Mes chers collègues, avant d'ouvrir l'audition de cette fin d'après-midi, quelques mots sur l'organisation de nos travaux.
Comme vous l'avez vu dans le programme prévisionnel, nous essaierons, dans les prochaines semaines, de tenir un rythme d'une audition plénière tous les quinze jours. Parallèlement, nous vous proposons de participer à nos déplacements, généralement organisés le lundi, qui nous permettront d'observer, au plus près du terrain, les réalités évoquées au cours de nos échanges.
Par ailleurs, avec le rapporteur, je remercie ceux d'entre vous qui, depuis notre dernière réunion, nous ont fait passer d'utiles suggestions d'auditions ou d'éclairages particuliers. Nous avons essayé d'en tenir compte dans la programmation des travaux que nous vous soumettons.
Je salue également la présence de notre collègue Françoise Gatel, Présidente de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation, qui travaille également sur la question du « blues des maires » et à laquelle nous avons donc proposé de se joindre à nous pour cette audition.
Je vous propose à présent d'ouvrir notre première table ronde, consacrée à la crise de vocation des maires. Nous avons le plaisir de recevoir quatre anciens maires qui ont accepté de témoigner sur les difficultés d'exercice de leur mandat et les raisons pour lesquelles ils ont décidé de démissionner ou renoncé à se représenter.
Sont ici présents ou par visioconférence : MM. Gilles Cadoret, ancien maire de la commune de Saint-Aignan dans le Morbihan, Emmanuel Éloré, ancien maire d'Andouillé-Neuville, en Ille-et-Vilaine, Jean-Luc Wagnon, ancien maire de Longsols, dans l'Aube et Claude Landos, ancien maire de La Celle-Dunoise, dans la Creuse.
Enfin, je salue également, M. Martial Foucault, professeur de sciences politiques et directeur du centre de recherches politiques de Sciences Po (CEVIPOF), qui pourra compléter les témoignages des précédents invités avec l'analyse du chercheur.
L'objet de notre mission d'information est de s'interroger sur l'avenir de la commune et du maire : quel peut-il être, quelles menaces pèsent sur lui, quels espoirs porte-t-il en lui, et surtout, à quelles conditions pourra-t-il se réaliser ?
Or, chacun ici a pu le constater dans son département et plusieurs travaux scientifiques l'ont confirmé : une crise de vocation des maires se dessine depuis plusieurs années, et les dernières élections municipales en ont fourni une illustration. On a aussi pu parler de « ras-le-bol » ou de « blues des maires ». Si le phénomène n'est pas majoritaire, il manifeste, à notre sens, les difficultés de l'exercice du mandat municipal aujourd'hui. Or, avant de parler de l'avenir, et pour le préparer au mieux, il est important de savoir d'où l'on part. C'est pourquoi votre témoignage nous sera précieux, puisqu'il rendra compte des raisons pour lesquelles vous avez hésité à vous représenter ou avez décidé de démissionner de votre mandat.
Je vous propose d'engager dès à présent nos échanges et vous donne, dans un premier temps, la parole, pour exposer votre analyse sur le sujet. Puis, avant de donner la parole à M. le rapporteur et à nos collègues ici présents pour qu'ils vous interrogent à leur tour, j'inviterai M. Martial Foucault à nous livrer son analyse sur cette crise de vocation, son ampleur, ses manifestations, ses causes et les solutions qui pourraient y être apportées.
La Présidente a rappelé quels étaient les objectifs de cette mission d'information. La parole va vous être donnée, en espérant que nous ayons les échanges les plus interactifs possibles.
J'ai été élu maire pour la première fois en 2020, après avoir été conseiller municipal pendant douze ans et premier adjoint en 2011. Cette démarche s'inscrivait dans la continuité de mon engagement associatif.
J'ai démissionné de mon mandat de maire au bout d'à peine deux ans, en raison de désaccords liés au projet de construction d'une passerelle au-dessus du lac séparant Saint-Aignan et une commune voisine. La passerelle symbolisait la vision que je défendais d'un rapprochement entre nos deux communes, nos deux intercommunalité et nos deux départements.
