Mission commune d'information portant sur les dispositifs médicaux implantables

Réunion du 25 avril 2012 : 1ère réunion

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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  • dispositifs médicaux
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  • médicament
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La réunion

Source

Debut de section - PermalienPhoto de Chantal Jouanno

Alors que l'essentiel de la réglementation relative aux dispositifs médicaux relève des instances européennes, rares sont les collectifs de niveau européen comme le vôtre. Créé en 2002, il réunit des représentants des patients, des professionnels de santé et des mutuelles. Nous souhaitons vous interroger sur ce que vous inspire la répétition d'incidents relatifs à la sécurité de dispositifs médicaux implantables (DMI), mais aussi sur le marché des produits et interventions à visée esthétique, dont nous avons le sentiment qu'il reste peu réglementé.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Cazeau

Pouvez-vous, après une brève présentation de votre organisme nous préciser la nature de vos actions ?

Debut de section - Permalien
Pierre Chirac

Le collectif Europe et Médicament est né en 2002, alors que la Commission européenne entreprenait de réviser le cadre communautaire relatif au médicament. Les projets de règlements et de directives lancés par la Commission se sont succédé, nous avons donc continué notre travail. Notre collectif, constitué de représentants des patients, des soignants, des mutuelles, prend des configurations différentes selon les sujets abordés, et travaille beaucoup en relation avec d'autres collectifs, afin de nous donner plus de poids à l'échelle européenne. Pour les dispositifs médicaux, nous avions répondu à la consultation lancée par la Commission européenne en 2008 avec trois autres collectifs européens, représentant les mêmes acteurs que le nôtre.

Debut de section - Permalien
Pierre Chirac

Nous assurons une veille sur les projets de la Commission européenne, émettons des propositions lors des consultations sur les projets de règlement ou de directive, dans le domaine du médicament pour l'essentiel.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Cazeau

Vous êtes-vous intéressés aux dispositifs médicaux ?

Debut de section - Permalien
Pierre Chirac

Outre la consultation que j'ai évoquée, nous suivons aujourd'hui de près le projet de révision de la directive relative aux essais cliniques et de la directive transparence sur le médicament.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Cazeau

Au vu de l'apparente diversité de vos membres, et notamment de la présence de représentants des professionnels de santé, comment gérez-vous les liens d'intérêts susceptibles de survenir ?

Debut de section - Permalien
Pierre Chirac

Notre fonctionnement est collégial : nous défendons une vision élargie de l'intérêt des acteurs, qui, exigeant des compromis, exclut les positions corporatistes. Aucun groupe ne pourra défendre de position particulière. Nous défendons l'intérêt des patients et poursuivons des objectifs de santé publique.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Cazeau

Dans un communiqué de presse daté du 31 janvier dernier, le collectif Europe et Médicament déclare souhaiter un renforcement de l'évaluation des dispositifs médicaux avant leur mise sur le marché. Vous évoquez également les « graves lacunes du circuit d'évaluation et de suivi des dispositifs médicaux et l'échec du système de certification basé sur le marquage CE ». Pouvez-vous préciser vos critiques à l'encontre du système européen de marquage et de surveillance des dispositifs médicaux, et nous présenter vos recommandations ?

Debut de section - Permalien
Pierre Chirac

Nous avons participé à la consultation lancée par la Commission européenne en 2008 sur la refonte de la directive touchant aux dispositifs médicaux, car nous estimions que bien des progrès restaient à accomplir, notamment en matière d'harmonisation. Plusieurs options nous étaient soumises, allant du statu quo à l'alignement sur la procédure d'autorisation de mise sur le marché (AMM) délivrée par l'Agence européenne du médicament, telle qu'elle existe pour le médicament. Cela représentait l'encadrement maximal proposé. Nous nous sommes prononcés en faveur d'une AMM, au moins pour les dispositifs médicaux les plus à risque. Hélas, le bilan publié par la Commission fut très décevant, parce que, sur les quelque deux cents participants à la consultation, nombreux étaient les organismes intéressés, au sens financier du terme, fabricants ou organismes notifiés, qui ont fait pencher la balance en faveur du statu quo. Or la Commission n'a considéré que la moyenne du total des réponses.

A la suite du scandale survenu en France avec les prothèses PIP, nous avons donc souhaité intervenir. La Commission européenne voulait renforcer la sécurité dans ce domaine, mais en s'en tenant, pour l'essentiel, à ce qui se passe après la commercialisation - notification d'effets indésirables, traçabilité - et penchait, en amont, contre l'AMM pour les dispositifs médicaux. Cela ne reviendrait qu'à améliorer à la marge le dispositif. Nous avons donc voulu attirer l'attention des Etats membres sur la nécessité de renforcer le cadre communautaire au-delà de ce que proposait la Commission.

Debut de section - Permalien
Mathieu Escot

J'aimerais apporter le point de vue de l'usager du système de santé. La répétition de scandales, en particulier l'affaire des prothèses PIP, a fait prendre conscience au consommateur de l'absence de contrôle des dispositifs médicaux avant leur mise sur le marché. Comment admettre que ce que l'on va vous implanter dans le corps ne fasse pas l'objet de la même surveillance et des mêmes procédures d'homologation que celles qui s'imposent aux médicaments ? Tout cela a suscité une perte de confiance, y compris à l'égard des autorités sanitaires. Les courriers des lecteurs que nous recevons, les bénévoles spécialisés dans l'aide au litige fournie aux adhérents au sein de nos associations locales, témoignent de cette incompréhension. N'est-il pas scandaleux qu'un pace maker, un dispositif dont votre vie va dépendre, ne subisse pas, en amont, des tests à la hauteur ? Il faut donc rétablir la confiance pour renouer avec une démarche saine. Nous pouvons, en la matière, dresser un parallèle avec le Médiator : l'utilisateur ne peut comprendre l'existence de failles dans un processus qui, de son point de vue, doit être parfait car il touche à sa santé.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Cazeau

Comment envisagez-vous l'AMM que vous préconisez ? Comment s'articuleraient les échelons national et européen ?

