Intervention de Claire Hédon

Mission d'information sur le harcèlement scolaire et le cyberharcèlement — Réunion du 1er juillet 2021 à 10h35
Audition de Mme Claire Hédon défenseure des droits et de M. éric deleMar défenseur des enfants

Claire Hédon, défenseure des droits :

Madame la présidente, je vous remercie de nous avoir invités pour parler d'un sujet qui nous tient à coeur. Je suis accompagnée d'Éric Delemar, Défenseur des enfants, et de Marguerite Aurenche, directrice du pôle Défense des droits de l'enfant, qui est assistée de Maïwenn Yzabel, juriste au sein de ce pôle, ainsi que de France de Saint-Martin qui assure le lien avec les parlementaires.

Le thème de votre mission d'information me tient particulièrement à coeur. La question de l'accès des jeunes et des enfants à leurs droits et en particulier au droit à l'éducation, fait partie des priorités de mon mandat. Or, les conséquences du harcèlement sur ce droit sont lourdes, comme elles le sont sur la santé mentale des jeunes : l'actualité nous le rappelle régulièrement, le harcèlement peut pousser des victimes au suicide. Il peut aussi porter atteinte au droit à l'éducation en aboutissant à des difficultés scolaires, à de l'absentéisme, voire à de la déscolarisation. À cet égard, notre prochain rapport sur les droits des enfants sera consacré à la santé psychologique des enfants, angle sous lequel sera abordé le harcèlement scolaire. Je vous remercie, Madame la présidente, d'avoir fait référence au précédent rapport, car la parole des enfants est au centre de cette problématique.

Le droit à une scolarité sans harcèlement est consacré en droit français depuis la loi du 26 juillet 2019 pour une école de la confiance. Et il faut le reconnaître, les pouvoirs publics se sont emparés du sujet depuis plusieurs années. Le ministère de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports a mis en oeuvre de nombreux dispositifs afin de favoriser la prévention et la prise en charge des situations de harcèlement au sein des établissements scolaires. Les derniers chiffres du ministère laissent entrevoir une légère baisse de ces situations entre 2011 et aujourd'hui, même si leur nombre et les conséquences qu'elles entraînent demeurent très préoccupants. Lors de ma prise de fonctions en tant que Défenseure des droits, j'ai été frappée de constater que nous continuons à être souvent saisis de situations d'enfants victimes de harcèlement scolaire.

À travers les saisines que nous instruisons, je soulignerai d'abord les difficultés rencontrées sur le terrain pour décliner les instructions et les outils ministériels. Ensuite, je vous ferai part de nos recommandations. Enfin, je vous alerterai sur quelques points d'attention.

Les saisines relatives au harcèlement scolaire se sont stabilisées depuis quelques années. Sur les 3 000 saisines annuelles, le siège en instruit une cinquantaine. Pour 2021, 37 saisines ont à ce jour été enregistrées. Ces saisines permettent de dresser cinq constats.

En premier lieu, certains établissements et autorités de tutelle ne se saisissent pas encore suffisamment des outils existants pour prévenir et lutter contre le harcèlement en milieu scolaire. L'élaboration de tous ces outils à l'échelle nationale est indéniablement une bonne chose, qui a même été saluée par le Comité des droits de l'enfant de l'ONU en 2016. Ce dernier a néanmoins recommandé à l'État français de redoubler d'efforts en insistant sur l'importance des outils de prévention et de traitement, mais aussi sur la formation des personnels. Je ne peux que me rallier à ces recommandations qui sont toujours d'actualité.

Pour être efficaces, ces outils doivent être accompagnés de mesures de sensibilisation des enfants à leurs droits à l'école, notamment le droit d'être protégés contre la violence, qui inclut le harcèlement et les brimades.

En deuxième lieu, certaines équipes peinent à identifier l'ampleur des faits de harcèlement. Ces violences sont encore trop souvent banalisées, minimisées et considérées comme des chamailleries entre enfants ou adolescents. Les chefs d'établissement et les équipes pédagogiques restent souvent démunis face à ces situations, alors qu'il existe un réseau de référents et de protocoles académiques. En conséquence, la réaction de l'institution est souvent absente, tardive, voire inexistante, celle-ci se bornant à rechercher la responsabilité de l'enfant victime, qui embêterait ses camarades ou aurait un comportement difficile.