Malheureusement, une partie du conseil municipal s'y est opposé très vivement. Des habitants de la commune ont suivi, j'ai reçu des courriers, un journal a paru, me mettant en cause. La situation s'est tendue, un adjoint a failli en venir aux mains contre moi. Je ne m'étais pas engagé pour cela et j'ai démissionné.
Je salue Françoise Gatel, avec qui j'ai pris beaucoup de plaisir à travailler en Ille-et-Vilaine.
Je n'aurais jamais dû me poser la question de démissionner. Je souhaitais ne pas me présenter pour un nouveau mandat lors des élections municipales de 2020. Faute de candidats j'ai repris mon mandat, avec l'intention d'y mettre un terme lorsque mon successeur serait trouvé, ce qui est arrivé rapidement.
Ce fut impossible lors de mon avant-dernier mandat. J'ai par conséquent accepté de recomposer une liste pour les élections suivantes. Mes collègues étaient prévenus de ma volonté de démissionner dès que possible. À 82 ans, je souhaitais me retirer.
J'étais maire d'une petite commune de l'Aube. Je n'ai pas démissionné, mais j'ai souhaité ne pas me représenter pour un nouveau mandat. J'ai été élu au conseil municipal pour la première fois en 1989, puis j'ai effectué trois mandats d'adjoint et un de maire.
La fin de mon engagement est la conséquence d'un désaccord avec une conseillère municipale, qui m'a agressé et mis en cause sans fondement à propos d'un sujet particulier. Je ne souhaitais pas abandonner les projets en cours, j'ai donc achevé mon mandat. Aux élections de 2020, je me suis présenté pour un poste de simple conseiller municipal mais les premiers années ont été difficiles. J'ai été attaqué par de nouveaux élus, puis la conseillère en question est devenue adjointe, et, sans vouloir polémiquer, je ne suis pas d'accord avec ce qui a été fait.
Je salue la création de cette mission d'information sénatoriale, qui peut en effet faire avancer les choses.
J'étais maire d'une commune rurale de 560 habitants, située dans la Creuse. J'ai été élu conseiller municipal en 2008, sans faire partie de l'équipe du maire de l'époque. Ce premier mandat s'est bien déroulé, j'y ai appris le travail d'élu, en bonne intelligence avec l'équipe municipale. Cependant, personne ne souhaitait se présenter à la mairie lors des élections de 2014. J'ai organisé une réunion publique, au cours de laquelle, avec plusieurs des habitants présents, nous avons constitué une liste hétéroclite. Nous avons tous été élus. Ce premier mandat en tant que maire s'est également bien déroulé, grâce à la complémentarité de l'équipe.
Plusieurs membres de l'équipe n'ont toutefois pas souhaité se présenter de nouveau lors des élections suivantes. Les jeunes élus, qui avaient une activité professionnelle étaient peu disponibles -c'est là une difficulté sur laquelle il faudrait se pencher. D'autres, plus âgés, souhaitaient arrêter. J'ai été élu sans opposition, mais l'ambiance n'était plus la même que lors du précédent mandat.
Nous avons rencontré plusieurs difficultés, au premier rang desquelles la pandémie de Covid-19. La collaboration avec des élus plus jeunes, novices, a été également compliquée. La secrétaire de la mairie a été victime d'un burn-out ; puis la deuxième adjointe, avec qui j'entretenais de bonnes relations, a démissionné. Je me suis posé la question d'arrêter à ce moment-là, alors que j'avais prévu de ne le faire qu'à mi-mandat. Je suis médecin de campagne à mi-temps et j'ai par ailleurs des engagements associatifs.
J'ai souhaité démissionner, car je n'avais pas envie de lutter quotidiennement avec des personnes avec qui j'étais en désaccord. Je poursuis dorénavant mon activité de médecin généraliste, qui s'accompagne d'un travail auprès de l'agence régionale de santé (ARS). Je participe à un certain nombre de commissions pour faire progresser la démographie médicale, en berne.
Je regrette d'avoir dû démissionner, dans la mesure où le mandat de maire est passionnant.
Merci à chacun d'entre vous.