Debut de section - Permalien
Pierre Chirac

L'Europe se rapproche de ce qui existait dès avant les années 2000 aux Etats-Unis, où les producteurs doivent communiquer à la Food and Drug Administration (FDA) des renseignements relatifs à l'efficacité et l'innocuité des dispositifs médicaux les plus à risque devant être commercialisés. Pour les patients comme pour les soignants, il n'y a pas de raison de faire la différence entre médicaments et dispositifs médicaux : ils ont aussi besoin, pour ces derniers, de disposer de renseignements sur leurs indications, leurs contre-indications, leurs limites, voire d'informations comparatives. Il est étonnant de constater que le seul contrôle pour les implants porte sur la qualité de la fabrication. Pour le médicament, une directive de 1965 prévoit deux autres critères : l'efficacité et l'innocuité. Or il est essentiel que les patients et les soignants disposent de ces informations, au moins pour les dispositifs médicaux à risque, de classes IIb - à risque potentiel élevé - et III - à risque potentiel critique. Le British Medical Journal, l'une des plus grandes revues médicales mondiales, a ainsi crûment observé que le patient, en Europe, est un « cobaye », car les produits arrivent sur le marché sans avoir été testés. Ce n'est qu'en intégrant les mêmes exigences que celles qui sont requises pour le médicament que les autorités de santé pourront réellement protéger la santé publique et mettre l'information à la disposition des patients.

Debut de section - PermalienPhoto de Chantal Jouanno

Ne visez-vous pas trop large avec les classes IIb et III, alors que l'on objecte souvent que la lourdeur des procédures complique l'innovation, notamment pour les PME ? Une liste positive ne serait-elle pas plus pertinente ?

Debut de section - Permalien
Pierre Chirac

Dans les années 1980, il existait près de deux mille firmes ou PME pharmaceutiques. Beaucoup ont disparu depuis et la santé publique ne s'en porte pas plus mal, au contraire ! Quand on ne contrôle pas, il est naturel que beaucoup de petits acteurs puissent apparaître.

Reste que les petits producteurs doivent pouvoir fabriquer sur le long terme des produits de qualité. Le collectif Europe et Médicament s'intéresse évidemment à l'innovation, mais sous son angle thérapeutique, et non purement technique. Pour vérifier le progrès thérapeutique représenté par un produit, il faut une évaluation clinique, aujourd'hui inexistante, avant toute mise sur le marché, alors qu'on se contente d'un suivi, après commercialisation, sur les effets indésirables. On ne peut raisonner sur le seul risque, il faut aussi s'intéresser à la balance bénéfices-risques : il est des cas où un bénéfice important peut faire admettre un risque, d'autres où aucun risque, même petit, n'est admissible, car il n'y a pas de bénéfice. Pour les dispositifs médicaux qui peuvent être considérés comme des produits de santé, lorsqu'ils cherchent à prévenir ou à traiter des problèmes de santé, une telle balance aide les soignants comme les patients à faire les meilleurs choix.

Debut de section - PermalienPhoto de Chantal Jouanno

L'AMM que vous préconisez devrait-elle être délivrée par l'Agence européenne du médicament ou par les organismes notifiés, en faisant évoluer leurs compétences et les exigences qui pèsent sur eux ?

Debut de section - Permalien
Mathieu Escot

Nous envisageons plutôt un système s'appuyant sur l'Agence européenne du médicament, dotée de nouvelles prérogatives, sachant que le système actuel a montré ses limites, même s'il est vrai que cela est dû, en partie, à la définition des missions confiées aux organismes notifiés. Pour aller vers un bilan bénéfices-risques, il faut changer de logique et confier l'évaluation à des organismes publics.

Debut de section - Permalien
Pierre Chirac

Actuellement, pour le médicament, l'Agence européenne du médicament peut s'appuyer sur l'avis des agences nationales. Dans le cas des dispositifs médicaux, l'Agence européenne n'aurait donc pas à faire tout le travail, et les organismes notifiés, s'ils étaient mieux contrôlés par les agences, ne seraient pas nécessairement inutiles.

L'objectif de notre collectif est d'assurer la population d'un niveau de contrôles et d'informations suffisant.

Nous sommes également en faveur d'un contrôle plus exigeant des conflits d'intérêts. Le système actuel repose, pour beaucoup, sur le marquage CE. Or on sait que les experts chargés de contrôler la qualité ont, à un moment donné, travaillé avec les fabricants. Il faut donc que les autorités publiques se dotent d'une capacité d'expertise ou, tout au moins, qu'elles s'appliquent à prévenir les conflits d'intérêts. C'est pourquoi nous estimons qu'il serait bon de s'inspirer de ce qui existe pour le médicament, même si le dispositif n'est pas encore idéal.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Cazeau

Que pensez-vous des moyens européens mis en place pour la surveillance des dispositifs médicaux, et notamment de la base Eudamed ? Seriez-vous favorable à la création d'un système d'identification unique (UDI) pour les dispositifs médicaux présentant le plus de risques ? Que pensez-vous des registres de dispositifs médicaux, comme il en existe dans les pays du nord de l'Europe ou en Australie ? Est-il envisageable de les développer à l'échelle européenne ?

