Intervention de Jean-Luc Besse

Mission commune d'information portant sur les dispositifs médicaux implantables — Réunion du 25 avril 2012 : 1ère réunion
Audition de M. Jean-Luc Besse président de l'association française de chirurgie du pied

Jean-Luc Besse, président de l'Association française de chirurgie du pied :

Avant les scandales du Mediator et des prothèses PIP, l'AFCP a été elle-même confrontée à une affaire concernant les prothèses de cheville. Les prothèses de cheville donnent lieu à environ six cents poses chaque année et il s'agit d'un dispositif remboursable en nom de marque, donc très contrôlé. En 2004, quatre modèles de prothèses de cheville avaient été autorisés sur le marché. En 2006, l'AFCP a réalisé une grande étude multicentrique des douze principaux centres poseurs : on a répertorié plus de six cents implants, et aucun de ces quatre types de prothèses ne posait de problème.

En 2008, dans le cadre d'un contrat d'évaluation, j'ai lancé une alerte au sujet d'une des quatre prothèses qui se caractérisait par un taux d'ostéolyse élevé, ayant pour conséquence des descellements, à trois ans de recul. S'ensuit, en France, une polémique intense. J'ai alerté également l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps). Après beaucoup d'hésitations, la société qui commercialisait le produit l'a retiré du marché au début de 2009. Depuis, quatre publications internationales ont confirmé sa nocivité, à 100 % pour la dernière étude qui date de 2011.

A la suite de ces remous qui ont menacé de faire éclater notre société, avec l'ancien président de l'AFCP, le docteur Michel Maestro, nous avons décidé, en 2008, de créer un registre. Ce registre poursuivait un but scientifique, d'évaluation de nos pratiques. Le contexte réglementaire nous a semblé favorable, puisque nous nous placions en remboursement en nom de marque qui contraint les industriels à fournir des données exhaustives sur leurs produits en vue d'obtenir des remboursements et des autorisations du Comité économique des produits de santé (Ceps).

Le registre n'a d'intérêt que s'il est exhaustif. Or, la France accuse dans ce domaine un retard considérable par rapport à des pays comme la Suède, dont le premier registre date de 1975, ou même la Roumanie (2001) et la Slovaquie (2003). Notre seul registre sur les prothèses de hanche date de 2006, et peut être qualifié d'échec puisqu'il se caractérise par un taux de remplissage de 1 %.

Une très intéressante étude a été réalisée par la société Calling, publiée en 2007 dans la revue Bone and Joint Surgery, pour identifier les critères garantissant l'efficacité d'un registre, à partir de quinze registres existants. J'ai étudié les quatre registres de prothèses de cheville existants, ceux de la Suède, Norvège, Finlande et Nouvelle-Zélande, qui existent depuis la fin des années 1980 avec des remplissages qui atteignent les 95 %.

La première étape consiste à déterminer les informations qu'il convient d'inscrire dans le registre. Celles-ci sont de trois types :

- les données épidémiologiques : quelles sont les indications, quel type d'intervention a été pratiqué, quel implant a été posé pour en assurer la traçabilité à travers un numéro ;

- les fiches de reprise ou de révision et les fiches de suivi. Seule l'expérience sur dix ans permettra d'évaluer le service rendu par la prothèse. Ces fiches permettent ainsi de connaître le motif de la reprise, s'il y a des douleurs, la radiographie, etc. On a ainsi défini trois catégories de reprises : la reprise facilement authentifiable quand l'implant a failli et qu'il est nécessaire de le remplacer pour bloquer l'articulation (arthrodèse) ; des réinterventions avec ablation partielle d'une ou plusieurs pièces ; l'échec complet.

Dans certains registres, comme en Suisse ou en Nouvelle-Zélande, les chirurgiens ont la possibilité de rentrer les scores fonctionnels, la mobilité, la douleur et les données radiologiques. Le registre est très important, car il permet de suivre les courbes de survie. Dans le cas des prothèses de cheville, les séries-concepteurs les plus fréquentes correspondent à des courbes de survie à dix ans de 85 %. Au niveau de la hanche, on situe de 95 % à 99 %. Concernant les prothèses ASR, ce sont les registres étrangers qui nous ont fait voir qu'à cinq ans la courbe de survie était insuffisante par rapport à la moyenne. Dans les registres scandinaves, les courbes de survie des prothèses de cheville sont comprises entre 60 % et 70 %.