Nous remarquons bien qu'à l'origine de vos démissions ou décisions de ne pas vous représenter, il y a un fait déclencheur. Pourriez-vous préciser les écueils les plus importants que vous avez rencontrés dans l'exercice de vos mandats locaux ? Comment lever ces obstacles et quelles priorités se fixer pour redonner souffle à la France communale et faciliter l'exercice du mandat de maire ou conseiller municipal ?
Le refus de deux de mes adjoints de collaborer avec moi posait d'importants problèmes. La présence hostile d'une partie de la population lors des réunions du conseil municipal, en plus des agressions physiques dans les rues de la commune, rendait la tâche trop difficile. La situation était d'autant plus complexe que le premier adjoint était, avant cela, l'un de mes meilleurs amis. Mais son opposition politique au maire à l'initiative du projet de passerelle était à la source de toutes les tensions.
Le travail de maire est un travail passionnant, qui devient cependant de plus en plus lourd dans les petites communes, rurales en particulier.
Deux éléments m'ont déterminé à mettre un terme à mon mandat : d'une part, la complexification des problématiques liées à l'urbanisme, d'autre part, les enjeux des relations entre les communes et les communautés de communes, auxquelles de plus en plus de compétences sont allouées. J'ai le sentiment que le maire, peu à peu privé de compétences, est réduit à l'état de marionnette. Une réflexion est à mener à ce sujet, sur la question de l'assainissement par exemple, qui deviendra une compétence communautaire en 2026. Or, cela fait partie des compétences qui donnent au maire le sentiment d'être utile. Je sais que le Sénat travaille sur la question.
Le maire est extrêmement sollicité dans les petites communes rurales, d'autant que ces communes sont obligatoirement regroupées au sein de communautés de communes, auxquelles de nombreuses compétences ont été transférées. Pour suivre les dossiers, il faut donc assister à nombreuses réunions, chronophages, au sein de ces intercommunalités, où nous nous ne pesons pas tous le même poids.
Ainsi, dans mon cas, la communauté de communes recouvre deux cantons, regroupant respectivement une dizaine et trois communes sur chaque territoire. Une fois le président de la communauté de communes devenu conseiller départemental du canton principal, un véritable déséquilibre s'est créé au profit de ce canton, au sein de l'intercommunalité.
Si les relations avec l'administration sont généralement bonnes, elles sont néanmoins difficiles avec les architectes des bâtiments de France. Je l'ai constaté à l'occasion des travaux sur l'église du village.
Lors de mon premier mandat, des chantiers liés à l'assainissement général de la commune ont suscité des difficultés. Mais, comme notre équipe municipale était soudée, nous avons pu surmonter les mécontentement de certains habitants des hameaux concernés. De bonnes relations au sein de l'équipe facilitent également les situations où il faut suppléer à l'absence prolongée de quelqu'un, comme ce fut le cas pour moi lors de ce mandat.
Lors de mon second mandat, l'équipe était en revanche divisée et je suis devenu minoritaire du fait de la défection de la deuxième adjointe. Or, je ne souhaitais pas m'épuiser dans des conflits, en plus de mon travail.
Les relations avec l'administration étaient quant à elles globalement bonnes. Nous avons cependant dû nous battre pour maintenir ouvertes des classes, ainsi que des services publics.
Un autre enjeu était celui de la démographie médicale. Sept médecins étaient présents dans la commune voisine lors de mon arrivée en 1986. Ils ne sont plus que deux, à mi-temps. Les défections et départs à la retraite se multiplient aux alentours.
Nous essayons de lutter, avec les collègues, au travers d'associations ou de syndicats, mais nous constatons que, malgré nos efforts, nous prêchons dans le désert. Les réunions ne manquent pourtant pas, au sein de la communauté de communes, de l'ARS et de la préfecture. Le problème est que les réunions semblent prévues pour nous faire perdre notre temps ou que les conclusions sont rédigées dès le départ.
Permettez-moi de saluer tout particulièrement Emmanuel Éloré qui a eu, comme beaucoup de maires, le souci de la relève.