Debut de section - Permalien
Pierre Chirac

Les registres constituent la première étape du contrôle, qui permet de savoir ce qui existe sur le marché européen. Mais il faut aussi, pour chaque dispositif médical, pouvoir disposer des informations requises pour peser la balance bénéfices-risques, comme le fait la FDA américaine. Sur son site, elle fait apparaître les renseignements pour les dispositifs médicaux de classe III, même si on leur voudrait plus de clarté. Tel est donc notre objectif. Or je crains que les registres européens ne restent de simples listings, sans intérêt pour les patients et les soignants, même s'ils permettraient, à la rigueur, aux autorités de savoir qui fait quoi.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Cazeau

Je songeais aussi au suivi des dispositifs implantés. L'existence d'un registre digne de ce nom, dans le cas des prothèses PIP, aurait par exemple pu alerter sur un nombre de ruptures plus important que pour d'autres prothèses.

Debut de section - Permalien
Pierre Chirac

Sur Eudamed, je ne puis vous répondre plus précisément, car seules les agences du médicament peuvent y accéder. Si un registre devait être mis en place pour assurer une matériovigilance, il faudra qu'il soit largement accessible et que les patients comme les soignants soient fermement incités à notifier les problèmes. Or, on le sait, les chirurgiens ne l'ont pas fait dans le cas des prothèses PIP. La notification décentralisée, via les centres de pharmacovigilance ou les agences nationales du médicament, plutôt qu'à un lointain organisme européen, nous apparaît, de ce point de vue, le meilleur système. Un registre de suivi des dispositifs médicaux après commercialisation peut donc être important, mais il ne suffit pas : il faut un contrôle en amont, portant sur la balance bénéfices-risques.

Debut de section - Permalien
Mathieu Escot

Les consommateurs ont aussi un rôle de veille à jouer, d'où la nécessité de leur mise à niveau dans le processus de notification. Pour que les patients puissent faire remonter l'information, il faut aussi lever leurs craintes quant à une possible utilisation de leurs données privées.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Cazeau

Avez-vous établi des comparatifs entre dispositifs médicaux ?

Debut de section - Permalien
Pierre Chirac

Si la revue Prescrire, à la rédaction de laquelle j'appartiens, n'a pas de rubrique sur les dispositifs médicaux, c'est bien parce que l'on manque, à leur sujet, d'information scientifique, pas même celle dont on dispose pour les médicaments grâce à l'AMM. Quand existent des essais cliniques, les agences sont soumises de fait à une exigence de transparence quant aux éléments qui ont fondé leur décision.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Cazeau

Vous disposez tout de même d'un certain nombre d'informations, par exemple à propos des stents.

Debut de section - Permalien
Pierre Chirac

Cela ne représente presque rien, comparé à ce dont nous disposons pour le médicament, alors qu'il y a beaucoup plus de dispositifs médicaux sur le marché.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Cazeau

C'est bien le but de notre mission que de rechercher un système qui fonctionne. Pensez-vous qu'il faille renforcer l'information des professionnels et des consommateurs européens sur les dispositifs médicaux, déficients ou non, et avez-vous des propositions en ce sens ? Cela pourrait passer, par exemple, par un site Internet transparent et indépendant, à l'instar de ce qu'a mis en place le gouvernement de l'Etat de Victoria en Australie, avec le Better Health Channel.

Debut de section - Permalien
Mathieu Escot

Il existe un réel besoin d'information. Les consommateurs, au premier chef, veulent des données sur la balance bénéfices-risques et des instructions d'utilisation précises. Des études menées au niveau européen ont montré que de réelles carences existaient en la matière. L'information qui leur est délivrée doit être pure de tout biais. Il est donc essentiel de s'assurer que le patient, qui n'est pas un expert, puisse disposer d'une information qui ne porte pas la marque de divers intérêts. Il se pratique parfois, en amont, des tests auprès des consommateurs sur l'information qui leur est délivrée. Ils aident à vérifier ce qui est bien compris, ce qui mériterait d'être amélioré : cela vaudrait la peine de développer ces pratiques.

Debut de section - PermalienPhoto de Chantal Jouanno

Nous avons rencontré des associations de patientes, dont les représentants nous ont dit que le problème n'est pas tant l'information disponible que les modalités de sa transmission. Les patients ne sont pas toujours psychologiquement prêts à entendre les mises en garde.

Debut de section - Permalien
Mathieu Escot

Le Bureau européen des unions de consommateurs (BEUC), dont l'UFC-Que Choisir est membre, a mené une enquête au niveau européen sur les prothèses mammaires, qui a bien fait apparaître ce besoin d'information.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Cazeau

Dans la perspective de la révision, annoncée par le commissaire Dalli, de la réglementation européenne relative à la surveillance et à la sécurité des dispositifs médicaux, votre organisme a-t-il approché la Commission et formulé des propositions ? Disposez-vous d'informations sur les travaux en cours et que pensez-vous des orientations retenues ?

Debut de section - Permalien
Pierre Chirac

L'idée d'une révision remonte à plus loin : la première consultation, lancée par la direction générale « entreprises », a eu lieu en 2008. La synthèse qu'en a retirée la Commission nous semble, je l'ai dit, biaisée, puisqu'elle ne fait que recommander de s'en tenir au statu quo, comme l'ont souhaité les firmes et les organismes notifiés. C'est regrettable. Sans doute le scandale PIP, qui, à la différence du Mediator, n'est pas seulement franco-français, suscitera des réactions des Etats membres : il se pourrait que les gouvernements, les parlementaires et, au-delà, la société civile, poussent la Commission à aller plus loin dans ses propositions, qui sont pour l'instant tout à fait insuffisantes. Notre collectif, avec d'autres, va être reçu à Bruxelles, le 30 mai, par le directeur adjoint de cabinet de M. Dalli. Nous allons défendre nos idées, mais nous manquons d'informations sur les travaux en cours. C'est une vraie boîte noire : vous en savez sûrement plus que nous !