En France, on compte six cents prothèses de cheville par an, pour cent quarante-huit poseurs : il est difficile d'obtenir des données fiables en matière de matériovigilance quand un chirurgien pose une ou deux prothèses par an !

Quelles sont nos difficultés ? Ce registre n'est pas encore en place aujourd'hui, bien que nous y travaillions sans relâche depuis deux ans. D'abord, il doit être exhaustif. Or, l'expérience en France des prothèses de hanche montre que si l'on ne compte que sur la bonne volonté des acteurs, le taux de remplissage n'est que d'à peine 1 %. Il n'existe pas, dans notre pays, d'obligation réglementaire en ce sens - à la différence d'autres pays comme la Finlande où le remboursement est lié au renseignement du registre. Enfin, le nerf de la guerre est l'argent, il faut le financer ! Pour la Sofcot, le coût d'une prothèse est d'un euro. Si demain, tous les chirurgiens remplissaient le registre, cela coûterait 150 000 euros à la Sofcot, ce qui n'est pas soutenable. Les deux conditions à réunir afin que le registre soit opérationnel sont donc les suivantes :

- il doit être géré par une société savante et non par les industriels ;

- en revanche, les financements ne peuvent être que gouvernementaux.

L'AFCP est un petit organisme de trois cents membres qui ne dégage un bénéfice que de 3 000 euros par an. Ainsi, afin de contourner ces deux écueils et du fait des exigences de la commission nationale d'évaluation des dispositifs médicaux et des technologies de santé (CNEDiMTS), qui doit disposer de données, nous avons obtenu l'aide des industriels. Le registre est monté en parallèle avec une unité de recherche au sein des hospices et ce sont les industriels qui vont financer le travail réalisé par cette unité clinique : ils vont fournir en temps réel le nom des poseurs, et l'unité clinique ira identifier à partir du registre les chirurgiens qui ne l'auront pas renseigné afin de les resolliciter. Le problème est que les industriels souhaitaient obtenir les données dont nous, nous voulions être propriétaires. A cet égard, le Snitem a exercé un lobbying négatif. Aucun industriel ne semble avoir intérêt à ce que ce projet voie le jour de peur que cette obligation de contribuer au financement d'un registre crée un précédent...

Deuxième écueil : le remplissage du registre. En particulier, si le patient est réopéré : comment savoir qu'une explantation a été réalisée ? Nous avons imaginé la création d'un passeport patient, comme pour les porteurs de stents. L'idée était d'investir le patient dans son suivi en l'amenant à lui-même déclarer s'il avait été réopéré. Elle a été fraîchement accueillie.

La situation est aujourd'hui bloquée. Nous avons signé un contrat avec une unité de recherche clinique des hospices civils de Lyon. Le coût s'établit à 32 euros par prothèse pour les industriels, auquel s'ajoute le coût des analyses statistiques. Nous attendons le feu vert de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) depuis octobre 2011, alors que nous pensions l'obtenir dès le début de cette année, après l'accord de sa sous-section compétente, le comité consultatif sur le traitement de l'information en matière de recherche dans le domaine de la santé (CCTIRS). Celui-ci a rendu un premier avis - pas complètement favorable - en nous demandant de supprimer les références à la Haute Autorité de santé (HAS). Finalement, l'accord du CCTIRS a été obtenu au début du mois de janvier 2012. Nous avons eu la faiblesse de croire que la Cnil allait rapidement entériner la décision du CCTIRS. Or, quatre mois se sont écoulés depuis l'accord du CCTIRS et nous n'avons toujours pas reçu de réponse. L'AFCP s'est ainsi fendue d'un communiqué : « l'AFCP, grâce à laquelle un scandale de même nature que celui des prothèses mammaires PIP a pu être évité, s'étonne que les mêmes lourdeurs administratives qui ont conduit aux catastrophes évoquées ne soient pas levées par les tutelles de ces organismes de contrôle ». Depuis quatre mois, nous remuons ciel et terre auprès de la HAS et l'Afssaps pour demander que l'une de ces autorités se manifeste sur l'importance de ce registre, en vain. Ce qui est d'autant plus incompréhensible que la HAS aura besoin de ces données pour décider du renouvellement du remboursement en 2015. C'est la raison pour laquelle nous avons demandé à être auditionnés.

Aujourd'hui, nous disposons d'un registre opérationnel, avec une partie du financement, mais il nous manque ce dernier accord alors que nous attendons depuis sept mois.

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