J'ai l'impression que l'enjeu pour les maires n'est pas tant le principe de l'engagement que sa complexité. La fragilité des équipes, accentuée par la pandémie de Covid-19, ressort de vos témoignages. Les démissions sont à ce titre plus nombreuses que d'habitude. J'ai plusieurs questions et remarques.
Pensez-vous qu'il serait utile que les associations départementales de maires proposent une formation à la conduite des équipes municipales ? En effet, celles-ci sont composées d'individus différents, afin de représenter la diversité de la commune, mais il faut veiller à leur cohésion.
Avec la loi NOTRe et le mariage forcé d'intercommunalités, on est parfois passé d'intercommunalités où les élus se connaissaient bien à des structures plus larges, sans possibilité de définir un projet commun.
Par ailleurs, avez-vous l'écoute du sous-préfet ?
Enfin, pensez-vous que l'abaissement du scrutin de liste pourrait permettre de prévenir l'éclatement des équipes grâce à l'élaboration d'un projet en amont, au moment de la candidature ?
Merci à chacun d'entre vous pour votre engagement.
Je ne pense pas que la modification des seuils soit une solution pertinente. Les communes que nous évoquons sont très petites et peu d'habitants sont motivés à l'idée de s'engager pour un mandat électif. Je me suis moi-même présenté en tant que maire parce que mon prédecesseur ne souhaitait pas poursuivre, sinon je ne l'aurais pas fait. Dans notre commune de 630 habitants, nous souhaitions avant tout rassembler l'ensemble des habitants, sans prendre en compte les orientations politiques de chacun.
Nous avons bénéficié, en Creuse, des formations octroyées par l'association des maires de France (AMF).
Dans les petites communes, nous ne disposons que de peu d'employés, dont la polyvalence n'est pas infinie. Confier certaines tâches aux communautés de communes permet de résoudre cette difficulté.
Lors de mon premier mandat, nous faisions partie d'une communauté de communes, qui a éclaté à la suite du départ d'une commune. Je l'ai regretté, dans la mesure où, dans une intercommunalité importante, il est plus facile de trouver d'autres élus partenaires pour avancer sur des projets.
Il est vrai que les dossiers sont lourds et chronophages, et l'on peut se poser la question s'il n'est pas mieux d'être retraité pour être élu.
La formation me paraît essentielle. Dans les petites communes, le maire a un véritable rôle de management. Une équipe municipale est constituée de membres divers, alors qu'il est nécessaire d'établir un projet commun. Partager ses idées n'est pas chose facile.
Concernant les relations entre sous-préfets et maires, nous mesurons très bien, nous autres maires, le poids des responsabilités qui pèsent sur nos épaules et nous savons que les sous-préfets ne nous passeront pas la moindre erreur, alors qu'eux-mêmes ne sont pas prompts à l'échange. Il y a des progrès à faire sur ce point.
Les relations entre maires et communautés de communes sont en outre à repenser.
J'ai pu suivre d'intéressantes formations par l'intermédiaire de l'association des maires de France (AMF). L'aide apportée aux maires pourrait être améliorée en matière de technologies numériques. Une base de données pourrait par exemple être créée, recensant un certain nombre de démarches juridiques, pour les aider dans leurs prises de décisions quotidiennes.
Les candidats aux municipales sont de plus en plus difficiles à trouver dans les petites communes. Entre 30 et 50 ans, les candidats potentiels sont dans la vie active et ne souhaitent pas s'engager. C'est dommage.
Les relations avec la sous-préfecture n'ont jamais posé de problème.
Nous allons donner la parole à Martial Foucault, en lui demandant de reprendre, autant que faire se peut, les questions posées aux maires. Nous souhaiterions connaître le regard qu'il porte sur ces différents sujets.
Je n'aurai pas les réponses à toutes les questions qui m'ont été posées. Certaines d'entre elles doivent impérativement venir des maires en exercice et anciens maires eux-mêmes.
Je retiens plusieurs points, qui ont le mérite d'objectiver un certain nombre de phénomènes, que nous avons coutume de lire dans une presse souvent plus déchaînée que raisonnable, qui peuvent constituer des pistes à explorer.
Le premier point que je souhaite aborder est celui de la crise ou du découragement des vocations, qui est apparu dans plusieurs des témoignages.