Debut de section - Permalien
Mathieu Escot

Le BEUC, impliqué auprès de la Commission par des actions de lobbying et des rencontres diverses, a été associé, en amont, au projet de résolution du Parlement européen, qui va être adopté sous peu et rejoint en grande partie les orientations aujourd'hui évoquées : renforcement, dans l'immédiat, des contrôles et réforme, à terme, de la réglementation, pour aller vers une forme d'AMM.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Cazeau

Que vous inspire le développement rapide, ces dernières années, de la médecine esthétique et des interventions non médicales à visée esthétique ? Quels dangers particuliers pour la santé des patients avez-vous identifiés dans ces pratiques ? Selon vous, quelles modalités faudrait-il mettre en place pour un meilleur encadrement de ce secteur où la réglementation reste floue et parfois mal respectée ?

Debut de section - Permalien
Pierre Chirac

Cela sort un peu de nos compétences. Nous avions cependant répondu, lors de la consultation de 2008, au point 4, qui portait sur les dispositifs médicaux invasifs sans visée médicale, que, dès lors qu'un dispositif est implantable, il doit relever, fût-il à but purement esthétique, des principes applicables aux DMI, en raison du risque potentiel critique pour la santé. Le doute doit toujours bénéficier au patient et conduire à l'adoption du statut le plus protecteur.

Debut de section - PermalienPhoto de René-Paul Savary

Vous vous déclarez en faveur d'une procédure européenne, mais plus on est éloigné, moins on est sûr du résultat. Vous avez parlé de l'opacité de la Commission ou des conflits d'intérêts parmi les experts. Si la procédure européenne, vers laquelle il faut sans doute aller, n'est pas garantie, on court un risque. On le voit pour les AMM pour les médicaments : une autorisation refusée en France peut être accordée dans un autre pays.

Debut de section - PermalienPhoto de René-Paul Savary

Mais c'est le fait ! Si l'on prend des mesures différentes d'un pays à l'autre, nous n'aurons fait que compliquer le système. Il existe bien, au niveau national, un système de protection ; peut-être cela vaudrait-il la peine de l'améliorer, en renforçant le contrôle de l'Etat sur les agences, en lui octroyant plus de moyens, plutôt que d'inventer de toutes pièces un nouveau système, forcément complexe ? J'ajoute que, si l'on met en place des procédures trop contraignantes, on risque de pénaliser l'innovation. Pourquoi ne pas envisager une procédure intermédiaire, en prévoyant une AMM, non par dispositif, mais par grands types de produits ou de matériaux utilisés, comme le silicone, assortie d'un système de suivi plus précis, par la création d'un registre, par exemple ?

Debut de section - Permalien
Pierre Chirac

L'AMM incorporera, en tout état de cause, de nouveaux critères, nécessairement documentés par des évaluations cliniques, permettant d'établir une balance bénéfices-risques. Pour le médicament, il existe différents canaux, certains obligatoires, d'autres facultatifs. Les AMM purement nationales sont rares, hors génériques. Pour les dispositifs médicaux, nous défendons avant tout certains principes : contrôle sur critères cliniques et non uniquement sur la qualité de fabrication, et mise à disposition d'informations validées par les autorités.

Une procédure par type de produits ? Pourquoi pas, si les connaissances scientifiques le permettent. Les producteurs mettent en avant l'innovation. Or ce qui compte avant tout pour les patients et les soignants, c'est l'intérêt thérapeutique. On sait combien de nouveaux médicaments ont peu d'intérêt thérapeutique. Il faut donc que la collectivité fixe un certain nombre de principes pertinents dans ce domaine.

Debut de section - PermalienPhoto de Chantal Jouanno

Le critère de l'intérêt thérapeutique est compréhensible, mais y incluez-vous l'intérêt thérapeutique psychologique, comme cela peut être le cas pour les prothèses posées à des fins de reconstruction ?

Debut de section - Permalien
Pierre Chirac

C'est en effet à prendre en compte. Il en va de même pour le Viagra, qui n'a pas qu'un seul usage récréatif : il sert aussi à certains patients, qui ont été opérés, par exemple, à se reconstruire. Les prothèses mammaires ont aussi ce rôle. La dimension psychologique fait donc, bien entendu, partie intégrante de l'intérêt thérapeutique.

Debut de section - PermalienPhoto de Chantal Jouanno

Depuis plusieurs années, votre association cherche à mettre en place un registre exhaustif des prothèses de cheville. Merci de nous donner aujourd'hui l'opportunité d'entendre votre témoignage, notamment sur les difficultés que vous avez rencontrées dans la constitution de ce registre.

Le scandale des prothèses PIP comme l'affaire concernant les prothèses de hanche DePuy nous ont laissé penser que, si nous avions eu des registres bien renseignés, peut-être l'alerte aurait-elle pu être donnée plus tôt et les pouvoirs publics auraient-ils pu mieux anticiper les dispositions à prendre pour la protection des patients. Parallèlement, nous constatons que le renseignement des registres, au-delà de leur constitution, pose des problèmes pratiques aux professionnels de santé ainsi que des problèmes d'accessibilité aux fichiers correspondants.

Debut de section - Permalien
Jean-Luc Besse, président de l'Association française de chirurgie du pied

Permettez-moi, tout d'abord, de dire quelques mots sur l'organisme que je représente. L'Association française de chirurgie du pied (AFCP) est une société savante associée à la Société française de chirurgie orthopédique et traumatologique (Sofcot) que vous avez déjà auditionnée. Je souhaite vous apporter un éclairage pratique sur le thème des registres de dispositifs médicaux implantables, en m'appuyant sur le cas des prothèses de cheville. Qu'apporte un registre ? Est-il complémentaire de la matériovigilance et des données du programme de médicalisation des systèmes d'information (PMSI) et de la Caisse nationale d'assurance maladie (Cnam) ?