En troisième lieu, certaines équipes pédagogiques ont du mal à prendre en compte des situations de harcèlement et de cyberharcèlement qui se poursuivent en dehors du cadre scolaire. Vous l'avez fort bien dit, Madame la présidente, le harcèlement crée un continuum, comme c'est le cas lorsque des faits commis sur un élève dans l'enceinte de l'établissement s'inscrivent dans le prolongement d'un harcèlement dit « de quartier ». Les protocoles anti-harcèlement sont alors peu appliqués, les faits étant considérés comme des faits de violence qui ne trouvent pas leur origine au sein de l'établissement. Et la solution envisagée par les chefs d'établissement et les services académiques consiste parfois à déplacer l'enfant victime dans un autre établissement, créant une rupture dans sa scolarité qui peut être très grave et suppose parfois le déménagement de la famille. Cette réalité prend effectivement de l'ampleur avec le développement des réseaux sociaux, mais nous sommes encore très peu saisis des situations de cyberviolence et particulièrement de cyberharcèlement. Toutefois, nos échanges avec les représentants de la société civile et les travaux auxquels nous participons sur ces questions confirment la nécessité de faire de la lutte contre les cyberviolences une priorité.

Les conséquences du cyberharcèlement seraient d'ailleurs encore plus graves que celles du harcèlement « traditionnel », du fait de l'anonymat, du pouvoir de dissémination et de l'élargissement du public concerné. Face à l'écran, les victimes sont souvent très seules. Par ailleurs, le cyberharcèlement est souvent le prolongement, à la maison, du harcèlement subi à l'école, ce qui ne laisse aucun répit à l'enfant victime. J'y insiste, le démarrage des violences survient très souvent en milieu scolaire, comme en attestent les réclamations. Alors qu'il est mentionné dans tous les protocoles anti-harcèlement à disposition des personnels de l'éducation nationale, le cyberharcèlement reste difficilement pris en compte par les chefs d'établissement, en raison de l'anonymat des publications sur les réseaux sociaux ou de l'implication de personnes extérieures à l'établissement.

En quatrième lieu, les chefs d'établissement sont souvent réticents à prendre en charge le harcèlement lorsque des plaintes sont en cours d'enquête ou ont été classées sans suite. Pourtant, les deux procédures sont parfaitement indépendantes et compatibles, puisqu'elles peuvent être menées en parallèle. Ce n'est pas parce que des faits ne sont pas constitutifs d'un délit pénal que le harcèlement ne pourra pas être caractérisé en vertu des outils élaborés par l'éducation nationale.

En cinquième et dernier lieu, les établissements catholiques privés sous contrat sont également touchés par le harcèlement, mais ils font rarement appel aux dispositifs mis en place par les services de l'éducation nationale, notamment aux référents harcèlement désignés au sein des services départementaux. Pourtant, une étroite collaboration entre l'enseignement privé et les services de l'éducation nationale semble essentielle.

J'en viens à nos recommandations pour une meilleure utilisation des outils de lutte contre le harcèlement scolaire.

Nous avons présenté ces recommandations l'an dernier au député Erwan Balanant dans le cadre de sa mission sur le harcèlement scolaire, mais nous les avions déjà portées depuis plusieurs années via différentes décisions, avis au Parlement, rapport annuel et dans le dernier rapport du Défenseur des droits au Comité des droits de l'enfant de l'ONU le 10 juillet 2020.

Ces recommandations visent en particulier à améliorer le repérage des situations de harcèlement scolaire et les réponses qui leur sont apportées. Nombreuses et variées, elles proposent, entre autres, la rediffusion des protocoles et des outils de lutte contre le harcèlement auprès de tous les chefs d'établissement scolaire et leur mise en oeuvre effective par ces derniers. Elles prévoient également la promotion, au sein de chaque établissement scolaire, des droits de l'enfant, notamment le droit d'être protégé contre toute forme de violence. Je citerai à cet égard notre programme Les jeunes ambassadeurs des droits de l'enfant (JADE) et des luttes contre la discrimination : une centaine de jeunes de 17 à 25 ans interviennent chaque année au sein des établissements scolaires dans le cadre de leur Service civique. Très souvent, c'est à la suite de leur intervention sur la Convention internationale des droits de l'enfant (CIDE) que des jeunes, ayant compris qu'ils étaient victimes, viennent les voir et évoquent leur histoire. Nous avons mis en place une procédure à double titre, non seulement pour le recueil de ces paroles inquiétantes, préalable à toute prise charge ultérieure, mais aussi parce que nos jeunes sont parfois ébranlés de ce qu'ils peuvent entendre. Cette formation aux droits devrait être systématique dans les établissements scolaires, car c'est en parlant du harcèlement que les victimes peuvent se reconnaître comme telles et les auteurs prendre conscience de leurs faits.