Dans un travail que j'ai pu mener dans le cadre d'enquêtes auprès de maires et de larges échantillons de Français à propos de leurs propres représentations de la vie au sein d'une commune, la question de la vocation tient une place particulière. La notion est curieuse, elle comporte une dimension religieuse, un appel divin. L'expérience spirituelle justifierait à elle seule l'engagement.
La réalité est évidemment plus complexe. La France connaît un paradoxe : alors qu'elle réunit presque un million de candidats lors des élections municipales, au sein d'un corps électoral de 46 millions d'individus, nous constatons le vieillissement des équipes municipales en général et pas seulement des maires. En l'espace de 20 ans, la part des retraités parmi les maires est passée de 30 à 40 %.
Une ambiguïté existe quant aux termes que l'on associe à l'exigence du mandat de maire, entre « fonction » et « métier ». Deux maires viennent par exemple de mentionner le « travail » et le « boulot » de maire, en indiquant qu'il était passionnant. Mais cela signifie au fond que cette activité est chronophage et exigeante, laissant parfois les maires désemparés face aux attentes pressantes des administrés.
Les enquêtes montrent que dans les communes de moins de 3 500 habitants, les maires parlent de « métier », alors que dans les communes de plus de 10 000 habitants ils parlent de « fonction ». Cela illustre, dans les petites communes, une certaine solitude par rapport à la complexité technique de l'exercice du mandat de maire.
Le deuxième point que je souhaite aborder est celui des démissions. Je suis surpris de constater qu'en 2023, le bureau des élections du ministère de l'Intérieur n'est pas capable de fournir des données précises sur le nombre et les motifs de démissions. Si ce sujet est effectivement d'importance nationale, pouvoir le quantifier est une nécessité. Il est simplement fait état de 910 démissions volontaires depuis juin 2020. Ce chiffre ne tient pas compte des décès, des démissions d'office prononcées par un juge, ni de celles liées à l'application de la loi sur le cumul des mandats ou la fusion des communes. La loi oblige tout maire démissionnaire à en informer le préfet : dans un souci d'intérêt public, la cause pourrait être indiquée, afin d'éviter un certain nombre de fantasmes à ce sujet.
Je rappelle qu'un maire sur deux exerce la fonction de maire en même temps qu'une activité professionnelle. Ce cumul est un premier motif qui conduit des maires à ne pas se présenter à nouveau. Un autre motif est la difficulté de concilier cette fonction avec sa vie personnelle et familiale. Ce n'est pas sans lien avec le vieillissement des maires, la conciliation entre toutes ces exigences étant plus difficile entre 40 et 50 ans.
Gilles Cadoret indiquait avoir eu une expérience au sein du milieu associatif. Cet engagement associatif préalable est déterminant dans les parcours des maires. C'est un rite de passage, qui témoigne d'un engagement citoyen très fort.
Il faut se méfier de l'interprétation des intentions déclarées de ne pas se représenter. Une enquête du CEVIPOF publiée en 2019 indiquait que 60 % des maires envisageaient de ne pas se représenter. Mais, en réalité, 40 % des maires furent renouvelés, et 20 % des nouveaux maires étaient déjà membres de conseils municipaux. Les conseils municipaux sont par ailleurs, en moyenne, renouvelés à hauteur de 60 %.
Les témoignages que nous avons entendus recoupent ceux que j'ai pu rassembler, après avoir interrogé plus de 6 600 maires.
L'engagement du maire repose principalement sur deux moteurs : la reconnaissance des administrés ; le sens civique. Les maires soulignent que leur engagement se fait au nom d'une conception élevée de la citoyenneté, qu'eux-mêmes souhaitent incarner et faire vivre.
En revanche, ils mettent en avant deux sources d'insatisfaction : l'absence de reconnaissance de la part de l'État, en particulier du pouvoir exécutif ; l'inflation normative, qui rend la fonction de plus en plus technique, à l'opposé de ce que porte la notion d'engagement politique. Cela est particulièrement le cas des municipalités qui ne disposent pas d'un secrétaire de mairie.