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Cazeau

Quelles raisons ont poussé l'AFCP à créer ce registre ? Dans quelle mesure s'est-elle inspirée d'autres modèles français ou étrangers ? Pourriez-vous décrire la nature des informations collectées dans ce registre ? Comment fonctionne-t-il ? A quelles difficultés concrètes la mise en place de ce registre se heurte-t-elle ? Est-ce réservé à la chirurgie du pied ou avez-vous l'intention de l'élargir ? Les explantations sont-elles également renseignées ?

Debut de section - Permalien
Jean-Luc Besse, président de l'Association française de chirurgie du pied

Avant les scandales du Mediator et des prothèses PIP, l'AFCP a été elle-même confrontée à une affaire concernant les prothèses de cheville. Les prothèses de cheville donnent lieu à environ six cents poses chaque année et il s'agit d'un dispositif remboursable en nom de marque, donc très contrôlé. En 2004, quatre modèles de prothèses de cheville avaient été autorisés sur le marché. En 2006, l'AFCP a réalisé une grande étude multicentrique des douze principaux centres poseurs : on a répertorié plus de six cents implants, et aucun de ces quatre types de prothèses ne posait de problème.

En 2008, dans le cadre d'un contrat d'évaluation, j'ai lancé une alerte au sujet d'une des quatre prothèses qui se caractérisait par un taux d'ostéolyse élevé, ayant pour conséquence des descellements, à trois ans de recul. S'ensuit, en France, une polémique intense. J'ai alerté également l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps). Après beaucoup d'hésitations, la société qui commercialisait le produit l'a retiré du marché au début de 2009. Depuis, quatre publications internationales ont confirmé sa nocivité, à 100 % pour la dernière étude qui date de 2011.

A la suite de ces remous qui ont menacé de faire éclater notre société, avec l'ancien président de l'AFCP, le docteur Michel Maestro, nous avons décidé, en 2008, de créer un registre. Ce registre poursuivait un but scientifique, d'évaluation de nos pratiques. Le contexte réglementaire nous a semblé favorable, puisque nous nous placions en remboursement en nom de marque qui contraint les industriels à fournir des données exhaustives sur leurs produits en vue d'obtenir des remboursements et des autorisations du Comité économique des produits de santé (Ceps).

Le registre n'a d'intérêt que s'il est exhaustif. Or, la France accuse dans ce domaine un retard considérable par rapport à des pays comme la Suède, dont le premier registre date de 1975, ou même la Roumanie (2001) et la Slovaquie (2003). Notre seul registre sur les prothèses de hanche date de 2006, et peut être qualifié d'échec puisqu'il se caractérise par un taux de remplissage de 1 %.

Une très intéressante étude a été réalisée par la société Calling, publiée en 2007 dans la revue Bone and Joint Surgery, pour identifier les critères garantissant l'efficacité d'un registre, à partir de quinze registres existants. J'ai étudié les quatre registres de prothèses de cheville existants, ceux de la Suède, Norvège, Finlande et Nouvelle-Zélande, qui existent depuis la fin des années 1980 avec des remplissages qui atteignent les 95 %.

La première étape consiste à déterminer les informations qu'il convient d'inscrire dans le registre. Celles-ci sont de trois types :

- les données épidémiologiques : quelles sont les indications, quel type d'intervention a été pratiqué, quel implant a été posé pour en assurer la traçabilité à travers un numéro ;

- les fiches de reprise ou de révision et les fiches de suivi. Seule l'expérience sur dix ans permettra d'évaluer le service rendu par la prothèse. Ces fiches permettent ainsi de connaître le motif de la reprise, s'il y a des douleurs, la radiographie, etc. On a ainsi défini trois catégories de reprises : la reprise facilement authentifiable quand l'implant a failli et qu'il est nécessaire de le remplacer pour bloquer l'articulation (arthrodèse) ; des réinterventions avec ablation partielle d'une ou plusieurs pièces ; l'échec complet.

Dans certains registres, comme en Suisse ou en Nouvelle-Zélande, les chirurgiens ont la possibilité de rentrer les scores fonctionnels, la mobilité, la douleur et les données radiologiques. Le registre est très important, car il permet de suivre les courbes de survie. Dans le cas des prothèses de cheville, les séries-concepteurs les plus fréquentes correspondent à des courbes de survie à dix ans de 85 %. Au niveau de la hanche, on situe de 95 % à 99 %. Concernant les prothèses ASR, ce sont les registres étrangers qui nous ont fait voir qu'à cinq ans la courbe de survie était insuffisante par rapport à la moyenne. Dans les registres scandinaves, les courbes de survie des prothèses de cheville sont comprises entre 60 % et 70 %.

En France, on compte six cents prothèses de cheville par an, pour cent quarante-huit poseurs : il est difficile d'obtenir des données fiables en matière de matériovigilance quand un chirurgien pose une ou deux prothèses par an !

Quelles sont nos difficultés ? Ce registre n'est pas encore en place aujourd'hui, bien que nous y travaillions sans relâche depuis deux ans. D'abord, il doit être exhaustif. Or, l'expérience en France des prothèses de hanche montre que si l'on ne compte que sur la bonne volonté des acteurs, le taux de remplissage n'est que d'à peine 1 %. Il n'existe pas, dans notre pays, d'obligation réglementaire en ce sens - à la différence d'autres pays comme la Finlande où le remboursement est lié au renseignement du registre. Enfin, le nerf de la guerre est l'argent, il faut le financer ! Pour la Sofcot, le coût d'une prothèse est d'un euro. Si demain, tous les chirurgiens remplissaient le registre, cela coûterait 150 000 euros à la Sofcot, ce qui n'est pas soutenable. Les deux conditions à réunir afin que le registre soit opérationnel sont donc les suivantes :

- il doit être géré par une société savante et non par les industriels ;

- en revanche, les financements ne peuvent être que gouvernementaux.

