentielle, que les citoyens aux opinions opposées ont de plus en plus de mal à échanger.

Pour les maires, ce phénomène serait notamment lié aux fractures territoriales, et au sentiment de relégation qu'elles suscitent et que ne contrecarre pas toujours la réinstallation des services de l'État. À cet égard, une maison France Service n'a un impact que si, aux yeux des citoyens, elle rétablit des services publics efficaces et fonctionnels. Les inégalités économiques et sociales seraient une autre cause de ce durcissement des opinions politiques.

Je pense qu'il faut systématiser la remontée d'information relative aux violences commises à l'endroit des maires. L'AMF collabore à ce sujet avec la gendarmerie nationale.

Les enquêtes permettent de constater une explosion des violences symboliques à l'encontre des maires, mais pas des violences physiques. Lorsque l'on sait combien il est difficile pour un maire, incarnation de l'autorité, de révéler des violences subies, l'on peut penser que le chiffre des violences déclarées se situe en dessous de la réalité. Certaines violences sont moins visibles, car virtuelles, mais extrêmement dommageables. De nombreux maires sont conduits à ne plus utiliser de réseaux sociaux, même à titre institutionnel, pour leurs communes. Les maires, mais également leurs entourages familiaux, sont régulièrement nommément attaqués.

Cette question de la violence à l'endroit des maires est à prendre au sérieux. Il ne faut pas seulement y voir une forme catharsis de la violence plus générale de la société : les maires en tant que tel sont tenus responsables de tout, alors qu'ils n'ont pas prise sur tout.

Dans cette optique, nous devrions vérifier si la crise consécutive à la pandémie de Covid-19 a permis une amélioration du dialogue entre mairies et sous-préfectures, jusqu'alors rompu. On dit parfois que cette période de crise aurait donné lieu à une réhabilitation du couple « maire-préfet ». Cependant, plusieurs témoignages m'indiquent le contraire. Peut-être n'était-ce que parce que les maires s'alignaient le plus souvent sur les directives étatiques, les tensions apparaissant lorsqu'ils prenaient des initiatives non validées par les préfets.

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