L'attachement des citoyens à leur municipalité est profond. Deux tiers des Français se déclarent attachés à leur commune, ce qui est un niveau comparable à l'attachement pour le pays, bien supérieur à celui déclaré pour le canton, la région ou l'Union européenne.
Logiquement, les Français placent très haut leur maire parmi leurs représentants préférés. Cela n'a pas toujours été le cas. Jusqu'au début des années 90, c'était plutôt le député. Cette situation a évolué en raison de scandales politiques ainsi que de la « désutilité » de la fonction de député face à l'ampleur de problématiques qui dépassaient largement le champ d'action des parlementaires.
Cette place symbolique du maire traduit une aspiration, qui n'est pas propre à la France : la demande de proximité. Celle-ci ne recouvre pour autant pas nécessairement une demande de décentralisation. En effet, je pense que la culture de la décentralisation n'est acquise ni pour les citoyens ni pour les élus. Les maires n'appellent généralement à plus de décentralisation que dans les périodes de tension avec l'État. À l'unisson des Français, une majorité des élus préfère l'efficacité à l'égalité républicaine. Lorsque l'égalité n'est pas combinée à de l'efficacité, elle n'est pas réclamée.
Quelles conséquences en tirer pour l'avenir des communes ? Faut-il leur donner plus de compétences ? Les maires ne s'engagent pas pour n'être qu'officiers d'état civil et sont très attachés à l'exercice de leur responsabilité politique. Or, comment l'exercer s'ils disposent de moins en moins de compétences ? Nous pourrions d'ailleurs nous interroger sur le bien-fondé de maintenir des élections si les compétences du maire ne sont plus politiques.
Les maires confirment le développement de profondes tensions démocratiques dans leurs territoires, que reflète la baisse de la participation aux différentes élections. En 2020, les maires interrogés estimaient que cette baisse était passagère. Les Français, attachés à leur maire, retrouveraient le chemin du bureau de vote. 83 % des mêmes maires interrogés en 2022 faisaient part de leur inquiétude à ce sujet, craignant un désintérêt politique plus profond. Le point de bascule, en deux ans, est considérable.
Je parle de tensions démocratiques, parce que les maires perçoivent un durcissement des opinions politiques. 50 % d'entre eux relèvent, notamment lors de l'élection présidentielle, que les citoyens aux opinions opposées ont de plus en plus de mal à échanger.
Pour les maires, ce phénomène serait notamment lié aux fractures territoriales, et au sentiment de relégation qu'elles suscitent et que ne contrecarre pas toujours la réinstallation des services de l'État. À cet égard, une maison France Service n'a un impact que si, aux yeux des citoyens, elle rétablit des services publics efficaces et fonctionnels. Les inégalités économiques et sociales seraient une autre cause de ce durcissement des opinions politiques.
Je pense qu'il faut systématiser la remontée d'information relative aux violences commises à l'endroit des maires. L'AMF collabore à ce sujet avec la gendarmerie nationale.
Les enquêtes permettent de constater une explosion des violences symboliques à l'encontre des maires, mais pas des violences physiques. Lorsque l'on sait combien il est difficile pour un maire, incarnation de l'autorité, de révéler des violences subies, l'on peut penser que le chiffre des violences déclarées se situe en dessous de la réalité. Certaines violences sont moins visibles, car virtuelles, mais extrêmement dommageables. De nombreux maires sont conduits à ne plus utiliser de réseaux sociaux, même à titre institutionnel, pour leurs communes. Les maires, mais également leurs entourages familiaux, sont régulièrement nommément attaqués.
Cette question de la violence à l'endroit des maires est à prendre au sérieux. Il ne faut pas seulement y voir une forme catharsis de la violence plus générale de la société : les maires en tant que tel sont tenus responsables de tout, alors qu'ils n'ont pas prise sur tout.
Dans cette optique, nous devrions vérifier si la crise consécutive à la pandémie de Covid-19 a permis une amélioration du dialogue entre mairies et sous-préfectures, jusqu'alors rompu. On dit parfois que cette période de crise aurait donné lieu à une réhabilitation du couple « maire-préfet ». Cependant, plusieurs témoignages m'indiquent le contraire. Peut-être n'était-ce que parce que les maires s'alignaient le plus souvent sur les directives étatiques, les tensions apparaissant lorsqu'ils prenaient des initiatives non validées par les préfets.