L'AFCP est un petit organisme de trois cents membres qui ne dégage un bénéfice que de 3 000 euros par an. Ainsi, afin de contourner ces deux écueils et du fait des exigences de la commission nationale d'évaluation des dispositifs médicaux et des technologies de santé (CNEDiMTS), qui doit disposer de données, nous avons obtenu l'aide des industriels. Le registre est monté en parallèle avec une unité de recherche au sein des hospices et ce sont les industriels qui vont financer le travail réalisé par cette unité clinique : ils vont fournir en temps réel le nom des poseurs, et l'unité clinique ira identifier à partir du registre les chirurgiens qui ne l'auront pas renseigné afin de les resolliciter. Le problème est que les industriels souhaitaient obtenir les données dont nous, nous voulions être propriétaires. A cet égard, le Snitem a exercé un lobbying négatif. Aucun industriel ne semble avoir intérêt à ce que ce projet voie le jour de peur que cette obligation de contribuer au financement d'un registre crée un précédent...

Deuxième écueil : le remplissage du registre. En particulier, si le patient est réopéré : comment savoir qu'une explantation a été réalisée ? Nous avons imaginé la création d'un passeport patient, comme pour les porteurs de stents. L'idée était d'investir le patient dans son suivi en l'amenant à lui-même déclarer s'il avait été réopéré. Elle a été fraîchement accueillie.

La situation est aujourd'hui bloquée. Nous avons signé un contrat avec une unité de recherche clinique des hospices civils de Lyon. Le coût s'établit à 32 euros par prothèse pour les industriels, auquel s'ajoute le coût des analyses statistiques. Nous attendons le feu vert de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) depuis octobre 2011, alors que nous pensions l'obtenir dès le début de cette année, après l'accord de sa sous-section compétente, le comité consultatif sur le traitement de l'information en matière de recherche dans le domaine de la santé (CCTIRS). Celui-ci a rendu un premier avis - pas complètement favorable - en nous demandant de supprimer les références à la Haute Autorité de santé (HAS). Finalement, l'accord du CCTIRS a été obtenu au début du mois de janvier 2012. Nous avons eu la faiblesse de croire que la Cnil allait rapidement entériner la décision du CCTIRS. Or, quatre mois se sont écoulés depuis l'accord du CCTIRS et nous n'avons toujours pas reçu de réponse. L'AFCP s'est ainsi fendue d'un communiqué : « l'AFCP, grâce à laquelle un scandale de même nature que celui des prothèses mammaires PIP a pu être évité, s'étonne que les mêmes lourdeurs administratives qui ont conduit aux catastrophes évoquées ne soient pas levées par les tutelles de ces organismes de contrôle ». Depuis quatre mois, nous remuons ciel et terre auprès de la HAS et l'Afssaps pour demander que l'une de ces autorités se manifeste sur l'importance de ce registre, en vain. Ce qui est d'autant plus incompréhensible que la HAS aura besoin de ces données pour décider du renouvellement du remboursement en 2015. C'est la raison pour laquelle nous avons demandé à être auditionnés.

Aujourd'hui, nous disposons d'un registre opérationnel, avec une partie du financement, mais il nous manque ce dernier accord alors que nous attendons depuis sept mois.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Cazeau

Quelle appréciation portez-vous sur la capacité à identifier et à contacter rapidement les porteurs d'un type de prothèse déficient fournie par le registre ?

Debut de section - Permalien
Jean-Luc Besse, président de l'Association française de chirurgie du pied

La capacité à identifier est bonne et nous pourrons réagir en temps réel en examinant les informations saisies, puisque le registre est géré par une unité de recherche clinique, publique et hospitalière. S'agissant des événements indésirables, nous avons, toutefois, une inquiétude. La CNEDiMTS, dans le cadre de la procédure de remboursement en nom de marque, a demandé aux industriels de fournir une étude s'appuyant sur un protocole de données complètes sur les prothèses. S'ajoute donc au registre une étude de cohorte : les industriels devront fournir toutes les informations concernant quatre cents à cinq cents prothèses selon des méthodes statistiques. Ainsi, en plus du registre, sur deux cents patients par type de prothèse, l'unité de recherche clinique rappellera tous les patients, un, deux puis quatre ans plus tard, pour savoir s'ils ont été réopérés. Cela nous permettra de contrôler l'exactitude des informations de notre registre. Si nous constatons des différences notables, cela signifiera que la réglementation française n'est pas propice à l'établissement de registres fiables.

Debut de section - Permalien
Jean-Luc Besse, président de l'Association française de chirurgie du pied

Deux pistes existent :

- la première est législative, comme dans certains pays scandinaves tels que la Finlande, où la loi conditionne le remboursement au remplissage des registres. En France, le chirurgien est bien obligé de remplir un certain nombre de données du PMSI pour obtenir le remboursement du groupe homogène de séjour (GHS). Pourquoi ne pas appliquer la même logique aux implants à risque ? Cette piste est tout de même plus contraignante que la seconde ;

- la seconde est l'accréditation. C'est déjà le cas pour la base de données « Epithor » dans laquelle les chirurgiens thoraciques doivent renseigner les opérations qu'ils ont réalisées, les complications survenues, etc., et ce afin d'obtenir leur accréditation auprès des organismes qui gèrent le cancer. Les chirurgiens orthopédistes doivent aujourd'hui déclarer les événements indésirables sur « Orthorisque », afin que leur assurance soit, en partie, prise en charge.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Cazeau

Les statistiques établies à partir du registre de l'AFCP permettraient-elles d'améliorer les technologies répertoriées et envisageriez-vous de partager ces données avec les fabricants ?

