Intervention de Jacques Legendre

Commission d'enquête Frontières européennes et avenir espace Schengen — Réunion du 3 janvier 2017 à 11:5
Audition de M. Yves Bertoncini directeur de l'institut jacques delors

Photo de Jacques LegendreJacques Legendre :

Vous avez parlé de la difficulté ou de l'impossibilité de tenir une frontière. Historiquement, ce n'est pas vrai. Pendant des années, la France a eu des frontières qui étaient complètement contrôlées. Il suffisait d'y mettre les moyens. Nous avons choisi de démanteler progressivement les moyens que nous mettions à la frontière en termes de lignes de douane. Dans le folklore du Nord, on se souvient encore des douaniers qui, avec leurs chiens, traquaient les passeurs de tabac entre la France et la Belgique. Était-ce très utile ? Je n'en suis pas persuadé et je crois que personne ne plaide pour un tel retour. Ceux que l'on traquait à la frontière, c'étaient les étrangers éventuellement animés d'intentions belliqueuses, par exemple à la frontière franco-allemande. C'était surtout du contrôle économique. Nous sommes entrés dans une autre période. On ne peut pas dire qu'il est impossible de tenir une frontière. Pour un pays comme la France, c'est possible, mais cela coûte cher et ce n'est pas nécessairement économiquement rentable. On a fait un autre choix, celui d'un espace de circulation.

Vous avez raison de dire que c'est sans doute l'un des acquis les plus populaires de l'Union européenne. Mais était-il logique de diminuer comme on l'a fait, de manière très importante, les contrôles internes, alors que nous n'avions plus de douaniers ? Les contrôles de police sont tout de même assez aléatoires. Salah Abdelslam a été contrôlé par la gendarmerie française au poste de péage autoroutier de Cambrai. Il y a eu sans doute en Belgique un dysfonctionnement interne, puisque les services belges consultés n'avaient rien qui justifiait une arrestation. C'est une demi-heure après que les gendarmes ont relâché l'intéressé qu'un nouvel avis est arrivé de Bruxelles informant qu'il fallait le garder. Cela s'est passé non à la frontière, mais à un poste de péage autoroutier, qui se situe à quarante kilomètres de la frontière et qui est physiquement le seul endroit où il y a un contrôle entre Bruxelles et Paris. S'y trouvent parfois les douaniers, souvent les gendarmes, et les voitures sont obligées de s'arrêter pour payer le péage. Voilà la réalité perçue de la frontière.

Notre problème n'est-il pas que, lorsque l'on a voulu cet espace libre de circulation de Schengen, on n'a pas mis en place aux frontières extérieures un système de contrôle efficace ? Pour avoir récemment conduit une mission d'information sur l'accord entre l'Union européenne et la Turquie, j'ai été frappé par le fait que les Turcs ont longtemps laissé passer tous ceux qui voulaient entrer en Grèce au point que la Grèce s'est trouvée submergée. Or, une fois que l'accord a été conclu, comme par miracle, pratiquement plus personne ne passait de Turquie en Grèce. Cela montre bien que les Grecs avaient du mal à contrôler leurs frontières, mais que les Turcs, quand ils le voulaient, contrôlaient assez bien la leur.

Sur les limites extérieures de Schengen, le problème concerne non seulement l'état des contrôles frontaliers sur les territoires de Schengen, mais aussi la volonté ou la mauvaise volonté de ceux qui sont de l'autre côté de la frontière. Les Turcs contrôlent quand cela les arrange. Pour les Italiens, le problème, c'est bien l'inexistence d'un État libyen : quand on arrête en Italie quelqu'un qui veut passer en Europe, on ne peut pas le ramener en Libye, on est obligé de l'admettre sur le territoire européen. On comprend alors la tentation italienne qui consiste à les laisser partir. Jusqu'à une époque récente, cela se terminait sur les quais de Calais.

J'aimerais connaître votre sentiment, non sur la critique des bonnes vieilles frontières de papa, mais, très précisément, sur ce qu'il faut faire pour avoir une sécurité réelle aux frontières de Schengen et sur un mode de contrôle de la circulation des personnes à l'intérieur de l'espace Schengen revu et corrigé puisque, quand certains circulent à l'intérieur de Schengen, il y a parfois intérêt à être fixé assez vite sur leur dangerosité ; on l'a vu avec Salah Abdelslam.

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