Messieurs les maires, je vous remercie pour vos témoignages, et Monsieur Foucault pour votre analyse. Je souhaiterais également avoir l'avis de nos interlocuteurs sur les relations entre maires et administrés.
Ne sommes-nous pas victimes d'un biais collectif qui nous fait toujours regarder les cas qui ne vont pas ? Certes, des élus démissionnent, mais nous ne nous intéressons pas à ceux qui persévèrent. Ce biais donne une vision sombre et déséquilibrée de notre démocratie locale. Attachons-nous également à la démocratie locale qui fonctionne.
Je m'interroge sur le vieillissement des élus locaux. Est-ce que ce ne serait pas une cause de l'augmentation des démissions ?
La France compte 520 000 élus locaux. L'exemple d'une Assemblée nationale qui ne se montre pas toujours capable de discuter nous oblige à nous interroger sur la pertinence des réunions publiques où tout débat contradictoire est impossible, comme l'illustre le récent débat sur le nucléaire.
L'information sur le nombre de démissions et leurs motifs existe. Les préfectures la font remonter. Il est en revanche incompréhensible qu'une synthèse exhaustive de ce qu'il se passe exactement ne soit pas produite. Une telle synthèse permettrait de rompre avec certaines représentations déformées de la réalité.
Je souscris aux propos de ma collègue Cécile Cukierman. Lorsque l'on s'intéresse à la question du « blues des maires », il ne faut pas s'arrêter à cette image négative.
L'engagement dans la vie locale et le don de soi présentent toujours du sens pour les élus. Mais, faute de reconnaissance de la part des citoyens, ils ont le sentiment d'être dévalorisés. Ceci remet en cause le sacrifice consenti. Être élu dans les communes les moins peuplées c'est sacrifier son temps au détriment de sa vie familiale, sociale, associative, ou encore professionnelle. Ce défaut de reconnaissance est l'une des causes du renoncement à une carrière politique. S'y ajoute des conditions démocratiques plus tendues et la technicité croissante de la fonction de maire.
Mais, pour que les communes perdurent, il faut des maires. Aussi, on ne peut penser à l'avenir de la commune sans évoquer la question du statut de l'élu et, singulièrement, celui du maire.
Vous expliquiez que 910 maires ont démissionné depuis deux ans. Quels types de communes sont concernés ?
Une des causes n'est-elle pas la complexification normative ? La fonction de maire devient de plus en plus technique, alors qu'elle était auparavant politique, au sens noble du terme, consistant en la gestion de l'avenir d'une ville.
Or, les maires des communes les petites ne disposent pas d'une direction générale des services ou d'un secrétaire de mairie. Ils sont donc obligés de se tourner vers la sous-préfecture pour obtenir de l'aide, alors que nous avons évoqué les relations difficiles des maires avec les préfectures.
J'ai conduit un sondage personnel à propos des violences faites aux élus, conduit auprès de 80 % des maires de mon département des Bouches-du-Rhône. 90 % d'entre eux estiment qu'il n'y a pas plus de violence à leur encontre aujourd'hui qu'il y a cinq ou dix ans. La violence grandissante au sein de la société se fait en revanche ressentir. Cette question doit être étudiée avec un certain recul.
Les préfets ne sont pas les seuls auxquels les maires peuvent s'adresser dans leur relation avec l'État ou pour les aider à comprendre la réglementation applicable. Nous autres sénateurs jouons aussi ce rôle auprès d'eux.
Enfin, un élément important à prendre en compte est la façon dont la population habite la ville. Les communes étaient autrefois essentiellement peuplées de citoyens qui travaillaient sur place, en particulier d'agriculteurs. Lorsque, comme dans de nombreuses communes aujourd'hui, une partie importante de la population est seulement en transit sur le territoire communal, présente uniquement pour dormir, ses exigences évoluent et elle perçoit le maire presque comme un simple prestataire de services. Ce n'est pas la faute du maire ni d'une dégradation du sens civique, mais c'est source de difficultés, pour l'élu, dans sa relation avec ses administrés.
