Dans le monde scientifique spécialisé sur la question, deux grandes directions sont prises.
La première recherche le programme bien conçu qui, en étant appliqué dans un établissement scolaire, réglerait la question une bonne fois pour toute Il y a une très forte culture de l'évaluation, par exemple la culture finlandaise. Le programme KiVa - que Salmi Valli et ses collègues ont mis en place - est extrêmement prometteur.
Seulement, plusieurs problèmes se posent. Le principal tient au contexte qui, en Finlande est effectivement différent du nôtre sur le plan du nombre d'élèves par classe, des budgets alloués à la lutte contre le harcèlement, etc.
En outre, le programme KiVa, qui est probablement un des meilleurs du monde, a coûté une nombreuse équipe d'universitaires pendant plusieurs années afin de le mettre en place. En France, il est quasiment impossible d'obtenir simplement 10 000 euros pour mener une enquête de victimation.
Au-delà de ces différences économiques, le contexte diffère au niveau structurel sur le plan de l'école, mais également idéologique. La thématique du bien-être des élèves et du harcèlement a été prise de front dès le début des années 1970 par Dan Olweus en Europe du Nord, ou encore Peter Smith en Angleterre. Cette lutte y est donc beaucoup plus ancienne que la nôtre.
En dehors de la voie du « programme miracle », une deuxième voie commence à être majoritaire. Les évaluations montrent que la réussite d'un programme va dépendre de deux choses : du programme lui-même et de la fidélité à ce programme, mais surtout de ses conditions d'implantation, c'est-à-dire de la mobilisation d'une équipe, d'un chef d'établissement, d'un directeur d'école, pour le faire réussir.
Ces conditions ne sont pas souvent réalisées : il faut une équipe soudée d'adultes formés qui voient dans la lutte contre le harcèlement une partie du sens de leur métier. Nous en revenons à la question de la solidité des équipes éducatives et de leurs choix de valeurs dans les équipes éducatives. Les choix qui seraient optimaux ne correspondent pas - pour des raisons historiques et de construction du métier qu'on peut comprendre mais que je regrette -, ne correspondent pas forcément aux valeurs françaises.
De plus, cette approche montre qu'un programme miracle sans conditions valables d'implantation peut échouer. Il y a eu aux États-Unis une très forte impulsion, avec beaucoup d'argent, sur les questions du programme contre le school bullying ou contre la violence - car ces problèmes y sont très importants. Ils ont tenté de nombreux programmes en partenariat avec la police, ou avec leur communauté, et ont été très déçus. En effet, même si les programmes fonctionnaient au départ, les résultats chutaient au bout d'un an ou deux. Ils se sont donc de plus en plus tournés vers une approche par le climat scolaire ou une approche par le changement global de l'ethos d'un établissement.
En Israël, ce qui est en train de se passer sous l'impulsion de Rami Benbenisthy est intéressant. En effet, à partir des enquêtes de victimation, le diagnostic précis d'un climat est dressé afin d'essayer de faire bouger les équipes. C'est essentiel. Je travaillais à ce sujet ce matin avec un lycée français à l'étranger.
On dit parfois que ce sont d'abord les élèves qui doivent bouger, mais ce sont aussi les équipes. Autrement, on dira que c'est de la faute des élèves et des victimes, ce qui les précipitera à nouveau dans la honte d'être victime. Ainsi, une approche beaucoup plus globale et systémique est absolument nécessaire.
Je souhaite soulever un dernier point. Il ne faut pas oublier que le harcèlement scolaire a des origines qui ne sont pas que scolaires mais multifactorielles. On pense aux facteurs sociaux ou parentaux, mais ce n'est pas si simple. Il faut bien saisir que le harcèlement est très souvent constitué de petits faits. On ne va pas aller sur les faits les plus lourds du harcèlement qui sont les plus médiatisés. Ces petits faits s'accumulent, se combinent entre eux. En s'accumulant ces « micro-violences », comme je les appelle depuis longtemps, pourrissent la vie d'un adolescent ou d'une adolescente, voire parfois d'un professeur en devenant extrêmement dangereux pour leur santé mentale.
Le harcèlement n'est pas seulement le fait d'un individu sur un autre, c'est aussi un phénomène de groupe. Des groupes qui s'identifient contre celui ou celle qui n'en fait pas partie, qui a des différences - réelles ou fabriquées pour rejeter -.Tout ce qui touche à l'homophobie, au sexisme, au racisme, mais aussi à l'aspect physique d'un élève, comme la grossophobie, ou simplement le fait que ce soit un « trop bon » ou « pas assez bon » élève en relève. Peu importe : l'autre, voilà l'ennemi.
Il est évident que, si nous voulons lutter contre la violence en milieu scolaire, il faut aussi la penser comme un problème fondamentalement politique. Quand la politique française prend comme argument électoral la peur ou le marquage de l'autre, il ne faut pas être étonné que cela ait un impact dans les cours de récréation. Nous, les adultes, avons un poids considérable d'exemple à donner. Quand trois adultes ne sont pas capables de parler de politique sans en venir aux mains, il ne faut pas s'étonner que leurs enfants aient eux-mêmes des difficultés à se parler dans les cours de récréation.