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Jean-Luc Besse, président de l'Association française de chirurgie du pied

Les données d'un registre ne sont pas scientifiques au sens strict. Si l'on entre trop d'informations, il s'agit d'une étude de cohorte destinée à analyser la qualité de vie ou les résultats fonctionnels. Le registre informe sur le taux de complication, de réintervention et la courbe de survie à dix ans. Par exemple, quand sur la prothèse de hanche ASR nous sommes sur des courbes de survie de 95 % à 98 %, si sur un registre à cinq ans nous nous situons déjà à 80 %, cela signifie qu'il faut arrêter...

Nous allons partager nos données avec les industriels car nous avons passé un contrat avec eux : ils financent une partie du registre, car ils ont besoin de ces données pour le Ceps. Mais l'AFCP doit rester la propriétaire des données individuelles. Les industriels auront accès aux données statistiques et aux rapports annuels. Parallèlement, le grand public doit pouvoir consulter les données générales sur les prothèses sur le site des sociétés savantes.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Cazeau

Comment inciter les médecins à mieux déclarer les événements indésirables ?

Debut de section - Permalien
Jean-Luc Besse, président de l'Association française de chirurgie du pied

Il y a un problème d'ordre culturel, du fait de l'absence d'obligation règlementaire. Dès lors que les patients auront un passeport, ils seront demandeurs d'information. Sur des dispositifs spécifiques, les patients sont de plus en plus au courant de ce qu'ils peuvent en attendre.

La matériovigilance ne fonctionne pas très bien car la déclaration est très subjective. Que déclarer ? Les bris de prothèses ou de plaques ? Les ostéolyses, phénomènes d'usure du revêtement des prothèses, doivent-elles être considérées comme normales ou anormales ? L'absence de retour de l'Afssaps quand on fait une déclaration est aussi critiquable, c'est en particulier la remontée que j'ai des responsables d'établissement. J'en ai fait l'expérience quand je me suis interrogé sur la fréquence des ostéolyses peut-être dues à la qualité des revêtements. Il aurait fallu que celui qui a déclaré puisse également suggérer des pistes sur l'origine de la complication, du moins avoir son mot à dire.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Cazeau

La création d'un registre des dispositifs médicaux à risque devrait-elle être décidée par les pouvoirs publics ? Un tel registre à l'échelle européenne vous paraît-il concevable ? Quel pourrait être le rôle des sociétés savantes dans sa mise en place ?

Debut de section - Permalien
Jean-Luc Besse, président de l'Association française de chirurgie du pied

Oui, il revient aux pouvoirs publics de s'emparer du problème. L'échec du registre sur les prothèses de hanche l'a prouvé. Il faut donc, soit modifier la législation, soit instaurer des accréditations, avec des incitations financières. Dans certains pays, si vous remplissez convenablement vos données, vous obtenez des avantages en matière d'assurance notamment.

Les registres sont aussi indispensables. Le PMSI ne signale pas la nature des implants posés et les codes de la Cnam ne permettent pas de suivre les dossiers des patients. Il existe trois codes de la classification commune des actes médicaux (CCAM) pour les prothèses : mise en place d'une prothèse (on sait ainsi qu'on en pose 580) ; ablation de prothèses (on sait ainsi qu'on en enlève 150) ; ablation de prothèse accompagnée d'une arthrodèse. Mais le cas du patient à qui on a enlevé une prothèse qu'on a ensuite remplacée par une autre n'apparaît pas dans ce circuit.

Les registres constituent aussi le seul moyen de lutter contre les conflits d'intérêts, et de contourner les lobbies : les registres exhaustifs se feront dans le seul intérêt des patients. Beaucoup de dispositifs médicaux sont conçus avec l'aide de chirurgiens et d'équipes réputées. Le problème peut aussi être sociétal : quand les chirurgiens sont influents et membres d'une société savante, ils peuvent utiliser cette dernière pour régler des problèmes concernant des dispositifs médicaux. Le but d'un registre exhaustif est de se placer au-dessus de tous ces intérêts personnels et de se ranger derrière celui du patient. Pour autant, les registres ne doivent concerner que les dispositifs les plus à risque.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Cazeau

Peut-on constituer des registres pour les prothèses de la hanche, malgré leur plus grand nombre ?

Debut de section - Permalien
Jean-Luc Besse, président de l'Association française de chirurgie du pied

L'exemple de la Suède nous prouve que c'est possible : son registre est rempli à 97 % pour les prothèses de hanche, à 99 % pour les prothèses du genou, à 82 % pour les prothèses de cheville. La législation y est différente, comme en Suisse.

Debut de section - Permalien
Jean-Luc Besse, président de l'Association française de chirurgie du pied

Ce ne peut être que le chirurgien.

Debut de section - PermalienPhoto de René-Paul Savary

En France, c'est la sécurité sociale qui connaît toutes les opérations, qu'elle cote : compte tenu des précisions nécessaires au remboursement des actes, ne serait-il pas plus simple de lui confier également ce rôle scientifique ? Quant à l'accréditation, elle contraint à multiplier les démarches. Allons au plus rapide.

Debut de section - Permalien
Jean-Luc Besse, président de l'Association française de chirurgie du pied

En théorie, vous avez raison mais il y a des obstacles pratiques. S'agissant du codage, on n'a rien inventé, on s'est simplement aligné sur ce qui se fait dans d'autres pays. Une fois qu'on vous a posé une prothèse, on vous attribue un code, mais, pour autant, si trois ans après la pose il faut refaire un ligament, le lien avec une possible défectuosité de la prothèse ne sera pas forcément établi. Seul le registre permet de suivre au long cours le patient et tout ce qui lui arrive.