Nous recommandons la prise de mesures adaptées dès qu'un élève - ou ses parents - allègue d'une situation de harcèlement, et ce même si plainte a été classée sans suite ou est en cours de traitement. Les moqueries doivent être prises en compte, bien qu'elles soient fréquentes dans certains établissements ou filières. La formation au repérage du harcèlement scolaire et à l'utilisation des dispositifs existants doit être largement dispensée aux responsables d'établissements scolaires, aux médiateurs académiques, aux inspecteurs de circonscriptions, aux médecins et infirmiers scolaires. Nous préconisons également la réalisation, dans chaque établissement scolaire d'un bilan régulier des situations de harcèlement survenues et des mesures qui ont été prises à cette occasion, pour les prévenir, les traiter et améliorer les pratiques. Enfin, nous appelons de voeux l'organisation régulière, dans chaque établissement public ou privé sous contrat, d'actions de sensibilisation aux conséquences du harcèlement.

Je souhaite attirer votre attention sur trois points fondamentaux pour lutter efficacement contre le harcèlement scolaire à l'avenir : la pluralité des acteurs impliqués et la formation des professionnels, la nécessité de favoriser l'accueil et la prise en compte de la parole des enfants, notamment les plus vulnérables ; enfin, l'impact du climat scolaire en général sur ces questions de harcèlement.

S'agissant de la pluralité des acteurs impliqués, en novembre 2020, à l'occasion de la Conférence internationale sur la lutte contre le harcèlement entre élèves, le comité scientifique sur la lutte contre le harcèlement et le cyberharcèlement a affirmé clairement que le harcèlement entre élèves se produit dans un système de relations et de structures qui existent à la fois à l'intérieur et à l'extérieur de l'école, et qu'il relève à ce titre d'une approche éducative globale. Dès lors, il paraît indispensable que les protocoles de lutte contre le harcèlement et le cyberharcèlement reposent sur un partenariat entre les différents acteurs concernés, non seulement les personnes de l'équipe pédagogique, mais aussi les personnels médicaux, les travailleurs sociaux, les services de police et de justice, les élèves et les familles. Il faut absolument accentuer la formation commune des différents professionnels, cadres et non-cadres, afin de garantir la mise en oeuvre de mesures concrètes adaptées à chaque situation.

Il est aussi fondamental de tout faire pour mieux accueillir et prendre en compte la parole des enfants, en particulier des plus vulnérables. C'est un fait, les situations de harcèlement et de cyberharcèlement sont plus nombreuses dans les établissements défavorisés. En outre, les enfants vulnérables en sont à l'évidence plus souvent victimes. Tel est le cas des élèves porteurs de handicaps, dont la situation de harcèlement peut être mal identifiée par les enseignants. Ils sont résignés à ce que ces enfants fassent l'objet de moqueries de la part de leurs pairs, se retrouvent dans des situations conflictuelles et rencontrent plus de difficultés d'intégration. C'est aussi le cas des enfants issus de l'immigration, notamment lorsqu'ils sont arrivés plus tardivement sur le territoire et des enfants en situation de précarité. Il est primordial que l'enfant puisse formuler lui-même les mesures qu'il estimerait nécessaire de prendre au regard des faits qu'il subit. J'insiste sur cette question de la parole : si l'enfant n'a pas été habitué à s'exprimer en classe et être écouté, comment pourrait-il le faire quand il se retrouvera dans des situations difficiles ?

Les formes de harcèlement varient aussi selon les élèves qui en sont victimes. Une enquête de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) de 2018 a mis en lumière que, si les garçons sont plus susceptibles que les filles d'être frappés ou bousculés, ces dernières sont plus souvent exposées aux mauvaises rumeurs. Il est donc très important de prendre en compte tous les facteurs afin d'adopter une approche adéquate de chaque situation.

Je conclurai sur l'importance du climat scolaire. L'atmosphère générale qui règne au sein d'une classe ou d'un établissement influence la qualité de la relation entre les élèves. La porosité entre ce qui se passe à l'extérieur de l'école et la vie dans l'établissement a également été prouvée. Le fait d'être victime dans le cyberespace affecte de manière négative la perception globale de l'établissement scolaire, et inversement, le fait d'être victime de cyberviolences est lié au sentiment de bien-être ou de mal-être au collège. L'amélioration du climat scolaire doit donc être considérée comme un levier d'action pour réduire ces formes de violence. Il convient par exemple de mettre en place des actions portant sur la qualité des relations interpersonnelles au sein de l'école entre élèves, entre élèves et adultes, et entre adultes, et d'ouvrir des espaces de paroles, spécifiques ou communs pour les élèves, les parents et le personnel. Enfin, le protocole de traitement des situations de harcèlement doit être mis en place dès que des violences en ligne ont un impact sur le climat scolaire.

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