Je reprends les éléments de Martial Foucault à propos de la crise des vocations, mais je parlerais plutôt d'une crise des volontés. Cette situation est liée aux transformations de la société et au constat que la vie des maires est plus complexe qu'auparavant. J'ai été maire, je considère que nos successeurs ont un « job » beaucoup plus difficile que ce que nous avons connu.
Nous sommes issus d'une génération d'élus et de maires auxquels on laissait le temps d'acquérir les connaissances et l'expérience nécessaires. Ce n'est plus le cas aujourd'hui : les maires subissent plus de pression, en particulier du fait des réseaux sociaux et du manque de reconnaissance. Ils doivent aller plus vite et cela est usant.
Finalement, la voie à choisir ne serait-elle pas l'encadrement temporel du mandat de maire ? Deux ou trois mandats usent moins que six ou sept. Les maires se sentiraient moins seuls et auraient moins à se poser la question de prolonger leur engagement, faute de candidats.
Je souscris à l'exposé de Martial Foucault, en soulignant que le maire est constamment au contact des administrés.
Le problème est moins celui de la violence que de l'agressivité vis-à-vis du maire. Les citoyens veulent une réponse immédiate à leurs difficultés et, lorsque ce n'est pas possible, l'agressivité peut poindre. C'est un problème d'éducation des personnes, qui ne mesurent plus l'importance du respect. Seule l'expérience du maire peut l'aider en la matière, en lui permettant de prendre du recul.
Je souhaite apporter deux précisions à propos de ce que j'évoquais précédemment.
En 1977, 40 % des maires étaient agriculteurs, alors qu'ils ne sont que 10 % en 2020. Cette chute est plus rapide que celle de la démographie des agriculteurs exploitants en France.
Bien que les rapports entre maires et administrés puissent parfois être tendus, j'insiste sur le fait que la relation est globalement positive. Les administrés sont très satisfaits de l'action des conseils municipaux.
Il existe, malgré cela, des insatisfactions, qui génèrent ce que l'on a pu qualifier de violence, d'incivilité ou d'agressivité. À cet égard, il faut veiller à être précis sur les termes employés, chacun renvoyant à des situations très spécifiques.
Nous ne devons pas minorer le phénomène de la mobilité résidentielle. Les dernières données publiées par l'Insee permettent de relativiser l'exode vers les campagnes consécutif à la pandémie de Covid-19. Le solde est effectivement stable par rapport à l'année 2020. Des témoignages inquiétants existent cependant, en provenance de villes qui ont connu des déplacements de population essentiellement pour des raisons foncières et immobilières. Nous constatons l'apparition d'un consumérisme municipal, à l'image de l'ensemble de la société. Or, pour les maires et les équipes municipales, le hiatus qui résulte de cette forte exigence à leur égard et du faible engagement corrélatif des nouveaux résidents dans les activités de la commune est source de découragement.
Je rejoins Éric Kerrouche sur la nécessité d'obtenir les données relatives aux démissions de maires. Il faut étendre cette récolte aux démissions d'adjoints et de conseillers municipaux. Par ailleurs, je vous engage à vous intéresser également à l'absentéisme lors des conseils municipaux. Les chiffres de notre enquête sont certes déclaratifs, donc à nuancer, mais 15 % des maires indiquent que seulement un conseil municipal sur cinq se tient au complet.
Je remercie les maires et Martial Foucault pour l'ensemble des éléments qu'ils ont présentés. Ces informations illustrent par l'exemple ce que nous observons, qui a prévalu dans la mise en place de cette mission d'information, et nous permettront d'avancer.
Nous ne manquerons pas de nous déplacer dans les territoires pour aller à la rencontre des élus en activité, qui auront également, nous n'en doutons pas, des éléments positifs à nous faire remonter sur ce qui peut améliorer l'exercice de leur mandat.
Nous ferons procéder à un sondage auprès de nos concitoyens pour savoir ce que les Français attendent de leurs maires et déterminer comment nous pouvons répondre au besoin de proximité que vous évoquiez.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 19 h 45.