S'agissant des consultations : idéalement, quand je fais une étude clinique sur les prothèses de cheville, je revois les patients à six mois, à un an, à deux ans, à cinq ans, à dix ans... Le problème est qu'après cinq ans, le chirurgien ne dispose plus du temps suffisant pour revoir en consultation les patients auxquels il a posé une prothèse car il voit de nouveaux patients et les opère. Souvent, le patient est donc réopéré par quelqu'un d'autre. Le registre permet précisément un tel suivi, à condition d'associer un numéro à la prothèse et que tout le monde joue le jeu.

Les données de la sécurité sociale et du PMSI sont complémentaires ; d'ailleurs, elles ont permis de montrer que, si sur 580 prothèses de cheville posées, on en enlevait 150, c'est qu'il y avait un problème. Pour autant, ces données ne remplacent pas celles du registre.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Cazeau

Que pensez-vous de l'initiative de la Global Harmonisation Task Force sur l'identification des dispositifs médicaux à partir du système UDI (Unique Device Identification) ?

Debut de section - Permalien
Jean-Luc Besse, président de l'Association française de chirurgie du pied

C'est indispensable. Nous avons trop de référencements différents. Faut-il procéder au niveau européen ou au niveau international ? Je crois qu'il faut commencer par une harmonisation européenne car une prothèse portant le même nom aux Etats-Unis peut avoir un traitement de surface différent du modèle européen.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Cazeau

La création d'un registre des essais cliniques vous semble-t-elle une idée pertinente afin d'améliorer le suivi et la qualité des dispositifs médicaux mis sur le marché ainsi que l'information des praticiens et des autorités sanitaires ? Cela constituerait-il une amélioration par rapport à la situation actuelle et, si oui, quelle échelle (nationale, européenne) serait la plus appropriée ?

Debut de section - Permalien
Jean-Luc Besse, président de l'Association française de chirurgie du pied

Il existe déjà une base de données, le Clinical Trial, qui ne répertorie que les déclarations d'essais cliniques, il ne s'agit donc que des études les plus pertinentes. Beaucoup d'études ne sont pas déclarées. La publication pose de vrais problèmes quand les résultats de l'étude ne sont pas favorables. Lorsque vous procédez à une étude randomisée, à partir de la comparaison de deux techniques chirurgicales, en établissant un protocole et en définissant un nombre d'inclus, si vous constatez, au bout de dix à quinze inclusions, de grosses complications pour un groupe, alors éthiquement vous arrêtez. Or, une telle étude est pratiquement impubliable.

Alors que tout le monde était ligué contre moi, les résultats défavorables de mon étude, conduite dans le cadre de mon contrat d'évaluation clinique avec le fabricant de la prothèse, n'ont pas pu être publiés en France. Je n'ai pu les publier que dans une revue internationale. Par chance, d'autres publications sont venues confirmer peu après mes résultats.

Sur le fond, je suis d'accord pour qu'on constitue une base recueillant les données des essais cliniques, mais il faut s'entendre sur ce que l'on publie, notamment les études défavorables.

Debut de section - PermalienPhoto de Chantal Jouanno

Les registres, tels qu'ils existent en Suède, ne peuvent-ils être étendus à toute l'Europe puisque les marchés sont européens ?

Debut de section - Permalien
Jean-Luc Besse, président de l'Association française de chirurgie du pied

Il existe des projets de registres européens. L'European Foot and Ankle Society travaille sur ce type de projet. Mais rien qu'à l'échelle de la France, c'est le parcours du combattant. D'un pays à un autre, les numéros d'identification sont différents. De plus, sur les quinze registres que j'ai examinés à l'étranger, six requièrent l'accord du patient. Au Royaume-Uni par exemple, seuls 68 % des patients acceptent que leurs informations soient intégrées dans un registre. Il faudrait harmoniser les législations. Par le passé, un projet de registre européen sur les prothèses de cheville aurait permis de récupérer, non pas les données individuelles et nominatives, mais les données analytiques pour les centraliser. En outre, les quatre modèles de prothèses de cheville agréés en France ne sont pas les plus posés en Europe.

Comment créer un registre européen avec des législations différentes ? Un registre européen réunissant des données remplies à plus de 90 % en Suède, où c'est obligatoire, et des données remplies à seulement 1 % en France, n'a plus aucun sens.

Debut de section - PermalienPhoto de René-Paul Savary

On voit bien que le registre est efficace pour une prothèse spécifique. Il devient difficilement tenable dès qu'on aborde un dispositif destiné à un traitement de masse. On demande de plus en plus de garanties aux praticiens : accréditation, PMSI, codages de l'assurance maladie, etc. Attention à ne pas éloigner les professionnels de santé de leur occupation principale. Il faut améliorer la sécurité certes, mais sans pénaliser la réalisation des actes.

Debut de section - Permalien
Jean-Luc Besse, président de l'Association française de chirurgie du pied

Je ne suis pas tout à fait d'accord. S'agissant des prothèses de cheville, nous avons calculé que le remplissage du registre ne prendrait pas plus de trois minutes pour quelques items de départ. A titre personnel, quand je suis au bloc opératoire, je dois remplir le PMSI, à partir d'un logiciel plus ou moins manipulable. Compte tenu de la pénurie de secrétariat, c'est à nous de taper nos comptes rendus. Mon logiciel nécessaire à la prescription postopératoire me demande quatre fois plus de temps que ce que je vais consacrer à un registre... Les Scandinaves ont su mettre en place des registres qui fonctionnent. Veut-on assister à des scandales à répétition, ou se donner le moyen de les éviter ?